Âme de Pureté

Chapitre 53 : Orichalcos: chapitre 53

4409 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/10/2019 15:12

Il est l’heure de se réveiller.

L’écho d’une voix familière résonne au plus profond de mon âme. Si bien que mes membres engourdis frissonnent tout naturellement. L’obscurité me semble soudainement moins terrifiante qu’au cours de ces dernières quarante-huit heures. La sensation d’étouffement qui s’était emparée de mon être s’est étrangement volatilisée. Je me sens légère. Aussi légère qu’une feuille balayée par le vent. Des picotements me traversent le dos, les bras, puis les mains en passant insidieusement par toutes les parcelles de ma peau.

Néanmoins, malgré cette impression de bien-être, une puissante migraine me serre les dents. Mes ongles s’enfoncent dans la paume de mes mains alors que je me mords la lèvre inférieure.

Calme-toi, ça ne devrait pas durer.

Le fourmillement de mes bras remonte à mon visage. Sans savoir pourquoi, une force me contraint à prendre une profonde inspiration, comme si elle s’occupait de ce corps tant malmené. Pourtant, elle a raison. La migraine n’est plus qu’un vague souvenir, dissipé par le simple fait d’expirer l’air emmagasiné dans mes poumons. Mes paupières se meuvent indépendamment de ma volonté. Je retrouve, non sans mal, le contact avec la lumière et les referme aussitôt.

Chaque chose en son temps, je me concentre sur la sensation du cuir sous mes doigts. Une banquette ? Je gratte doucement la surface pour confirmer mes doutes. Tout en décalant mon visage sur ma droite, je m’aventure à ouvrir un œil. La luminosité est beaucoup plus supportable ainsi.

Yugi.

En effet, une autre silhouette se trouve dans cet endroit. Yugi est assis sur ce qui ressemble à une banquette, certainement la même que la mienne. Contrairement à moi, il semble en pleine discussion, son visage s’illumine à chacune de ses paroles. Cependant, je n’entends rien, si ce n’est ma respiration apaisée et les battements de mon cœur à intervalles réguliers.

- « Yu… gi… » Je chuchote, les lèvres sèches.

Même si ma bouche a bougé, je n’ai pas l’impression d’avoir parlé. C’est ce que je pense jusqu’à ce que Yugi descende son regard sur moi, l’air surpris. Les sons commencent alors à me revenir dans une inexplicable cacophonie : des bribes de paroles qui virevoltent dans tous les sens, le grondement d’un appareil, des sifflements inconnus. Yugi se lève précipitamment et s’agenouille devant moi. Une main se pose sur mon genou, mais il ne s’agit pas de la sienne. Un peu sonnée, je relève doucement le visage et ouvre mon second œil pour constater une bouille blonde familière qui me toise avec un énorme sourire.

- « Tu es enfin réveillée, Lore-chan ! » S’exclame Yugi en enfermant ma main dans les siennes. « On commençait à s’inquiéter ! »

Que s’est-il passé pour qu’ils s’inquiètent pour moi ? Je me redresse lentement, aidée par le jeune lycéen. Je ne remarque qu’à ce moment-là qu’on a couvert mes épaules d’une veste en jean.

L’orichalque.

Je sursaute brusquement et écarquille les yeux. Mon duel contre Rafael, la défaite de Joey contre Mai, ma tentative de l’envoyer au tapis puis cette ruelle dans laquelle j’ai… Une main s’empare délicatement de mon cou pour m’obliger à me tourner vers la droite.

- « Tout est fini, le pharaon a réussi ! »

Le visage de Yugi transparait tout le bonheur qui l’habite en ce moment. Curieusement, cette nouvelle ne m’emplit pas de la même joie. Au contraire, je ne ressens pas le moindre plaisir.

Il a réussi.

La seconde voix de mon corps répète les mots de Yugi, regorgeant d’amertumes.

Eléonore…

Il a réussi… ?

Ma poitrine se compresse si douloureusement que je quitte la main de Yugi pour enrouler mes bras autour de mon buste. Non, il n’a pas réussi. Il n’a fait que repousser la fin de ce monde à un peu plus tard. Calme-toi, Eléonore, je t’en supplie.

Tu m’as manquée.

J’ébauche un sourire en coin, ne sachant pas trop quoi répondre à ce soudain élan d’affection. Il faut croire que je n’étais plus habituée à partager mon corps avec cet esprit. Une sensation de chaleur envahit mon visage, une main bouillante se glisse à la racine de mes cheveux et les ébouriffe affectueusement. Je profite quelques secondes de ce moment avant de relever le menton et de croiser les yeux bruns de Joey.

- « Il était temps que tu reviennes, je commençais à croire que je n’aurais plus de soucis de cadavres à trainer. »

Ma grimace ne fait qu’accroître son rire. S’il savait à quel point son départ m’a désorientée. Je jette un regard aux autres occupants de l’appareil. Téa, qui me lance des regards noirs de temps à autre, Tristan et Duke, occupés à admirer l’extérieur depuis un hublot sans oublier les frères Kaiba et Rafael. Je parie que l’un d’entre eux a vendu la mèche sur mon duel avec Mai.

- « Mai est… »

Joey secoue vivement la tête.

- « Elle va bien, elle est repartie de son côté. »

Tant de vigueur dans sa voix me déconcerte, pour quelqu’un qui ne cessait de clamer son nom. Je me redresse brusquement.

Zoé !

Mes mains agrippent les poches de ma veste mauve et tâtonnent le cuir jusqu’à reconnaître la forme de mon téléphone. Je l’extirpe presque désespérément et le déverrouille. Les messages et notifications se comptent par centaines, mais seule ceux d’une personne me préoccupent. Mon cœur se soulève quand s’affiche dans une de mes conversations la photo de ma brune. Un simple selfie de Zoé, doigts en victoire, allongée dans un lit beaucoup trop luxueux pour appartenir à une lycéenne de son standing. Ma main se resserre sur le téléphone tandis que je le brandis à vue de tous dans une explosion de joie non contenue.

- « Zoé est en vie ! » Je siffle telle une enfant.

Tristan est le premier à partager mes effusions de joie. Pour la première fois depuis le début de ce cauchemar, il m’adresse un regard compatissant. L’espace d’un instant, je me sens obligée de me pincer le bras pour m’assurer qu’il ne s’agit pas là d’un rêve.

En parlant de rêve…

Mes yeux dévient rapidement en direction de Kaiba, hermétique à toute forme de joie. Il patiente bras et jambes croisés, focalisé sur le mur d’en face. Était-ce réel ? Je me rappelle l’avoir entraperçu dans mon rêve, plus petit, accompagné de Mokuba. 

- « On va pouvoir enfin rentrer chez nous. » Chantonne Téa en se levant pour rejoindre la place libre à côté de Yugi.

- « Enfin, ça tu peux le dire ! » Surenchérit Joey. « Je donnerai n’importe quoi pour un bon petit plat maison ! 

- Il est hors de question que je vous ramène au Japon. »

Le ton de Kaiba ne laisse place à aucune plaisanterie. Tout le monde se tait dans l’attente d’un ajout de sa part, ce qui provoque un malaise plutôt gênant. Ce n’est qu’au bout d’une minute de silence que Yugi se dévoue à affronter le mauvais caractère du PDG.

- « S’il te plaît Kaiba, peux-tu nous ramener ? 

- Ouais, c’est vrai, tu pourrais te montrer un peu sympa. » Ajoute le blondinet à côté de moi.

- « Je n’ai aucune raison de me montrer clément avec des individus de ton espèce, Wheeler. Roland va vous déposer près du laboratoire du Professeur Hawkins pendant que je retournerai prendre le contrôle de ma société. Je n’ai aucune envie de m’afficher avec des gamins de votre genre. »

Il est bien loin le Kaiba outré avec qui j’ai partagé un vol en hélicoptère. Sa rancœur envers notre groupe a resurgi dès qu’il n’avait plus besoin de nous. Du Kaiba dans toute sa splendeur.

- « Sérieusement ? Tu abuses mec ! »

Peu importe quelle énergie Joey et Tristan dépenseront, il ne changera pas d’avis. De mon côté, je me balade tranquillement dans ma messagerie, impatiente de raconter à Zoé tout ce qu’elle a manqué ces derniers jours.

 

Comme annoncé, l’hélicoptère de Kaiba a atterri dans la pampa californienne, dans un petit havre de paix entouré de forêts, non loin des ruines du laboratoire du Professeur Hawkins. Il semblerait d’ailleurs que celui-ci ait garé son camping-car non loin. Au moins, nous ne dormirons pas au beau milieu de nulle part cette nuit.

Pour une fille riche, je trouve que tu te contentes de bien peu de choses.

J’ai failli passer une nuit dans un désert pendant ton absence, alors crois-moi, même une banquette miteuse et rongée par les cafards me conviendrait. Les raclements de gorge de Kaiba m’indiquent que je descends de l’appareil bien trop lentement à son goût. Seul Rafael a apparemment le droit de poursuivre le voyage à bord. Après tout, c’est le seul non Japonais parmi nous tous, il mérite un minimum de considération.

J’avais oublié à quel point ton esprit était rempli de conneries.

Je tique et réprime un grognement. Comment ai-je pu regretter une seule seconde les commentaires incessants d’Eléonore ? Certainement un moment de faiblesse de ma part.

- « Lorène. »

Dès que je pose le pied sur la terre ferme, je pivote en direction de l’appel. Rafael se tient à la porte de l’hélicoptère. La présence de tout ce beau monde m’a empêché de lui parler durant tout le trajet, je commence à le regretter un peu quand je croise son regard. Ses traits détendus contrastent tant avec l’image qu’il transparaissait lors de notre duel. L’envie me prend de remonter à l’intérieur de l’appareil, mais je suis certaine de Kaiba m’assassinerait si j’y remettais ne serait-ce qu’un pied.

- « Rafael ?

- Merci. »

Ses remerciements me prennent de court. Pourquoi ? Je le dévisage longuement avant qu’il ne choisisse enfin de reprendre la parole.

- « Tu avais raison. Ce monde n’est pas blanc ou noir. J’aurais dû le comprendre au lieu de servir bêtement Dartz dans ses desseins maléfiques.

- O-Oh ! Ça ! » Ma voix explose dans les aigus sous l’embarras qui me colore les joues. « Ce n’est pas grand-chose, on a tous été un peu stupides ces jours-ci ! Contente d’avoir pu t’aider ! »

Je bégaie légèrement. Quelle idiote je dois faire devant lui. Je devrais être celle qui le remercie. Après tout, il s’est sacrifié à la Grande Créature quand j’hésitais à utiliser la pierre d’orichalque. Ses lèvres s’étirent dans un sourire indescriptible. Soudain, je me souviens de nos derniers moments et esquisse un pas dans sa direction.

- « M-Merci infiniment ! Pour ton message ! »

Pas besoin d’en dévoiler davantage pour qu’il comprenne mon allusion. Il se contente d’hocher la tête avant de reculer, sous les ordres du majordome de Kaiba.

- « Un jour mon Gardien Eatos affrontera ton Âme de Pureté à nouveau. » Déclare-t-il dos à moi.

- « Avec plaisir ! » Je m’écrie avant de rejoindre les autres qui n’ont pas manqué une seconde de cette scène.

Mes sentiments sont mélangés entre l’embarra et la joie. Je ne parviens à soutenir le regard de personne et me triture les doigts à hauteur de mes hanches.

- « Tu rougis bien beaucoup, dis-moi. » Remarque Joey d’un ton suspicieux.

Impossible de cacher quoi que ce soit, je réponds d’un rire sans oser croiser ses yeux. Difficile d’admettre à quel point les remerciements de Rafael m’ont touchée. L’océan de reproches dans lequel je me noyais me parait moins profond. Je me sentirais presque prête à m’y prélasser sans crainte.

 

Le début de la soirée s’annonce calme. Le professeur Hawkins et sa petite-fille nous ont accueilli avec joie dans leur maison de fortune, bien que l’habitation semble un peu petite pour nous sept. Je soupçonne Rebecca d’avoir forcé la main à son grand-père afin de passer du temps en compagnie de Yugi. A la fin d’un repas particulièrement animé durant lequel les autres se vantaient de leurs exploits face au redoutable Dartz, je profite d’un monologue de Téa sur l’importance de l’amitié en période d’apocalypse pour m’éclipser dans le petit bois. Selon les dires de la petite surdouée, un lac s’étend à quelques mètres d’ici, de quoi profiter d’un moment de calme.

- « J’en peux plus de les entendre brailler. »

Il me faut un temps d’adaptation à l’emprise d’Eléonore. Instinctivement, je porte une main à mes lèvres les caresse distraitement.

- « Si tu savais à quel point c’était silencieux sans toi. 

- Les gens n’ont rien à dire quand je ne suis pas là. »

Je suis sur le point de la contredire quand mon attention est captée par le paysage étendu à l’horizon. Le fameux lac s’étend au-delà de la forêt. La surface de l’eau reflète les réverbérations de la lune, déformée par d’infimes ondes causées par l’activité de la faune aquatique. Mes pieds s’arrêtent à deux pas de l’eau.

- « Que dirais-tu d’un bain de minuit, ma chère ? »

Je pouffe du nez.

- « Ne dis pas de bêtise, n’importe qui pourrait nous surprendre.

- C’est tout l’intérêt.

- Je te reconnais bien là… »

Je secoue la tête doucement et me déchausse pour glisser mes pieds dans l’eau gelée du lac. Cette sensation de fraicheur me procure un frisson délicieux de la racine de mes cheveux au bout de mes orteils.

- « Si tu savais à combien j’étais perdue sans toi… » Je marmonne en m’allongeant sur le dos dans un soupir de bien-être.

- « J’espère bien. Après tout, nous sommes destinées à vivre ensemble pour de longues années. »

Elle a lâché ça comme une évidence avérée. Est-ce si mal de partager son corps avec quelqu’un d’autre jusqu’à la fin de mes jours ? Si je n’avais pas appris l’origine de notre rencontre, je ne me serais probablement pas posé la question. Trouver un moyen me libérer d’elle me paraissait indiscutable jusqu’aujourd’hui. Mes objectifs auraient-ils vraiment changé ?

- « Je t’entends cogiter. Ton âme s’affole.

- Oups… Des fois j’oublie que tu peux capter mes pensées.

- Pour mon plus grand plaisir. »

Quelle imbécile… Je suis si heureuse de la retrouver, je me sens désormais si… complète ?

- « Eléonore, je peux te poser une question ?

- Ce n’est pas comme si je pouvais m’enfuir pour l’éviter.

- Est-ce que c’est pour cette raison que tu détestes Pegasus ? Parce qu’il nous a connectées l’une à l’autre par l’œil du Millénium ? »

Cette question me trottait dans l’esprit depuis ma rencontre avec Dartz.

- « Ce type n’a pas hésité un instant à sacrifier une gamine pour ses propres ambitions. J’aurais pu te tuer, tu le sais ? A l’instant où je suis entrée en possession de ton corps, je voulais brûler tout ton être, te réduire en cendres sous les yeux de Shadi. »

Son ton est si grave qu’une pointe d’angoisse me soulève la poitrine. Je me souviens de sa confrontation avec Ishizu, lors du tournoi de Bataille Ville. Elle n’avait pas hésité à enfoncer ce couteau dans mon bras pour la mettre au défi. Eléonore éclate de rire intérieurement.

- « Ils ont tous cherché à se débarrasser de moi comme de la pire des pouritures. 

- Pourquoi m’avoir épargnée ? » Je demande un peu brusquement.

- « Parce que je me suis reconnue à l’intérieur de toi. Tu étais une pauvre gamine egocentrique qui ne jurait que par ce type qui promettait de te ramener. Ce putain de Pegasus. »

Ma bouche s’étire dans une moue boudeuse.

- « J’ai eu envie de m’amuser un peu. Je savais que, tôt ou tard, nous allions nous revoir, Pegasus et moi. Quelle surprise de rencontrer ce connard de pharaon à la place ! »

Son rire mauvais fuse dans les airs, si fort qu’il a pu alerter les occupants du camping-car. Dans mes pensées, je me revois debout dans le bureau de Maximilien Pegasus, sa carte déchirée en deux morceaux à mes pieds, gisant sur la moquette.

- « Je n’ai jamais été aussi fière de toi qu’à ce moment-là. 

- M-Merci. » Je bafouille, peu sûre.

Je me demande s’il est revenu à lui-même, comme tous les autres. Je remonte ma main le long de ma veste. Les cartes ont disparu, je l’ai constaté dans l’hélicoptère. A vrai dire, je ne me rappelle plus bien si quelqu’un avait décidé d’emporter l’illustration à l’effigie de Maximilien Pegasus. Eléonore chasse aussitôt cette pensée de mon esprit.

- « Ne casse pas l’ambiance. »

J’expire, frôlant sur bout des doigts l’herbe légèrement mouillés sous mon corps. Les yeux rivés vers le ciel, je songe à quel point cet obscurité n’a rien avoir avec celle à laquelle j’étais confrontée quelques heures plus tôt. Et maintenant que tout est terminé, vais-je devoir l’affronter à nouveau ?

- « J’aurais dû me douter que je te trouverais ici. »

Allongée, je pousse légèrement sur mes jambes repliées pour croiser le regard de celui qui ose briser ce moment de calme. Même à l’envers, je décèle le sourire amusé de Joey tandis qu’il s’approche à une allure tranquille. Sans décroche un mot, je suis sa silhouette s’approcher jusqu’à s’asseoir à côté de moi.

- « J’ai un truc sur le visage. » Me demande-t-il, au bout de quelques secondes.

Je détourne aussitôt les yeux vers le ciel. C’est tellement étrange de le revoir en chair et en os à porté de main après l’avoir découvert inconscient, dénudé de son âme dans les bras de Mai. Je grimace, cela ne remonte qu’à quelques heures tout au plus !

- « Non, non. » Je réponds un peu tardivement.

- « Les autres m’ont raconté ton duel contre Mai. »

D’après le ton qu’il emploie, il n’est pas en colère contre moi. Non, cela sonnait plutôt comme un constat, une simple information qu’il tenait à me délivrer. J’acquiesce doucement, ne sachant pas si je suis supposée poursuivre le sujet ou juste me taire.

- « Je suis content que tu te sois arrêtée à temps. »

Sa phrase reste en suspens dans les airs. Je continue de fixer le ciel, l’esprit totalement vide. Une sorte de blocage m’empêche de mettre des mots sur ce que je ressens. C’était pourtant plus facile lorsque je faisais face à la grande blonde. J’étais bien plus loquace que maintenant.

- « Tu m’écoutes ? »

Était-ce mon imagination qui me jouait des tours où Joey s’est-il réellement interposé entre elle et moi ? Une vive douleur à la hanche me tire un cri aigu.

- « Aïe ! Ca ne va pas ?!

- C’est à toi de poser la question ! »

Sa moue me fait immédiatement oublier son affront. Je me redresse et me penche vers mes genoux pour les entourer de mes bras. Quelques mèches glissent sur ma peau froide.

- « J’en sais rien ! Tu ne trouves pas ça bizarre que tout revienne dans l’ordre, d’un coup ? J’ai l’impression qu’il y a une heure encore j’étais sur le point de détruire Mai pour ce qu’elle t’a fait subir ! Et là tout le monde sourit à nouveau, comme si rien ne s’était passé ! »

Je remarque à la fin de ma phrase à quel point mon débit et le volume de ma voix ont augmenté crescendo. Joey se contente de me fixer, presque ahuri de me voir dans un tel état. Ma poitrine se soulève et s’abaisse rapidement alors que mes ongles s’enfoncent dans ma peau. Je crois rêver lorsque son rire éclate à mes oreilles.

- « Tu te moques de moi ?

- Tu devrais voir ta tête, je te jure ! »

Outrée, je croise les bras et me focalise sur les ondes de l’eau.

- « Je pensais que tu étais habitué avec nous. Même s’il nous arrive le pire des malheurs, on finit toujours par s’en sortir. Regarde-nous, on vient de sauver le monde, sans même que les gens du monde entier sache le danger qu’ils ont évité ! »

Son air désinvolte et détacher me rend quelque peu perplexe. Peut-on véritablement se remettre aussi facilement de la perte de son âme ? Ce type est définitivement un alien à mes yeux.

- « Et ça te va de risquer ta vie, comme ça ? »

Il ne prend pas plus d’une seconde pour me répondre avec ferveur :

- « Jamais je n’abandonnerai Yugi. Il avait besoin de nous, alors nous avons répondu présent. »

Des centaines de questions me brûlent les lèvres, mais aucune ne parvient à les franchir. Et sa sœur dans tout ça ? Et tous les gens qui l’aiment ? Qu’auraient-ils fait si la perte de son âme s’était avérée irréversible ? Frustrée, je plonge une main dans mes cheveux et penche la tête pour observer le mouvement de l’herbe sous la brise nocturne.

- « C’est quand même fou que tu me poses cette question alors que tu es allée droit dans la gueule du loup. »

Je relève brusquement le visage pour le toiser, intriguée. Joey pousse un grognement en s’allongeant sur l’herbe.

- « Je te jure, j’ai cru que j’allais te tuer quand on a appris que tu t’étais barrée pour retrouver Dartz. 

- Je n’aurais pas été très utile avec vous, avec Atem qui…

- Je me fiche d’Atem, tu aurais pu rester pour moi. »

L’entendre déclarer ce genre d’inepties teintées d’égoïsme me surprend, surtout venant de sa part. Comment aurais-je pu les suivre sagement alors que lui-même n’avait qu’un nom à la bouche depuis le début ?

- « Désolé si je t’ai saoulé avec Mai. »

Je reporte mon attention sur l’horizon. Qu’est-ce que c’est chiant quand quelqu’un vous donne l’impression de lire dans vos pensées les plus sombres. Je remonte mes bras sur mes genoux et y pose mon menton. Tiens, cela fait un moment que je n’ai pas entendu la moindre réflexion d’Eléonore.

J’attends le meilleur moment pour lui pincer les testicules. Mais vas-y, fais comme si je n’étais pas là.

Je dissimule mes joues cramoisies sous mes cheveux. Jamais plus, je ne lui demanderai son avis.

- « Ce n’est pas grave. » Je bredouille sans grande conviction. « Mon obsession pour Zoé n’a pas dû être agréable non plus.

- Tu peux parler, j’ai cru un instant que tu me trompais avec elle. »

Du coin de l’œil, je l’entrevois se marrer intérieurement. Il n’arrête jamais, décidément. Mais avant que je ne puisse répliquer quoi que ce soit, sa main agrippe mon bras et m’attire contre lui. J’atterris le flan droit contre le sol, pressé par son bras. Par réflexe, je tente de me hisser sur mon coude pour résister à sa poigne et rencontre ses yeux bruns, rieurs.

- « J’ai percuté, tu sais. » Je souffle.

Il échappe un pouffement et remonte sa main libre dans le creux de mon cou.

- « Je n’en ai jamais douté. »

Il n’a pas eu besoin de m’entrainer vers lui que je me penche naturellement pour ravir ses lèvres. Malgré le flot de questions qui s’échouent dans ma tête, je décide de les mettre de côté pour profiter de l’accalmie. Puis s’il s’agit d’un énième rêve, alors je serai idiote de ne pas profiter de sa présence une dernière fois.

 


 

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