Âme de Pureté

Chapitre 57 : Eveil: Chapitre 57

2758 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 26/10/2019 10:57

Jeu. 16:49. Expéditeur : Soso Hirae.

Message : Et une nouvelle victoire pour Yugi Muto. C’est Kaiba qui doit être comblé.

 

Calée au fond de ma chaise, j’esquisse un sourire devant son message. La veille, Yugi avait remporté le tournoi ultime de sa majesté aux yeux bleus. Le duel avait été retransmis sur les écrans géants des buildings à Domino City. Zoé et moi n’avons pas manqué une seconde de cet affrontement, confortablement installées sur une des terrasses prises d’assaut.

 

Jeu. 16:52. Expéditeur : Lorène Yuurei

Message : Il doit déjà avoir préparé toute la com’ autour de son prochain tournoi. Les rumeurs disent qu’on va jouer sur des motos à l’effigie de nos monstres.

 

Concentrée sur mon téléphone, je remarque que tardivement les multiples raclements de gorge au pied du tableau.

- « Devons-nous rappeler à certains membres notre charte concernant l’utilisation des téléphones portables dans l’enceinte de notre club ? »

Sur l’estrade, Kaoruko se dandine dans l’espoir d’attirer mon attention. Il faut dire que son petit discours sur l’importance de la beauté au sein du lycée comme motivation de résultats ne m’a plus captivée que ça. Depuis le fond de la classe, je relève distraitement les yeux de mon écran et lui adresse un petit sourire faussement désolé.

- « Whoopsie. »

Mon excès de zèle ne suffit pas à démolir sa confiance. Kaoruko enroule une mèche de ses cheveux roux bouclés autour de son index. Elle jauge un instant ses amies pour s’assurer qu’elles me dévisagent à leur tour avant de reprendre sa messe quotidienne.

Un accident peut vite arriver dans cette école.

Malgré le fait qu’elle soit au sommet de l’échelle sociale de ce lycée, je ne crains plus Kaoruko. Sûrement dois-je ce regain d’aplomb à la présence d’Eléonore, mais cela me renvoie l’image d’une fille cool qui se fiche des pimbêches comme notre chère chef de club.

 

Jeu. 16:58. Expéditeur : Lorène Yuurei.

Message : Une virée ce soir ?

 

Depuis que j’ai repris les cours telle une élève modèle, j’ai décidé de multiplier les occasions de voir Zoé en dehors de l’école. Ma peur de la perdre à nouveau resurgit à chaque fois que j’aperçois son visage au détour d’un couloir. La veille, alors que nous suivions attentivement le duel opposant Yugi au finaliste du tournoi, mes tripes se contractaient à chacune des invocations du champion en titre. Tout le monde admirait les prouesses stratégiques des deux côtés du terrain tandis que je luttais intérieurement contre les souvenirs laissés par Dartz et son terrible Sceau d’Orichalque.

Mon portable émet une légère vibration.

 

Jeu. 17:00. Expéditeur : Soso Hirae.

Message : Déso’, pas possible, travail ce soir.

 

J’en avais presque oublié que Zoé avait retrouvé un boulot de serveuse dans un autre bar. Après tout, c’est elle qui tenait le Tam-Tam à bout de bras quand Madame Yoshida avait mystérieusement disparu de la circulation. En ce qui me concerne, je n’ai pas sérieusement songé à me retrouver un job, bien que cela améliorerait sûrement l’estime de ma mère envers moi. Je devrais demander à Zoé de me pistonner.

Oublie ça, on peut faire bien mieux !

Comme quoi ?

Avec toutes ces hôtesses qui pullulent en ville, on aurait vite fait de gagner de l’argent grâce à mon charme irrésistible.

Je grimace. Je doute que ce soit vraiment mieux que de faire le tapin dans la rue. Au moins, je pourrais toujours ressortir les vêtements de Mai, au lieu de les laisser mourir au fond de ma penderie entre les pulls de Noel et les pantalons bouffants que je ne dévoilerai jamais au grand jour.

A la fin des activités de club, je suis la première à m’extirper de la salle de classe. Je ne peux réprimer un soupir de soulagement à chaque fois que je quitte cette atmosphère étouffante. Les filles du club d’éloquence ont la main forte sur le parfum. Leurs odeurs se mélangent pour former une boule irrespirable. Au fil des couloirs, je profite d’une bouffée d’air frais pour me nettoyer les poumons.

A ma plus grande surprise, Kageyama ne s’est pas présentée à moi ces deux derniers jours. Pourtant, d’après mes calculs, son père devrait s’être remis de mon interrogatoire, raison pour elle de se s’occuper de mon cas.

Elle flippe à l’idée de nous affronter, elle a la frousse !

Je m’arrête à hauteur de mon casier. Moi, lui faire peur ? Cela me paraît tellement improbable quand on y songe. Je me mords la lèvre inférieure. Certes, ma confrontation avec les triplées Kageyama ne lui a pas réussi, mais de là à m’éviter !

Alors que je récupère quelques manuels de japonais pour réviser ce soir, mon téléphone vibre au fond de mon sac. Tiens, c’est Joey.

 

Jeu. 17:20. Expéditeur : Joey Wheeler.

Message : Hé Cocotte, t’es libre ce soir ?

 

Une vague de chaleur se forme au creux de mon ventre. Je me sens rougir à cause d’un simple message. Que c’est ridicule ! Mes méninges tournent à plein régime. Si j’accepte, je n’arriverai pas à lui cacher le retour de Yoshida, et je devrais sûrement lui toucher un mot sur le père de Kageyama. La porte de mon casier de referme dans un claquement métallique.

Tu as vraiment envie d’être dépendante de ce type au moindre problème ?

Mon regard se fixe sur un point au loin. Je referme mes doigts sur la sangle de mon sac.

- « Il ne mérite pas ça. » Je souffle sans me préoccuper des quelques étudiants circulant dans mon dos.

Qu’est-ce qu’il ne mérite pas ? Que tu lui mentes, ou que tu le submerges de tes problèmes ?

J’expire si profondément que mes poumons se vident complètement. Les deux, certainement. De l’autre côté de l’entrée, le soleil décline dangereusement à l’horizon. Depuis la cour, j’observe distraitement les trainées orangées dans le ciel. Il s’étend si loin qu’il pourrait me tomber dessus à n’importe quel moment.

- « Hé. »

Je sursaute. Le visage rivé au-dessus des buildings, je n’ai pas remarqué la silhouette postée à quelques mètres de moi, adossé au portail. Des cheveux blancs, l’uniforme bleu des lycéens de Domino City et, surtout, l’anneau du Millénium fièrement accroché autour de son cou.

- « Bakura, cela faisait longtemps. »

Ne te gêne surtout pas.

Merci, je commençais à me demander si je ne devrais pas te demander ton autorisation avant de parler.

Je fronce les sourcils, ce qui n’échappe pas à Bakura. Son rire fuse dans la cour, s’attirant les regards surpris des étudiants au pied sur portail.

- « Cela faisait une éternité, ma chère Eléonore. »

Si j’avais un doute sur l’identité de celui que j’ai vaincu en duel chez Yugi, il est clair qu’il ne s’agit pas du même Bakura gentil et candide. Non, c’est celui qui a affronté Atem sur le dirigeable, lors du tournoi de Bataille Ville. Perplexe, je ne réagis pas quand Eléonore s’avance d’un pas dans sa direction et pose mes mains sur mes hanches.

- « Tu en as mis du temps. J’ai fini par croire que tu m’avais abandonnée, toi aussi. »

Ma langue claque sur mon palais. Elle se sent en position de force, à en croire l’adrénaline qui me monte à la tête. Bakura ne se laisse pas impressionner. Les bras croisés, il se penche légèrement en avant pour ancrer ses yeux marrons dans les miens.

- « Permets-moi de me rattraper. Tu m’accompagnes ? 

- Où tu veux. »

De toute évidence, je n’ai pas mon mot à dire. Je songe alors à Joey, qui attend probablement ma réponse.

Laisse tomber cet idiot, nous avons un bien meilleur parti désormais.

Ce n’est pas la peine de me débattre contre Eléonore. Mes jambes se déplacent sans le moindre effort, je suis Bakura à l’aveugle dans rues de Flem.

 

- « Tu ne manges pas ? »

Installés dans un café excentré de Domino City, je triture nerveusement mes doigts sous la table. Pour une raison que j’ignore, l’emprise d’Eléonore sur mon corps ne dure pas aussi longtemps qu’elle le voudrait.

- « Non merci. » Je bredouille, mal à l’aise.

Bakura, quant à lui, ne semblait pas partager mon état. Bien au contraire, affalé sur son siège il avalait d’une bouchée la mousse au chocolat commandée quelques minutes auparavant. Je ne connais pas la raison de ma présence ici, les scénarios les plus improbables tourbillonnent dans mon esprit. Si Bakura et Eléonore étaient liés depuis le début, alors pourquoi attendre si longtemps avant de m’épingler ?

C’est ce que j’aimerais savoir.

Je prie de tout mon cœur que tu ne m’aies pas encore entrainée dans une histoire à dormir debout, Eléonore. L’information tardant à venir, je me râcle la gorge à plusieurs reprises et fixe le jeune homme intensément.

- « Qu’est-ce que tu me veux ? » Je finis par lâcher, excédée.

Bakura termine son ramequin le plus lentement du monde. La tension qui m’anime lui arrache un sourire vorace. Peu à peu, l’idée de m’enfuir d’ici germe dans mon esprit. C’est un mauvais plan de trainer avec ce type. Nous avons beau nous trouver dans un lieu public, je ne m’y sens pas totalement en sécurité.

- « Détends-toi, petite, j’aimerais juste m’entretenir avec mon amie, veux-tu ? »

Mon sang ne fait qu’un tour, mes phalanges blanchissent tant je serre ma main sur mon verre d’eau, toujours plein.

- « C’est encore mon corps, je te signale.

- C’est qu’elle sort les griffes, ton hôte. Je suis surpris que tu ne l’aies pas mieux dressée, Eléonore. »

Autant ses paroles que son ton arrogant me provoque l’irrésistible envie de lui mettre ma main à la figure. Cependant, une horde de fourmis s’insinue dans mes bras. Je sais pertinemment qu’à l’instant même où j’intenterai le moindre geste violent à son égard, Eléonore m’en empêchera.

- « Que veux-tu, chéri ? »

Bakura reconnait immédiatement le ton suave de son amie. Ses traits redeviennent sérieux et je comprends que mon âme est reléguée au second plan. Il s’accoude sur la table et entremêle ses doigts.

- « Il est grand-temps de se débarrasser du pharaon. »

Un violent frisson me parcourt l’échine. Je déglutis difficilement alors qu’Eléonore croise mes bras sous ma poitrine, soutenant le regard de Bakura.

- « J’en suis venue à la même conclusion. »

Ses joues se creusent davantage.

- « Pardonne mon absence, chère Eléonore, mais après ton duel contre Pegasus, j’ai cru que tu n’étais pas assez forte pour lutter contre ton hôte. »

Mon duel contre Pegasus ? Etrange, dans mes souvenirs, Bakura était plongé dans le Royaume des Ombres suite à son duel contre Yugi. Il ne devrait pas être en connaissance de ces informations.

Détrompe-toi. Contrairement à moi, son âme est raccrochée à un objet du Millénium et non au corps de Bakura.

Dans ce cas, il suffirait de se débarrasser de l’Anneau pour éliminer cet esprit maléfique. Mon attention descend sur l’artéfact. Ces objets n’apportent rien de bon.

- « Mais j’ai cru comprendre que tu t’étais ressaisie récemment. » Ajoute-t-il face à notre silence.

- « Qu’est-ce que tu insinues ?

- Les griffures de Yugi n’ont échappé à personne. »

J’étouffe un grognement au fond de ma gorge et plisse les yeux. Alors ils sont tous au courant de mon altercation avec Yugi ? Etonnant que Téa n’ait pas tenté de m’assassiner dans la journée. Soudain, le message de Joey me revient en mémoire. Peut-être m’a-t-il proposé de nous retrouver pour en discuter. Je hausse les épaules malgré moi.

- « Comme si j’allais me contenter de petites égratignures sur ce garçon. Le pharaon doit payer pour ce qu’il m’a fait. »

Tandis qu’elle s’exprimait sur un ton neutre jusqu’ici, la voix d’Eléonore se teint désormais de la même colère que lors de notre entrevue avec Atem. Mes mains sont secouées de tremblements, si bien qu’elle les dissimule sous la table pour ne pas dévoiler son trouble au grand jour.

- « Tu as raison. Après tout, il nous a tous trahis. »

Cette phrase fait écho dans ma tête. Je l’ai déjà entendue. Non, je l’ai même prononcée il y a longtemps. « Tu nous as tous trahis », c’était la première fois qu’Eléonore prenait possession de mon corps en présence du pharaon. Un lourd silence s’installe à notre table. Mon regard se balade sur la salle où personne ne se doute qu’une vengeance se prépare sous leurs yeux. Je m’arrête subitement sur un petit couple placé du côté des fenêtres donnant sur la rue. Ils se sourient, rient aux éclats et s’apprivoisent, comme si rien n’existait en dehors de leur bulle. Un instant, je repense à Joey. Ce couple pourrait être nous, si tout n’était pas si compliqué.

Le tintement de la cuillère de Bakura contre le ramequin me ramène brusquement à la réalité.

- « Que comptes-tu faire pour te débarrasser de lui ? »

Je m’adosse contre le cuir de mon siège. Sa demande est ridicule. Peu importe les agissements d’Atem, jamais je ne laisserai Eléonore le blesser à nouveau. Il n’est pas seulement question du pharaon, mais aussi de celui qui partage son corps, mon ami Yugi.

- « Revenons aux fondamentaux. » Je déclare dans un soupir las.

Je pince mes lèvres, inquiète quant à la gravité de ces « fondamentaux ». En revanche, le visage de Bakura s’illumine.

- « Un jeu des ombres ? Intéressant, mais tu n’es pas encore assez puissante pour te confronter au maître du jeu. »

Eléonore ne relève pas sa remarque. Mes ongles s’enfoncent dans la paume de mes mains, je me mords la lèvre inférieure pour ne pas hoqueter de douleur. Cette position dure jusqu’à ce que, sans le moindre mot, Bakura se lève et reporte son attention sur l’entrée du café.

- « Je te laisse la possibilité de te débarrasser du pharaon, Eléonore. Ce sera ton unique chance, ne me déçois pas. »

Il n’attend pas sa réponse et s’éclipse, sous mon regard médusé. Ce type est encore plus louche que Kaiba, jamais je ne lui accorderai ma confiance. Mes muscles se détendent progressivement, je recouvre l’entière possession de mes membres et vide d’une traite le verre d’eau sur la table. Un léger sifflement dans mes oreilles m’empêche d’aligner mes pensées.

- « On ne peut pas faire ça. » Je souffle, les mains pressées contre mes tempes.

D’habitude loquace, Eléonore ne rétorque rien, ni à mon opposition, ni aux restes de mes réflexions ce soir-là. 

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