Âme de Pureté

Chapitre 56 : Eveil: chapitre 56

2740 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 23/10/2019 11:28

Mon retour au lycée de Flem s’est avéré relativement normal. Le principe de remettre les pieds dans cette école après l’avoir partiellement cramé avec un disque de duel m’a quelque peu décontenancé, mais le cours du temps a repris ses droits. Les élèves se baladent dans les couloirs, chahutent et raillent parfois, ne se doutant pas une seconde qu’ils auraient pu perdre leur âme avant-hier.

Mon rendez-vous avec le conseiller s’approche à grands pas. En bonne élève – et pour éviter les représailles de ma mère, je m’y présente avec dix minutes d’avance. Mon uniforme me colle à la peau, je m’y sens légèrement à l’étroit. Pourtant, il n’a pas rétréci au lavage et je doute que mes dernières escapades m’aient remplumée pour l’hiver. Je n’ai pas le temps d’y songer davantage qu’une force m’agrippe le cou et me penche en avant.

- « Prête à revivre en enfers ? » Chantonne Zoé, arborant un nouveau ras-de-cou en forme de cœur, transparent cette fois.

- « Tu parles de mon échec scolaire ou de l’énorme tas de merde qu’on doit régler à côté ? »

Pourtant, son sourire ne s’efface pas. Bien au contraire, mon amie semble emportée par une énergie fulgurante.

- « J’ai vu Yoshida. »

Mon sang ne fait qu’un tour, je me libère de son emprise et lui agrippe violemment le poignet pour l’attirer contre moi.

- « Tu es folle ?! 

- Oh hé, doucement ! Quand tu vas savoir ce qu’elle m’a dit, tu vas m’a-do-rer ! »

Mais je n’aurais pas l’occasion d’écouter son récit car la porte du conseiller s’ouvre à cet instant sur un homme plutôt petit, lunettes rectangulaires aux reflets éblouissants et à la chemise blanche froissée. Troublée par la révélation de Zoé, j’en oublie de le saluer proprement et lève distraitement la main droite.

- « A tout à l’heure, Yuurei-san ! » Ricane-t-elle en s’éloignant vers un couloir adjacent. 

Note à moi-même : préparer une seconde tombe à son nom. Elle ne paie rien pour attendre !

- « Mademoiselle Yuurei ? »

Trop occupée à imaginer toutes les manières de me venger de cet affront, je ne remarque que tardivement que le conseiller s’est décalé pour m’inviter à entrer. Je me râcle la gorge, bafouillant quelques rapides excuses, et m’engouffre dans le bureau. Plongée dans une semi-obscurité due aux stores californiens négligemment tirés, la pièce ressemble à une salle de consultation : des murs blancs aseptisés, des étagères débordant de dossiers classés par couleurs, une chaise en alignement parfait avec les autres meubles. La salle semble être figée dans le temps. Dans mes souvenirs, rien n’a changé depuis ma dernière visite, il y a deux mois d’ici.

- « Vous pouvez vous asseoir. »

J’obtempère non sans une certaine appréhension. Le conseiller n’a jamais été très expressif, à l’instar de la majorité du corps enseignant. Ainsi, quand celui-ci affiche un air sévère en tournant une à une les pages de mon dossier, je doute que mes résultats augurent quoi que ce soit de bon.

- « Je ne vais pas vous mentir, Mademoiselle Yuurei, mais je dois avouer que vos notes sont plutôt décevantes, en dépit des espoirs que nous avons placés en vous dès votre arrivée à Flem. »

Il vient de dire que tu es plus stupide que tu en as l’air.

Merci, Eléonore, je n’avais pas besoin de traduction.

Mes jambes se croisent et se décroisent sous la peine. Je peine à garder une posture droite et retiens une envie inexplicable de taper en rythme sur le bureau pour troubler le silence entre chacune de ses phrases. Il me donne l’impression de relire trois fois la même feuille avant d’oser un regard dans ma direction.

- « Mais ce ne sont pas vos résultats qui préoccupent vos professeurs et moi-même. »

Il dépose devant lui un document semblable à une série de notes manuscrites.

- « Absences répétées, taux de participation en baisse et des bruits de couloir qui indiquent que vous seriez liée de près ou de loin à l’incendie de notre toit. »

Je suis sur le point de protester quand il se penche en avant de quelques centimètres, provoquant un grincement de son fauteuil.

- « Les rumeurs ne sont pas des preuves, nous en avons bien conscience. Mais nos confrères de l’établissement de Domino City qui vous a accueilli ces dernières semaines nous a rapportés les mêmes impressions à votre égard, Mademoiselle Yuurei. »

A chaque fois qu’il répète le terme « Mademoiselle », je repense à Chris et sa manie de me nommer de la même façon. Je dois avouer que ce conseiller pointe exactement ce qui ne tourne pas rond récemment. Cependant, il m’est impossible d’argumenter sur l’importance du Duel de Monstres dans toute cette histoire. Et encore moins d’Eléonore qui a explosé les vitres d’une des salles de classe par la force divine.

- « Si vous souhaitez en parler, Mademoiselle, sachez que nous sommes à disposition des étudiants pour régler tout ce qui affaire aux études. »

Mécaniquement, je hoche la tête, sans trouver les mots. Aucune des explications qui tournent dans mon esprit ne suffirait à le convaincre de ma bonne foi.

- « Le problème, voyez-vous c’est que…

- que… ! » J’interromps brusquement la tentative d’Eléonore.

Le conseiller hausse un sourcil, visiblement surpris de ma soudaine variation de ton.

- « Que… Ce n’est pas simple en ce moment, vous voyez. Ça doit être le mal du pays, ou quelque chose dans le genre ! Oui ! L’Europe me manque terriblement ! Mais rassurez-vous, c’est temporaire ! Je vous assure que mes notes vont remonter aussi vite qu’elles sont descendues ! »

Mes joues s’échauffent et mon débit de paroles est affreusement élevé. Mes mains émettent des mouvements saccadés, comme si j’essayais de le convaincre de mes bonnes intentions. Malheureusement, tout ce que je réussis à faire, c’est de m’embrouiller davantage.

- « Bien. J’aimerais que vous repreniez vos cours de rattrapage du samedi. J’ai ouïe dire d’un professeur de Domino que votre japonais s’était fortement dégradé. Nous ne voudrions pas vous recaler pour une matière que vous pouvez perfectionner dans notre établissement. »

Je fronce les sourcils malgré moi. L’image de Madame Chonos, riant aux éclats en vantant mes lacunes en lecture m’apparait directement.

 - « De plus, je constate que votre taux de participation au club d’éloquence a également chuté. »

Je me renfrogne sur mon siège. Le club d’éloquence… Encore une brillante idée qui date de mon arrivée à Flem. Perdue dans le choix des clubs qui n’existent pas dans l’enseignement européen, je m’étais laissée entrainée à celui d’éloquence par les recommandations de Kaoruko. Evidemment, les semaines suivant ma rencontre avec Zoé, plus personne ne m’y voyait. Et quand, pour les besoins de mon dossier, j’osais poser un pied dans la salle de classe, les autres membres faisaient tout simplement semblant de ne pas me voir. « Yuurei le fantôme », assez ironique dans le genre [1].

- « Pouvons-nous compter sur vous pour reprendre vos activités ? »

Si j’affiche une moue contrite, peu incline à accepter sa demande, le conseiller n’en démord pas. Derrière ses lunettes rectangulaires, ses yeux noirs en amandes tantôt me fixent, tantôt se portent sur l’étagère dans mon dos.

- « Bien sûr. » Je réplique d’un ton léger.

Ce n’est qu’une question de mois. Puis Kaoruko n’a plus aucune incidence sur moi désormais. Qu’est-ce qu’il pourrait arriver de mal ?

L’entretien avec mon conseiller scolaire s’achève là. Je me demande ce qu’il a bien pu noter sur son carnet à part « l’élève a accepté toutes nos revendications ». Avais-je réellement le choix ? La perspective de retourner en Europe pour vivre avec mon père ne m’enchante pas plus que ça. Non pas que ma vie au Japon soit meilleure. Loin de là. En revanche, j’ai un pincement au cœur à l’idée de quitter quelques personnes ici, à commencer par cette très chère Zoé. Du moins, si elle survit à notre prochaine entrevue.

Dès ma sortie du bureau, mon regard s’arrête sur le tableau d’affichage. Le nom de Maximilien Pegasus ressort sur tous les posters. Un profond dégoût mélangeant ma haine et celle d’Eléonore a raison de ma bonne humeur. Je ne saurai dire si mes mouvements provenaient d’elle ou de moi, mais ma main s’élève à hauteur des affiches et les arrache d’un coup sec. Je les écrase en une grosse boule puis la projette dans la poubelle la plus proche. Si seulement c’était aussi facile.

 

- « Tu as vu le portrait de Maximilien Pegasus dans l’entrée ? »

A la pause de midi, Zoé et moi avions convenu de manger ensemble sur des bancs près du portail – faute de toit. Mon irruption en cours après des jours d’absence n’a provoqué aucune réaction, si ce n’est un gloussement strident de la part de Kaoruko, rapidement accompagné de ceux de ses deux toutous. Les cours me paraissent étrangement fades à côté des événements extraordinaires auxquels j’ai été confrontés précédemment. Pas de duel, ni de menace de mourir d’un instant à l’autre, et encore moins d’éternel recommencement du monde en cas de défaite. Seulement des leçons de mathématiques que je gribouillais sur mon cahier d’un air distrait.

- « On raconte même que le comité des élèves aurait pour projet un club à son honneur. »

Je manque de m’étouffer avec ma boule de riz. Il faudra donc bien plus que quelques posters jetés à la poubelle pour effacer la présence de ce type dans le lycée. Je me tapote fermement la poitrine pour avaler la nourriture coincée dans ma gorge.

- « Moi, je propose aussi qu’on fasse une messe tous les matins à la gloire de ce cher milliardaire qui a donné si bénévolement de son argent pour reconstruire une école sans aucune arrière-pensée. »

Zoé me toise en coin, cherchant une quelconque réaction de ma part. Depuis son réveil, elle ne cesse de me provoquer pour me tirer les vers du nez. Ses messages insistants se dénombrent par dizaine, mais je m’efforce de garder le silence. L’entaille laissée par les révélations de Dartz est trop profonde, je préfère enterrer ces souvenirs au fin fond de ma chambre de l’âme, pour le grand bonheur d’Eléonore.

- « Ouais, bizarre. » Je réponds évasivement. « Alors, comme ça tu as vu Yoshida ? »

Son visage se referme durant quelques secondes. Zoé dévie son regard vers le match de basket improvisé par les dernières années. Les garçons poussent des cris, s’engueulant à chaque mauvaise action de leur coéquipier pour se taper dans la main dès que l’un d’entre eux marque un panier. Cette scène Ô combien normale pour un lycée suscite une floppée de questions sur mon quotidien. Comme ses super-héros dans les films qui n’arrivent jamais à reprendre une vie normale après avoir sauvé le monde d’un énième danger.

Serais-je devenue un super-héros ?

- « Bonne nouvelle : elle a tout oublié. »

Je reviens immédiatement vers mon amie, le menton calé entre son pouce et son index.

- « Elle se souvenait de moi. De toi aussi. Par contre, elle n’a aucun souvenir de la soirée ayant précédé son coma. »

Malgré la bonne nouvelle, mon cœur s’emballe en imaginant Zoé en pleine discussion avec notre ancienne patronne.

- Qu’est-ce qu’elle t’a dit exactement ? »

La brune s’arrête un instant pour réfléchir, sans détourner ses yeux du match.

- « Qu’elle s’est réveillée à l’hôpital, que deux garçons d’un lycée voisin l’ont amenée un soir. Elle pense avoir fait un black-out après une soirée arrosée. Au vu des gens louches qui se présentaient parfois au Tam-Tam, ce ne serait pas étonnant qu’elle baigne dans des histoires étranges. »

Enfin quelque chose d’intéressant.

Cela signifie qu’on n’a plus rien à craindre de sa part. Alors pourquoi est-ce que je me sens toujours aussi tendue ?

Soudain, le bruit de mon portable m’arrache de mes pensées. Encore un numéro privé, comme hier soir. Je lâche un long soupir.

- « Un admirateur ? » Me questionne Zoé d’une voix enjôleuse.

- « Non, un nuisible. » Je rétorque en décrochant. « Arrête de m’appeler Kaiba.

- Mon tournoi début aujourd’hui, je sais que tu es au lycée et un hélicoptère est prêt à t’emmener à Kaibaland pour le lancement de la compétition. »

Kaibaland ?

- « Kaibaland ? Sérieusement ? Moi qui pensais que tu ne pouvais pas trouver pire appellation que le tournoi ultime. Je ne participerai pas à ton petit jeu, est-ce clair ? Mes amitiés à Mokuba. »

Sachant pertinemment qu’il n’abandonnerait pas, je décide de lui raccrocher au nez et de changer mon téléphone en mode silencieux. Zoé semble hilare, une main plaquée contre sa bouche pour ne pas rire.

- « Tu te rends compte ? Ce type tente de m’évincer de sa vie et de ses projets pendant des semaines et maintenant il me harcèle pour que je participe à son putain de tournoi ! Je rêve. 

- Le coeur a ses raisons que la raison ignore. »

Je me retiens de lui frapper l’épaule. D’après mon conseiller scolaire, des rumeurs circulent sur de prétendues bagarres auxquelles j’aurais participé. Ce n’est clairement pas le moment de me faire remarquer.

- « Il y a des choses qui ne changent pas. » Déclare Zoé en pointant du doigt un pan éloigné de la cour.

De l’autre côté du terrain de basket, non loin du parking à vélos, deux lycéennes ont l’air de discuter. L’une, adossée contre le mur de la BU, secoue énergiquement les mains en avant tandis que l’autre, la chevelure courte et bleutée reconnaissable entre mille, s’abaisse à la hauteur de son vis-à-vis.

- « J’en connais une qui mériterait une bonne leçon de ta part. »

Les paroles de Zoé résonnent en moi. Mon désir de me confronter une nouvelle fois à Kageyama me remonte les tripes.

Qu’attendons-nous ? J’ai hâte de sentir son nez se casser sous mon poing !

Mon cœur tambourine éperdument, me hurlant de secourir cette brune de première année que je n’ai pas pu aider la première fois. Mais comme à cette époque, je suis réduite à hausse les épaules et détourner le regard. Zoé me dévisage, elle s’attendait certainement à mieux de ma part. Moi aussi, dans un sens.

 

Je ne veux pas retourner en Europe.


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