Âme de Pureté

Chapitre 45 : Orichalcos: chapitre 45

4306 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/10/2019 15:07

- « Tu connais le jeu Duel de Monstres ? »

J’avais posé cette question lors d’une sortie en ville. Nos pieds nous avaient mené jusqu’à une boutique de jeu en plein centre-ville de Flem. L’heure passait et nous étions déjà en retard pour notre service. La patronne allait certainement nous engueuler de ne pas être déjà prêtes et habillées de l’uniforme noir du Tam-Tam, mais pour une raison inconnue, j’ai préféré m’arrêter.

- « Ah, ce jeu de cartes avec des créatures moches ? 

- Hein ? Moche ? Comment peux-tu dire une chose pareille ? »

Piquée au vif, je dézippe mon sac et fouille énergiquement à l’intérieur. Bien que je n’affrontais personne en dehors de chez moi, j’emmenais toujours mon deck Ange et Lumière, calé précieusement entre deux manuels de cours. Cartes en mains, je les glissais une à une jusqu’à ce que l’illustration de deux boules roses et vertes n’apparaissent.

- « Regarde Duo Gellen [1700|0] droit dans les yeux et dis-leur qu’ils sont moches ! »

Amusée par ma réaction quelque peu exagérée, Zoé pouffe à voix haute puis se courbe brusquement en avant.

- « Veuillez m’excuser de cet affront, cher Duo Gellen. 

- Beaucoup mieux. »

Mes chères créatures retrouvent leur place dans mon sac de cours et nous reprenons d’un pas plus rapide le chemin vers le bar. Depuis le tournoi organisé sur l’île de Pegasus, des affiches sur le Duel de Monstres recouvraient une bonne partie des enseignes, sans oublier les chaines de télévision qui relayaient les sorties de nouvelles cartes. Personne dans la ville ignorait ce phénomène mondial que devenait le jeu de cartes.

- « Peut-être qu’un jour tu n’auras plus à servir des vieux ronchons et que tu gagneras de l’argent en jouant. 

- Sérieusement ? Je suis trop naze à ce jeu, il faudrait un miracle pour que je me décide à affronter le monde extérieur et les duellistes qu’il regorge. »

Le bras de Zoé s’est glissé sous le mien, elle m’a attirée contre elle, ignorant mes plaintes.

- « Les miracles n’arrivent jamais par hasard. Parfois, il faut leur donner un petit coup de pouce ! » S’est-elle exclamée en me baladant comme bon lui semble.

- « Lâche-moi ! »

 

Désormais, ses paroles tourbillonnent dans ma tête, comme si je trouvais en elles une raison qui m’a amenée dans ce putain de désert. Zoé comptait me pousser à jouer au Duel de Monstres depuis que je lui en avais parlé, ce jour-là. Tout n’est que supposition, mais en fin de compte, le vol du disque de duel d’Aigawa était sûrement ma faute depuis le début. Comment aurais-je pu penser une seconde à cette époque que j’affronterai le champion en titre ?

Mes pieds trainent contre le bitume sableux, les deux heures de marche n’ont pas aidé. Mes jambes menacent de s’écrouler sous mon poids si je ne m’accorde pas de pause dans les dix prochaines secondes. Fatiguée, je laisse tomber mon sac sur le sol et m’affale pour m’en servir d’oreiller. J’ai soif. Quelle idée de ne pas emporter de bouteille d’eau pour un voyage aussi intense que celui-ci. Et surtout, quelle idée de se barrer des seules personnes qui sont au courant de ma présence en Californie ? D’abord Chris, puis Joey et les autres… Le regard porté vers le ciel bleu parsemé de cotons blancs, j’inspire profondément et relâche la pression emmagasinée dans mes muscles. Il ne sert à rien de regretter mon choix, je vais bien finir par trouver une solution.

La Floride, c’est l’endroit où se cacherait le quartier général de Dartz et de toute sa clique. Malheureusement, ils ne disposent d’aucun moyen de s’y rendre dans l’immédiat. Avant de partir de mon côté, j’ai vaguement entendu Joey et Téa s’accorder sur un appel destiné à Kaiba. Ils comptaient sérieusement lui demander de les escorter. Mon rire fuse dans les airs. Comme si Kaiba allait se montrer clément envers eux. Le seul moyen qu’il accepte leur demande serait que Yugi accepte de livrer un duel contre lui en retour.

La dureté du sol commence à me rentrer dans la peau, au point où je songe à fusionner avec le bitume brûlant. Le bas de mon dos en contact avec le sable se consume au fil des minutes, mais la fatigue l’emporte largement sur la chaleur. Je donnerai tout l’argent du monde pour un cocktail et les pieds dans l’eau. Je vais peut-être mourir ici en fin de compte. Mon regard se balade aux alentours, rien que du sable et des montagnes, pas le moindre signe de vie. Ce serait idiot de crever après avoir survécu aux pouvoirs maléfiques de Marek.

- « Qu’est-ce que tu en penses, hein, Eléonore ? Ce serait con de ma part de mourir après ton sacrifice. » Je glousse les paupières closes à cause de la lumière.

Bien sûr, je ne reçois aucune réponse, si ce n’est le vent qui se lève pour me chatouiller les genoux. Est-ce étrange de regretter l’absence d’une entité supposée me pourrir la vie ? Personne à ma connaissance sauf Yugi et moi ne possède un être, un alter-égo, qui monopolise sa tête à longueur de journée. Est-ce que les schizophrènes vivent la même chose que moi ? A croire qu’il faille qu’Eléonore disparaisse de mon crâne pour que je me pose ce genre de questions stupides. Je ferai mieux de me lever et de marcher jusqu’à ce que je tombe sur un peu de civilisation. Croiser autre chose que des asiatiques me ferait le plus grand bien !

Soudain, des vrombissements. Je me redresse précipitamment et jauge les environs. Pourtant, je ne vois aucun véhicule à l’horizon. Le bruit semble se rapprocher de ma position. Ce n’est que lorsque je lève les yeux au ciel que j’aperçois un hélicoptère noir survoler les environs. Un instant, j’ai cru qu’il s’agissait d’un appareil de la Kaiba Corp, mais la sobriété de l’appareil a immédiatement anéanti cette proposition. L’engin s’éloigne doucement, tellement doucement qu’il descend progressivement. Des tourbillons se sables se projettent sous la pression des hélices. Ce spectacle dure jusqu’à l’arrêt complet de l’hélicoptère. Merde, ça ne me dit rien qui vaille. Prise d’une montée d’adrénaline, je me relève à la hâte et attrape mon sac, prête à rebrousser chemin. Tant pis si je tourne en rond, je préfère m’épuiser que d’atterrir dans les mains d’un psychopathe.

- « Hé ! Attends ! »

Mais à peine ai-je trottiné sur une dizaine de mètres que la voix d’un homme s’approche dans mon dos. Encore un putain de Japonais ?! Effrayée, je n’ose pas un regard par-dessus mon épaule et tâche de presser le pas. Rien en vue excepté des montagnes et elles sont trop éloignées pour que je puisse m’y réfugier.

- « Eléonore ! »

Prise de court, je ralentis et m’arrête brusquement. Eléonore ? Mais qui peut bien m’appeler de la sorte ? J’oublie vite mes craintes, remplacées par de l’incompréhension, et pivote pour faire face à mon présumé psychopathe. Mon sang se fige, ce type, inconnu de prime abord, atteint les deux mètres et ressemble à une armoire à glace. Instinctivement, j’esquisse quelques pas en arrière alors qu’il se rapproche d’un pas assuré.

- « Qui êtes-vous ? » Je demande, la voix tremblante.

Bien que sa voix ne me soit pas familière, son visage me dit vaguement quelque chose. Couvert d’un long manteau noir ceinturé aux manches, il porte un haut à col-roulé noir sur lequel pend fièrement une pierre émeraude. Derrière sa mâchoire carrée entourée de deux imposantes mèches blondes et ses yeux bleus, je pense reconnaître le gosse de l’article que Rebecca nous a montré.

- « Mon nom est Rafael. 

- Oh merde encore un Japonais ! »

Il a certainement constaté ma méfiance envers lui car il se stoppe à cinq mètres de distance.

- « Rafael… » Je répète en plissant les yeux. « Tu es un des sous-fifres de Dartz, pas vrai ? »

C’est aussi de sa faute si Yugi a été emporté par le Sceau d’Orichalque. S’il est ici, cela ne peut signifier qu’une seule chose.

- « Tu es venu m’affronter en duel ? 

- Pas du tout. 

- Hein ? »

Il se fout de ma gueule ? Pourtant, ses traits froncés m’indiquent tout le contraire. Pourquoi venir me chercher dans un foutu désert paumé dans ce cas ? Je le dévisage longuement et attend qu’il se décide à me fournir des explications.

- « Je suis venue te ramener à Maître Dartz, Eléonore. »

Mes méninges tournent à cent à l’heure, mais très vite la chaleur environnante m’empêche de réfléchir correctement. Comment ce Rafael supporte-t-il cette température avec son énorme manteau ? Il doit macérer à l’intérieur.

- « Suis-moi. » Déclare-t-il sans attendre la moindre réaction positive de ma part.

- « H-Hé, pourquoi tu m’appelles Eléonore, toi ? »

De toutes les questions que j’aurai pu lui poser, c’est bien celle-ci que j’ai choisie. Et au vu du regard noir qu’il me lance, je la regrette aussitôt.

- « Le Maître m’a demandé de venir récupérer une certaine Eléonore qui correspond à ton profil. Si tu n’es pas Eléonore, qui es-tu ? »

Son ton grave me donne des frissons. Il me rappelle curieusement celui de mon père, bien qu’on ne se soit plus adressé la parole depuis des mois. Toutefois, malgré sa carrure imposante, Rafael s’apparente à un mec d’une vingtaine d’années tout au plus.

- « Alors ? »

Tiraillée entre lui balancer mon nom ou imiter Eléonore le temps qu’il m’emmène à Dartz, je piétine sur place et m’avance à sa hauteur. Bon de toute façon, ils finiront par savoir qui je suis ? J’inspire profondément et me redresse subitement, les mains fièrement posées sur les hanches.

- « Evidemment que je suis Eléonore ! Qui d’autre veux-tu que je sois ? Franchement, je voulais juste m’assurer que tu savais à qui tu as affaire ! »

Rafael a affronté Atem et il a gagné. Il m’a retrouvée dans ce désert, commissionné pour ramener Eléonore, et il n’a pas l’intention de me vaincre en duel. Toutes ces informations s’entrechoquent dans ma tête, il me manque une pièce.

- « Je vois. »

Sans en dire plus, le jeune homme se dirige tout droit vers l’hélicoptère. Derrière, j’hésite un moment à le suivre. Après tout, je n’ai pas de meilleures solutions et il est hors de question de rejoindre le groupe de Yugi pour les supplier de me laisser les accompagner.

- « Qu’est-ce que ça veut dire « Je vois » ? Et tu es au courant pour mon duel contre le pharaon ? »

Question stupide, il suffit qu’il me jauge du coin de l’œil pour le comprendre. Mes doigts se resserrent sur l’anse de mon sac. Je peine à croire que Dartz avait prévu ma défaite depuis le début. Mais Rafael n’a pas pu parvenir ici par hasard. Un peu naïvement, je choisis de le suivre jusqu’à l’appareil.  En fin de compte, je flippe bien plus de devoir passer la nuit dans le désert plutôt que de rejoindre leur clique de méchants. Si j’étais Eléonore, je dirais certainement quelque chose du genre :

- « Pourquoi Dartz veut-il me voir ? Il a reconnu la beauté qui sommeillait dans ce corps depuis le début et il a envie de la reprendre à mon sexy pharaon ? » Je chantonne lorsqu’il ouvre la porte de l’hélicoptère.

- « J’en sais rien. Ton téléphone. »

Une main tendue à ma hauteur, Rafael me signifie que je ne rentrerai pas tant que je ne lui aurai pas confié mon portable. Je ne l’ai pas consulté une seule fois depuis que j’ai quitté le camping-car. J’avais trop peur qu’un message ou l’autre de Joey me fasse regretter mon choix. Sans y songer davantage, j’obéis et dépose mon téléphone dans sa main. Il rejoint la poche de sa longue veste et m’autorise enfin à monter à bord. Confiante, il faut que j’aie l’air plus confiante et sûre de moi. Mes entrailles se serrent lorsque la banquette se met à vibrer sous mon poids. L’hélicoptère est sur le point de s’envoler, balayant le sable à perte de vue.

- « Alors comme ça t’es un méchant, hein ? » Je bredouille en enfonçant mes ongles dans le cuir.

Intérieurement, je me maudis et tente de calmer les battements de mon cœur et la nausée qui envoie vaciller le décor de l’engin. Sans me quitter des yeux, Rafael se racle la gorge. Ma remarque ne semble pas l’avoir affecté le moins du monde.

- « Je te conseille de te tenir tranquille si tu ne veux pas passer la nuit dans le désert. »

Naturelle, il faut que je reste naturelle et surtout, aussi désinvolte qu’Eléonore pourrait l’être. Et surtout, ne pas oublier que ce type pourrait m’achever d’un coup de poing dans les cervicales.

- « Charmant. Le bizutage, c’est un rite de passage chez les êtres maléfiques ? 

- Encore une chieuse à la Mai Valentine. »

Sa remarque me cloue le bec. Bouche ouverte, je le fixe un instant avant de reporter mon attention vers l’extérieur. Moi qui pensais que Mai s’était trouvée de nouveaux amis. On dirait bien qu’ils n’apprécient pas tous sa présence autant qu’elle le transparaissait. Au bout d’une vingtaine de minutes à survoler le désert de Californie, j’abandonne l’idée de garder une posture droite pour imiter Eléonore. Un long soupir s’échappe de mes lèvres tandis que je m’avachis contre le dossier et relâche la pression sur mes épaules. Du coin de l’œil, je repère Rafael, visiblement plongé dans ses pensées. Alors c’est ce type le nouveau champion ? Techniquement, il a vaincu Yugi, donc il a récupéré son titre. Effrayée à l’idée qu’il me largue au-dessus de la pampa, je n’ose pas lui poser la moindre question et me dandine sur mon siège.

- « Si tu as quelque chose à dire, fais-le. »

Sa voix grave me tire de mes réflexions. Mes joues chauffent de honte, je secoue doucement la tête, écartant les quelques mèches blondes qui entravaient mon visage.

- « Je… Tu sais pourquoi ce « Maître Dartz » t’a commandé pour venir me chercher moi, Eléonore et non pas… tu sais, Lorène. »

Ma question paraît bien trop suspecte, je me mords la langue. Lui en revanche, n’oscille pas d’un pouce, il me détaille longuement avant de croiser les bras. Ses biceps sont aussi larges que mes épaules.

- « Maître Dartz m’a simplement demandé de ramener une fille prénommée Eléonore qui aurait perdu contre le pharaon lors d’un duel impliquant le Sceau d’Orichalque.

- Il savait d’avance que j’allais perdre contre Atem ? 

- Le maître sait beaucoup de choses. »

Malheureusement pour lui, le Maître s’était lourdement trompé sur un point : ce n’est pas moi qui ai été emportée par le Sceau, mais la vraie Eléonore. Même si je n’ai pas la moindre idée de la raison de ma présence ici, c’en est pas moins vexant. C’est vrai ça, pourquoi toujours Eléonore et pas juste Lorène ?

- « Pas d’autres questions. » Je souffle, la moue boudeuse.

Pour une fois, j’aimerais que les méchants me prennent un peu plus au sérieux. Ce n’est pas parce que je n’ai pas vécu il y a cinq mille ans que je ne suis pas dangereuse pour qui que ce soit. Bien au contraire ! Ils vont voir.

- « Il ne faudra pas vous plaindre quand je vous détruirai tous. » Je bougonne, les mains enfoncées dans mon sweatshirt.

Au fond de ma poche, je touche deux cartes. Sans me soucier de mon voisin de voyage, je les glisse soigneusement à l’air libre et les découvre à hauteur de mes yeux. A gauche, la carte de Zoé dont le visage horrifié me renvoie des bribes de la nuit où je l’ai détruite. A droite, celle d’une ombre masquée derrière le Sceau d’Orichalque. Pourtant, l’apparence d’Eléonore ne m’est pas inconnue. Que ce soit dans mes rêves ou lors de mes hallucinations, elle arborait toujours un petit sourire encadré de ses longs cheveux blonds emmêlés. Je me demande quelle était la dernière expression de son visage lorsqu’elle a été emmenée.

- « Qui est-ce ? »

Pendant une minute, je ne saisis pas que Rafael s’adresse à moi en fixant la carte de gauche. Ce n’est que lorsque sa main s’abat sur mon épaule que je sursaute brutalement et croise son regard. J’ouvre la bouche et la referme, incapable de m’exprimer correctement.

- « Cette fille. 

- So… Zoé. C’est Zoé. Enfin, c’était Zoé. »

Confuse, j’enfouis les cartes dans ma poche et plaque mes mains contre mes tempes. L’image de mon amie me revient en mémoire et m’oblige à me pencher pour cacher mon trouble.

- « Elle porte un uniforme, tu es une lycéenne, c’est ça ? »

Quel gars louche, celui-là. Je suis clairement en train de trahir ma couverture à cause de mes démons intérieurs et tout ce qu’il trouve à faire c’est de me demander si je ne devrais pas être en cours ? Mes joues se creusent d’un sourire qu’heureusement il ne verra jamais.

- « Ca te surprend ? » Je pouffe, les yeux rivés vers mes chaussures.

Une sensation étouffante m’empêche de respirer correctement. A quand remonte ma dernière nuit complète ? Bien trop loin. Mon âme contre une bonne nuit de sommeil dans un lit confortable et un coussin moelleux à souhait.

- « Pas vraiment, je me doutais que tu avais le même âge que ces autres gamins. »

Sa remarque me pique au vif. Merde. Les poings serrés contre mes cuisses, je m’efforce de me redresser pour affronter son regard.

- « Non, je voulais dire que mon hôte est lycéenne. 

- Pas besoin de te cacher, tu joues très mal la comédie. »

Etrangement, son ton n’est pas aussi menaçant que tout à l’heure. Au contraire, j’ai la vague impression que ce Rafael s’est soudainement adouci en ma présence. Sûrement l’a-t-il compris depuis le début. Je ne suis pas Eléonore et je ne le serai jamais.

- « Ne le dis pas à Dartz. »

Il se contente d’hausser les épaules. De l’autre côté de la fenêtre, je note que nous venons de quitter les terres désertiques pour survoler un océan de buildings à perte de vue. Bon, si l’envie lui prendre de me jeter par-dessus bord, je suis certaine que personne ne retrouvera mon corps.

- « Maître Dartz sait sûrement déjà que l’âme d’Eléonore a alimenté la bête. 

- La bête ? Tu veux parler du Grand Léviathan ? C’est donc là que finissent toutes les âmes absorbées par le Sceau d’Orichalque ? »

Rafael acquiesce distraitement. Le simple fait de répondre à mes questions me rassure sur sa position. En dépit de son apparence imposante et de ses traits froncés en permanence, il n’a pas l’air si méchant que ça. Puis, cela signifie que Yugi, Zoé et Eléonore se trouvent en ce moment au même endroit. Il existe donc une infime chance que tous les trois soient réunis à l’heure où nous parlons. Je cale ma nuque contre le dossier et inspire profondément.

- « Ils ne sont peut-être pas morts alors… » Je gémis en me mordant la lèvre inférieure pour réprimer un sourire.

- « Pourquoi es-tu si heureuse ? Le Maître parlait d’un être maléfique qui partageait ton corps. Tu ne devrais pas te réjouir. »

La température de mon corps se refroidit progressivement. Les arguments de Rafael m’arrachent un rictus plus prononcé que le précédent. Il a beau être plus âgé que moi, il reste des choses qu’il n’est pas capable de comprendre. Plus à l’aise que tout à l’heure, je brandis à nouveau les cartes du sceau d’orichalque.

- « Zoé m’a été enlevée il y a presque deux jours, par ma faute, par la faute de Mai Valentine. Je l’ai crue morte et j’ai remis en question toutes mes convictions dans le but de la sauver. Tu m’annonces qu’elle se trouve en ce moment avec plein d’autres âmes pour alimenter un monstre et tu voudrais que je ne sois pas heureuse ? »

Je lis dans ses yeux qu’il me considère comme une folle. De toute évidence, mes paroles n’ont aucun sens, mais comment lui expliquer l’excitation qui s’empare de mon bas-ventre à l’idée d’atteindre l’âme de Zoé ?

- « Et pour l’esprit…

- Eléonore ? C’est dur à croire hein ? Que je puisse la regretter. Au début, je pensais comme toi qu’être libéré d’un être maléfique serait une bénédiction. Mais Eléonore est loin d’être aussi obscure que tout le monde l’imagine. Elle… Elle a décidé de changer ma vie, de remodeler mes souvenirs pour me donner l’illusion d’une vie paisible et sans souffrance. Au fond de moi, je lui en ai beaucoup voulu. Mais, qui sait ce que je serais devenue aujourd’hui si elle ne l’avait pas fait. »

Lorsque je reviens vers Rafael après mon monologue, celui-ci me jauge d’un air indescriptible. Je cache ma bouche derrière ma main, remarquant que je me suis sûrement un peu trop vite confiée. Après tout, ce que je sais de ce gars se résume à son appartenance à la communauté satanique de Dartz et de sa victoire face à Yugi.

- « Désolée, la chieuse que je suis parle trop. »

Ma tentative d’apaiser l’atmosphère est un échec. Avec un raclement de gorge, je m’installe correctement sur mon siège et triture mes doigts. Lui reste de marbre et croise les bras. De loin, j’aurais pu ressembler à une star accompagnée d’un vigile. Prends tes rêves pour une réalité, Yuurei. Le jour où je serai riche – si jamais on ne meurt pas tous dans le ventre de ce monstre – Rafael deviendra mon garde du corps.

- « C’est encore loin ?

- On est arrivés. »

En effet, de l’autre côté du hublot s’érigent de gigantesques immeubles, tous fades. Ils sont si similaires que je doute que quiconque localise le repère de Dartz aussi facilement. Je me redresse d’un coup. Mon téléphone. Si Rafael me l’a soutiré avant que nous ne montions à bord de cet hélicoptère, ce n’était pas pour m’empêcher de contacter le pharaon. Au contraire, c’était pour éviter qu’il ne me repère grâce à Kaiba. Des tremblements sous mon poids augmentent l’angoisse qui m’agrippe les entrailles. L’appareil atterrit au sommet d’un des gratte-ciels et s’immobilise. 

 

Il est grand temps de revoir notre cher ami Dartz.


 

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