Âme de Pureté

Chapitre 86 : L'Expiation | Chapitre 86

3932 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/05/2020 19:33

Alors que je m'enfonçais dans une rue à la frontière de Domino pour rejoindre le Seven Eleven, Eléonore me fige les jambes pour m'empêcher de m'aventurer plus loin.

— Qu'est-ce que tu...

— Hé, mais c'est notre vieille amie ! raille l'ombre qui m'intriguait quelques secondes plus tôt.

Une voix grave et enchantée, j'ai du mal à l'identifier jusqu'à ce qu'une dégaine aux traits tirés se détache de la pénombre. Ses cheveux blancs et courts tirés en une queue-de-rat ainsi que ses multiples piercings m'intiment que j'aurais sûrement dû regagner la gare.

— Hirutani ?

Qu'est-ce que ce type vient foutre dans les parages à une heure pareille ? Un souvenir éclaire brusquement mon visage. Zoé… Elle m’avait raconté qu’Eléonore est revenue rouée de coups d’une entrevue avec ce type. C'est pour ça que tu voulais qu'on se tire, pas vrai ? Je peux savoir pourquoi il m’a suivie ?

Ce n'est pas le moment d'en parler, on devrait se tirer d'ici.

Au contraire, je crois justement que c'est le moment parfait pour aborder le sujet.

— Eh bien, je suis ravi de te revoir. Quelle coïncidence de se croiser dans un endroit aussi... atypique.

Les mains enfoncées dans les poches de son survêtement, Hirutani arbore une démarche nonchalante. Il n'hésite pas à s'approcher dans ma direction d'un pas assuré, si bien que je recule par précaution.

— Je ne crois pas que ce soit le fruit du hasard, je bredouille, tâtonnant mon sac à la recherche de mon téléphone portable.

Ma remarque lui tire un rire mauvais. Je jette de nerveux coups d'œil au-dessus de mon épaule. Si je courais jusqu'au parc le plus proche, je pourrais peut-être le semer parmi les passants.

— Tu as raison, déclare-t-il sur un ton léger. Je mourrai d'envie de te revoir, ma belle. Il faut dire que notre arrangement m'a plutôt bien amusé.

Arrangement ? Je pensais qu'on s'était battue contre lui !

C'est ce que j'ai essayé de t'expliquer l'autre jour. Ce n'est pas contre lui que je me suis battue, mais avec lui.

Avec lui ? Depuis quand on trempe dans les yankees, nous ?

— Ce type était complètement défiguré après notre passage, je trouve qu'on forme une belle équipe.

L'entendre louer mes habilités au combat me provoque une nausée carabinée. Je saisis mieux la raison pour laquelle je n'ai accès à aucun souvenir de la semaine précédente. Ne me dites pas que j'ai encore tué quelqu'un. Voyant que je ne compte pas partager ses compliments, Hirutani reprend de plus belle :

— En tout cas, j'ai honoré ma part du marché. On s'est occupés de lui.

Mon sang se glace et ma vision s'assombrit sous une soudaine chute de tension. Instinctivement, j'appuie ma main contre le mur le plus proche pour ne pas céder. De qui parle-t-il ? De qui s'est-il occupé ?

— Allons, ma belle, tu avais l'air plus enjouée quand tu m'as demandé de casser la gueule à ce mec. Je pensais que tu me sauterais au cou !

Son rire autant que son visage me donnent envie de gerber. C'est un cauchemar, je dois me réveiller au plus vite.

— Q-Qui ?

Mes lèvres tremblent, je tâche de retrouver l'équilibre et abandonne mon appui de fortune. J'imagine immédiatement le père de Joey roué de coups par cet ignoble personnage accompagné de sa bande d'affreux.

— Hein ? Ne me dis pas que tu as oublié ? Ce petit jeune aux longs cheveux blancs.

Cheveux blancs ? Jeune ? Il n'y a qu'une personne correspondant à ses critères.

Bakura ?

— Ce type a essayé de se défendre, mais on lui a réglé son compte. Je t'en prie, ce n'était vraiment rien.

A cet instant, le plus surprenant n'est pas d'avoir commandité le règlement de compte entre Hirutani et Bakura, c'est l'absence de réaction de ce dernier. Bakura, du moins l'esprit de l'anneau du Millénium, n'est pas du genre à se laisser faire, même par des brutes comme lui.

Par contre, cela ne m'explique pas pourquoi Eléonore lui a demandé une telle chose.

— Merci.

— Je t'en prie, tout le plaisir était pour moi.

J'ai du mal à croire qu'il se soit déplacé dans l'unique but de nous l'annoncer.

Etrangement, je partage le même avis. La lueur lubrique dans ses yeux, accentuée par l'éclairage nocturne, m'effraie un peu. Il est temps de déguerpir, tant pis pour le konbini.

— Bon bah... Bonne soirée !

A peine lui ai-je tourné le dos qu'une main froide et ferme s'abat sur mon épaule. Je me mords la langue pour ne pas crier.

— Une minute. Tu ne crois tout de même pas qu'on va s'arrêter là ?

Le claquement de sa langue contre sa gorge me provoque un frisson de la tête aux pieds.

— J'ai déjà perdu Wheeler, je ne compte pas perdre un autre atout dans mon groupe. Même si on aime pas trop inviter les filles, tu fais partie de la famille, désormais.

Pour être honnête, j'ai déjà deux familles et c'est assez compliqué pour en rajouter une couche. D'un coup sec, je tente de me libérer de l'emprise d'Hirutani.

— Désolée, ça s'arrête là. Je dois y aller !

L'empressement dans ma voix trahit mon état de frayeur. Il profite d'une seconde d'hésitation pour encadrer mes épaules et m'empêcher d'avancer. Mon cœur s'emballe si fort qu'il me compresse la cage thoracique.

Laisse-moi le contrôle, je m'en charge !

Un élan de lucidité me retient d'accepter.

Non, la dernière fois qu'on a fait ça, j'ai...

Lorène, on n'a pas le choix !

On l'aurait eu si tu n'avais pas... !

Une masse me percute l'arrière du genou. Déséquilibrée, je tombe à quatre-pattes tandis qu'Hirutani me presse les bras. Je ne peux plus bouger, cette position réveille certaines douleurs de la prétendue bagarre.

— Ne m'oblige pas à devenir méchant. Je déteste maltraiter les jolies minettes dans ton style.

La poigne qui agrippe mes cheveux m'indiquent le contraire. Différencier la souffrance provoquée par Hirutani et celle des crampes d'Eléonore devient impossible. Mon cerveau ne procède plus rien, trop choqué pour réagir. Des vrombissements bouchent mes tympans, si bien que sa voix se déforme et s'étouffe au fil des secondes.

— Enfoiré !

Une bouffée de fraicheur envahit mon corps lorsque les sales pates d’Hirutani relâchent mes épaules. Un gémissement accompagné d’insultes résonne durement dans mes oreilles. Genoux à terre et une main contre ma poitrine, je peine à saisir l’ampleur de la situation. Je me contente de fixer le bitume dans l’espoir de calmer mes palpitations afin de ne pas claquer aussi bêtement.

— C’est quoi ton problème ?!

Leurs hurlements me brisent la tête.

— Tu vas le regretter, on discutait business !

— Te fous pas de ma gueule !

Le fracas d’un poing contre une mâchoire ponctue son exclamation

— Hé, viens on se tire.

Sur le coup, je ne saisis pas qu’il m’adresse la parole. Une silhouette faisant irruption dans mon champ de vision l’arrache définitivement de ma léthargie. Mon cœur tambourine de plus belle dès que mes yeux croisent les prunelles brunes de mon sauveur.

— Joey… ?

Je frotte mes paupières et étale un peu plus mon mascara pour vérifier que ce n’est pas une hallucination. Mais non, il est bien là, debout devant moi. Dans mon dos, je remarque un Hirutani assommé, allongé sur le sol. Un bruit mécanique me ramène à Joey. Le regard vacillant de mon bourreau à moi, il arrête l’arrière de sa bécane à un mètre de ma position.

— Allez, dépêche-toi de monter.

Le son de sa voix semble provenir d'un autre monde. Depuis combien de temps ne l'ai-je pas entendu ?

Samedi. Cela ne fait pas même une semaine que j'ai l'impression d'avoir à faire à un revenant d'outre-tombe. Trop occupée à le fixer lui et son vélo rafistolé, je ne réagis pas jusqu'à ce qu'un râle s'élève dans mon dos. Hirutani ne va pas tarder à se relever et quand ce moment arrivera, nous allons tous en prendre pour notre grade. Tant bien que mal, je me redresse sur mes jambes, chancelantes à cause du précédent coup de pieds, et grimpe sur l'attache de la bicyclette prévue pour le transport de colis. Un dernier coup d'œil pour le bandit et Joey donne l'impulsion pour s'élancer dans le sens opposé. Naturellement, je m'accroche à ses hanches afin de me maintenir en équilibre.

Un détail omis quelques minutes plus tôt me saute désormais aux yeux : il porte toujours son uniforme de serveur.

M'a-t-il vue passer devant le café ? J'ai pourtant cru qu'il n'y travaillait pas aujourd'hui. Intriguée, je taquine des doigts le tissu de son t-shirt rouge tandis qu'il pédale à travers Domino City. A aucun moment je ne cherche à entamer la discussion. Pour dire quoi, exactement ?

« Désolée de t'avoir touchée sans ton autorisation. »

« Désolée d'avoir tué cette femme et d'avoir cherché à le cacher. »

« Tu savais que j'ai aussi envoyé le père de Kageyama au Royaume des Ombres parce qu'il menaçait de m'arrêter pour l'incendie de mon lycée. »

Je déglutis aussitôt. Tout le monde l'a déjà oublié, du moins je l'espère. Les paysages défilent à une vitesse folle. Au fond de moi, je souhaite qu'il se trompe de chemin, voire que des travaux inopinés bloquent la rue et que Joey soit obligé d'emprunter un chemin plus long. Ou pire, nous pourrions croiser la route d'un duelliste avide de victoire. Nous ne nous adressons pas la parole, pourtant ce moment semble être le plus paisible et reposant que j'ai vécu ces dernières semaines. Mon visage se déforme d'une grimace en songeant aux mains d'Hirutani.

C'était moins une.

Nous aurions pu nous en sortir sans l'intervention de ce nigaud.

Pour faire quoi hein ? L'abattre de sang-froid ? Parce que c'est tout ce dont nous sommes capables. Je te promets qu'une fois rentrée, tu vas devoir t'expliquer sur pas mal de choses.

Es-tu enfin résolue à me croire ?

Croire... Peut-être pas, mais je déciderais si cela valait le coup de me mettre autant dans la merde.

Le deux-roues s'engage dans une rue plutôt pentue, je reconnais du coin de l'œil la rue commerçante. Alors Joey a choisi de me ramener chez moi. Quelle délicate attention. A l'approche de mon domicile, une désagréable chaleur traverse mes veines. Je redoute déjà l'instant où mes pieds toucheront le sol et qu'il n'aura plus de raison de trainer par ici.

— On y est, déclare-t-il en freinant devant le portail.

J'aspire une grande quantité d'air avant de descendre du vélo et de le contourner. Ma mine n’est sûrement pas glorieuse après cette journée forte en émotions, bien qu’elle n’égale pas mon altercation avec Kaiba et son garde du corps.

— M-Merci, je bredouille en réajustant mon uniforme scolaire.

Vas-y Lorène, lance-toi. C’est le moment. Si tu ne dis rien, il va forcément penser qu’il n’a rien à faire ici.

— Jo-

— Qu’est-ce que tu fichais avec Hirutani ? demande-t-il nonchalamment.

Prise de cours, je hoquette et ravale mes mots. Je ne m’attendais pas à ce qu’il prenne la parole et encore moins qu’il plante son regard dans le mien. Cela fait un moment que je ne me suis pas attardée sur ses yeux bruns.

Dans ceux-ci se dégagent toutefois une certaine retenue.

— Il m'a suivie, je crois, je souffle, bras croisés sous ma poitrine.

Joey oscille nerveusement dans tous les sens. Je me demande ce qui se trame dans sa tête.

— Mais pourquoi ? Il a parlé de business, qu'est-ce que vous avez trafiqué ensemble ?

Pas le temps d'accuser le coup, maintenant que je suis au courant des manigances d'Eléonore, je me sens obligée de tout lui raconter. Non sans reprendre mon souffle, je lui répète en détails ma conversation avec Hirutani, insistant sur le fait que je n'en ai gardé aucun souvenir. D'abord attentif, Joey semble de plus en plus agité au fil de mon récit.

— Putain c'est pour ça qu'il n'est pas venu en cours, grogne-t-il, les poings serrés le long du corps.

Impossible de tenir davantage, je baisse le regard vers la chaussée. Pauvre Bakura, il ne méritait décemment pas ça. Les lèvres pincées, je m'efforce de lui démontrer ma sincérité.

— J'irai tout lui expliquer et m'excuser par la même occasion.

— Tu crois vraiment que c'est une bonne idée avec vos deux esprits détraqués ?

Sa réponse sèche me perde dans la signification de ses mots. Quand il mentionne « deux esprits détraqués », fait-il allusion à celui de l'anneau du Millénium et d'Eléonore ? Ou bien elle et moi ? En l'état, je n'ai pas envie de le savoir.

— Mh...

— Et toi, pourquoi tu ne t'es pas défendue ? Cela aurait pu très mal tourner !

A sa tête, je comprends qu'il n'est pas près de se calmer. Je ne peux pas lui en vouloir, je n'ai rien fait pour empêcher cette tempête blonde de s'abattre sur moi. Les doigts emmêlés dans les plis de ma jupe courte, je cherche un moyen de me justifier.

— Bordel et va pas me dire que tu ne sais pas te battre, tu t'es parfaitement défendue contre lui et ses gars l'autre fois !

Je relève brusquement le visage vers le sien. L'autre fois ? Il doit sous-entendre notre combat dans le hangar pour sauver Sérénity. Son raisonnement est plutôt logique. Pourtant, il omet un détail capital.

— J'utilisais la force d'Eléonore pour me battre. Puis ce type pointait une arme contre nous ! j'ajoute avec énergie.

— Cela aurait pu très mal se terminer si je n'étais pas intervenu.

Dans son besoin de me faire la morale, j'entrevois une fenêtre pour lui adresser mes excuses. Le dos courbé, je joins mes mains en prière et inspire

— Je suis désolée et je te remercie de m'avoir porté secours.

Mais je ne peux pas me contenter de ça, lui non plus.

— Je n'ai pas réagi contre Hirutani parce que je voulais éviter de... de lui faire subir la même chose qu'à Madame Yoshida.

— Dommage, c'est le seul qui le mériterait, bougonne-t-il si bas que j'ai failli ne pas l'entendre.

Tant de désinvolture me met sur le cul. Les mains toujours collées, je me redresse et lui adresse un regard surpris.

— Ecoute, j'ai discuté avec Téa et Yugi. Je sais que vous vous êtes vus récemment.

Au moins, j'ai la confirmation que ces deux-là sont de confiance. Cela enlève quelque part un léger poids de ma poitrine.

— Tu ne m'avais pas dit non plus pour Téa.

Ma grimace l'intime à expliquer sa pensée.

— Tu l'as défendue devant ces brutes, apparemment c'était peu avant le jeu des ombres.

Mes traits se détendent, je me rappelle cette soirée. D'ailleurs, Téa m'a dit :

« Considère ça comme une façon de te remercier pour l'autre fois. Les gars que tu as frappés quand ils se sont pris à moi. »

Plus le temps passe, plus je me bénis d'avoir enfin pris une bonne décision ces dernières semaines.

— Elle m'a aussi raconté qu'ils voulaient que tu m'appelles pour me piéger.

Ce détail est si anodin que j'ai failli l'oublier. Je hausse naturellement les épaules.

— Tu comptes m'énumérer le nombre de fois où j'ai voulu éviter que tu te fasses mal ? je demande dans une tentative de faire de l'humour.

Malheureusement, il affiche une mine bien plus que sérieuse. Son comportement tranche brutalement avec tout ce que j'ai pu expérimenter de lui ces quelques mois.

— Je crois pas que ça valait le coup, si tu veux mon avis.

— Je sais, je rétorque aussitôt. Je suis désolée de t'avoir tout caché pendant tout ce temps. J'ai voulu le faire et je me suis embourbée dans un trou tellement énorme que je ne savais plus comment m'en sortir !

Mes bras s'agitent sous la pression de mon cœur. Dans un sens, je redoute que cette conversation scelle notre relation une bonne fois pour toutes.

— Tu comptais vraiment te cacher derrière Kaiba ?

Rien que d'entendre ce nom me donne envie de vomir.

— Kaiba ? je répète avec véhémence. Ne te fous pas de moi, ce grand con a tout dissimulé pour me faire chanter. Il veut que j'affronte Yugi à tout prix et maintenant il me menace de... !

L'image de ce pistolet chargé à quelques mètres apparait dans mon esprit et me coupe le souffle. Bien joué, Kaiba, tu parviens à me remonter des traumatismes dont je ne me souvenais même pas.

— Téa nous a raconté pour le flingue. Tu ne devrais plus t'approcher de Mokuba, cet obsédé des dragons est clairement dérangé, ce n'est pas nouveau.

Au moins, notre haine commune envers Seto Kaiba ne peut que nous rapprocher.

— Qu'est-ce que Téa ne vous a pas raconté ?

Cette question lancée un peu aléatoirement a pour effet de le rendre encore plus nerveux. Je ne saisis pas la raison de ce changement d'attitude jusqu'à ce qu'il me signale :

— E-Elle n'a rien dit au sujet du moment où j'étais endormi.

A cet instant, je crois que ma peau est sur le point de fondre tant mon visage brûle de honte. Mes mains deviennent instantanément moites et de la sueur se forme dans le bas de mon dos. Je ne suis clairement pas préparée à cette discussion. Ainsi, dans le doute, je me cambre à nouveau pour lui présenter mes excuses.

— Désolée, désolée, désolée !

Le nez vers le sol, je ferme les yeux pour contenir un maximum mon embarras. C'est alors qu'un léger pouffement me parvient. Je lève le menton et tombe alors sur son visage empourpré et ses oreilles rougies. Lui non plus ne parait pas très à l'aise à ce sujet.

— Et dire que je pourrais porter plainte, bredouille-t-il, une main enfoncée dans son épaisse chevelure.

Il est tout de même craquant dans cet état. Au fond de mon être, je peux sentir les nausées d'Eléonore face à mes pensées.

— Pouvoir envoyer en prison son ex-copine, ça doit être sympa, n'est-ce pas ?

Bien que mes mots aient été choisis avec précaution, mon cœur accuse le coup. J'ai enfin sorti le mot banni, « ex-copine ». C'est sûrement audacieux voire complètement stupide de ma part de le lâcher maintenant, mais il faut que je sache comment il nous considère désormais. Surpris, il cligne trois fois des paupières puis me fixe d'un air ahuri.

— J-Je... C'est pas mon genre de...

Le sourire victorieux que je lui adresse n'est qu'une façade. Je sais pertinemment qu'il a capté mon sous-entendu et qu'il n'a aucune idée de comment se sortir de ce pétrin.

— Je plaisante, je chantonne avant de reporter mon attention sur la façade éteinte de ma maison. Bon, il commence à se faire tard.

Mon esprit tâche de se concentrer sur toutes les épreuves qu'il me reste à affronter, comme la colère de Seto Kaiba. A côté d'elle, tous mes soucis de cœur font pâle figure. Joey, quant à lui, se font dans un silence qui ne lui ressemble pas. Est-ce donc à cela que faisait allusion Téa la veille ? Dans ma contemplation du grand blond, un détail qui m'avait perturbé plutôt refait soudainement surface :

— Tu étais de service ? je l'interroge en désignant son uniforme rouge et noir.

Mon changement de sujet semble le ravir. Il acquiesce aussitôt.

— Ouaip, j'aurais dû faire la fermeture mais j'ai aperçu Hirutani trainer devant le café après ton passage.

Alors il m'avait remarqué sur mon retour ? C'est bien ma vaine, mais difficile de dissimuler mon contentement.

— Donc tu as tout laissé en plan ?

— Je ne résiste jamais à l'envie de sauver une demoiselle en détresse, c'est mon boulot, dit-il fièrement, poings contre ses hanches. Puis mon collègue me couvre.

— Celui qui force sur le sucre ? j'enchaine du tac au tac.

— Comment tu...

Son visage s'éclaire et se ferme sous le souvenir de cette soirée. Qu'est-ce que je ne donnerais pas pour que tout redevienne comme avant.

— Tu as raison, je vais y aller avant qu'il ne fasse jour.

Son ton léger dédramatise la situation, j'opine ses propos et recule d'un pas dans mon allée, sans le quitter des yeux.

— Merci encore.

— Evite juste de ne pas te foutre dans d'autres histoires si tu veux que les gens te fassent confiance.

Il a soupiré d'une telle manière que son discourt parait plus ironique que moralisateur. Néanmoins, je ne doute pas qu'une partie de lui le pense réellement. Appuyée contre le portail métallique, je l’observe diriger son vélo sur la route, prêt à partir. Ma poitrine se serre quand il enjambe la selle et m’accorde un dernier regard. Je n’avais jamais remarqué à quel point son visage était attirant. Je promène mes yeux le long de sa mâchoire saillante à ses grands bras où je rêve de me blottir.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

Je me mords la langue aux réflexions niaises qui envahissent mon esprit en ce moment.

— En fin de compte, c’était moi la plus stupide d’entre nous.

Il fixe un moment sa roue avant puis plante son regard dans le mien.

— Ne le prends pas mal, mais même si je t’apprécie en tant que duelliste, je crois bien que supporter tout ça est au-dessus de mes forces. Ces histoires de possession, c’est trop pour moi.

« Je crois bien que j’ai envie de me battre pour te récupérer. » C’est ce que je m’apprêtais à poursuivre quand une partie de moi me l’interdit. « Au-dessus de ses forces », hein ? Qu’est-ce que je dois dire de mon côté ? Il peut m’envoyer toute la compassion du monde à travers ses yeux que cela ne me rassurerait pas. Il y a tellement d’autres parts de ma vie à régler, d’autres ennemis à affronter, d’autres duels à livrer, que m’épuiser à lui courir après ne remettra pas de l’ordre dans ma vie. Sous la brise de la nuit, je m’autorise à fermer les yeux et profiter une dernière fois de ces instants à deux.

Lorsque j’ouvre à nouveau les paupières, Joey est déjà parti, emportant avec lui toute la frustration des jours précédents. A moins que cet apaisement vienne d’une tout autre personne.


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