Âme de Pureté

Chapitre 49 : Orichalcos: chapitre 49

4471 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/10/2019 15:09

Plus je tire sur mes muscles pour déplacer ce corps bodybuildé à travers la ville, plus je me rends compte que cette vie de débauche ne me correspond pas. Bien que l'âme de Rafael ait disparu dans les méandres de l'orichalque, je ne pouvais pas me résoudre à l'abandonner au pied de l'immeuble. Pas après tout ce qu'il avait fait. Dans l'espoir de me découvrir une passion pour le transport de cadavres, j'ai enroulé ses bras autour de mes épaules et l'ai tracté sur une vingtaine de mètres, suffisamment loin pour m'enfoncer dans le dédale de buildings environnant.

- « Allez, réveille-toi et donne-moi un coup de main. » Je geins, sentant mes jambes sur le point de se dérober sous son poids.

La mâchoire serrée, je parviens à avancer de quelques pas avant de m'effondrer sur un pan de trottoir désert. Etrange, depuis mon arrivée en Floride, je n'ai croisé personne excepté les sbires de Dartz. Pas le moindre Américain sur lequel pratiquer mon anglais scolaire. Epuisée, je me munis de mon téléphone portable pour consulter l'heure. Mon effort surhumain pour nous éloigner m'arrache un haut-le-cœur. Je suis obligée de fermer les yeux un moment et de caler ma tête contre le mur de béton froid dans mon dos pour ne pas tomber dans les pommes.

L'absence d'Eléonore me pèse dans ces moments de solitude. Comme si sa simple mélodie au fond de mon être suffisait à dédramatiser la situation, à me faire oublier pendant un moment que je ne suis pas perdue au fin fond de l'Amérique avec une arme de destruction massive dans mon paquet de cartes.

- « Oh je pensais que tu parlais de moi comme arme de destruction massive. » Je siffle en imitant la voix suave d'Eléonore.

Je secoue vivement la tête. Hors de question de perdre la boule avant d'avoir ramené Zoé, Eléonore et Rafael dans ce putain de monde. Soudain, un moteur gronde au-dessus de la marre d'immeubles ternes. Je relève le menton et constate la présence d'un hélicoptère aux initiales familières. Mon cœur bondit dans ma poitrine, je resserre mon emprise sur le corps du jeune homme. Ça y est, nous sommes sauvés. Comme je m'y attendais, l'appareil descend doucement et pose au milieu de la route, heureusement dénudée de tout véhicule. Sans une once d'hésitation, j'assois le corps en position assise puis file en direction des rafales de vent. La porte de l'hélicoptère s'ouvre en trombe et, à l'instant où je m'arrête à quelques mètres, la silhouette longue et fine de Seto Kaiba se pose sur le sol.

Pour la première et dernière fois de ma vie, je m'estime chanceuse d'avoir croisé le chemin de ce type, dont l'air hautain n'a pas quitté le visage. Ce froncement de sourcils lorsque ses yeux rencontrent les miens m'avait presque manqué.

- « Faisons vite, Yuurei, cet imbécile a pris possession de la Kaiba Corp et j'ai autre chose à faire que de t'avoir dans les pattes. » Grogne-t-il en croisant les bras.

A l'instant où Roland, son majordome, touche la terre ferme, j'envoie valser l'accueil glacial de Kaiba pour l'épingler.

- « Au fond de cette ruelle, il y a un garçon plutôt costaud qui a besoin de soin.

- Je m'en charge. » Acquiesce-t-il directement.

Eh bien, je finirais peut-être par m'habituer à ce que les gens comme Chris et Roland m'obéissent sans émettre la moindre objection. Ce n'est qu'une fois que l'homme s'engouffre dans la rue indiquée que je reviens vers Kaiba.

- « Merci d'avoir accepté de venir. Dartz possède sûrement Illusions Industrielles à l'heure qu'il est. Où est Mokuba ? »

L'évocation de son petit-frère lui arrache un bruit rauque du fond de la gorge. L'espace de quelques secondes, je crains qu'il ne soit arrivé un accident à Mokuba.

- « Il est avec l'autre bande d'imbéciles, non loin d'ici. Je ne compte pas laisser mon petit-frère aux mains de ce type. Il va regretter de s'en être pris à la Kaiba Corp. »

Au moins, sa colère semble s’orienter sur Dartz plutôt que moi. Lorsque Roland s'échappe de la ruelle avec Rafael sur son dos, nous ne perdons pas plus de temps et, d'un accord tacite, montons à bord de l'hélicoptère.

Certes, Kaiba n'était pas mon premier choix lorsque je me suis retrouvée seule au pied de l'immeuble de Dartz. Cependant, il était le seul à être capable de localiser mon disque de duel en un rien de temps et d'envoyer des renforts. Néanmoins, je ne m'attendais pas à ce que votre altesse daigne bouger le petit doigt. Il faut dire que notre dernière confrontation ne m'a pas laissé un très bon goût.

- « Quelle surprise qu'une idiote dans ton genre ait compris que de rester avec ces imbéciles ne mènerait à rien. »

Sans m'accorder le moindre regard, Kaiba déballe ses insultes parfumées de rancœur. Une très belle façon d'entrer en matière.

- « Comment voulais-tu que je reste là-bas après ce qu'a fait le pharaon. » Je peste sur le même ton.

Curieusement, les membres du PDG se raidissent. On dirait que j'ai touché une corde sensible sans le vouloir. Les vibrations de l'appareil au moment du décollage me soulèvent l'estomac. Deux voyages en hélicoptères en deux jours, un record. Assise sur la banquette arrière, mes yeux se baladent sur l'espace que Kaiba a délibérément laissé entre nous. Chacun son hublot, chacun sa vie. Pourtant, après un jour passé auprès de la clique de Dartz, même le grand brun m'apparaît comme une source de réconfort.

- « Ils m'ont dit qu'un certain Alister allait t'affronter en duel. » Je reprends d'une voix basse, de peur de le déranger.

Seto lève les yeux au plafond dans l'unique but d'approfondir mon mal-être. Je toussote face au silence qu'il m'inflige. Décidément, même dans un moment aussi critique de l'existence, Kaiba reste égal à lui-même : un gros connard.

- « Il faudrait être idiot pour croire qu'un type comme Alister avait la moindre chance de me battre. » Finit-il par lâcher.

- « C'est ce qu'on pensait de Yugi également. » Je m'empresse d'ajouter sans une once d'animosité.

Pour la première fois depuis le décollage, Seto me fixe intensément. L'effroi s'est emparé de son visage. Cette vision de Kaiba me glace le sang. Je détourne rapidement mon attention de l'autre côté de la vitre. Des nuages gris menaçants se forment à l'horizon, nous fonçons droit vers une tempête, à moins qu'il ne s'agisse d'un phénomène beaucoup plus grave.

- « Comment a-t-il pu perdre contre qui que ce soit à part moi... »

Si nous n'étions pas que deux à l'arrière, je n'aurai pas identifié ce ton rauque à celui de Kaiba. Du coin de l'œil, je l'observe, prostré au fond de son siège, les yeux perdus dans le vague. Tout le monde pète un câble et on dirait bien que le grand Seto Kaiba ne déroge pas à la règle. Dur d'imaginer celui qui m'interdisait d'interférer avec son tournoi ainsi refermé sur lui-même.

- « Rafael était un bon duelliste, tu sais. »

Au fond de moi, je ressens une extrême fierté d'avoir vaincu celui qui a défait le maître du jeu. En dépit de la bienveillance de Rafael, il était devenu une grande menace pour ce monde dès lors qu'il arborait malgré lui le titre de champion. Ce qui signifie que ma victoire m'attribue automatiquement ce titre. Et ça, Kaiba ne pourra pas l'effacer.

- « Développe, Yuurei. » Maugrée Kaiba sans me quitter des yeux.

Amusée par son regain d'énergie négative, j'esquisse un petit rictus et balade ma main le long de ma poche en cuir. Le plus lentement du monde, je glisse mes doigts dans le renfoncement et y soustrait les trois cartes d'orichalque. Zoé. Eléonore. Rafael. Mon rire éclate dans le cockpit lorsque le jeune homme saisit l'ampleur de la situation. Son visage pâlit en un instant, au point où je crains qu'il ne me fasse une syncope dans les prochaines secondes.

- « Impossible, pas une duelliste de seconde zone comme toi. »

Ses lèvres bougent à peine, ses mots meurent au fond de sa gorge. Depuis notre première rencontre où il a délibérément endommagé mon disque de duel, c'est la toute première fois que je ressens le plaisir d'avoir l'ascendant contre lui. L'excitation me provoque des spasmes que j'essaie tant bien que mal de dissimuler.

- « Eh bien Kaiba, on dirait bien que la duelliste de seconde zone vient de te coiffer au poteau. » Je chantonne en m'affalant contre mon dossier.

Pour peu, j'en oublierais presque que je me trouve à bord d'un hélicoptère dont il peut me jeter à n'importe quel moment. Kaiba se pince l'arête du nez puis se penche en avant pour ancrer son regard bleu froid sur point fixe.

- « Je dois être en plein cauchemar. »

Ses doigts s'entremêlent contre ses cuisses tandis qu'il se redresse sans m'adresser le moindre regard. A cette distance, je perçois sa respiration troublée qu'il tâche de calmer. La maîtrise de Kaiba sur son propre corps m'impressionne. Rien avoir avec mes tressautements au moindre bruit ou mouvement malencontreux de sa part.

- « A qui le dis-tu... » Je soupire en reportant mon attention vers l'extérieur. « Quand tu penses qu'un type a réussi à créer une carte assez puissante pour absorber une âme et la détacher de son corps.

- Ce ne sont que des conneries. Et bien sûr tu y crois. »

Je lève un sourcil à sa remarque acerbe. Il en profite pour soutenir mon regard d'un air menaçant. Voilà le Seto Kaiba que je connais.

- « Disons que ma meilleure amie et Eléonore ont été emportée par ce truc. Si tu as une meilleure explication, n'hésite surtout pas. »

Il hausse les épaules et soupire doucement.

- « J'en ai assez d'écouter vos balivernes. Vous n'êtes tous que des idiots qui m'empêchez de gérer la Kaiba Corp. J'ai autre chose à faire que de vous suivre dans vos histoires futiles.

- Parle mieux à la nouvelle championne du Duel de Monstres. »

Il tique mais ne rétorque rien, ce qui a le don de m'amuser. J'ai définitivement trouvé un terrain sur lequel jouer avec ce mec. Qui l'eut cru.

- « Au fait, Kaiba, je peux te poser une question ?

- Non.

- Depuis quand tu savais pour mon lien avec Maximilien Pegasus ? »

Ce n'est certainement ni le lieu, ni l'heure d'entamer ce sujet avec Kaiba. Néanmoins, une telle occasion ne se représentera pas de sitôt, spécialement depuis la disparition d'Eléonore. Le grand brun fronce les sourcils et lève les yeux au plafond pendant de longues secondes. Je me demande s'il réfléchit réellement à ma question ou s'il cherche une manière convenante de m'envoyer balader. La seconde option m'apparaissait comme évidente quand il revient brusquement vers moi.

- « Ton petit jeu n'était pas crédible. Il ne m'a pas fallu longtemps pour me rendre compte de la supercherie. »

Je réprime un rire gêné auquel il répond d'un œil noir. S'il savait que je n'étais moi-même pas au courant de ma propre identité il y a encore deux semaines...

- « Tu croyais vraiment pouvoir me berner, après toutes ces années ? » Poursuit-il en croisant les bras sous son torse.

- « Je suis sûre que tu devais être beaucoup moins grincheux à l'orphelinat. » Je lance en secouant la tête. « Pour tout te dire, je n'ai pratiquement plus aucun souvenir de cette époque. Donc si tu pouvais me rafraichir la mémoire, je t'en saurai gré. »

Bien que formulée avec le plus grand soin, ma demande ne trouve aucune réponse. Kaiba fait immédiatement « non » de la tête, réduisant le peu de chance que j'avais de retrouver mes souvenirs par moi-même. Je doute qu'il me laisse questionner Mokuba à ce sujet et Eléonore semble peu disposée à me délivrer ces précieux fragments de mémoire.

- « C'est injuste. » Je gronde.

Je m'enfonce un peu plus dans mon siège et gonfle les joues. Kaiba et moi devons avoir le même âge, vu que nous nous sommes retrouvés dans la même classe à Domino City. Nous avons donc rejoint cet orphelinat à la même période de notre vie.

- « Le jour où mes parents m'ont récupérée là-bas. » Je continue, le regard dans le vague. « Je me souviens d'avoir vu Mokuba seul sur cette balançoire. Il m'observait et je me rappelle seulement d'avoir eu envie de le rejoindre.

- Je n'ai aucune envie de parler de cette période. C'est du passé, Yuurei. »

J'esquisse un large sourire devant son empressement.

- « Au moins, tu ne m'appelles plus Pegasus. »

Pas de réponse non plus. Un simple râle de gorge qui m'indique qu'il m'a bien entendue. Tant pis, je n'en tirerai rien de bon pour le moment. De toute façon, l'hélicoptère est déjà sur le point d'atterrir au sommet d'un immeuble indiqué par Kaiba lui-même. Dehors, la journée semble déjà bien avancée, au point où les nuages gris voire noirs ont recouvert une grande partie du ciel, plongeant la Floride dans l'obscurité. A moins que ce temps ne soit annonciateur de nouvelles épreuves pour chaque camp.

Lorsque l'appareil touche le sol, je talonne Kaiba jusqu'en bas du bâtiment. Dans l'étroite cabine faisant office d'ascenseur, nos épaules se touchent. L'atmosphère pesante approfondi ce sentiment d'angoisse qui me comprime la poitrine. J'inspire profondément et tente de retrouver l'assurance dont faisait preuve Eléonore.

- « Je suis tout de même surprise que le grand Seto Kaiba soit venu à mon secours aussi rapidement. »

Le principal intéressé ne bronche pas d'un poil.

- « J'ai demandé à Roland de brûler tout objet que tu as touché dans cet appareil. »

Sympathique. Je comptais lui répondre quand les portes de l'ascenseur s'ouvrent sur le rez-de-chaussée du bâtiment. Sans surprise, lorsque nous quittons l'accueil l'immeuble visiblement désert, une furie aux cheveux de corbeau se jette sur le jeune PDG.

- « Grand-frère ! » S'exclame Mokuba, le visage enfoui contre son ventre. « Tu as réussi ! »

Réussi ? J'adresse à Kaiba un regard perplexe. A quelques mètres de nous s'approchent des silhouettes familières. Mon corps entier frémit à l'image d'Atem sous les traits de Yugi. Les poings serrés, je me mords la lèvre inférieure pour réprimer la montée d'adrénaline dans mes veines. J'étais loin d'imaginer que les retrouvailles avec le pharaon me feraient un tel effet.

- « Lorène, content de te revoir. » Déclare-t-il en s'avançant d'un pas.

Instinctivement, je recule aussitôt.

- « M-Moi de même. »

Mon mouvement ne lui a pas échappé. Il baisse les yeux sur le sol tandis qu'un silence lourd s'installe sur notre groupe. Derrière lui, je compte Téa, Rebecca et Duke. Il manque donc deux personnes à l'appel.

- « Où sont Joey et Tristan ? » Je demande à l'attention de Duke, le plus à même de me répondre.

Celui-ci lance un œil à Atem, à la recherche d'une quelconque approbation de sa part. Le pharaon se redresse et se décide enfin à affronter mon regard.

- « Nous avons été séparés, nous devons partir au plus vite à leur recherche. S'il te plait, Lorène, joins-toi à nous. »

Autant de politesse de sa part contraste entièrement depuis notre dernier duel. Ses prunelles améthyste me scrutent de haut en bas. Sûrement a-t-il reconnu la veste de Mai, mais il n'exprime rien à ce sujet.

- « Vos petites retrouvailles me donnent envie de vomir. » Grince Kaiba.

Je manque de l'insulter, mais il vaudrait mieux que je garde mon énergie pour retrouver Joey. Ce n'est pas bon. Ainsi séparé du groupe, Mai n'aura aucun problème à l'affronter en duel. Qui sait si ce n'est pas déjà le cas.

- « En route. » Je réponds simplement en hochant le menton.

Kaiba ayant décrété qu'il n'avait plus rien à faire parmi nous, nous nous élançons à trois dans les rues de la ville. A vrai dire, j'aurais trouvé étrange qu'il nous aide dans la recherche de Joey. Atem a gentiment relayé Rebecca et Duke au grade d'observateurs. Je passe l'envie de m'interroger sur l'utilité de Téa dans cette situation, mais je compte suffisamment d'ennemis pour le moment. Le souffle court, nous nous arrêtons à chaque carrefour dans l'espoir d'y croiser les deux garçons disparus. Au bout d'un énième croisement, la fatigue commence à se faire ressentir dans le peloton de tête.

- « J'en peux plus... » Gémit Téa, les mains posées sur ses cuisses.

J'aimerais la bousculer un peu pour la pousser à courir plus vite, mais moi-même je me sens épuisée par le kilomètre que nous venons de parcourir. Un coup d'œil à Atem m'informe qu'il n'est pas dans une meilleure forme que nous.

- « Hé, qu'est-ce que c'est que ça ? » S'écrie la brune, l'index pointée au loin.

A l'autre bout de la rue, des créatures obscures se meuvent dans notre direction. Je plisse les yeux. Plus elles se rapprochent de notre position, plus elles ressemblent à des monstres de duel. 

- « Reculez derrière-moi ! »

Atem se redresse et se positionne devant nous. Sans une once d'hésitation, il brandit sa main vers le ciel pour activer son disque de duel. Evidemment, quoi de mieux pour se débarrasser de monstres que d'autres monstres ! Pendant que Téa se complait dans son rôle de figurante, je m'avance aux côtés du pharaon, prête à en découdre.

- « Si tu penses que je vais juste t'observer dans un coin pendant tu passes pour le héros, tu te trompes. » Je lui signale en déployant mon appareil à mon tour. « On ira plus vite à deux. »

Je crois déceler un sourire se dessiner sur ses lèvres.

- « Merci. »

Comme s'il ne s'agissait que d'un vulgaire duel, nous tirons chacun des cartes jusqu'à trouver des monstres prêts à l'assaut. Atem invoque Gaïa le Chevalier Implacable, accompagné de mon Loup Coup de Tonnerre Céleste. Les hologrammes se lancent à corps perdus et détruisent un à un les créatures des ténèbres puis retournent dans nos cimetières.

- « La voie est libre. »

Ce petit interlude nous a permis de reprendre notre souffle. Nous n'avons pas de temps à perdre, il faut absolument que nous retrouvions Joey et Tristan. Cette pensée tourne dans mon esprit, encore et encore, au point où aucune autre ne peut la balayer. Mon corps entier bouillonne, entre la course et le désir intense d'y parvenir avant Mai. Ma main se porte au niveau de mon flanc droit. La pierre d'orichalque n'a pas sauvé Rafael, mais elle peut toujours sauver Joey en cas de pépin.

- « Là-bas, encore des monstres ! » S'exclame Téa.

Les monstres ne sont pas notre principal souci. Une silhouette est allongée en-dessous de l'un d'eux, sur le point de se faire dévorer l'âme d'une quelconque manière. Bien sûr, ces créatures appartiennent à ce connard de Dartz ! Mes doigts agrippent la première carte sur mon paquet et la pose sur mon disque de duel.

- « Duo Gellen, attaquez ! »

Les deux boules roses et vertes s'élancent à la rescousse du pauvre mec, tétanisé. Les deux adorables boules se coordonnent pour réduire le monstre en poussière à coups de rayons lumineux. Atem leur vient en renfort à l'aide de son Gardien Celte.

- « Tristan ! »

Je tique aux appels de Téa. En effet, le garçon prostré s'avère être notre ami à la coupe en pointe. Enfin libéré de la menace environnante, il se relève et nous rejoint, les traits tendus par la peur.

- « Ces trucs m'ont poursuivi dans toute la ville ! J'ai bien cru que j'allais y rester ! »

Son attention se reporte immédiatement sur moi.

- « Content de te revoir, Lore-chan. » Souffle-t-il en m'adressant un léger sourire.

- « Tristan. » Reprend Atem de son éternel ton solennel. « Où est Joey ?

- Ah oui ! Justement, je le cherchais ! »

Mon sang ne fait qu'un tour.

- « Quoi ? Il n'était pas avec toi ?!

- Si, on était ensemble avant que ce type louche qui bosse pour Dartz ne le provoque. Ils sont partis en moto il y a un moment. Je n'ai pas pu les rattraper... »

Je serre la mâchoire. C'est très certainement l'œuvre de cet enfoiré de Valon. Mai et lui ne cessaient de se disputer l'honneur d'affronter Joey en duel. Et vu que mon cher blondinet ne se parvient pas à se contrôler, il a foncé tête baissée dans son piège !

- « Donc impossible de le localiser ? » S'inquiète Téa, recroquevillée sur elle-même.

- « Nous devons rester ensemble dorénavant et nous remettre à la recherche de Joey. »

Les instructions du pharaon m'insufflent une tout autre idée. Je croise les bras et toise mes trois compères japonais.

- « Nous n'avons aucune piste qui pourrait nous mener à lui. Un duelliste est suffisant pour combattre ces monstres. Je pars de mon côté Atem. »

Mais au moment de m'enfoncer dans une rue parallèle, une force m'empoigne le bras.

- « Non, c'est trop dangereux. Tu risques de te retrouver confrontée à un des disciples de Dartz. »

Je le dévisage un instant. S'il savait. D'un coup sec, je me libère de son emprise, déterminée à continuer le chemin par moi-même.

- « Et c'est le même risque qu'encoure Joey en suivant Valon. Désolée Atem, mais s'il y a la moindre de chance que je puisse le sauver, alors il est hors de question que tu m'empêches de partir. »

Ses yeux s'écarquillent sous la surprise. Le temps n'est plus à la sécurité, bien au contraire. Puis ce n'est pas la bande de Dartz qui va m'effrayer.

- « Fais attention à toi. » Me demande Tristan d'un air sérieux que je ne lui connaissais pas.

Je lui envoie un pouce en l'air et pivote dans le sens opposé.

La ville est dense et sinueuse. A cause des recoins peu éclairés dans lesquels je progresse tant bien que mal, je me perds assez rapidement et me guide à l'instinct. Je n'ai jamais eu le sens de l'orientation. Cette rue ressemble étrangement à celle que j'ai empruntée il y a une dizaine de minutes. Seule la brusque lueur du Sceau d'Orichalque fusant dans le ciel m'a permis de m'orienter dans le quartier. Pas de doute, Joey doit affronter quelqu'un en ce moment-même. Mon cœur tambourine dans ma poitrine à chaque clôture que j'escalade avec difficultés. Mes muscles sont fatigués de courir dans tous les sens, mais je ne peux pas m'arrêter en si bon chemin.

Soudain, un autre faisceau, beaucoup plus puissant cette fois-ci. Quelle aubaine, ce n'est qu'à quelques immeubles de ma position ! Mon cerveau ne répond plus, je m'élance à corps perdu, le regard figé sur le halo. Pourquoi celui-ci dure-t-il aussi longtemps ? Peu importe, cela m'aide à grimper le dernier mur menant sur une cour aux apparences d'une plaine de jeu désertée. Lorsque j'ai posé le pied sur la terre ferme, la lumière turquoise s'est interrompue, plongeant l'endroit dans une obscurité partiellement troublée par des lampadaires.

- « P-Pourquoi j'ai fait ça... »

Mon rythme cardiaque s'emballe. Je décèle des pleurs provenant d'un peu plus loin. Je contourne le grillage de l'air de jeu et identifie une première silhouette adossée à celui-ci. Des cheveux bruns décoiffés, des lunettes de motard et un disque de duel différent de ceux de la Kaiba Corp. Valon. Un hoquet attire mon attention. A quelques mètres, une jeune femme à la longue crinière blonde étreint un corps dont le visage est masqué par ses mèches.

- « Mai ? » Je tente, l'estomac noué.

Ses épaules tressautent, elle se tourne brutalement vers moi. Ses yeux sont noyés sous les larmes qui s'écoulent le long de ses joues. Ce mélange de perle et de maquillage lui donne un aspect pitoyable. Jamais depuis notre rencontre au Tam-Tam, je ne l'avais vu dans un tel état.

- « J-Je... »

Ses mots s'évanouissent dans un énième sanglot. Le visage baissé, elle ne remarque pas que je me suis rapprochée pour constater la raison de ses pleurs.

Joey. Livide. Inanimé.

- « Je suis tellement désolée. » Réussit-elle à articuler.

Impossible de dévier mon regard sur visage du blondinet, curieusement paisible. Mes pas me guident à sa hauteur, puis mes jambes cèdent finalement à la fatigue.

- « I-Il a vaincu Valon et je l'ai défié. »

Malgré les regrets qui imprègnent sa voix, je me mords la lèvre inférieure pour ne pas réagir violement à ses aveux.

- « Il était sur le point de gagner, m-mais son duel précédent l'a complètement vidé. Alors le Sceau... »

Le Sceau d'Orichalque l'a emporté. Mai n'a pas eu besoin de terminer sa phrase. J'ai été beaucoup trop lente. Pourquoi me suis-je reposée dans cette putain de chambre alors que j'aurais dû être à ses côtés pour l'empêcher de la combattre ?

Des larmes heurtent mes jambes, je me rends compte à ce moment que je suis aussi en train de pleurer. Ma gorge se noue tandis que je lève une main vers le visage de Joey. Sa peau habituellement si chaude est devenue glacée. Moi qui avais oublié l'incident de Bataille-Ville, je me remémore désormais les pleurs de sa sœur et le sentiment d'injustice qui m'avait envahie au moment où Joey avait rejoint le Royaume des Ombres. Mais cette fois, c'est différent. C'est une amie qui a causé sa perte. En fait non, déjà à l'époque, il avait succombé aux ténèbres par son naïf désir de sauver Mai. Cette dernière a rapidement essuyé ses yeux et se tient devant moi, sur ses deux jambes.

- « Viens, nous devons aller nous venger de Dartz. »


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