Âme de Pureté

Chapitre 66 : L'Eveil | Chapitre 66

3841 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 04/12/2019 19:49

- « Alors, ça vient ? »

Tandis que j'essaie de me concentrer sur la feuille désespérément blanche sur laquelle je suis penchée depuis une dizaine de minutes, une lycéenne dont le parfum me provoque des démangeaisons tapote nerveusement ses ongles contre la table.

- « Ce n'est pas comme ça qu'on va écraser l'équipe de Domino ! » Grommelle-t-elle près de mon oreille. « Kaoruko, besoin d'aide ! Urgent ! »

Comme si elle avait attendu l'appel de détresse depuis le début, Kaoruko se dandine du pupitre d’un autre membre à mon bureau, une main glissée dans ses mèches rousses. Toute la fierté et l'arrogance du monde se lit sur son visage quand elle balaie du regard la feuille vide et revient vers moi.

- « Bon sang, que va-t-on faire de toi, Yuu ? » S'exclame-t-elle d'un air dramatique.

A mon retour à Flem, je me suis retrouvée face aux projets du club d'éloquence, un nouveau souci auquel je n'avais pas songé : le festival du lycée. Par esprit de compétition, les clubs de Flem et de Domino s'affrontent une fois par an. L'année passée, nous jouions à domicile. Mais j'étais parvenue à simuler un mal de ventre incurable pour ne pas y participer. Maintenant que j'y pense, j'avais peut-être manqué l'occasion de rencontrer Yugi Muto plus tôt. Quoi qu'il en soit, je n'y échapperai pas cette année.

- « Comment allons-nous nous en sortir avec aussi peu d'inspiration ? » Ajoute-t-elle en brandissant ma page aux autres membres.

- « C'est terrible !

- Quel enfer !

- Sauve-nous, Kaoruko ! »

Les autres membres se lèvent tour à tour pour entourer la chef du club. En tant que responsable du groupe, elle a pour mission de nous faire remporter le point qui pourrait nous faire gagner la coupe.

Je déteste perdre. Montrons-leur qu'on vaut mieux que toutes ces gamines.

Parce que tu as une éloquence parfaite ?

Comment peux-tu encore te poser cette question !

Entre mon japonais approximatif et cet esprit qui me trotte dans la tête depuis plusieurs mois, je représente un poids mort pour l'équipe.

- « Pourquoi ne pas m'éliminer de la compétition ? » Je propose en bondissant de ma chaise.

Kaoruko hausse un sourcil et croise les bras, m'invitant à expliquer le fond de ma pensée.

- « C'est vrai ! On sait tous que je suis une mauvaise graine parmi toutes ces belles plantes - et quelle belle plante tu fais, Kao-chan. Pourquoi ne pas m'évincer du tournoi d'éloquence pour mettre toutes les chances de votre côté ? »

J'achève ma phrase par un clin d'œil envers la principale intéressée. Si quelqu'un n'avait pas envie de perdre dans cette pièce, c'était bien Kaoruko Himekoji. Pour une fois, j'étais prête à me plier à ses exigences si elle estimait que mes compétences n'étaient pas à sa hauteur.

- « Elle n'a pas tort. » Piaille le toutou numéro un.

- « Elle ne nous sert à rien. » Soutien le toutou numéro deux.

- « Virons-la ! » S'écrie le toutou numéro trois.

- « Enfin, juste pour le festival, hein... » Je bredouille, une main glissée à l'arrière de mes cheveux.

Pendues aux lèvres de Kaoruko, nous attendons patiemment sa décision. Elle semble se languir de toute l'attention qu'elle récolte. Une mèche enroulée autour de son index, elle me jauge de ses yeux bleus.

- « Impossible. » Déclare-t-elle d'un timbre grave. « Impossible ! »

Bien que je ne partage aucune affinité avec les filles de ce club, nous nous observons, incrédules. Kaoruko gonfle la poitrine et se dégage du groupe pour monter sur l'estrade. Elle piétine sur quelques mètres, l'ongle du pouce taquinant distraitement sa lèvre inférieure. Le temps me parait cruellement long, les autres commencent à chuchoter entre elles.

- « Impossible ! » Clame-t-elle une fois encore en se tournant brusquement vers l'assemblée. « Je ne peux pas permettre une chose pareille !

- Hime-sama ? » L'appelle toutou deux.

- « Yuurei doit participer au concours d'éloquence. En tant que reine de ce club, je ne peux pas permettre qu'un seul membre - aussi pathétique soit-il - se défile !

- « Pathétique ? » Je tique en la foudroyant du regard.

- « Que vont penser nos professeurs et nos responsables s'ils apprennent que nous avons lamentablement laissé tomber une de nos recrues ? Que nous sommes des lâches ! Je m'adresse à vous, chers membres, sommes-nous des lâches ?

- Non ! » Répondent-elles en chœur, les poings levés.

J'ai envie de mourir.

Pas autant que moi.

Kaoruko a l'art de se mettre des épines dans le pied, ce qui est certainement notre seul point commun. Pendant qu'elle reçoit les acclamations des autres membres, elle me désigne du haut de son estrade.

- « Il est indéniable que Yuurei est notre point faible et nos adversaires vont rapidement le remarquer.

- Je t'emmerde. » Je crache, isolée.

- « C'est pour ça qu'elle doit devenir notre force ! A partir d'aujourd'hui, je m'occuperai personnellement de son cas. »

Cela sonne étrangement comme des menaces plutôt que des encouragements. De toute évidence, je suis la seule sceptique quant à cette décision car les autres lycéennes se regroupent autour de l'estrade pour glorifier leur reine.

- « J'ai une question. » Je l'interromps en levant la main.

- « Vas-y, je t'en prie.

- Est-ce qu'il est encore temps de prétexter une intoxication alimentaire ? »

Kaoruko croise les bras sous sa poitrine et me fixe de haut.

- « Hors de question ! Aucun relâchement n’est permis dans mon club. »

Je m'en doutais, mais ça valait le coup d'essayer. L'heure défilant, Kaoruko nous informe du planning du club. Les week-ends seront mis à profit pour travailler sur les discours des personnes influentes de ce monde. A contrecœur, je me plie à leurs exigences et conviens d'échanger mon numéro de téléphone avec d'autres membres du club. Après tout, je possédais déjà celui de Kaoruko et de ses toutous.

- « Bon travail tout le monde ! »

Ça y est, la journée s'achève enfin. Depuis mon départ de la tour de Kaiba, je n'espérais qu'une chose : rentrer chez moi et me coucher dans mon lit pour tout oublier. A l'entrée, je jette un œil à l'immense horloge murale. Zoé est sûrement déjà partie travailler. Nous nous sommes rapidement croisés durant le temps de midi, mais impossible pour moi de lui déblatérer les ennuis dans lesquels je me suis encore fourrée. Au lieu de ça, je lui ai sorti la vieille excuse du téléphone perdu dans la ville. Si elle a décelé mon mensonge, elle n'a pas insisté.

Ainsi, je me dépêche d'enfiler mes chaussures d'extérieur et rejoins le portail. Une main contre ma poitrine, je tâche de me relaxer. Mon corps ne supporte plus la tension permanente. Elle m'oppresse autant que les migraines qui assaillent mon crâne ces derniers temps.

- « J'ai bien cru que je t'avais ratée. »

Au pied du portail, un uniforme bleu se détache de la marée orangée. A peine ai-je relevé les yeux que mon cœur s'emballe et que mon cerveau se met à tourner à cent à l'heure.

- « Jo-... Yo. » Je baragouine bêtement, ne sachant pas quoi dire.

Je l'interroge du regard. « Que fais-tu ici ? » puis « Sais-tu ce que j'ai fait ? » mais je remarque rapidement qu'il est difficile de traduire autant de choses avec seulement deux globes oculaires.

- « Je sais ce que tu te dis. »

Mes doigts s'enroulent nerveusement sur l’anse de mon sac.

- « Joey Wheeler est un garçon formidable et je ne le mérite pas. »

Dans son excès de confiance, il ne se rend pas compte d'à quel point il s'approche de la vérité.

- « Et je te comprends parfaitement ! » Chantonne-t-il, les mains enfoncées dans les poches de sa veste d'uniforme.

- « Hé, Yuu-chan ! »

Une voix affreusement aiguë s'élève dans mon dos. Kaoruko s'avance à ma hauteur en sifflotant puis repère Joey.

- « Wheeler ? Qu'est-ce que la drag-queen fiche ici ? »

La drag-queen ? Perplexe, je les évalue à tour de rôle. Le visage du blondinet se décompose brutalement. Ces deux-là se connaissent ?

- « Hi-Himekoji ! Je pensais que tu avais disparu depuis...

- Depuis le concours de popularité ? Tu vois bien que non, nigaud. Et tu n'as pas répondu à ma question : comment oses-tu fouler le territoire de Flem ? »

Beaucoup trop d'informations à procéder pour mon cerveau. Drag-queen ? Concours de popularité ? J'ai dû manquer une saison entière. A cet instant, Joey me supplie de ses yeux en amendes.

- « Il est avec moi. » Je déclare, un peu hésitante.

Mes joues rougissent malgré moi. Avouer l'existence de mon petit-ami devant une fille telle que Kaoruko déclenche en moi une immense gêne. Cet embarras s'accroit quand elle se met à rire, attirant les chuts des lycéens qui nous croisent.

- « Sérieusement ? J'avais oublié à quel point tu pouvais être drôle Yuu-chan ! »

Une main devant la bouche, elle éclate de plus belle puis s'éloigne en direction de la rue. Un long silence s'installe au portail sans que Joey, ni moi ne nous décidons à le briser.

- « Drag-queen ? »

Eléonore !

Bah quoi, ne fais pas genre que ça ne t'intrigue pas.

- « C'est une longue histoire... »

Plus il évite le sujet, plus il me donne envie de creuser. Peut-être vais-je trouver un intérêt à Kaoruko s'il ne se décide pas à me raconter cette histoire de drag-queen.

- « J'adore les longues histoires. » J'insiste, amusée.

- « Dans ce cas, raconte-moi ta soirée d'hier ! »

Son ton a beau être léger, ma joie chute d'aussi haut que la tour de la KaibaCorp. Une odeur de fer imaginaire s'insuffle dans mes narines que je frotte frénétiquement de mon index. La douleur s’est estompée et mon nez semble intact. Quant à ma main, son bandage ne semble pas l’intriguer plus que ça.

- « Je... »

J'ai tué quelqu'un, je crois.

Je ne peux décemment pas lui dire ça. Pourtant, j'ai ressassé ce moment dans ma tête toute la journée. Je me sentais prête à lui confier la rage qui m'a empoignée l'estomac et cette force surhumaine avec laquelle je l'ai frappée avec l'ordinateur. Mais mon courage s'est évanoui d'un claquement de doigt.

- « Je ne me souviens plus. » Je finis par souffler.

Quelle piètre menteuse, laisse faire les professionnels.

Honteuse, je baisse la tête, profitant de la longueur de mes mèches blondes pour masquer mes traits tendus par l'angoisse.

- « J'étais avec Kaiba.

- Pour quelle raison ? » Ronchonne-t-il à l'évocation de ce nom.

- Pour planquer des cadavres. »

Eléonore !

- « Enfin, façon de parler, hein ! » Je rectifie en secouant les mains devant moi.

Je pensais que tu allais mentir !

Bah j'ai menti. Je lui ai dit qu'on planquait « des » cadavres. Tu verras, il sera rassuré quand il apprendra qu'il n'y en a qu'un.

La stratégie d'Eléonore ne m'aide pas. Bien au contraire, Joey me dévisage durant de longues secondes, dans l'attente d'une quelconque justification.

- « P-Pourquoi tu es là, au fait ? Je pensais que tu m’enverrais un message pour me prévenir de ta venue. »

En priant très fort, il devrait oublier tout ce qu'il vient de se passer pour se préoccuper de ma question.

- « E-eh ? Ah, en fait... »

Joey se détache du muret contre lequel il était appuyé et lève le menton vers le ciel, faisant mine de réfléchir. Ainsi, je dispose d'une vue imprenable sur sa clavicule, présentant une marque violacée. Je déglutis à cette vue, attirant un flot de questions que je dois museler pour ne pas le brusquer. La cour s'est vidée en quelques minutes. Nous sommes visiblement les deux seuls étudiants à trainer dans cet endroit.

- « Ne te moque pas, mais j'ai vraiment eu un mauvais pressentiment hier, quand tu ne répondais pas. Je voulais juste m'assurer que tu allais bien. »

Il m'avoue cela d'un air détaché, comme s'il n'acceptait pas l'idée de se montrer aussi prévenant avec moi. Il doit penser que je déteste ce genre de comportement. Ses rapides coups d'œil dans ma direction m'indiquent qu'il attend une réponse rapide de ma part. Pourtant, je profite de la sensation de bien-être qui achève de briser les barrières de protection que j'avais érigées la veille. Ma vue se brouille d'un voile d'eau et les premières larmes commencent à couler. Si je pouvais les retirer, je verrais sûrement le visage de Joey s'étonner de mes sanglots.

- « H-hé ! »

Mes doigts retenant mon sac cèdent et il s'écrase lourdement contre le sol. Instinctivement, je me dirige vers la seule source de réconfort disponible et appuie mon front contre son torse. Décontenancé, Joey pose négligemment sa main à l'arrière de mon crâne puis enroule finalement ses bras autour de mes épaules.

- « Qu'est-ce qu'il se passe ? »

Je secoue doucement la tête en signe de refus. Entre les conseils de Tristan, les réflexions d'Eléonore et les menaces de Kaiba, je ne peux pas me résoudre à embarquer Joey dans cet enfer où j'avais foutu les pieds. Lorsque je me décolle de son torse, j'aperçois d'importants hématomes sur son bras. Je dois les avoir fixés trop longtemps car il le retire de mon champ de vision pour le dissimuler dans son dos.

- « Tu travailles ce soir ? »

J'ai l'impression que ma voix disparait dans le vent.

- « Seulement quelques commandes, mais peut attendre.

- Alors suis-moi. »

 

Il y a un endroit où je n'ai plus mis les pieds depuis deux mois : la jetée de Flem. Jonché à l'embarcadère de Domino City, la jetée offre une vue imprenable sur la mer. Quand nous arrivons, le soleil achève sa descente dans le ciel et plonge lentement dans l'eau.

- « C'est drôle. » Soupire Joey, brisant ainsi la sérénité du lieu.

- « Quoi ?

- Je connais cet endroit. Avant le tournoi de Bataille-Ville, Yugi aimait bien se balader dans les environs.

- Yugi ? »

Le blondinet acquiesce et désigne du pouce la direction de Domino.

- « C'est ici que tu as combattu le type qu'on a vengé l'autre jour, pas vrai ? »

Il a raison, je reconnais les poteaux contre lesquels j'ai reposé Zoé avant de mettre une râclée à Aigawa.

- « Ce soir-là, je devais retrouver Yug'. Il voulait me parler. Mais je suis tombé sur ton téléphone dans la rue et je me suis dit que j'allais te le ramener à la fin de ton service.

- Tu veux dire quand j'ai enfermé ces gens dans le bar et qu'ils ont dû appeler les pompiers pour sortir ? »

Nous pouffons en chœur et échangeons un regard complice.

- « J'aimerais revenir à cette époque. » J'ajoute, distraite.

- « Moi pas. »

Sa réponse catégorique me décontenance. Je l'observe tandis qu'il opine énergiquement.

- « A quoi bon changer le passé ? Oui, je pourrais peut-être gagner le tournoi de Bataille-Ville ou le tournoi Ultime. Je pourrais empêcher Mai de sombrer dans la haine.

- Alors pourquoi pas ?

- Parce qu'en dehors de ça, j'ai aussi accompli de belles choses. »

Accoudée contre la barrière donnant sur la jetée, je plisse les yeux sous l'incompréhension.

- « On a foutu une dérouillée à Hirutani, j'ai pu m'entrainer aux duels doubles avec toi et j'ai appris à accepter que ma petite-amie et mon meilleur ami soient habités par des esprits dangereux.

- Et terriblement sexy. »

Je toussote pour empêcher Eléonore de surenchérir davantage.

- « Pourquoi tu ne cites que des exploits me concernant ? »

Joey glisse une main dans ses cheveux et me toise de son regard de séducteur.

- « Parce que tu es mon plus bel exploit. »

Si ma poitrine se soulève, c'est uniquement à cause du fou-rire nerveux que je réprime.

- « J'étais comment ?

- Parfait... »

Il ne m'en faut pas plus pour rire aux éclats à m'en tenir les côtes. Passer du désespoir à "l'hilarité" devient une habitude chez moi. Je me mords la lèvre inférieure et profite de cette sensation de plénitude.

- « Et toi, tu changerais quoi ? » Me demande-t-il après un moment à m'écouter rire.

Désormais calmée, je promène mon regard vers l'horizon, où un bateau flotte au loin, ramenant à port le résultat de la pèche du jour. Evidemment, la première chose qui me vient à l'esprit est mon crime de la veille, mais impossible de l'avouer comme si de rien était. Soudain, l'image de Mokuba et son sourire de ce matin m'apparait à travers tous ces mauvais souvenirs.

- « Je pense que j'aurais passé plus de temps avec Mokuba.

- Mokuba Kaiba ? »

Alors que le ciel s'assombrit et que les lampadaires de l'embarcadère s'allument tour à tour, je raconte à Joey mes dernières découvertes au sujet de l'orphelinat où j'ai rencontré les frères Kaiba. Après mûres réflexions, je choisis de ne pas m'étaler sur ma rencontre avec Eléonore. Dartz et ses informations sont du passé, bien qu'il m'ait poussée à détruire la carte de Maximilien Pegasus.

- « C'est pour ça que tu es allée le voir ce matin. » Conclut-il sans me regarder dans les yeux.

J'hoquette. Me tend-t-il une perche pour que je lui avoue tout ? Non, Joey ne devinera jamais ce qu'il s'est produit au Tam-Tam hier soir.

- « O-Oui. » Je mens, suivant le mouvement des vagues contre le port.

J'espère qu'il ne m'en voudra pas trop s'il apprend la vérité un jour.

- « Je vois. Mokuba est quelqu'un de gentil. Apparemment il a insisté pour que je sois rapatrié dans un hôpital suite à ma défaite contre Marik. »

J'approuve ces dires. Le plus jeune des Mokuba est d'une candeur et d'une gentillesse, tout le contraire de son grand-frère. Nous abordons longuement la question des frères Kaiba. Seto nous porte une haine et un dédain si intense que je ne saurai dire lequel de nous deux il déteste le plus. Faisant partie intégrante du passé qu'il dénigre, je pencherai plus vers moi. Sur le chemin du retour, nous empruntons naturellement les rues fréquentées de Flem jusqu'à la grande place. Au fond, j'aurais préféré contourner les grands axes pour ne pas être obligée de croiser le Tam-Tam, mais Joey m'aurait demandé des explications. Plus nous nous approchons de la zone de danger, plus mes mains deviennent moites. Je les essuie fréquemment contre ma jupe et feins d'être occupée sur mon téléphone pour ne pas relever la tête.

- « Regardez qui voilà ! » S'exclame une jeune fille, s'échappant d'un commerce à notre droite.

Vêtue d'un haut noir avec vue plongeante et d'un short de même teinte et d'une veste en cuir, je me réjouis de croiser Zoé, parée de ses plus belles créoles dorées.

- « Salut Soso.

- Zoé ! » Je m'écrie joyeusement en sautant dans ses bras.

Surprise, elle ne réagit pas tout de suite à mon étreinte.

- « Wow, ça se passe si mal avec lui que tu te jettes sur moi ? »

Sans me retourner, je peux déceler les grognements de Joey dans mon dos. Je m'empresse de reculer et d'agiter ma main dans la direction de mon amie.

- « Non, du tout ! Je suis juste... contente de te voir !

- On se voit tous les jours entre les cours. » Réplique-t-elle d'un ton sarcastique. « Enfin, sauf quand tu disparais le soir sans prévenir personne. »

Elle m'en veut certainement de l'avoir obligée à mentir à ma mère sans réelle justification. Je me courbe en avant, me confondant en excuses.

- « Ça ira, pour cette fois.

- Tu as fini pour ce soir ? »

Zoé acquiesce puis indique l'autre bout de la place du doigt.

- « Tu y crois, toi ? Yoshida a revendu son commerce. » Soupire-t-elle.

Si elle s'était retournée vers moi à ce moment-là, Zoé aurait remarqué mes traits crispés. Alors que je n'osais pas le moindre regard dans cette direction, je suis le mouvement et constate avec surprise que la devanture ne comporte plus les symboles du Tam-Tam, ni même le logo de l'enseigne représenté par une demi noix de coco piquée d'une paille. Lorsque mon amie revient vers nous, j'ai eu le temps de contrôler ma respiration et mes mains, en proie aux tremblements.

« Incroyable. La dernière fois que je l'ai vue, elle semblait déterminée à reprendre son bar en main.

- Ah... »

Mes lèvres brûlent d'envie de lui demander plus d'informations sur leur entrevue mais je redoute de paraître suspecte si un certain corps est découvert dans les prochains jours. J'ignore totalement les techniques des hommes de Kaiba. Mieux vaut ne pas tenter le diable.

Ironique, tu danses déjà avec.

Un frisson me parcourt l'échine, je réfrène un gémissement inconvenant.

- « Ça va ? »

La voix de Zoé me tire de mes réflexions.

- « Oui, bien sûr. Je dois juste être un peu fatiguée.

- A force de pleurer, je m'en doute. »

Sa remarque me jette un froid dans le dos. Joey, à ma gauche, écarquille les yeux et nous observe sans un mot. J'adresse un petit sourire désolé à mon amie, à court d'explications. Zoé a toujours été douée pour repérer mes sautes d'humeur, elle ne pouvait pas passer à côté de mes yeux légèrement rougis. L'occasion de leur raconter tous les deux le cauchemar de ces dernières heures se présente à nouveau. Mais rien ne sort, ni ne sortira de ma bouche. J'en suis simplement incapable.

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