Âme de Pureté

Chapitre 46 : Orichalcos: chapitre 46

4408 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/10/2019 15:07

Le repaire de Dartz n’a rien d’extraordinaire. L’immeuble s’apparente à n’importe quel bâtiment administratif que nous pourrions croiser au Japon. Accompagnée de Rafael, j’arpente les couloirs affreusement linéaires et redondants. Dommage, l’excitation que je ressentais à l’idée d’infiltrer la base secrète d’un méchant s’est vite essoufflé pour laisser place à de l’appréhension. Pour peu, je commence à regretter notre balade dans les airs.

- « Maître, je vous amène la jeune fille. » Déclare Rafael après avoir frappé trois coups sur une porte en fer.

Quelle belle manière de ne préciser qu’il ne s’agit pas de celle qu’il attendait. Un bruit mécanique interrompt mes réflexions, la porte s’ouvre sur une salle dont le décor théâtral jure avec le côté industrialisé du building. Adieu les meubles métalliques ou composés de verre et bonjour à l’immense table en bois et aux innombrables chaises bleutées dont les dossiers font le double de ma taille. Au terme de celle-ci se tient un homme à l’allure familière. Ses yeux vairons se posent instantanément sur moi tandis qu’il masque sa bouche du dos de ses mains. Il a troqué sa toge blanche pour un costume trois pièces aux couleurs criardes.

- « Tu en as mis du temps Rafael. »

Cette voix n’est pas celle de Dartz. Derrière un des rideaux rouges aux coutures d’or se détache un jeune garçon dont le physique me rappelle curieusement un des chevaliers de Saint Seiya. Son bras est maintenu contre son torse à l’aide d’un bandage. On dirait que quelqu’un n’a pas respecté les limitations de vitesse.

- « Hé, c’est la gamine qui traîne avec cet empoté de Wheeler ? » Ajoute-t-il en me pointant de sa main libre.

Je réprime un grognement. Comment ce connard se permet-il d’insulter Joey ? Il ferait mieux de la boucler avant que son deuxième bras ne termine comme le premier. Tandis que j’hésite à lui répondre d’une remarque cinglante sur son état, des claquements de talon sur le sol se rapprochent précipitamment. La silhouette d’une femme surgit du décor et s’arrête brusquement. Son visage se tourne vers le mien et me fixe intensément.

- « Comme on se retrouve… Mai. » Je siffle d’un air mauvais.

Elle, en revanche, arbore un large sourire et paraît réellement heureuse de me voir en ces lieux.

- « Quel plaisir de te revoir. Je savais que tu finirais par comprendre.

- Maître Dartz. » Poursuit l’armoire à glace à côté de moi sans se préoccuper de nos touchantes retrouvailles. « Il semblerait que le Sceau d’Orichalque n’ait pas absorbé l’âme que vous pensiez. »

Le principal intéressé ferme les yeux durant de longues secondes. Je jette un regard en coin à Rafael qui ne bronche pas d’un pouce. Si cette situation ne me provoquait pas des sueurs froides, j’aurais bien ri à leur changement de plan en leur balançant « alors, on ne s’attendait pas à ce que ce soit la gamine qui survive ? ».

- « Je dois avouer que tu m’as surpris, Lorène. »

Son ton sérieux m’arrache des frissons dans tout le corps.

- « Bien que l’âme d’Eléonore ait été offerte à la Grande Créature, tu as accepté de suivre Rafael et de quitter le groupe du pharaon. »

Il déclare cela avec tant de certitude que j’en deviens perplexe. Mon haussement de sourcil ne lui a d’ailleurs pas échappé.

- « A moins que tu ne sois venue dans le but de provoquer en duel. » Ajoute-t-il sans sourciller.

A vrai dire, je n’ai suivi Rafael que dans le but de quitter ce foutu désert sans devoir demander l’aide au groupe de Yugi et à la famille de ce connard de Maximilien Pegasus. Inutile de l’abreuver de cette vérité hautement ennuyeuse, je devrais plutôt essayer d’en apprendre plus sur leur organisation.

- « Pourquoi vous affronterai-je en duel ? Avez-vous quelque chose d’intéressant à m’offrir en cas de victoire ? »

Mes mains tremblent. Seule, sans Eléonore pour me défendre en cas de pépin, je risque de ne pas m’en sortir indemne. Bon sang, comment font tous ces humains qui n’ont qu’une âme dans leur corps ? Je croise les bras sous ma poitrine afin de masquer mon trouble.

- « Pas vraiment. Tu n’es pas sans savoir que même si je suis vaincu, les âmes absorbées par la Grande Créature ne retrouveront pas leur corps aussi facilement. Et puis, tu ne fais pas partie des élus, contrairement à Seto Kaiba, Joey Wheeler et le pharaon. »

Touché. Je tique à sa dernière phrase avant que le faux chevalier du zodiaque ne s’impose.

- « Et en ce qui concerne Wheeler, j’en fais mon affaire ! 

- Tu rêves, c’est ma vengeance, Valon, pas la tienne. Je t’interdis de marcher sur mes platebandes. »

Si les yeux de Mai pouvaient brûler, ils auraient réduit ce gars en cendres à l’heure où nous discutons. Tout le monde ici semble se disputer le beau blond. Quant à Rafael, j’imagine qu’une nouvelle confrontation avec le pharaon le démange. A la place de Kaiba, je me sentirais un peu jaloux.

- « Alors, Lorène, es-tu prête à nous rejoindre pour libérer l’âme de ton amie ? »

Rafael se raidit, je ne manque pas de le remarquer mais n’émets aucun commentaire. Mes doutes sur sa capacité à ramener une âme scellée sont-ils fondés ? Mon regard se dévie vers Mai Valentine, elle baisse les yeux en réponse. Tout ceci est de sa faute, depuis le début.

- « Oui, je suis prête. »

Les vibrations dans ma voix trahissent mes hésitations. Cependant, Dartz ne s’en préoccupe pas et bouscule sa chaise en se levant. J’ai l’impression que ses pupilles vairons me transpercent et lisent mon âme. Bien que notre première rencontre remonte à un peu plus de vingt-quatre heures, je m’attarde seulement maintenant sur les traits juvéniles de son visage. Ses cils sont si longs et noirs et sa peau si lisse qu’il m’est impossible de deviner son âge.

- « Parfait, je suis heureux de te compter parmi nous. 

- C’est drôle, vous sembliez pourtant vous attendre à l’arrivée d’Eléonore et non la mienne. Je ne vois pas en quoi vous pouvez vous réjouir. »

Les mots sont sortis tout seuls. Mes doigts s’enfoncent dans ma peau, pour ne pas transparaître la peur qui m’anime. Mes propos ne démontent pas Dartz, bien au contraire. Ses lèvres s’étirent doucement et forment un sourire angélique.

- « Permets-moi de corriger mes dires. Effectivement, je m’attendais à ce que ton âme soit offerte au Grand Léviathan et que cette perte pousse Eléonore à vaincre les autres. En revanche, l’audace dont tu as fait preuve pour parvenir jusqu’à moi me laisse entendre que tu serais une meilleure alliée. Après tout, tu es venue ici pour retrouver cette fille, n’est-ce pas ? »

Je ne rétorque rien, préférant le laisser poursuivre son monologue.

- « Il me reste une dernière chose à t’offrir. Approche, Lorène. »

Dans un premier temps, je ne réagis pas à sa demande. Plutôt méfiante, je crains de tomber dans un autre de ses pièges. Dartz s’avance alors de quelques pas dans ma direction et tend sa main où un cristal verdâtre se met à scintiller. Même à cette distance, je peux ressentir une forte puissance émanant de cette pierre. Lorsque Dartz baisse son bras, celle-ci se fige dans l’air.

- « N’aie crainte, c’est un fragment d’orichalque. La carte que tu utilisais jusqu’ici appartenait à un ancien détenteur du Sceau d’Orichalque. Il est grand temps que tu possèdes la tienne. »

Je jette des regards nerveux par-dessus mon épaule. Y a-t-il encore un moyen de m’enfuir de cet endroit ? Il me suffirait de franchir cette porte métallique et de me diriger vers l’escalier le plus proche. Et puis quoi ? Rafael détient toujours mon téléphone et je n’ai aucune idée d’où je me trouve en Floride. C’est à peine si je peux situer cet état sur une carte.

- « Lorène ! »

Mon cœur cesse de battre durant une seconde. Je pivote brusquement vers l’onde d’énergie. Cette voix, c’est celle de Zoé !

- « Zoé ! Tu es là ?! »

D’instinct, je m’avance de deux pas. Une onde me repousse en arrière, mais je campe sur mes deux jambes pour ne pas reculer. Affolée à l’entente de la voix de mon amie, j’inspecte les témoins de la scène. Ils me dévisagent tous. Tous sauf Dartz, impassible.

- « Suis-je la seule à l’avoir entendue ? » Je demande, le souffle coupé.

- « Lorène, aide-moi ! »

Les larmes me montent aux yeux. Je cligne des cils pour les chasser, mais la boule formée au fond de ma gorge me cause un sanglot. Malgré le voile humide qui masque ma vue, je discerne la silhouette grande et fine de Zoé à travers le halo de lumière turquoise.

- « Prends-la et tu pourras sauver ton amie. » Susurre Dartz assez fort pour que sa voix me décoche un frisson.

Au fond de la pièce, je perçois un mouvement de Mai. Elle essaie de s’interposer quand la main de Valon s’abat sur son poignet et la tire en arrière. Elle lui lance un regard effaré auquel il répond en secouant la tête.

- « Sors-moi de la, Lore. »

Les tremblements s’emparent désormais de tout mon corps. Pas de doute, c’est bien la voix de mon amie, et elle me supplie de venir la sauver. Ses supplications ont finalement raison de moi. Non sans peine, j’élève ma main à hauteur du cristal d’orichalque. La lumière émise par la pierre s’amplifie au fur et à mesure que mes doigts l’approchent. De ma main libre, je tente de protéger mes yeux, en vain. En fin de compte, la résistance de ce halo n’est pas plus dure que l’emprise d’Eléonore. Cette sensation d’étouffement et de pression exercée contre mes muscules ne sont rien à côtés de ces horribles crampes.

- « Je te tiens ! »

Ma main se referme sur le joyau, le halo s’estompe en filaments d’éclats lumineux. Au creux de ma peau, je sens la pierre et l’ouvre devant moi. Une bouffée d’énergie me parcourt le corps. Mes veines pulsent sous l’adrénaline et me procure une sensation de puissance inouïe.

- « Bienvenue parmi nous. »

Les salutations de Dartz m’importent peu. Mes yeux se braquent sur le cristal d’orichalque, celui qu’Atem a refusé d’utiliser lorsqu’il pouvait encore sauver Eléonore.

- « Lâche-moi. » Grogne Mai en se détachant de l’emprise de Valon.

Tiens, on dirait que la harpie a décidé de sortir les griffes. Sans se soucier de la réaction des autres, elle fonce vers moi et pousse vers la sortie.

- « Suis-moi. »

La pierre rejoint très vite les autres trésors dans la poche de mon sweatshirt pêche. J’obtempère en silence et marche jusqu’au bout du couloir sans vie. La main de Mai frôle mon épaule avant d’abandonner l’idée de me toucher sous le regard noir que je lui envoie. C’est trop tard pour jouer son rôle de mentor. Toute l’admiration que je lui portais est retombée le jour où le Sceau d’Orichalque s’est refermé sur Zoé.

- « Tu… » Souffle-t-elle d’un ton hésitant. « Je vais t’emmener prendre une douche. »

Et maintenant elle insinue que je pue la mort. Bien joué Mai, tu parviens à diminuer d’un cran dans mon estime alors que cela paraissait impossible. Cependant, je ne réplique rien. Je serai folle de refuser un peu de confort après avoir dormi sur une table de camping-car et d’avoir traversé une parcelle de désert sous un soleil de plomb. Le claquement de ses talons sur le sol rythme les couloirs dans lesquels nous progressons. Mon esprit est embrouillé, je ressasse sans cesse la voix de Zoé m’implorant de lui venir au secours. A peine deux jours se sont écoulés depuis notre duel et ses variations de ton s’effaçaient déjà de ma mémoire. L’écouter scander mon prénom me procurait des frissons plutôt agréables.

- « Installe-toi ici. »

Une fois de plus, j’ignore les bonnes manières de Mai et entre dans la chambre sans attendre. Sans surprise, je constate qu’une multitude de cartes trainent sur la table. Naturellement, je m’en approche et jauge les illustrations des harpies.

- « Dartz a mis à notre disposition une boutique de cartes à l’étage au-dessus, si jamais tu voulais…

- Si je voulais me constituer un deck pour me débarrasser de toi ? »

Mes dernières barrières de bienséance ont cédé plus tôt que je ne le pensais. Mai ne s’en préoccupe pas et désigne une autre porte de l’index.

- « Comme tu veux, mais je ne compte pas perdre contre toi. La douche est de ce côté. »

Cela tombe bien, j’avais envie de l’enlever de mon paysage. Je hausse les épaules et laisse tomber mon sac au pied de la table avant de me diriger vers la salle de bain. Une fois de l’autre côté, je m’adosse à la porte et ferme les yeux. Mon corps bouillonne sans raison apparente. Tout ce qui m’arrive est tellement invraisemblable. Je me pince la peau de mon poignet droit et tique de douleur. Non, il ne s’agit pourtant pas d’un rêve. Deux coups frappés contre le bois dans mon dos me ramènent subitement à la réalité.

- « Je te laisse des affaires sur le lit. » S’écrie Mai.

Alors des bruits m’indiquent qu’elle s’éloigne de la porte, je manque de la remercier mais me ravise aussitôt. Hors de question que je ne lui pardonne quoi que ce soit. Frustrée, je me dépêche d’ouvrir le robinet de la douche et de retirer tous mes vêtements à la hâte.

- « Merde, je pue vraiment la mort. » Je constate après avoir retiré le sweatshirt et le t-shirt qui collaient à ma peau.

Les premières gouttes d’eau me procurent une sensation de liberté. Deux jours sans prendre de douche, ça m’avait manqué. Mes muscles se détendent au fur et à mesure, les pants de cabine s’embuent de la vapeur d’eau. Je tourne d’un cran la valve d’eau chaude. Ma peau rougie se reflète vaguement dans le verre. Je plisse les yeux et observe longuement ma silhouette floue. Pourquoi Eléonore a-t-elle décidé de disparaître à ma place ?

« Tu ne croyais quand même pas que j’allais livrer ce duel moi-même ? » 

Son manque de connaissance dans le Duel de Monstre sonne un peu mince. Elle n’aurait pas offert son âme sur un plateau d’argent.

- « Peut-être qu’elle m’aime plus que je ne le pensais. »

Je relève le visage pour me laisser emporter par l’eau bouillante. Me revoilà parler toute seule. Autant cela ne me dérange pas en présence d’Eléonore, autant sans elle, ça perd de son sens.

- « Peut-être qu’elle m’aime plus que je ne le pensais. »

Je relève le visage pour me laisser emporter par l’eau bouillante. Me revoilà parler toute seule. Autant cela ne me dérange pas en présence d’Eléonore, autant sans elle, ça perd de son sens.

Assez profité, je me dépêche de me laver le corps et les cheveux grâce aux produits de beauté de la grande blonde. A défaut de prendre ma vengeance, je la dépouillerai d’une partie de ses lotions. Une fois séchée, j’entrouvre la porte menant à la chambre. Mai n’est plus là. Mon pied butte sur une petite pile de vêtements. Un débardeur noir échancré et un short en jean accompagnés de sous-vêtements bordeaux. Je grimace en constatant le rembourrage du soutien-gorge. Pas la peine de vérifier la taille des habits, je ne doute plus de son talent d’observatrice. Le contraste entre la chaleur étouffante de la salle de bain et la fraicheur de la chambre m’oblige à refermer la porte. Sans m’attarder sur leur provenance, j’enfile les vêtements et vole un élastique dans une des armoires jonchant le grand miroir afin de nouer mes cheveux en chignon décoiffé.

- « Je suis sûre qu’Eléonore aurait adoré cette tenue. » Je soupire en fixant la naissance de mes seins offerte par mon décolleté.

Néanmoins, je dois louer à Mai ses qualités pour choisir les tailles de vêtements. A croire que mon corps entier a été moulé par cette fille. Avant d’abandonner mes affaires dans la pièce, je récupère les illustrations de Zoé et d’Eléonore, ainsi que la pierre gracieusement offerte par Dartz.

« Yugi, ne fais pas ça. Utilise ta pierre et brise ce putain de sceau ! »

Quand j’affrontais Atem, Joey n’a pas arrêté de lui demander d’utiliser cette pierre pour mettre un terme à notre duel. Dois-je y voir un moyen de me sauver en cas de pépin ?

- « Fais chier, les poches sont trop petites. » Je peste à voix basse, tâtonnant le short.

En quête d’une veste dans laquelle je pourrai fourrer mes secrets, je fouille la penderie de Mai, dépourvue de la moindre gêne. Mon regard s’attarde sur la veste violette qu’elle arborait lors du tournoi de Bataille-Ville. Mes doigts frôlent le col relevé et descendent le long du tissu puis ouvre l’une des poches. J’y glisse mes effets personnels et l’enfile devant le miroir fixé à la penderie.

- « Je t’admirai tellement… 

- Qui vas-tu affronter ? »

Alors que je me focalisais sur mon reflet, je n’avais pas prêté attention à l’apparition de Rafael dans l’encadrement de la porte. Il me lance de rapides coups d’œil et se replace contre le chambranle, bras croisés. Un instant, je me surprends à me demander s’il passe toutes les portes au vu de son imposante carrure.

- « Visiblement Joey est beaucoup prisé. » Je réponds distraitement tandis que mes doigts démêlent les nœuds formés dans ma chevelure. « Et après ta première victoire contre Atem, j’imagine que Dartz s’attend à ce que tu renouvelles l’exploit. Il reste Seto Kaiba, c’est ça ? »

Rafael hausse les épaules.

- « Maître Dartz a envoyé deux pitoyables recrues s’occuper de Wheeler et du pharaon, mais ils ne gagneront pas. Quant à Kaiba, Aster est en route pour l’affronter. »

Aster ? Je ne me souviens pas avoir entendu parler d’un autre sbire de ce nom. Je me demande qui peuvent bien être ces deux recrues dont il parle.

- « Donc nous sommes la ligne arrière ?

- Nous ne tarderons pas à nous charger de leur compte. »

Un sentiment de malaise s’insinue au plus profond de mon âme. Certes, j’en veux au pharaon d’avoir traité Eléonore de la sorte et d’être à l’origine du départ précipité de Yugi. En revanche, suis-je prête à franchir la limite et d’absorber une âme à mon tour. L’idée que Kaiba disparaisse de mes propres mains ne me dérange pas tant que ça, cela dit.

- « La fille à qui tu parlais tout à l’heure, c’était la lycéenne ? »

J’abandonne le miroir pour pivoter vers Rafael et opine mécaniquement.

- « Elle s’appelle Zoé. »

C’est idiot de ma part, j’ai crié son nom tout à l’heure. Rafael semble s’en accommoder. Ce type m’intrigue bien plus que les autres. Outre le fait qu’il soit devenu malgré lui le champion de Duel de Monstres, une sorte d’aura se dégage de lui. Une impression bienveillante. Drôle de sentiment pour quelqu’un qui est supposé incarner le bras droit du mal.

- « Et toi ?

- Moi ?

- Tout le monde ici connait désormais la raison pour laquelle je me suis présentée à Dartz. Mais toi, qu’est-ce qui t’amène ? »

Ma curiosité me perdra. L’article mentionnait un naufrage survenu dans sa jeunesse, de quoi présumer un bon traumatisme chez ce garçon.

- « Tout ce que je veux, c’est sauver le monde. »

Les bras m’en tombent. Impossible de rester impassible face à son discours quelque peu… surprenant. Sauver le monde ? Pourtant, de ce que tout le monde raconte, le camp dans lequel nous nous trouvons s’avère être celui des méchants.

- « Ce monde n’est pas aussi merveilleux qu’on nous laisse le croire quand on est enfant. Je m’en suis rendu compte quand tout a basculé. 

- Tu parles de l’incident de l’Estonia ? »

Rafael hoche du menton. Il ne m’a pas accordé un seul regard depuis qu’il est arrivé.

- « La seule chose qui ne soit pas destructible dans ce monde est le lien qui nous unit avec nos cartes. »

Par la suite, je devine par ses dires que celui qui l’a secouru de l’île sur laquelle il avait cédé trois ans de sa vie n’était nulle autre que Dartz. Ce qui explique sa loyauté à son égard, bien que sa fascination pour ses cartes Gardiens me chiffonne un peu.

- « Ce monde ne mérite pas d’exister, nous devons en fabriquer un meilleur de nos propres mains. »

Son ton s’aggrave progressivement jusqu’à se transformer en un murmure rauque. Son récit me jette un froid. En m’embarquant dans cet endroit, je m’attendais à croiser des personnalités, plus détestables les unes que les autres. Cependant, celle de Rafael demeure la plus énigmatique de toutes. Me serais-je trompée sur les intentions de Dartz et de ses compères ? Se pourrait-il qu’ils soient en fin de compte du bon côté ? Je secoue la tête, sentant la migraine pointer au loin.

- « J’ai aussi entendu parler de toi. » Poursuit-il, toujours sans attention envers moi.

- « A-ah bon ? »

Bizarre, je ne me souviens pas qu’un seul journal ait titré mon nom, ni mon histoire.

- « Tu es la nièce de Maximilien Pegasus, c’est ça ? Cet homme a scellé en toi un être maléfique aussi ancien que le pharaon en personne. »

Un frisson me traverse. Je m’éclaircis la gorge pour masquer mon embarra.

- « J’aurais préféré être connue sous de meilleurs auspices. J’ai quand même fini cinquième au tournoi de Bataille-Ville

- Tu m’as dit tout à l’heure que cet esprit n’était pas si mauvais, mais je ne comprends pas que tu ne veuilles pas d’un avenir sans elle. »

Ses yeux bleus fixent éternellement le mur. Voici donc la raison de son silence dans l’hélicoptère. Un sourire au coin des lèvres, je pouffe doucement devant son incompréhension et feins de quitter la chambre. Qui sait quand Mai va resurgir à nouveau.

- « Les gardiens dont tu parlais. » Je reprends calmement à sa hauteur. « Ces esprits qui t’ont accompagné pendant ces trois ans d’isolement, tu les considères comme ta famille, n’est-ce pas ? »

Son absence de réaction me pousse à continuer.

- « Eh bien, Eléonore, c’est mon esprit, ma carte maîtresse. N’en déplaise à mon Âme de Pureté. »

Le rouge me monte aux joues à l’idée qu’Eléonore puisse un jour connaître tous les éloges à son encontre. Elle risquerait de prendre la grosse tête. Si seulement j’avais la certitude que chacune de mes pensées n’était pas consignée dans cette bibliothèque intérieure…

Tandis que je m’éclipse dans le couloir et réfléchis à une bonne manière de tuer le temps, Rafael ne bouge pas d’un pouce, fermement callé contre le chambranle.

- « Dis, Monsieur qui veut sauver le monde, ça te dirait de commencer à me faire visiter cet endroit ? »

Le ton léger que j’emploie le tire de ses réflexions. Il m’adresse d’abord un regard surpris, comme si je venais de franchir une nouvelle barrière avec lui. Je ne peux m’empêcher un rire discret quand il se décale et m’invite à le suivre.


 

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