Âme de Pureté

Chapitre 85 : L'Expiation | Chapitre 85

4911 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 28/04/2020 20:55

— Désolée du retard, je suffoque, les mains sur mes côtes, brûlantes.

A l'entrée du Burger World, Téa me dévisage un instant avant de secouer son poignet dans ma direction.

— Ce n'est pas grave, je n'ai pas attendu très longtemps.

Après avoir longuement fixé l'immeuble de la Kaiba Corp, j'ai dû cavaler dans les rues de la ville, tâchant d'oublier la tentative d'assassinat du PDG pour retrouver Téa comme nous l'avions convenu. En outre, celle-ci a visiblement eu le temps de se changer pour retrouver sa chemise d'étudiante et sa jupe bleue. Il me faut une bonne minute pour recouvrir une respiration décente et revenir à la raison de ma présence dans la ville voisine.

— Tu voulais me parler ?

Elle acquiesce, ses doigts taquinent nerveusement le pli de son haut.

— Ouais... Mais tu es sûre que tout va bien ? Tu trembles.

De l'index, elle désigne le trouble de mes mains et mon souffle court. Je dodeline, embarrassée. Est-ce que je peux réellement lui avouer ce qu'il vient de se produire avec Kaiba ? En fin de compte, ce n'est pas comme si nous partagions une solide amitié depuis le début. Quand on y songe, c'est plutôt le contraire. Elle semble avoir repéré mon regard fuyant car elle poursuit avant que je ne puisse répondre :

— Tu n'es pas obligée, mais je pense que ce n'est pas le moment de se la jouer perso, surtout dans ton cas.

Sa remarque, ressemblant davantage à une pique qu'à un élan de compassion, m'arrache un grognement. Même si elle a raison, cela ne l'autorise pas à m'enfoncer de la sorte.

Elle n'est pas de confiance.

Cela tombe bien, toi non plus.

Mes yeux balaient les environs pour s'assurer que personne n'épie notre conversation.

— Et si nous allions dans un endroit plus calme... ? je propose, les doigts enroulés dans mes cheveux.

Le léger sourire au coin de ses lèvres ne m'échappe pas, mais je ne le relèverai pas.


— Ici, on sera mieux, déclare-t-elle quand nous foulons la propriété du lycée de Domino City.

Effectivement, nous n'avons pratiquement croisé personne sur le chemin. Il y a peu de chance que nous nous fassions surprendre, d'autant plus que notre discussion risque de tourner autour de bon nombre de délits et de crimes.

— Yugi t'a parlé ? je demande, après une intense réflexion.

— Oui, enfin, on peut dire ça.

De toute façon, si elle avait nié, ses joues rougies m'auraient avoué le contraire.

— Qu'a-t-il dit ?

— Il a insisté sur ton séjour au Royaume des Ombres, des horreurs que tu as dû voir mais qu'il est probable que tu ne lui aies pas tout raconté.

Comme si c'était compliqué à deviner ! En dépit de mon respect pour Yugi et le pharaon, je ne m’imaginais pas lui balancer tout au visage autour d'un chocolat chaud. Téa m'imite et s'appuie contre les murs d'enceinte de la cour.

— Je pense que ça s'adressait plutôt à Joey, ajoute-t-elle, le regard porté vers le ciel, noir. Comme il ne veut rien nous dire sur votre dispute, Yugi essaie de l'obliger à te revoir.

Le soupir qui s'en l’accompagne signifie beaucoup sur sa réaction. Bon, ses vents par message et son détour pour éviter la rue commerçante le matin me l’indiquaient également.

— Comment va-t-il ? je marmonne du bout des lèvres.

— Il est... différent. Il continue à faire l'idiot, bien sûr, il n'est pas non plus du genre à pleurer sur son sort. Mais à chaque fois aborde le sujet ou que ton nom est prononcé, il devient plus calme, effacé. Je dois avouer que je ne l'avais jamais vu dans cet état.

Le trottoir retient mon attention. C'est de ma faute, j'ai explosé la confiance qu'il avait en moi. Quelle imbécile. Impossible de rétorquer quoi que ce soit qui ne sonnerait pas maladroit, j'attends donc que Téa dévie de sujet.

— Et toi ? Il parait que tu ne veux pas affronter Yugi samedi, c'est vrai ?

Un violent frisson me frappe à l'évocation indirecte de Seto Kaiba. Le duel... Si je le refuse, je sens qu'il m'arrivera la même chose que si je touche à un cheveu de son petit-frère. Quel enfer, décidément.

— Je crois que je n'aurais pas trop le choix.

Par la suite, je décide de lui relater ma mésaventure, insistant sur la disparition de mes souvenirs et de mon incompréhension face à l'attitude de Kaiba.

— Il a demandé à son garde de pointer une arme sur toi ?!

Bien, au moins, je ne suis pas la seule à en être choquée. A la lueur des lampadaires, le visage de Téa me parait bien blanc. A cet instant, je m'interroge sur les détails distillés par Yugi. A-t-il mentionné la mort de Madame Yoshida ? Bon sang, j'ai l'impression de me poser la même question en boucle à chaque fois que j'adresse la parole à quelqu'un.

— C'est complètement insensé ! rabâche-t-elle avec vigueur. Kaiba est devenu fou !

— En fait, je reprends, le nez rivé vers la route, je ne crois pas Kaiba capable d'une telle haine infondée. Il n'arrêtait pas de parler de Mokuba.

— Tu crois qu'Eléonore y est pour quelque chose ?

Je ferme les paupières et expire profondément, les bras croisés au niveau de mon ventre.

— Possible, elle a sûrement fauté lorsqu'elle a récupéré la vidéo.

— La vidéo ?

Mes dents grincent. Voilà ma réponse, elle n'est pas au courant. Maintenant qu'un énorme pavé a été jeté dans la mare, il va être compliqué de reculer.

— J'ai fait une connerie et tout le monde est en train de me couvrir.

Du coin de l'œil, je décèle l'expression à la fois surprise et inquiète de la grande brune. On dirait qu'elle appréhende mon explication autant qu'elle désire l'entendre. Au fond, j'en viens à me tâter sur le risque que je lui fais prendre en lui partageant tout ceci. On est désormais loin de la période où je cachais et niais tout en bloc.

Regarde où tout cela nous a mené, Eléonore.

— Si Joey m'en veut, c'est notamment parce que j'ai commis un acte irréparable et que je ne lui ai pas dit parce que je flippais de sa réaction.

A repousser le moment où je vais déclencher la bombe, je sens la tension monter, aussi bien dans mon corps qu’à travers le sien. Elle retient sa respiration depuis quelques secondes.

— Téa, est-ce que tu te souviens de la gérante du Tam-Tam ?

Selon mes souvenirs, nous n'avons jamais abordé le sujet ensemble. Il n'y a qu'une fois où je l'ai vue au bar et c'est le soir où j'ai rendu la chaîne du vélo cassé de Joey. Un détail si infime que je doute qu'elle se rappelle. De plus, quand Eléonore et moi avons entrepris de déplacer le corps de Yoshida hors du garde-meuble, Téa n'a pas été conviée à notre petite fête.

— Ce nom me dit vaguement quelque chose, bredouille-t-elle en frottant son index sur la tempe.

Et maintenant, quoi ? Tu vas lui lâcher de but en blanc que tu l'as tuée ?

Je resserre mon poing contre ma cuisse et déglutis. Evidemment qu'il n'existe pas de bonne manière de lui annoncer une telle chose. Cependant, je suis agréablement surprise de savoir que les garçons ont gardé le secret durant tout ce temps pour me protéger.

— Téa, avant tout, tu dois savoir que si les autres ne t'en ont pas parlé, ce n'est pas contre toi.

Ses traits se durcissent brusquement.

— J'ai du mal à te suivre.

Mon dos se décolle du mur, je mets un point d'honneur à me tenir droite devant elle et baisse le regard quelques secondes avant de l'ancrer dans ses yeux bleus, presque blancs par l'éclairage nocturne.

— Téa, il y a une semaine, ou deux - peut-être trois ?

Je secoue la tête pour chasser ce calcul débile. Le temps me parait si flou de nos jours.

— Bref, la patronne du Tam-Tam était en possession d'une vidéo surveillance.

— Une vidéo ?

J'opine avant de lui expliquer le soir où Zoé et moi avons déplacé son corps inerte - et pourtant toujours en vie. Je continue ensuite sur la partie où ses amis de toujours ont entrepris de m'aider et termine enfin sur ma dernière visite dans le bar, partie fatale de mon récit. Son visage s'écarquille, s'assombrit et se tort de spasmes à l'écoute des détails que je lui sers en petites quantités. Néanmoins, je passe sous silence les attouchements d'Eléonore sur Joey, détail important de ses reproches. Je considère que certaines choses doivent rester secrètes.

— Yugi le sait... ? est la première question qui lui vient.

La peur voile ses yeux, dorme sa bouche, secoue ses épaules et font danser ses jambes. Elle piétine sur place sans s'en apercevoir. De toutes les interrogations que suscitent mes aveux, ce qui importe le plus à son cœur, ce sont donc les intentions de son ami Yugi. Leur amitié est définitivement trop confuse pour moi.

— Oui, il le sait depuis un peu plus d'une semaine. Et c'est sûrement pour ça qu'il cherche à m'aider.

Ses lèvres s'entrouvrent mais ne les franchissent que des soupirs. Elle se détourne pour examiner le décor d'un attrait déconcertant. Cette ambiance pesante me plonge dans un profond malaise. Si ma tête me hurlait de lui avouer la vérité, elle n'est plus certaine que Téa m'accorde un pardon aussi rapide que son ami.

— D'accord.

Elle se recale contre le mur et inspire fort, paupières closes. N'ayant pas bronché depuis dix minutes, je commence à me demander si je n'ai pas rêvé.

— « D'accord » ? je répète.

— Je crois en Yugi et au pharaon. S'ils veulent t'aider malgré tout, alors je ne les en empêcherai pas.

Abasourdie, je ne réagis pas immédiatement. Son discours contraste tant avec ceux qu'elle a pu avoir dans le passé. J'ai souvenir d'une Téa qui ne cessait de s'interposer entre Yugi et moi pour le prévenir d'une quelconque attaque d'Eléonore. Et maintenant, elle semble dire amen à tout, même au pire des crimes ?

— Téa, je...

Je ne sais dire si c'est le regard triste qu'elle me jette ou sa remarque qui me coupe le souffle. Ainsi, je me contente d'acquiescer simplement.

— Ce que tu as fait est horrible, peu importe tes raisons, et tu devrais le payer.

J'encaisse le coup et presse mon dos contre le mur en espérant qu'il m'avale. C'est la première personne à ne pas me ménager à ce sujet.

— C'est trop tard maintenant, te balancer mettrait en danger ceux qui sont au courant.

Une aubaine que Yugi se trouve dans cette liste restreinte.

— Désolée.

— Mais je comprends Yugi et si je lui fais confiance, alors je dois aussi apprendre à te faire confiance. C'est la base de notre amitié.

Hébétée, je la dévisage tel un ovni.

— Votre amitié est un mystère.

— Tu peux parler avec Soso, vous êtes exactement pareils que nous !

Son rire nerveux confirme les propos de Zoé. Elle m'a raconté leur prise de bec au Burger World la semaine dernière. A y regarder de plus près, il est vrai que les deux brunes partagent quelques points communs. Tant qu'elle ne se met pas à scander mon nom et des louanges du pouvoir de l'amitié, cela me convient.

— Considère ça comme une façon de te remercier pour l'autre fois.

— L'autre fois ?

— Les gars que tu as frappés quand ils se sont pris à moi.

J'ouvre la bouche en grand, me remémorant vaguement cette soirée.

— « On fait tous des erreurs », tu l'as dit toi-même, pas vrai ?

Alors que j'estimais notre chance de nous entendre quasiment nulle, Téa ne cesse de me surprendre ce soir. C'est donc grâce à ce soir où j'ai pris sa défense qu'elle décide de m'accorder sa clémence ? J'ai du mal à saisir si c'est une bonne chose ou pas. Notre conversation tourne court quand nous nous apercevons de l'heure tardive. Nous décidons d'un commun accord de retourner ensemble jusqu'à la gare la plus proche avant de rentrer chez nous. Sur le quai de la gare, tandis qu'elle s'apprête à partie, je saisis l'occasion de lui demander une faveur :

— Est-ce que tu pourrais dire à Joey que je suis sincèrement désolée ?

Peut-être l'a-t-il compris à mes messages et qu'il refuse simplement de me revoir, mais venant d'une amie, je prie pour qu'il change d'avis. Comme si elle s'attendait à une telle demande de ma part, Téa affiche un sourire amusé et m'envoie un signe de la main.

— Tu lui diras en face. Crois-moi, cela m'étonnerait qu'il tienne très longtemps !

A cet instant, le vrombissement du tram s'élève dans mon dos. Je n'ai pas le temps de la remercier et de lui souhaiter une bonne nuit qu'elle a d'ores et déjà disparu dans la foule.


Le lendemain matin, je me réveille avec seulement deux heures de sommeil emmagasinées. Entre le pistolet braqué sur moi et mes aveux à Téa, impossible de fermer l'œil plus de deux secondes. Au bord du lit, je croise mon téléphone portable fissuré. J'ai longuement hésité à composer le numéro de Kaiba pour lui demander des comptes, mais son regard perçant surgit aussitôt dans mon esprit. Qu'ai-je pu faire en mon absence pour qu'il réagisse de la sorte ?

— Ma chérie ? appelle ma mère au pied des escaliers. Tu vas être en retard !

Un sursaut me tire définitivement de mon lit. Devant le grand miroir, j'enfile mon uniforme scolaire et coiffe mes cheveux. Aujourd'hui, je n'attendrai pas le passage de Joey dans la rue commerçante. Les conseils de Monsieur Sanpei ont fini par me convaincre que le temps nous réunirait tôt ou tard. Enfin, ça ou une autre tentative de le croiser dans ses endroits habituels. Une couche de mascara sur les cils, j'attrape mon sac de cours et dévale les marches, prête à bondir dehors.

— Lorène ?

Une main sur la poignée, je me fige, surprise d'être interrompue par ma mère. Les cernes sous ses yeux semblent plus profonds que la veille. Elle a l'air drôlement fatiguée, j'espère que son patron ne la surcharge pas trop en ce moment. Le sachet qu'elle me tend me tire de mes réflexions.

— Je t'ai préparé ton déjeuner, je ne serai pas là quand tu rentreras ce soir.

Voilà qui répond partiellement à ma question.

— Tout va bien ? je m’enquiers, tracassée.

Elle réprime un bâillement et étire difficilement son dos.

— Oui, ne t'en fais pas, ce sont juste les projets de l'équipe qui s'accumulent. Ils me donnent de plus en plus de responsabilité, c'est une bonne chose !

Loin de douter des compétences de ma mère, je trouve cette soudaine surcharge plutôt étonnante. Jamais depuis notre déménagement au Japon je ne l'ai vue dans un tel état.

— D'accord... je gémis en baissant les yeux sur la poignée. Merci pour le repas.

Dès que je déverrouille la porte, elle s'avance pour m'embrasser le front. Son élan d'affectionne me paralyse quelques secondes. Elle n'a pas agi de la sorte envers moi depuis...

— C'est à moi de te remercier d'être une fille aussi géniale. Si tu savais comme je m'inquiétais d'être une bonne mère.

— Une bonne mère ?

— Je sais que tu penses qu'ils t'ont abandonnée et qu'ils n'existent plus pour toi. Cependant, je veux que tu saches que jamais je ne t'abandonnerai.

Sa main caresse mon épaule à travers ma veste d'uniforme. Elle semble parler un dialecte que je ne saisis pas. Jamais auparavant je n'avais abordé le sujet de mon adoption. Je n'étais au courant de rien il y a encore un mois !

A moins que...

— Allez, file sinon tu risques d'être en retard par ma faute ! s'exclame-t-elle d'un ton si enjoué que j'abandonne l'idée de la contredire.

Eléonore lui en a parlé.

— Passe une bonne journée, maman.


D'abord Kaiba, maintenant ma mère, combien d'événements importants ai-je manqué pendant mon escapade au Royaume des Ombres ? Cette impression étrange de vivre dans le corps d'une inconnue devient de plus en plus insupportable. Le trajet jusqu'au lycée se fait au rythme de ma playlist. C'est l'unique moyen que j'ai trouvé pour ne pas m'énerver à chaque fois que je croise une de ces fichues affiches sur l'affrontement de ce week-end. A chaque poster arraché et écrasé en boule, une autre pointe le bout de son nez sur un mur voisin. A ce rythme, j'aurais achevé ma mission que Yugi sera déjà proclamé roi des jeux.

— C'est déprimant...

La veille, j'avais prévu de revoir mon deck avant de recevoir l'invitation de Téa et la catastrophe qui s'en est suivie. Au final, mes cartes hibernent au fond de mon sac depuis plus d'une semaine. A part les monstres qui m'ont aidé à m'enfuir du Royaume des Ombres, je suis incapable de citer le nom d’une autre créature de mon jeu. Engagée dans la rue de l'école, au beau milieu de la marée orange et verte d’uniformes, je repère un visage familier au niveau du portail. Je m'apprête à héler Zoé de la main quand je remarque qu’elle discute avec quelqu'un d'autre. Il ne me faut pas plus de deux secondes pour reconnaitre cette silhouette svelte, l'uniforme de Domino et sa coupe en pointe.

— Tristan ? je m'interroge à voix basse pour ne pas attirer leur attention.

Mon pas ralentit, m'attirant les râles des étudiants dans mon dos. Que fiche-t-il ici alors que les cours débutent à la même heure chez eux ? Zoé semble plongée dans une intense réflexion tandis que son vis-à-vis ouvre et ferme frénétiquement la bouche. A cause du brouhaha ambiant, je n'entends rien de leur conversation. Intriguée, je ne résiste pas bien longtemps à l'envie de m'immiscer dans leur petit groupe.

— Bonjour ?

Comme je m'en doutais, Tristan s'interrompt immédiatement et se pince les lèvres. Zoé tente de paraître naturelle, mais son partenaire vient définitivement de la trahir.

Ils parlaient de moi.

— H-Hé ! Lorène, ça fait un bail j'ai l'impression !

A mon tour de faire comme si de rien était, je lui retourne le sourire qu'il m'envoie.

— Ouais, tu dates, mec ! Alors, tu cherches à t'inscrire à Flem ?

Voyant clair dans mon jeu, mon amie tapote doucement mon épaule du dos de sa main.

— Il m'a demandé si on allait ensemble au Kaiba Dome ce week-end.

Sa voix est assurée, mais j'émets tout de même une réserve sur un potentiel mensonge. Ils pouvaient très bien en convenir par message plutôt que de risquer de mettre le président du club d’embellissement en retard.

— Oh, je vois.

— Quelle est ta réponse ? poursuit Tristan, la mâchoire beaucoup trop serrée pour être détendu.

— Je n'y vois pas d'inconvénient, il faudra le demander aux autres. J'imagine que Joey vient avec nous ?

Belle tactique pour dévier mon attention vers le blondinet, très technique mais efficace. Tristan réprime un grognement et s'efforce de garder le sourire. Il n'est visiblement pas à l'aise en ma présence.

— O-Ouais, sûrement.

La cloche retentit, les jeunes autour de nous s'empressent de rejoindre la cour. Sauvé par le gong. Je jurerai même avoir entendu un soupir de soulagement s'échapper de la bouche du brun.

— On se voit plus tard !

Il ne lui en faut pas plus pour se faufiler contre le courant. Dommage, j'aurais eu quelques questions à lui poser. Zoé m'intime de la suivre en direction des casiers.

— On y va ?

Bien que j'obtempère, je ne compte pas la laisser filer aussi facilement. Elle me doit une petite explication.

— Alors... Finalement, lui et toi c'est officiel ? je chantonne tandis que nous pressons le pas.

Son regard reste rivé droit devant elle, imperturbable.

— On est officiellement amis.

Je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel, exaspérée devant son attitude entêtée.

— Vous êtes autant amis que mon esprit est sain.


A la fin des cours, la boite de réception de mon téléphone s'avère inchangée. Toujours pas de réponse de Joey. J'espère que Yugi et Téa plaideront en ma faveur, le temps s'allonge à chaque fois que je vérifie ma messagerie. Dans une des rues adjacentes du lycée, je récupère une énième affiche et l'enfonce rageusement dans mon sac. Je commence sérieusement à envisager de m'en servir comme matériel de récupération, voire de papier-peint. Ils en ont imprimé des tonnes ma parole !

Ce soir, pas de konbini, en atteste un aimable message d'Haiyama qui me conseille vivement de me reposer. Zoé étant occupée avec son propre boulot d'étudiante, je me retrouve seule et complètement libre.

Cette simple pensée suffit à me comprimer l'estomac. D'habitude, j'aurai proposé à Joey de passer la soirée à flâner sur les quais de Flem. Mon talon butte nerveusement contre le mur sur lequel je me suis appuyée.

— Il me manque cet idiot...

Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire... ?

Lorène, on pourrait…

Pour l'empêcher de terminer sa pensée, je claque des doigts et me redresse brusquement.

— Un petit tour au Card Center de Domino me fera le plus grand bien !

Le but de mon exclamation étant d'interrompre Eléonore dans son élan, une poignée d'inconnus m'ayant entendu se tournent dans ma direction et me dévisagent. Une désagréable chaleur m'envahit, qu'est-ce que ça va être quand je vais devoir affronter les mêmes regards samedi... Sans perdre une seconde de plus, j'enfile mes écouteurs et m'oriente vers la ville voisine. Après tout, être en froid avec un mec de Domino ne m'interdit pas d'y mettre les pieds.

Une fine couche orangée recouvre le ciel lorsque je m'enfonce dans les rues animées de la citée. Des groupes de jeunes, souvent vêtus d'uniformes écoliers, se forment dans tous les coins. De loin, je les envie légèrement. J'ai l'impression que ma dernière sortie entre amis remonte à des lustres. Ironiquement, il m’est possible d’emprunter la rue où se trouve le café de Joey pour rallier le Card Center. Il n’a sûrement pas envie de me voir, auquel cas il m’aurait déjà rappelée. Mais si je n’essaie pas de lui expliquer les raisons de mes actes, jamais je n’aurais la chance d’obtenir son pardon. A l’intersection, je décide de succomber à la curiosité et de m’enfoncer dans ce passage. A pas de loup, je m’approche de la vitrine et ralentis drastiquement pour observer l’intérieur du pub. J’ai beau plisser les yeux au maximum, pas la moindre trace d’un grand blond au t-shirt rouge. On dirait qu’il ne travaille pas ici ce soir.

— Dommage… je souffle, déçue.

Si seulement je ne rendais pas tout si compliqué.

La vue du centre commercial abritant le Card Center me remet du baume au cœur. A défaut de devenir la meilleure duelliste de ce pays, j'aimerais ne pas me ridiculiser face à Yugi. Le pas pressé, je m'engouffre à l'intérieur du bâtiment et rejoins le premier étage. Là encore, les posters de l'événement tapissent les quatre pans ainsi que les étagères. Malheureusement, cela m'étonnerait que je sois autorisée à les retirer. Les allées sont remplies de collégiens surexcités. En les contournant pour atteindre une étagère débordant de boosters, je ne rate aucune miette de leur débat sur le duelliste le plus puissant entre Seto Kaiba et Yugi Muto.

— Tu n'y connais rien ! S'écrie le premier. Kaiba le défonce avec ses dragons blancs aux yeux bleus !

Le second ne dissimule pas son amusement et lui rit au nez.

— C'est toi le noob ! Pourquoi on ne l'a jamais vu gagner contre Yugi si c'est le meilleur ?

— Parce qu'il est trop occupé à réaliser des équipements trop cools pour prendre sa revanche, zebi ! Puis il a quoi de plus ce Yugi ? Il fait que jouer aux cartes avec son collier émo bizarre !

... Non pas que j'ai envie d'entrer en débat avec des enfants, mais rien ne va dans tout ce qu'ils clament.

D'un œil distrait, j'observe les paquets de cartes et repère une boite spécialisée dans les monstres lumières et une autre sur les guerriers. Cependant, un ensemble de cartes démons captive mon intérêt. Mes doigts effleurent les illustrations noires et violettes quand une voix surgit dans mon esprit.

« On a tous notre identité de jeu. »

« Tu comptes vraiment changer de deck ? »

« Toi, ce sont les anges et les cartes lumières. »

Je me fige en me rappelant ce que Joey m'avait répondu le jour où je désirais varier mes ressources. Soudain, les bambins dans mon dos reprennent de plus belle.

— Vous avez eu des places pour samedi ?

— Ouais, mon père m'en a dégoté trois.

— La chance ! Je suis allé sur le site et il n'en restait plus!

Par pitié, j'aurais espéré que cet événement fasse un flop complet pour heurter la fierté de Kaiba.

Mon instinct m'intime de ne pas m'attarder dans le magasin, d'attraper l'une des boites et de passer en caisse. Mes jambes refusent toutefois d'esquisser le moindre mouvement. Mes oreilles persistent à écouter leur discussion.

— Puis c'est qui cette fille que Yugi va affronter ?

— Aucune idée ! Personne la connait, elle va se faire écraser en moins de trois tours !

— Ça valait pas le coup de payer si cher si elle se fait défoncer aussi vite...

Tout compte fait, je me demande si je n'aurais pas préféré rester une totale inconnue.

— Je sais, j'y vais pas pour le spectacle, ça va être nul de toute façon. Je veux juste une photo avec Yugi !

— Ramène-moi un autographe !

— Tu peux toujours courir, tu n'avais qu'à avoir des places !

Je grimace. Pauvre Yugi, lui qui déteste être au centre de l'attention, ma future défaite risque de lui porter défaut. Finalement, il vaut mieux perdre rapidement plutôt que de surmonter une vague de bambins amoureux de cartes à jouer. Probablement lassés d'attendre au beau milieu du rayon, le groupe se résout à quitter le magasin, me libérant de leurs remarques désobligeantes.

— La vérité sort de la bouche des enfants, hein...  je maugrée en m'emparant de la boite illustrées d'anges lumineux.

Heureusement, personne dans le Card Shop ne m'a reconnue, pas même le caissier, visiblement enchanté de perdre une soirée à servir des clients qui sont, pour la majorité, des gamins. Je suis sûre que Joey se serait fait un plaisir de se vanter de ma présence dans ce magasin, juste pour m'embêter. Mes doigts se resserrent sur le sachet en plastique fournit par la boutique. Suis-je réellement en train de regretter quelque chose que je suis supposée détester uniquement par l'intervention de Joey ? Derrière les portes automatiques, je secoue vivement la tête pour chasser ces pensées. De l'indépendance et un peu de shopping, c'est tout ce qu'il me faut.

Au pied de l'immeuble, perdue dans la mare de gens, je sens des picotements me chatouiller les jambes. Instinctivement, je m'arrête et balaye la place du regard.

Quoi ?

J'ai l'impression qu'on nous observe.

La nuit commence à tomber, je ferai mieux de rejoindre la gare au plus vite pour ne pas rentrer trop tard. Envoyant valser les appréhensions d'Eléonore, je décide de garder le contrôle de mes jambes et de m'enfoncer dans la ville. Cette fois, pas d'arrêt au café pour vérifier que Joey y travaille, je fixe droit devant moi et m'efforce de ne pas zigzaguer à la recherche d'affiches à décrocher.

— J'irais bien faire une escale au konbini pour me prendre de quoi manger... je songe à haute voix.

Après tout, le détour ne sera pas conséquent, le Seven Eleven n'est pas si loin de Domino City. Ainsi, je me retrouve à m'orienter dans des quartiers moins bondés en quête de nourriture. Soudain, alors que je m'engage dans une rue de prime abord paisible, des crampes m'esquintent violemment les jambes.

Ne va pas plus loin.

Qu'est-ce que tu fous ?!

Je m'apprête à repousser sa tentative de prise de contrôle quand une ombre au loin attire mon attention.

Ecoute-moi.


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