Âme de Pureté

Chapitre 40 : Orichalcos: chapitre 40

3420 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/10/2019 15:04

- « Alors, tu as choisi de ne pas suivre mes conseils ? »

Tout comme cette voix ne me rappelle rien, je ne reconnais pas ce lieu. Tout est flou, je ne décèle que le balancement de torches enflammées et deux silhouettes. L’une semble couverte d’épais voiles et de turbans écrus tandis que l’autre ressemble à un banal occidental en vacances.

- « Je suis le gardien des objets du millénium. » Déclare le plus bronzé des deux. « Quiconque entre dans cet endroit sacré que s’il est choisi. Ce doit être son destin. »

Ma vision se précise peu à peu et, de toute évidence, je ne suis pas seule à observer la scène de loin. La silhouette de Dartz me chaperonne en silence. L’expression paisible de son visage renvoie l’impression que la scène qui se déroule sous nos yeux ne lui était pas inconnu.

- « Comment ces objets pourraient-ils faire partie de mon destin ? Que voulez-vous dire ? »

Désormais, les deux hommes se distinguent clairement. L’un est debout, il ressemble à un Egyptien et s’affuble d’un pendentif doré en forme de clé. L’autre se prosterne de force devant lui. Ses cheveux argentés ne laissent planner aucun doute sur l’identité de Maximilien Pegasus, rajeuni de plusieurs années.

- « C’est l’objet lui-même qui va te tester, l’œil du millénium dans ton cas. » Déclare-t-il en lui présentant une sphère dorée ornée d’un symbole familier.

- « L’œil va me tester ? Mais comment ? 

- Chaque objet du millénium attend le jour où son possesseur prédestiné viendra le réclamer et l’emporter et il punit ceux qui sont indignes de lui. »

Pegasus se redresse brusquement, l’air choqué.

- « Il les punit ?

- Oui. Mais si tu réussis l’épreuve, il te donnera le pouvoir de voir plus que tu n’as jamais vu.

- Et si j’échoue à cette épreuve ?

- C’est que tu n’es pas destiné à le posséder et ce qui t’attend ne sont que d’inimaginables et terribles cauchemars. »

Sans lui autoriser davantage de questions quant aux effets de cet œil, l’Egyptien enfonce l’artéfact dans la cavité gauche de Pegasus. Un éblouissant faisceau de lumière éclate lors du contact. L’homme hurle et se tord de douleur, sous le regard impassible de son bourreau. Intriguée, je me tourne vers Dartz.

- « C’est ainsi que Pegasus a obtenu l’œil du millénium, j’ai compris. Mais quel est le rapport avec moi ? »

Le fait que Pegasus ait été en possession de l’œil du millénium n’était pas un secret. Ce fut d’ailleurs une de nos premières discussions avec Joey sur les artéfacts anciens que Yugi et Bakura portaient lors du tournoi de Bataille-Ville. Soudain, le décor se désintègre sous nos pieds. Les illusions utilisées par Dartz me rappellent les fragments de souvenirs qu’Eléonore me distribuait au fur et à mesure de mes recherches. Nous atterrissons dans ce qui ressemble à une chambre d’hôtel. En silence et installé à son bureau de fortune, Pegasus remplit un cahier tout en effleurant distraitement son nouvel œil du bout des doigts.

- « Cecelia, comme tu me manques… »

Sa remarque m’assène un coup en plein cœur. J’ai beau ne pas me remémorer les détails de cette femme, il semble réellement l’aimer par-delà la mort.

- « Va-t’en. »

Pegasus se lève subitement de sa chaise. Le crayon avec lequel il écrivait tombe lourdement sur le sol et roule jusqu’au lit.

- « Qui est là ?! 

- Dégage ! »

Il ne le remarque pas encore, mais ce sont ses propres lèvres qui se meuvent. Cette voix… Je la reconnaitrais entre toutes.

- « Eléonore ? » Je demande.

Bien sûr, personne ne me répond. Ni Dartz qui se contente d’observer la scène, ni même Pegasus jeune qui ne remarque même pas ma présence.

- « Qui êtes-vous ? Montrez-vous immédiatement ! 

- Oh, mon chéri, tu veux que je me montre ? Alors tu ne seras pas déçu ! »

Son seul œil valide s’écarquille lorsque ses membres commencent à trembler. Sourde aux plaintes de son nouvel hôte, Eléonore l’attire vers la salle de bain et se fige devant le miroir. Le visage de Pegasus se déforme sous les traits de l’esprit qui éclate de rire.

- « Qui… Qui êtes-vous ? Cet Egyptien ne m’a jamais parlé de vous !

- Shadi ? Evidemment, ce mec n’a jamais été d’une grande utilité, tu sais. Par contre moi, je sens que je vais bien m’amuser avec ce nouveau corps ! »

Pour ponctuer sa phrase, le poing de Pegasus s’abat violement contre la vitre qui explose en éclats. Je sursaute. Les effusions de sang émanant de sa main tâchent sa chemise et une grande partie du lavabo. Le cri qu’il pousse me force à reculer, de peur. Bloquée contre un mur invisible, j’inspire profondément et m’efforce de calmer les battements de mon cœur. Cette scène me rappelle curieusement les premiers gestes d’Eléonore à mon encontre. Il faut croire qu’elle n’a pas changé durant ces quelques années.

- « Mais que me voulez-vous ?! »

Il tremblait de la tête aux pieds. Il n’avait plus rien avoir avec le Maximilien Pegasus fantaisiste et précieux que nous connaissons aujourd’hui.

- « Je ne veux que ton corps, idiot. Peut-être que l’œil t’a accepté, mais ce n’est pas mon cas. J’ai des critères plutôt… exigeants, tu sais ? »

Shadi avait effectivement mentionné une épreuve afin d’accéder aux pouvoirs de cet artéfact, mais je doute que l’existence d’Eléonore dans son esprit en fasse partie. Je me tourne vers Dartz, toujours muré dans le silence.

- « Alors Eléonore résidait dans l’œil du millénium pendant tout ce temps ? » Je demande.

Ma voix s’évanouit dans la salle de bain. La pièce se décompose une nouvelle fois. Un tas de questions s’enchainent dans ma tête, mais quelque chose me dit que j’aurais bientôt les réponses. Il me suffit d’attendre encore un peu.

- « Vous ne m’aviez pas parlé de cet esprit ! » S’insurge Pegasus.

Nous voilà atterris dans un paysage des plus orientaux. Mes chaussures s’enfoncent dans le sable balayé par la brise chaude de l’Egypte. A l’entrée d’un temple, mon oncle présente sa main couverte de bandage à Shadi, impassible.

- « Vous avez réussi l’épreuve, cet œil vous appartient. Libre à vous d’utiliser son pouvoir.

- J’aimerais bien, mais il est hors de question que je supporte cette chose qui parle dans ma tête ! Regardez un peu ce qu’il m’a fait subir hier soir ! »

Un long soupir s’échappe de mes lèvres. Il peut bien se plaindre, il n’a pas été forcé de toucher les parties génitales de qui que ce soit, lui.

- « Cet esprit m’est inconnu. » Répond finalement Shadi. « Il m’est impossible de vous dire d’où il provient ni même des pouvoirs qu’il possède. 

- Peu importe ! Je veux juste qu’il s’en aille ! »

Devant les complaintes du futur milliardaire, l’Egyptien se plonge dans une profonde réflexion. Je lance des regards insistants en direction de Dartz qui n’oscille pas d’un poil. Au fil des scènes commence à se dessiner un semblant d’explication. Je suis sur le point de lui poser une énième question quand Shadi approche sa main hâlée à hauteur de l’artéfact.

- « J’ai peut-être une idée, mais je vais devoir vous retirer l’œil un instant. »

Les épaules de Pegasus tressaillent. Les souvenirs de la douleur la veille lui arrachent des tremblements perceptibles à vue d’œil. D’abord réticent, il lâche peu à peu la garde pour jauger la proposition de son vis-à-vis.

- « Qu’allez-vous en faire ?

- Si cet esprit est entré dans cet œil, alors il est possible de l’en sortir. »

Sa main gauche se glisse sous la clé dorée qu’il porte à son cou. Serait-ce un autre objet du millénium ? C’est étrange, car toutes les reliques anciennes que j’ai pu observer jusqu’ici comportaient un symbole distinctif.

- « Mais pour ce faire, j’aurais besoin d’un nom. D’une personne qui gardera cet esprit.

- Vous ne pouvez pas tout simplement le relâcher ? »

Je tique. On dirait qu’ils parlent d’un vulgaire chien.

- « Ce ne serait pas prudent de ma part. C’est pourquoi je vous demande un nom. Je scellerai l’esprit qui vous tourmente dans un autre réceptacle pour l’empêcher de nuire. »

Pegasus réprime un râle et se tourne quelques instants pour réfléchir. Bien qu’il ne puisse pas me voir, je lève un sourcil à son égard et me racle la gorge. Une sensation de brûlure s’insémine dans ma poitrine, je serre les dents.

- « Vous m’assurez qu’il n’y aura aucun danger pour cette personne ?

- Vous serez débarrassé de cet esprit. »

Bien sûr qu’il ne peut pas promettre une telle chose.

- « Ne tombe pas dans son piège, Pegasus ! »

- « Dans ce cas, j’aimerais que vous confiiez cette âme à quelqu’un qui vit en Europe. Je ne connais pas son nom actuel, mais il s’agit d’une jeune fille qui portait le nom d’Eléonore Pegasus. »

Mes entrailles se resserrent, j’ai une brusque envie de vomir entre les bouffées de chaleur et la violente migraine qui me traversent de part en part. Pliée en deux, je croise le regard vairon de Dartz. Il attendait ça depuis le début. Comment Pegasus a-t-il pu commettre une telle connerie ?

Le tapis de sable s’écoule au profit d’un parquet parfaitement ciré. Des gouttes de sueur coulent de mon front. Frustrée, je me redresse douloureusement et tire mes mèches blondes en arrière.

- « Qui êtes-vous ? »

Cette voix. C’est celle d’un enfant. Au premier coup d’œil, il s’agit d’une chambre de gamine, moins luxueuse que celle de la demeure des Pegasus, mais tout aussi bien remplie de peluches. Mon cœur se soulève lorsque je me reconnais, aux portes de l’adolescence, assise sur le bord du lit.

- « Je m’appelle Shadi. Je t’apporte quelque chose de la part d’un certain Maximilien Pegasus. »

Immédiatement, je foudroie l’homme des yeux. Quel magnifique cadeau de sa part, définitivement. La jeune fille se redresse sur ses jambes, l’air surprise.

- « Tonton Max ? Hé ! Tu vas vu mon tonton ? Quand est-ce qu’il va passer me voir ? »

Non, elle ne devrait pas poser ce genre de questions. Elle devrait plutôt appeler sa mère pour qu’elle chasse ce type louche qui vient d’apparaître comme par magie dans sa chambre ! Bordel, mais qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez elle ?

- « Je ne sais pas. Il m’a juste invité à te donner ceci. »

Sans attendre la réaction de la petite, Shadi hausse l’œil à hauteur de son front. Une vive lumière illumine la relique. Même à plus d’un mètre d’eux, je ressens la chaleur étouffante qui en émane. D’abord intriguée, la gamine pousse brusquement un cri de douleur si aigu que je dois me couvrir les oreilles. Ses yeux sortent de leur orbite, ses membres sont en proie à des spasmes insupportables. Mon premier réflexe devant cette scène est de m’élancer à son secours – ou plutôt au mien. Malheureusement, je heurte un autre mur invisible et dois me résoudre à observer la douleur d’une enfant, impuissante. N’y tenant plus, je cède sous le poids de mon corps et détourne le regard, la tête enfermée entre les mains.

- « Ça n’a pas dû être facile. » Murmure Dartz, insensible au spectacle macabre.

Pour la énième fois de la journée, je me laisse emporter dans un flot de larmes, rejoignant ceux de la gamine prostrée au pied de son lit. Shadi a disparu avec l’œil du Millénium. Sûrement l’a-t-il rendu directement à son propriétaire. Cet enfoiré de Maximilien Pegasus. Mon cœur rate un battement quand la porte de la chambre s’ouvre à la volée. Je reconnais aisément ma mère, plus jeune, se précipiter vers sa fille, folle d’inquiétude.

- « Lorène ! Qu’est-ce qui se passe, ma chérie ? »

Ses douces paroles me rappellent que j’ai abandonné ma propre mère avec un simple mot sur la table de la cuisine la veille.

- « Maman… » Gémit-elle.

Furieuse, je frotte mon visage engourdi d’un revers de manche et me relève avant de me tourner vers Dartz.

- « C’est bon, j’en ai assez vu. »

Mais l’insistance avec laquelle il regarde la mère et la fille me pousse à l’imiter.

- « Chérie ? C’est la première fois que tu m’appelles « Maman », tu vas bien ? »

Cette remarque m’assène le coup de grâce.

Eléonore. Ma mémoire.

Un léger rire amplifie mon état de torpeur.

- « Malgré tout cela, tu es devenue une duelliste suffisamment puissante pour que je veuille travailler à tes côtés. Rejoins-nous, et je libèrerai ton amie de son maléfice. »

Je n’ai pas le temps de répliquer quoi que ce soit que le décor s’efface une dernière fois pour me ramener dans le bureau au sommet de la tour de Pegasus. Il me faut cinq bonnes minutes de silence pour m’acclimater à l’endroit. Combien de temps s’est-il écoulé entre le départ de Mai et mon réveil ? Je cherche nerveusement mon téléphone dans ma poche et constate que j’ai passé une bonne vingtaine de minutes là-bas.

- « E… Eléonore ? »

Qu’as-tu vu ?

De toute évidence, Dartz est parvenu à séparer nos âmes l’espace d’un moment pour me révéler ce qu’elle s’évertuait à me cacher.

- « Tu avais raison. » Je soupire.

Mon portable affiche une vingtaine de messages reçus. Parmi eux, la bande de joyeux lurons et, comme je m’y préparais, ma mère. Sans répondre à qui que ce soit, je fourre le téléphone dans ma poche et l’échange avec la carte du Sceau d’Orichalque à l’effigie de Maximilien Pegasus.

Je suis désolée.

- « Et moi donc. »

Du bout des doigts, je saisis les deux parts de la carte et, d’un geste précis, déchire la carte. Aucune crampe, aucune emprise d’un quelconque esprit. Rien que ma volonté. Plantée au beau milieu du bureau, j’observe les deux bouts de papier à mes pieds. Une partie de moi regrette immédiatement ce geste. Qui sait si je ne viens pas d’assassiner délibérément cet homme.

- « Il n’a eu que ce qu’il méritait depuis le début. »

Peut-être bien. Je ferai mieux de sortir d'ici. Si Mai erre dans le bâtiment, il est fort probable qu'elle ait croisé Chris sur son chemin. Malgré une dérangeante migraine, je marche d'un pas rapide vers le rez-de-chaussée, dévalant quatre à quatre les escaliers exigus du quartier général.

Dartz... Comment savait-il pour mon passé ? Ce type détient à lui seul des informations que j'ignorais sur moi-même. A moins qu'il ne s'agisse d'une connaissance de Maximilien Pegasus ? En tout cas, sa proposition me trotte dans la tête. J'ai promis de libérer l'âme de Zoé à tout prix, mais cela signifie aussi sacrifier celles d'autres duellistes.

- « Il faut voir le bon côté des choses, il n'y a aucune chance que je croise Yugi et Joey au fin fond de l'Amérique. » Je gémis en me frottant l'arrière du crâne.

Après toutes ces révélations, je me sens lourde, exténuée physiquement par le voyage et mentalement par ce choix moral. Au bout d'un couloir, des bribes de voix s'élèvent. Chris et Mai se seraient-il rencontrés ? N'ayant pas envie de me manifester tout de suite, je me colle au mur et me rapproche du bruit. Au rez-de-chaussée du siège, un attroupement de personnes s'est formé.

- « Si j'avais su que vous étiez là, je ne serai pas venu. »

Cette voix hautement insupportable, c'est celle de Kaiba. L'odeur de son égo ne trompe pas non plus.

Encore ces putains de Japonais.

Les autres non plus ne me sont pas inconnus. Mon esprit se bloque quelques instants à la vue de la bande de Yugi surpris de croiser Kaiba en ces lieux. Qu'est-ce qu'ils fichent tous ici ? J'hésite un moment à me manifester quand une autre silhouette se détache d'un couloir adjacent. Il s'agit de Chris, de toute évidence perturbé par la présence de ces inconnus.

- « Que faites-vous ici ? Vous n'avez pas le droit de circuler en ces lieux ! Je vous demanderai de bien vouloir partir sur le champ !

- Je ne compte pas partir de sitôt. » Maugrée Kaiba en croisant les bras. « Je reviens de l'île des duellistes et j'exige de voir Pegasus sur le champ. »

Quel toupet, celui-là. Croit-il réellement qu'en ramenant son petit cul dans les quartiers de Pegasus, il sera reçu comme un roi ? Ne tenant plus à ma couverture, je décide de sortir de ma cachette et d'emprunter les escaliers.

- « Tu ne le trouveras pas ici, Kaiba. » Je déclare.

Sans surprise, tous les regards se tournent vers moi, mais je tâche de me focaliser sur celui du grand brun. Hors de question qu'il m'humilie une fois de plus.

- « Décidément, cet endroit est très mal fréquenté.

- Lore-chan ! » S'exclame Yugi, un petit sourire sur les lèvres.

Une fois en bas, je remarque que Joey est agenouillé au sol sans raison. Dans son regard se mélangent étonnement et tristesse. Quelque chose s'est-il produit en mon absence ?

- « Mademoiselle. » M'interpelle brusquement Chris.

Au signe qu'il m'adresse, je comprends que le majordome attend mes instructions.

Que c'est jouissif, enfin un peu de pouvoir ! Envoie-les se faire dévorer par une horde de loups californiens !

Désolée, mais je doute que cette espèce existe réellement. Par contre, je me ferais un plaisir d’envoyer Kaiba dans le désert et de l’abandonner au beau milieu de toute cette pampa ensablée !

- « Laissez-les. Pegasus n'est plus ici de toute façon, il a été emporté par le Sceau d'Orichalque. »

Un léger malaise s'insinue en moi.

- « Alors tu es au courant des pouvoirs de cette carte ? »

Je me contente d'hocher de la tête, sans ajouter quoi que ce soit. Loin de moi de leur révéler le marché de Dartz, ni même de mon précédent duel. Mieux vaudrait que je reste en retrait, du moins le temps que Kaiba dégage d'ici.


 

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