Âme de Pureté

Chapitre 52 : Orichalcos: chapitre 52

3245 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/10/2019 15:11

Les rues se ressemblent toutes, chaque intersection fourmille de créatures obscures aux griffes acérées et aux dents pointues. A la sortie du terrain vague sur lequel je venais de laisser Mai, j’ai immédiatement réactivé mon disque de duel, récupérant ainsi les monstres ayant péri au combat quelques minutes auparavant. Tandis que je m’engouffre dans une ruelle étroite pour échapper à une embuscade, je vérifie que personne ne m’a suivie dans ma fuite.

- « Ninja Blanc, attaque ! » Je m’écrie en plaquant ma carte contre le disque.

Les ombres rampantes qui serpentaient les murs disparaissent à coups de sabre. La voie est libre, ma cadence ralentit au fur et à mesure que je sillonne la ville. Mes jambes refusent de maintenir le rythme, je dois m’abandonner à ma détermination pour ne pas flancher. Où était l’immeuble de Dartz déjà ? Dans cette pénombre, impossible de se repérer. Je m’oriente tant bien que mal, mais chaque embranchement ressemble curieusement à celui que j’ai traversé cinq minutes plus tôt.

- « Duo Gellen, à vous ! »

Combien de temps va durer ce petit jeu ? Mon cœur cogne durement contre ma poitrine, m’implorant ne serait-ce que dix secondes de répit. Mais je ne peux pas, je dois courir, je dois retrouver Dartz avant qu’il ne soit trop tard. Au bout d’une avenue dont les lampadaires crépitent de faibles étincelles, un nouveau choix de direction s’impose à moi. Continuer à gauche où se profilent des commerces de quartier ou m’enfoncer davantage dans l’obscurité à ma droite. Le grondement d’une énième horde de monstres m’intime de me décider rapidement si je ne veux pas finir en lambeaux sous leurs griffes. Je jauge les deux directions, et, emportée par une poussée d’adrénaline, bifurque vers l’embranchement plongé dans les ténèbres. Cependant, au bout de quelques mètres, un hurlement éclate juste en face de moi. Dans ma peur, je trébuche et heurte le sol dans un gémissement plaintif. Mon cœur résonne dans mes oreilles, je ne parviens pas à déceler l’origine du bruit. Mes mouvements se saccadent, je tente tant bien que mal de tirer une carte de mon disque. Impossible à cause de ces foutus tremblements. Tétanisée et aveugle, j’abandonne l’idée de rester discrète et expire bruyamment.

- « Merde ! » Je jure à bout de souffle.

Le grognement reprend de plus belle, je suis allongée sur le ventre, le visage plaqué contre le bitume froid et dur. Mes membres ne répondent plus. Toute mon énergie s’est essoufflée le long de mes stupides duels. Je serre les dents, dans l’attente d’en subir les conséquences.

- « Z-Zoé… »

J’aimerais lui dire à quel point je suis désolée d’avoir déclenché tout ce bordel, lui confier combien je me suis démenée pour la ramener en vie. En vain.

Peut-être vaut-il mieux qu’elle ne sache jamais à quel point je me suis plantée.

Soudain, un éclair blanc scintillant explose sous mes yeux. Il défait les ombres l’espace d’un instant et dévoile une armée de monstres prêts à me sauter dessus. La déferlante les annihile dans un boucan assourdissant. Toujours incapable de bouger, je constate avec surprise qu’on vient de me sauver la vie.

- « Mer…ci. » Je bredouille, si bas que personne d’autre que moi ne m’a entendue.

L’esprit vidé, je ne réagis pas lorsqu’une douce chaleur s’empare de la partie émergée de mon visage. La sensation d’une caresse douce qui m’arracherait les larmes si je n’étais pas aussi épuisée. Cela ne dure que quelques secondes avant que le froid ne reprenne ses droits. Néanmoins, aux bruits de frottement à proximité, je devine la présence de mon sauveur. Qu’attend-il pour me relever et m’emporter au loin ? Un claquement signification me tire de mes pensées. On dirait le son produit par les duellistes lorsqu’ils piochent une carte de leur disque.

- « C’est terminé. »

Mon cœur si agité dernièrement manque de s’éteindre. Cette voix grave… Une brusque lumière verdâtre se déclenche depuis mon bras gauche. Le sol se creuse des symboles du Sceau d’Orichalque. J’essaie de tendre le cou pour croiser le regard de mon vis-à-vis mais j’en suis incapable. Puis le silence glaçant se brise par un léger clic. Des chaussures entrent dans mon champ de vision : des bottes noires ceinturées. Le cercle se réduit jusqu’à n’entourer que mon corps.

Je vais… mourir ?

Je n’ai pas le temps de me pencher sur la question qu’une vive douleur me transperce de part en part et réduise le peu de clarté qu’il me restait à néant.

 

- « Eléonore, c’est ça ton nom ? »

Assise dans ce qui ressemblait de près ou de loin à une salle de classe, je baisse les yeux sur mon interlocuteur, un gamin grassouillet dont les oreilles sont si décollées qu’il pourrait s’envoler s’il le voulait. Il est accompagné de deux autres garçons, plus petits, dont les ricanements aigus fusaient à chaque fois que le plus grand débitait des conneries.

- « Allez, sois pas timide, on est gentils nous ! » Insiste-t-il en tapant du poing sur ma table.

Je sursaute, encore un qui ne sait pas s’adresser correctement à une fille de mon genre. Maman disait toujours qu’il ne fallait pas prêter attention à ce genre de garçon, loin de mon rang.

- « Tu es moche, va-t’en. » Je réponds sans lui oser un regard.

Son poing s’abat à nouveau sur mon bureau, provoquant un vacarme dans la pièce. Ses deux amis crissent comme de vulgaires insectes. Par réflexe, je descends les yeux sur le fauteur de troubles et remarque que ses oreilles ont viré au rouge vif.

- « Tu t’es pas vue, sale peste ! Personne t’adoptera ! »

M’adopter ? Je hausse les épaules et affiche un grand sourire.

- « Pas besoin de m’adopter ! Tonton Max va venir me chercher, il doit déjà être en route ! »

Il éclate de rire. Je ne comprends vraiment pas pourquoi. Il n’y a rien de drôle. Tonton Max vient toujours me chercher quand papa et maman ne sont pas là.

- « Vous l’avez entendue, les gars ? Elle croit encore qu’ils vont venir alors qu’elle est abandonnée ! Wouf wouf, le pauvre chien au bord de la route ! »

Je ne réagis pas. Ses paroles ne font aucun sens pour moi. Il enchaine sur une série d’aboiements aussi grotesques les uns que les autres. Les deux insectes ricanent de plus belle. On n’entend qu’eux dans cette salle de classe.

- « Vous pouvez vous taire ? Vous êtes dérangeants à rire sans arrêt. »

Cette demande provient du fond de la salle, d’un garçon aux cheveux bruns assis à une table avec un autre enfant, plus petit. On dirait qu’il lui faisait la lecture. Pourtant, sans son intervention, je n’aurais pas remarqué leur présence.

- « Qu’est-ce ‘tu veux toi ? Tu ne seras pas adopté non plus, surtout avec ce faible que tu trimballes ! »

Le grassouillet pointe sans vergogne le pauvre garçon à l’air apeuré qui esquisse un léger mouvement de recul. Malgré l’affront, le brun ne démontre pas la moindre animosité.

- « Parce que tu penses que des parents vont choisir un gros comme toi ? Tu es aussi insignifiant que nous tous ici, voire même plus. »

Je pousse un petit rire, ce qui me vaut un regard noir du principal intéressé. Ses sbires cessent de rire et intiment à grassouillet de se diriger vers la sortie. Sûrement n’ont-ils pas envie de se faire ridiculiser à leur tour par ce garçon aux intenses yeux bleus. Mais avant de quitter la salle de classe, le fauteur de trouble se retourne vers eux et crache :

- « De toute façon, je suis sûr que vous mentez et que vous n’êtes pas frères ! Vous ne vous ressemblez même pas ! »

Il referme la porte coulissante sans attendre de réponse. Un silence de corbeau s’installe. Je fixe la table du fond et particulièrement le plus jeune qui semble à deux doigts de fondre en larmes.

- « Ils sont méchants. » Je déclare en me levant de ma chaise. « Maman disait qu’il n’y a que les riches qui ont le droit d’être méchants.

- P-Pourquoi que les riches ? » Me demande nerveusement le plus petit.

- « Parce que si les pauvres n’étaient pas gentils, alors ils n’auraient rien pour eux. »

Les présumés frères me dévisagent un moment avant de s’échanger un regard indescriptible. Je penche la tête sur le côté et lis distraitement le titre du livre ouvert devant eux.

- « C’est quoi vos noms ? »

Le plus âgé hésite à me répondre.

- « Moi c’est Mokuba. 

- … Seto. » Souffle-t-il finalement.

- « Moi c’est Eléonore. »

Peu importe s’ils le savaient à cause de Grassouillet, je préfère leur rappeler mon magnifique prénom, choisi par papa. N’ayant pas envie de passer la journée seule, je décide d’attraper la première chaise libre et de la coller à leur table sans leur permission. Seto me suit des yeux, on dirait qu’il veut me remballer, mais ne le fait pas. Après tout, on ne peut rien refuser à cette magnifique bouille, comme dit tout le temps Tonton Max.

- « Hé, je suis sûre qu’il se trompait et que vous êtes frères. J’en ai vu des frères dans ma vie, et ils ne se ressemblent pas forcément ! »

Mokuba affiche désormais un grand sourire, visiblement rassuré par mes paroles.

- « Il faut que tu arrêtes de dire aux autres qu’on va venir te chercher. »

La phrase de Seto reste en suspens, je le regarde, dans l’attente d’une suite qui ne vient pas. Comment ose-t-il s’adresser à moi de la sorte ? Moi qui le pensais mieux que Grassouillet !

- « Tu mens. Tonton Max viendra bientôt, il me l’a promis quand il m’a déposée ici. 

- Cela fait un mois que tu es ici. » Rétorque-t-il d’un ton plus dur.

Je lève les yeux au plafond. Un mois, déjà ? J’ai de vagues souvenirs d’avoir compté les sept premiers jours dans cet endroit, mais la suite me parait un peu flou.

- « Et lors de la dernière visite de potentiels parents, tu as soulevé les robes des autres filles pour ne pas qu’ils t’adoptent. 

- Non, ces gens ne voulaient pas m’adopter, ils m’ont juste demandé si j’avais des talents particuliers ! »

Et puis ce n’est pas ma faute si toutes les autres filles portaient des robes ringardes, j’ai juste voulu les rendre un peu plus attrayantes.

- « Tout le monde est jaloux ici ! » Je clame si fort que ma voix résonne. « Vous êtes jaloux parce que vous ne savez pas où vous allez atterrir alors que moi, je vais juste rentrer chez moi avec Tonton Max et Chris ! »

Mokuba me fuit du regard, Seto pousse un long soupir blasé. Tous les enfants ici sont jaloux et ils le seront encore plus quand ils me verront sortir aux bras de mes deux futurs maris dans une grande voiture !

- « Si c’était le cas, ils ne t’auraient pas déposé dans un orphelinat. » Conclut Seto en tournant la page de son livre.

L’absence de méchanceté dans sa voix me déconcerte un peu. Un orphelinat ? Non, ce n’est qu’un camp pour enfants dans lequel on m’a déposé le temps que l’histoire de papa et maman disparaisse. Tonton me l’a dit « C’est pour toi qu’on fait ça. » avant de m’embrasser sur le front.

La porte s’ouvre subitement sur l’une des gentilles dames qui se chargent des repas.

- « Les enfants, vous devriez sortir. Il y a des gens dehors spécialement pour vous ! »

Ma chaise crisse contre le parquet lorsque je me lève d’un coup.

- « C’est sûrement Tonton Max ! »

Je lance un rire à destination des deux frères et me précipite dans le couloir. L’impression de revivre la même scène encore et encore, mais cette fois, c’est le bon jour ! Le vent fouette mes longs cheveux blonds quand je franchis la cour. En dépit des enfants qui s’agglutinent au portail, je les bouscule un à un pour être la première à apercevoir ma famille.

- « Oh regarde, elle est trop chou ! » S’exclame une dame aux rides beaucoup trop prononcées pour s’estimer devenir ma mère.

Je réprime l’envie de répondre et me décale sur le côté lorsqu’elle tente de toucher la moindre mèche de mes cheveux. La foule se disperse dans toute la cour, l’occasion pour moi de scruter le parking depuis le grillage. Une limousine, je cherche une limousine. Mais je ne vois rien. Alors j’essaie de me hisser à l’aide de mes bras avant d’être immédiatement réprimandée par le gardien.

- « Tonton Max ! » Je tente, les mains en étau autour de ma bouche.

Une fois, deux fois, cinq fois, puis une nouvelle remontrance du gardien. A l’autre bout de la cour, une dame du camp me hèle du bras pour me demander d’approcher. J’obéis sans hésitation, peut-être qu’il est déjà arrivé. Mais cet énième espoir s’effondre lorsque je croise deux silhouettes qui s’émerveillent à ma vue. Je n’écoute rien de ce qu’ils disent à mon sujet, préférant me concentrer sur la dame.

- « Eléonore, je te présente Monsieur et Madame Yoshida, ils sont venus spécialement de Tokyo pour te rencontrer. »

Je ne leur accorde pas un regard, ils ne m’intéressent pas.

- « Mais Tonton Max va…

- Eléonore. » M’interrompt-elle, le front creusé par ses traits tendus. « Ce n’est pas le moment. Présente-toi à Monsieur et Madame Yoshida. »

Ses mâchoires sont si serrées qu’elle peine à masquer son agacement. Néanmoins, il m’en faudra plus pour que j’abandonne l’idée de retrouver mon tonton. Après une profonde inspiration, je pivote en direction du couple et me cambre légèrement en avant.

- « Bonjour, je m’appelle Eléonore Pegasus. Désolée que vous ayez voyagé d’aussi loin pour rien, mais j’attends que Tonton Max et Chris viennent me chercher, je ne suis pas à adopter. Par contre, il y a deux garçons dans la salle de classe qui adoreraient vous rencontrer ! »

Une violente pression sur mon épaule me force à reculer. La dame me fusille des yeux, sa poigne est douloureuse, même lorsqu’elle se confond en excuse envers les potentiels parents.

- « Je suis confus, je pensais que cette enfant était disponible. » S’enquiert le monsieur.

- « Mais oui, elle l’est ! Eléonore est une fille très blagueuse vous savez ! »

L’empressement dans sa voix et ses bégaiements ne convainquent personne, moi y compris. Pas besoin d’en dire plus, à la manière dont la femme presse le bras de son mari, elle ne souhaite pas s’attarder ici. Je la comprends, moi non plus je n’ai pas envie de m’éterniser dans cet endroit. En dépit de tous les efforts pour les retenir, le couple quitte l’orphelinat, sous le regard médusé de la responsable. Mon sang se glace quand elle revient brusquement vers moi.

- « Eléonore, tu te rends compte à quel point on fait des pieds et des mains pour te faire adopter ? Et toi tu détruis tout notre travail pour des sottises !

- « Tonton va…

- Il ne viendra jamais te chercher ! Ils ont tous dit ça pour ne pas que tu piques une crise le jour où ils t’ont déposée ici ! Regarde autour de toi, petite, il y a des dizaines d’enfants qui attendent d’être adoptés et toi qui as cette chance, tu la gâches ! »

Ses cris alertent les autres visiteurs, tout le monde se braque sur nous. Elle bredouille de rapides excuses et s’empresse de rejoindre un couple de quarantenaire un peu plus loin. Je me retrouve donc seule, dans un brouhaha ambiant, sans que personne ne m’accorde la moindre attention. Ses mots tournent dans ma tête tandis que mes jambes se dirigent naturellement vers la porte de l’orphelinat où affluent bon nombre d’enfants. Tonton Max ne viendra pas me chercher ? Non, elle aussi doit sûrement mentir. Alors pourquoi Seto m’a-t-il dit que cela fait un mois que je suis ici ?

Ma main s’élève à hauteur de la porte de la salle de classe. J’hésite un instant et reste plantée sur le pas de la porte. Et s’ils avaient raison ? Mais pourquoi auraient-ils raison ?

A peine ces questions me martèlent-elles l’esprit que je tourne la poignée et surprends les deux frères non plus en train de lire mais s’affrontant sur un jeu de damier. Ne devraient-ils pas eux aussi être en train d’amadouer les potentiels parents afin de quitter cet horrible endroit ? Mon irruption ne leur a pas échappé. Mokuba me jauge du coin du regard alors que Seto me fixe franchement dans le blanc des yeux. Je referme la porte dans mon dos et m’avance jusqu’à la chaise que j’avais renversé quelques minutes auparavant.

- « Tonton Max n’est pas venu ? » Me lance-t-il d’une voix neutre.

Je secoue doucement la tête, masquant mes joues rougies derrière une poignée de mèches blondes.

- « Pas aujourd’hui. Est-ce que… Vous pouvez m’apprendre ce jeu ? »

Et, sans nous occuper de l’effervescence de l’autre côté de ces murs, nous avons commencé à jouer ensemble.


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