Âme de Pureté

Chapitre 87 : L'Expiation | Chapitre 87

3299 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 13/05/2020 10:10

— Non, pas encore !

Au-dessus de nos têtes, une vague de couleurs chaudes tapissent le ciel au-dessus du terrain d’athlétisme du lycée de Flem. La silhouette en face de moi piétine rageusement le sol. Les hologrammes créés par nos disques de duel s’effacent, redonnant à la terre sa forme naturelle. Mon compteur de points de vie indique quelques milliers tandis que celui de mon adversaire affiche un zéro catégorique.

— Tu as eu de la chance, je veux ma revanche !

Le visage partiellement masqué par ses cheveux bleutés, Kageyama clame encore et encore. Lasse, je consulte l’heure sur mon téléphone portable et refuse catégoriquement.

— C’est le troisième duel de suite qu’on livre, je t’avais dit que ce serait le dernier.

— Tu te débines, c’est ça ?!

Les bras croisés, je la dévisage d’un air dédaigneux. Dès qu’elle a eu vent de mon affrontement avec Yugi au Kaiba Dome ce week-end, notre bourreau national a proclamé que je n’étais pas légitime et se devait de le prouver. Bien que je partage son avis sur mes chances de l’emporter face au champion, ses trois défaites de suite n’ont pas entaché sa détermination. C’est aussi honorable qu’épuisant.

Sourde à ses réclamations, je détache mon disque de duel et récupère mon sac de cours, abandonné un peu plus loin.

— Je vais être en retard au boulot, je grogne à son attention.

Ses plaintes ne s’arrêtent pas là, je décide simplement de les ignorer et de chevaucher mon vélo. D’après ses dires, je ne couperai pas à une autre session de duel le lendemain, jour du grand événement.

Cette gamine doit être masochiste.

Peut-être bien… Mais je dois bien avouer qu’elle m’a permis de me remettre dans le bain. Mon jeu est capable de tenir ceux de mes précédents adversaires, mais il n’est pas prêt à vaincre Yugi Muto. Je doute même qu’il le soit un jour. Les cheveux dans le vent, je pédale à vive allure dans les rues de la ville. Ma rencontre avec Hirutani et Joey me parait lointaine. Depuis, je n’ai pas cherché à croiser le blondinet, à la grande surprise de notre poissonnier.

— Je me demande s’il me pardonnera un jour, je songe à haute-voix.

La sensation de calme ressentie après notre discussion m’a semblé irréelle. C’est alors que j’ai commencé à réfléchir aux paroles de cette illusion au Royaume des Ombres. Les sentiments qui s’expriment à travers mon corps ne sont pas les miennes. Elles me sont étrangères et je ne le remarque que maintenant. Depuis le début, Eléonore a trafiqué mes émotions pour qu’elles ne me rongent pas. C’est pour ça que je ne ressens aucune culpabilité envers Yoshida, le père de Kageyama ou encore le père de Joey.

— Hé, attention ! me hurle un passant que je manque d’écraser.

— D-Désolée !

Impossible de me concentrer sur la route tant les réflexions tourbillonnent dans mon esprit. L’absence de compassion envers Pegasus ne me ressemble pas non plus. Tout cela n’est donc finalement que le fruit des agissements d’Eléonore.

Et par-dessus tout ça, je ne parviens pas à croire que tu aies menacé Kaiba d’assassiner Mokuba !

C’était de la légitime défense ! Je t’ai déjà dit que ce type a menacé ta mère !

Avant de me coucher, j’ai permis à Eléonore de s’expliquer sur l’ensemble des conneries commises durant mon absence. Il va me falloir des semaines pour réparer tous les dégâts. Je comprends désormais mieux pourquoi ma mère est si fatiguée et absente ces derniers jours. Je parierais toutes mes économies que cet abruti a pris ses menaces au pied de la lettre et a demandé à son employeur de la surcharger de travail par le biais de ses relations. J’ai beau retourner le problème dans tous les sens, je ne trouve pas la moindre solution. Ma bicyclette achève son chemin au Seven Eleven, où Haiyama m’accueille avec son sourire habituel pour commencer mon service.


— Merci pour ton travail ! nous nous exclamons en chœur.

Avant de quitter le konbini pour un repos bien mérité, je décide de vider la poubelle de notre vestiaire. Et, alors je suis sur le point d’en vider le contenu dans une benne à ordures située derrière le magasin, mon attention se porte sur une énorme quantité de papier réduit en l’état de boulettes.

— Quel gâchis, je maugrée en attrapant une des boules.

Lorsque mes doigts la déplient délicatement à la lumière d’un lampadaire urbain, je découvre l’un des nombreux posters que je chassais toute cette semaine. Stupéfaite, je vérifie le contenu de la corbeille et constate que tous les autres déchets sont des affiches publicitaires sur le duel de samedi.

— Bizarre, je ne me rappelle pas les avoir jetées…

Sur la pointe des pieds, je m’attèle à terminer ma tâche et rentre d’un pas pressé dans le konbini. Par chance, Haiyama semble m’attendre devant les portes automatiques.

— Tu en as mis du temps, constate-t-il d’un ton doux avant de remarquer la surprise sur mon visage. Quelque chose ne va pas ?

— Il y avait plein de posters à la poubelle, c’est toi ?

Ma question, maladroitement brusque, lui provoque un hoquet de surprise. Il referme son emprise sur son manteau et peine à soutenir le regard intense que je lui lance.

— O-Oui, p-pourquoi ?

Je mentirais si je n’avouais pas que cette situation m’amuse au plus haut point.

— C’est plutôt moi qui devrais poser cette question.

Il bafouille des explications inaudibles puis inspire profondément.

— Je… t’ai aperçue l’autre jour, près d’ici, tu as arraché l’affiche. Tu avais l’air contrariée alors j’ai pensé que tu ne voulais pas les voir.

Sa délicate attention me touche droit au cœur, je m’incline et le remercie chaleureusement. Cela m’aurait fortement embarrassée de devoir travailler entourée des posters de la Kaiba Corp, surtout dans ma situation actuelle.

— Tu vas affronter Yugi Muto, pas vrai ?

J’acquiesce à contrecœur. Maintenant que je connais les tenants et les aboutissants, refuser l’affrontement signerait définitivement mon arrêt de mort.

— Est-ce que tu m’en veux si je te dis que j’ai acheté une place ?

Une grimace déforme mes traits. Au fond de moi, j’espérais que le moins de monde possible puisse assister à ma défaite contre le pharaon, mais c’est peine perdue. Ces gosses avaient raison l’autre jour, impossible de dégoter des places. Même Zoé a eu des difficultés à en obtenir.

— J-Je ne t’embêterai pas avec ça, promis !

— Non, ce n’est rien, je réponds sans conviction. Je ne savais pas que tu étais fan de Duel de Monstres.

Haiyama arbore un sourire gêné et fait non de la tête.

— Pas vraiment, je fais partie des rares personnes à ne pas y jouer.

Alors il existe encore des gens hermétiques au Duel de Monstres. Mon visage traduit mon étonnement car il gigote nerveusement.

— Dans ce cas... Pourquoi as-tu des places pour demain ? je poursuis, suspicieuse.

Je plisse les yeux et tente une approche physique pour le mettre encore plus mal à l'aise. Si je n'avais pas appris à le connaitre ces dernières semaines, je me questionnerais sur ses réactions envers moi.

— Eh bien... Euh... En fait, je...

— Tu es louche Haiyama.

Ses yeux s'écarquillent, il agite brusquement ses mains devant lui pour dissiper un possible malentendu.

— Je connais Yugi !

Partiellement satisfaite, je recule pour le laisser respirer.

— Tu connais Yugi Muto ?

— Il y a un an, j'étais au lycée de Domino où je l'ai rencontré.

Par la suite, Haiyama m'explique que quelques mois auparavant, il n'était pas aussi gentil qu'aujourd'hui. Au contraire, c'était un véritable enfoiré capable de racketter les gens au risque de les malmener - point sur lequel il ne s'a malheureusement pas souhaité s’attarder. Pour peu, cela me paraitrait être une énorme plaisanterie de sa part jusqu'à ce qu'un détail de son récit me rende perplexe.

— Yugi est devenu différent, plus grand. Ce truc autour de son cou en forme de pyramide inversée brillait. On a joué à un jeu et j'ai perdu.

Haiyama aurait-il participé à un jeu des ombres, lui aussi ? Pourtant, il ne me semble pas traumatisé.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ensuite ? je m’enquiers d'un air faussement détaché.

Il réajuste ses lunettes au sommet de son nez et s'éclaircit la voix.

— Je ne sais pas trop... Je me suis réveillé dans ce hangar où nous avons joué, il n'y avait plus personne.

Sauf s'il refuse de me révéler ce qu'il a vu. Difficile pour moi de dépêtrer son caractère timide de sa gêne. Tant pis, s'il ne compte pas me le dire ce soir, j'attendrais que les choses se tassent pour le questionner davantage.

— Quand j'ai lu que tu allais affronter Yugi en duel au Kaiba Dome, j'ai eu envie de voir ce qu'il était devenu. Est-ce que tu m'en veux ?

Sa demande me provoque un rictus embarrassé.

— Bien sûr que non. De toute façon, ils ont tous raison, cela ne durera qu'une trentaine de minutes maximum.

Mes chances de l'emporter face au pharaon frôlent le néant. Mes jambes chancellent rien que de songer à tous ces regards braqués sur moi demain. Ma vie contre un duel... C'est si ridicule.

— Je sens que la nuit va être courte.


De retour à mon domicile, je ne suis pas surprise d'apprendre que ma mère s'est absentée pour effectuer quelques heures supplémentaires. Un repas à réchauffer recouvert de cellophane m'attend dans un coin du frigo. Le silence de la maison me rappelle amèrement celui du manoir des Pegasus.

— Quel connard ce Kaiba.

— Il faut un plan pour s'en débarrasser.

Mes doigts trafiquent la température du micro-onde tandis que mon cerveau fulmine de projets insensés.

— C'est un homme puissant, on ne s'en sépare pas en un claquement de doigts.

— Il est hors de question de tenter quoi que ce soit à son encontre. Ce ne serait raisonnable ni pour nous, ni pour Maki.

Le mouvement rotatif du plat dans la boite métallique m'hypnotise. Faire du mal à Kaiba équivaudrait à jeter de l'huile sur le feu, s'approcher de son petit-frère ou refuser un duel relèveraient du suicide. Je masse lentement mes tempes pour me remettre les idées en place.

— Demain, après le duel, j'essaierai de lui parler, conviens-je en relevant la tête, comme pour m'adresser au fantôme d'Eléonore. Il aura obtenu ce qu'il désirait depuis tout ce temps, peut-être trouverai-je un moyen de le raisonner ?

— Crois-tu vraiment que ce fou acceptera de t'adresser la parole ?

— Je n'ai pas réellement d'autres choix. Kaiba est quelqu'un de borné, d'entêté, une tête de cochon invivable, mais je ne peux décemment pas laisser ma mère s'épuiser à cause de... à cause toi, putain !

Au fond de moi, à mon retour du Royaume des Ombres, j'aurais espéré pouvoir ignorer Eléonore, agir comme si elle n'existait pas jusqu'au jour où j'aurais trouvé un moyen de la renvoyer dans son monde. Cependant, tout ne s'est pas déroulé comme prévu et je me sens incapable d'affronter toutes ces épreuves seule. Lorsque la sonnerie du micro-onde annonce la fin de la cuisson, une autre musique la confond. Cela provient de mon téléphone portable, abandonné dans un coin de la table. Au nom affiché sur l'écran fissuré, je me précipite sur la touche verte.

— A-Allô ?

— VOUS VOUS FOUTEZ DE MOI ?

Par réflexes, j'écarte le combiner de mon oreille, m'évitant une considérable perte d'ouïe. Mes poils s'irisent au son de sa voix, déformée par la colère.

— B-Bonsoir Mai, comment tu vas... ?

— Si je vais bien ?! Alors comme ça je disparais quelques jours et j'apprends que mes deux blondinets se sont déjà étripés ?

Je contiens un soupir. Joey est précisément le sujet que je souhaitais éviter ce soir.

— Comment es-tu au courant ?

— Je compte venir assister au match demain, j'ai voulu taquiner Joey mais il m'a gentiment fait comprendre que c'était fini entre vous.

Carrément « fini » ? Eh bah, je suis toujours la dernière au courant à ce que je vois. A moins qu'elle ne grossisse ses propos pour obtenir une quelconque réaction de ma part. Toutefois, je ne tomberai pas dans le panneau.

— Tu viens demain ?

— Ne change pas de sujet, Lorène.

— Dommage, c'est bien mon intention, je siffle en reluquant du coin de l'œil mon plat de pâtes enfermé dans le micro-onde. Je te remercie encore pour le boulot au konbini et je t'assure que c'est bon, c'est oublié pour la Californie.

— Solidarité féminine, tout ça. Mais ne t'attends pas à ce que je fasse comme si de rien était demain, je compte bien tirer votre histoire au clair !

Et si je lui avouais tout de suite que toute cette merde a été déclenchée par un meurtre ? L'envie de connaitre sa réaction me titillerait presque. Soyons raisonnables.

— Comme tu veux. Je dois préparer mon jeu, on se voit demain ?

— Tu n'y couperas pas, ma chérie !

Je décale mon téléphone et raccroche avant que la célèbre duelliste aux harpies ne décide de me cuisiner davantage. A ce train, tout le Japon va assister à ma cuisante défaite.

— Bon, je souffle en détachant le couvercle de mon Tupperware, au moins, la bouffe, ça ne pose pas de questions indiscrètes.


Minuit passé, c'est à la lueur des lampadaires urbains que je toise chacune de mes cartes. Mon crâne sature, des boules de papier raturé débordent de mon bureau et aucune bonne stratégie ne me permet de composer ce foutu deck.

— Quarante putain de cartes, je geins, le visage en étau. C'est un vrai casse-tête.

Au pied de mon lit, la silhouette opaque d'Eléonore m'observe en silence. De temps à autre, je lui jette des regards furtifs pour m'assurer qu'elle ne complote rien dans mon dos. Au bout de plusieurs heures de concentration, je lâche un soupir désabusé et m'adosse violemment contre le dossier de ma chaise.

— Pourquoi je m'emmerde, hein ? Atem l'a dit lui-même, cela ne durera pas longtemps, juste assez pour me foutre la honte devant des milliers de personnes !

Eléonore ne relève pas, son attention se reporte sur la fenêtre, puis sur le couloir, vide. Maman n'est toujours pas rentrée du boulot. Une boule creuse mon ventre.

— Tu sais quoi ? je crache, mauvaise. La vérité, c'est qu'avec toute cette merde que tu as provoquée, je suis incapable de me consacrer à une seule chose à la fois !

Les lampes de l'étage d'une habitation voisinent s'allument. Au diable mes voisins, il n'y a pas de raison que je sois la seule à souffrir d'insomnie. Dans mon excès de rage, une carte étendue sur la table tombe auprès d'Eléonore. Murée jusqu'ici dans un lourd silence, elle se penche et frôle de ses doigts la surface de la carte. Ses doigts traversent le carton et me provoque un frisson. Son visage triste ne doit pas m'émouvoir. Eléonore et moi partageons le même corps depuis tant d'années que je me fais violence pour ne pas m'inquiéter de son état. C'est de sa faute si je me retrouve dans un tel merdier. Ce constat se répète encore et encore dans mon esprit pour l'imprimer définitivement au sein de ma mémoire.

— Si seulement il y avait un moyen de me sortir tout ça de la tête, ne serait-ce qu'un jour.

Les yeux désormais rivés vers le plafond, je songe à quel point ma perte de mémoire m'avait évité toute une série de questionnements ces quelques années. Bien que j'aie longuement regretté ces souvenirs, il serait hypocrite de nier le confort que cette amnésie m'a apportée.

« Sans Eléonore, voilà ce que tu es : une petite chose fragile. »

En quoi est-ce mal de se servir des pouvoirs pour son propre bien ? Mise à part le crime auquel je me suis adonnée, la force d'Eléonore m'a également apporté du positif.

Sans cela, Sérénity serait peut-être tombée aux griffes d'Hirutani, Kageyama me persécuterait toujours, je n'aurais pas participé au tournoi de Bataille-Ville. Mon regard baisse en direction de la silhouette longiligne d'Eléonore. Sa masse blonde masque une partie de son visage, sa peau est sale et ses yeux turquoise perçants. Pas étonnant que le pharaon n'ait pas voulu l'exécuter. Si je ne connaissais pas ses desseins maléfiques, je la trouverais magnifique.

— Merci pour le compliment. Tu n'es pas mal non plus pour une humaine.

Prise de court, je pouffe du nez et m'installe correctement sur mon siège.

— J'oublie parfois que tu écoutes encore mes pensées.

Epuisée, je me lève et m'abaisse vers la carte abandonnée. Mes doigts effleurent ceux de l'esprit, ma peau se rafraîchit. Je referme mon emprise sur le bout de carton et me fige. Une idée folle vient de m'apparaitre brutalement.

— Quand tu as effacé ma mémoire, il y a six ans, ça t’a pris combien de temps ?

Eléonore me dévisage puis feint de réfléchir. Je crois que je pourrais trouver un moyen de lui pardonner si elle accès à ma requête absurde.

Moins de cinq minutes tout au plus. Contrairement à ta chambre, ta mémoire était plus bien organisée.

Etonnée de la rapidité de cet acte pourtant capital, je m’installe en tailleur devant son enveloppe et la jauge en me triturant les doigts.

— Imaginons que j’ôte quelques souvenirs de ma chambre de l’âme, tu penses que je pourrais les récupérer facilement ?

Ses joues se creusent d’un sourire satisfait. Mes intentions sont claires, je n’ai aucune envie de les cacher. La fatigue a pris le pas sur le peu de raison qu’il me restait.

Ne sous-estime pas mes capacités.

Au-dessus de mon lit, l’horloge indique minuit passé. J’estime une nouvelle fois mes chances de l’emporter face au pharaon. Dans mon état actuel, je suis incapable de me concentrer, frôlant ainsi le zéro pointé. D’un autre côté, Kaiba me donne malgré lui l’occasion de démontrer ma progression au Duel de Monstres face à des milliers de personnes. Mai, Zoé, Haiyama, Joey. Ils seront tous là pour assister au spectacle. Cela peut paraître fou, mais j’aimerais leur démontrer mon niveau. Cependant, je dois me rendre à l’évidence : mon état mental ne me le permet pas.

Désormais décidée, je reviens face à Eléonore et inspire profondément.

— Je veux que tu effaces une partie de ma mémoire.

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