Âme de Pureté

Chapitre 30 : Corpse Party: chapitre 30

5895 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/10/2019 14:56

- « C'est Sérénity ! Je ne la trouve plus ! »

En effet, la jeune brune ne l'accompagne pas. D'ici, je remarque le grand blond se raidir. Le ton de sa voix se saccade lorsqu'il interroge Téa d'une manière agressive. Un coup d'œil à Zoé. D'un commun accord, nous nous levons pour les rejoindre et écoutons attentivement ses informations.

- « On était dans une boutique de vêtements, pas loin d'ici et je lui ai demandé de m'attendre près du comptoir. Cinq minutes après, elle n'y était plus. J'ai essayé de lui sonner sur son portable, elle ne me répond pas non plus ! »

Son débit de paroles s'accélère au fur et à mesure qu'elle enchaine les détails.

- « Je l'ai cherchée dans le centre-ville, j'ai demandé à des gens s'ils l'avaient croisée mais personne ne le savait !

- Eh merde ! » Jure Joey dont les poings se contractent nerveusement. « Tu ne savais pas être plus prudente, bordel ! »

Bien que d'écouter Téa se faire engueuler par quelqu'un me semble agréable sur le papier, cette situation me rend plutôt mal à l'aise. Où Sérénity a-t-elle bien pu aller toute seule ? Je réunis toute ma concentration pour trouver un moyen de la localiser sans parcourir la ville en long et en large. Prévenir la police serait une bonne solution, mais ils seraient sûrement trop lents en cas d'enlèvement.

- « J'ai vraiment tout essayé pour la retrouver...

- Elle doit bien être quelque part !

- Désolée Joey, je ne voulais pas...

- Evidemment que tu ne voulais pas ! Mais regarde la merde dans laquelle ma sœur...

- Oh hé, la ferme Joey ! » Je gueule en le foudroyant du regard.

Etrangement, il s'est tu. A sa tête, il ne s'attendait pas à ça de ma part.

- « Ca ne sert à rien de s'engueuler ici, on emmerde les gens. Venez dehors, on va trouver une solution. »

Malgré mon calme extérieur, mon corps entier bouillonne sous la panique, en témoigne les tremblements de mes mains enfoncées dans le cuir de mon sac à main. Une fois dehors, à l'abris des curieux, nous reprenons notre discussion. Tout le monde est tendu et présente des signes de stress : Téa agite ses mains dans tous les sens à défaut de trouver les mots pour calmer Joey, celui-ci croise les bras et réprime des grognements au fond de sa gorge et Zoé ne cesse de piétiner sur place.

- « Je suis désolée, nous devons absolument la rechercher ! » S'écrie Téa dont la voix se brise à chacune de ses exclamations.

- « Joey, tu as une idée d'où elle pourrait être allée ?

- Je ne pense pas qu'elle soit partie seule. »

Son ton sec refroidit considérablement l'atmosphère. Zoé m'échange un regard équivoque. Est-il possible que ce Hirutani ait enlevé Sérénity pour blesser Joey ? Ce scénario me flanque la chair de poule. Soudain, la sonnerie d'un téléphone nous tire de nos réflexions. C'est celui de Joey. Lorsque l'écran s'illumine, je reconnais immédiatement les caractères indiqués : ce sont les mêmes que l'autre soir.

- « Allô ? »

Malgré notre proximité, je n'entends que des bribes à travers l'appareil. La voix de ce type est plutôt grave et désagréable. Le blondinet pâlit à vue d'œil, ses tremblements s'accentuent brusquement.

- « Où es-tu, enfoiré ?! »

Des sons de tonalité retentissent, indiquant que son interlocuteur lui a raccroché au nez, sans répondre à sa question. Joey tente ensuite de contacter sa petite sœur, rien non plus de ce côté-là. Pauvre Sérénity, aux mains d'un sale mec, elle doit être morte de peur...

- « Qu'allons-nous faire ? » Gémit Téa à mon attention.

Comme si j'allais sortir une solution magique de mon chapeau ! Toutefois, si je ne déniche pas une piste dans les prochaines secondes, je sens que quelqu'un à ma droite va exploser. Bon sang...

- « Sérénity ne répond pas sur son téléphone... » Marmonne Zoé, le menton posé entre son pouce et son index.

...Téléphone ? Je claque des doigts et me tourne vers Joey, les yeux écarquillés.

- « Hé, elle n'a pas décroché, mais son téléphone a bien sonné, pas vrai ?

- Mh.

- Cela signifie que son téléphone est encore allumé et donc qu'il borne aux relais le plus proche ! »

Bon sang, si j'avais su qu'un jour que tous ces documentaires criminels me serviraient à élucider un mystère ! Téa, qui fixait ses pieds jusqu'ici pour ne pas avoir à soutenir nos regards, relève doucement son visage vers le mien.

- « Mais comment va-t-on savoir où il a borné ? »

Bon, après tout, nous n'avons rien à perdre à essayer. Je lève l'index en direction de l'immense tour qui supplante la ville entière. La Kaiba Corp. Alors qu'il s'obstinait à appeler en vain le numéro de sa sœur, Joey peste contre mon idée.

- « Hors de question de demander quoi que ce soit à ce connard de Kaiba. Je préfère encore chercher ma sœur tout seul !

- Et quoi ? Tu vas t'épuiser à fouiller la ville de fond en comble ? » Je pose une main sur son avant-bras pour essayer de le calmer. « Joey, je sais que tu es en colère, mais Kaiba peut nous aider ! »

D'un geste violent et brusque, le grand blond se libère de ma poigne, m'envoyant presque valser sur le côté. Mon rythme cardiaque s'emballe sous la peur. Je ne l'ai jamais vu dans un tel état de colère.

- « Faites ce que vous voulez, moi je me casse. »

Devant nos visages ébahis, Joey s'écarte du groupe pour s'élancer au hasard dans les rues de Domino City. Bon sang, s'il nous écoutait. Néanmoins, je ne peux pas lui en vouloir. Après tout, quand Zoé a disparu le premier soir du tournoi de Bataille Ville, je n'ai pas hésité à tout plaquer pour courir à sa recherche. Alors s'il s'agissait d'une sœur...

- « Qu'est-ce qu'on va faire ? » Demande Téa, les yeux rivés vers ses chaussures.

Les deux brunes semblent attendre ma décision. Depuis quand suis-je considérée comme une chef de groupe ? M'enfin, je devine qu'elles sont toute aussi perdues que moi. Réprimant mes légers tremblements et la tension qui s'installe à travers les membres de mon corps, je tâche de me montrer confiante.

- « On reste sur le plan de base. N-Nous allons essayer de trouver Kaiba ou Mokuba pour leur demander leur aide. Ensuite, on se répartira les différents coins où Sérénity est susceptible d'avoir été emmenée. D'accord ?

- D'accord. » Elles répondent en chœur.

- « Bonjour, bienvenue au siège de la Kaiba Corp, comment puis-je vous aider ? »

La dame de l'accueil affiche un large sourire à s'en décrocher la mâchoire. Evidemment, les deux filles reculent d'un pas pour me laisser gérer la situation. Bordel, si seulement Eléonore pouvait s'en charger à ma place.

- « Bonjour, j'aimerais m'entretenir avec Monsieur Seto Kaiba. C'est très urgent, s'il vous plait. »

En dépit de ma moue de supplice, la réceptionniste hausse les sourcils – beaucoup trop épilés au passage – puis pousse un petit gloussement.

- « Vous plaisantez, j'espère ? Non, Monsieur Kaiba est très occupé pour le moment, il ne peut pas vous recevoir !

- Je comprends, mais nous devons absolument lui parler ! Il en va de la vie de quelqu'un, s'il vous plait ! »

Poussée par l'adrénaline, je plaque mes mains sur le comptoir, lui provoquant un sursaut.

- « J-Je regrette, mademoiselle, mais je ne peux pas accéder à votre demande. » Bredouille-t-elle en lançant des regards insistants à droite. « Je vais vous demander de libérer le comptoir, merci et à bientôt ! »

La silhouette d'un personnel de la sécurité se dessine à quelques mètres. Mon sang ne fait qu'un tour et je me penche brusquement vers l'employée.

- « Mais si je vous dis que quelqu'un est en danger ! » Je m'écrie au beau milieu de l'accueil.

- « Sécurité ! »

L'armoire à glace s'approche de moi, prêt à me soulever pour m'enlever du chemin.

- « C'est bon, j'ai compris ! »

Attends, toi, je retiens ton nom pour un prochain aller au Royaume des Ombres. A l'instant où j'adresse des excuses au garde pour ne pas me faire jeter de la Kaiba Corp, les portes de l'ascenseur s'ouvrent sur une silhouette familière. Entourés de deux gardes du corps, Seto Kaiba s'avance de plusieurs pas avant de nous remarquer. C'est l'occasion ou jamais. Ni une, ni deux, je me précipite droit devant lui, évitant de justesse le mec de la sécurité.

- « Kaiba ! »

Zoé et Téa ne tardent pas à me rejoindre. Le PDG me fusille du regard et croise les bras. Une minute, pourquoi est-ce moi qui m'y colle alors que, de toute évidence, ce type me déteste ?

- « Va brailler ailleurs Yuurei, je n'ai pas de temps à te consacrer. »

Quelle magnifique manière d'entrer en matière. Pour peu, je rigolerai bien à son excès de zèle pour flatter son ego.

- « Désolée d'empiéter sur ton temps, ô combien sacré Kaiba, mais nous avons absolument besoin de ton aide. Sérénity a été enlevée.

- En quoi cela me concerne ? » Rétorque-t-il d'un ton cinglant.

Décidément, c'est ma journée. Je m'efforce d'oublier la façon totalement infecte dont il s'adresse à moi et me recentre sur notre mission.

- « On sait que ta société est au top de la technologie et que tu serais capable de localiser son téléphone en moins de deux secondes. Alors, s'il te plait, aide-nous ! »

Tous les employés et visiteurs nous observent de loin. Des chuchotements s'élèvent tandis que Kaiba me dévisage de son dédain habituel. Je tressaute lorsque le garde de sécurité s'approche de moi.

- « Voulez-vous que je les expulse, Monsieur ? » Demande-t-il en m'indiquant de sa main.

- « S'il te plait, Kaiba ! » J'insiste, les mains jointes en signe de prière.

Sans lui, nous ne parviendrons peut-être pas à retrouver Sérénity à temps. Et dans ce cas, Joey... Joey va...

- « J'accepte. »

Je relève brusquement la tête. Ai-je bien entendu ?

- « A une condition. »

Mon cœur se soulève. Est-ce que je viens réellement de réussir à convaincre le grand Seto Kaiba de nous prêter main forte ?

- « O-Oui, quoi ? »

Tout ce qui préoccupe mes pensées à ce moment, c'est de sortir Sérénity de ce pétrin, de lui dire à quel point on s'est tous inquiétés pour elle et de la serrer dans mes bras pour tout reprendre de zéro.

- « Prosterne-toi devant moi, Yuurei. » Lâche-t-il, un rictus aux lèvres.

- « Tu plaisantes ?! » S'insurge Téa dans mon dos.

Trop surprise pour réagir, je scrute le bleu intense de ses yeux pour y déceler la moindre once de plaisanterie. Rien.

- « Alors tant pis pour Wheeler et sa sœur. » Déclare Kaiba avant de me contourner pour poursuivre son chemin vers la sortie.

- « Kaiba, attends. »

Une horde de frissons me parcourt, la simple idée d'obéir à ce mec me donne la nausée. Pourtant. Pourtant...

- « Tu n'es qu'une perte de temps, Pegasus. »

Mes ongles s'enfoncent dans la paume de mes mains. Ce nom... Il sait définitivement où appuyer pour me blesser. Quel enfoiré, ce type. Piquée au vif, j'agrippe mon sac à main et le balance dans les bras de Zoé.

- « Très bien. »

Un genou après l'autre, au beau milieu de l'assemblée, je m'agenouille devant Kaiba, sans le quitter des yeux. Mes dents tremblent, je me mords les lèvres pour ne pas lui laisser l'occasion d'apprécier ma colère et ma frustration. Sérénity, c'est pour Sérénity. Je ne dois garder que ce nom à l'esprit. Sérénity, Sérénity, Sérénity.

- « A terre. »

Un hoquet de surprise m'échappe. Tout mon corps se penche en avant quand je me prosterne entièrement devant lui. Mon regard se focalise sur ses chaussures noires parfaitement cirées. Pour peu, j'apercevrais presque mon pitoyable reflet à travers.

- « Lorène... »

Téa gémit mon prénom. Tout cela est de sa faute, c'est sûrement ce qu'elle est en train de penser. D'un côté, cette situation me donne une bonne raison de la haïr. M'obliger à m'humilier de la sorte.

- « Lèche ma chaussure. » M'ordonne Kaiba.

- « Kaiba ! C'est assez ! » Proteste la grande brune aux yeux azur. « Laisse-la se relever et localise Sérénity ! »

Bien sûr, il ne l'écoute pas et attend que je m'exécute devant tous ses employés. Je ferme les paupières, m'empêchant de réfléchir. Sérénity. Machinalement, je m'abaisse encore pour atteindre sa chaussure droite. Mon estomac se contracte et menace de rendre mon repas à tout moment. Ma gorge se serre tandis que l'odeur de cuir emplit mes narines. Ecœurant. A peine ma langue a-t-elle touché le bout de sa chaussure que je me redresse brusquement, sous le rire satisfait du brun.

- « Que tu es pitoyable, Yuurei. » Raille-t-il.

Il tourne les talons pour rejoindre sa bande de gardes qui l'attendaient un peu plus loin.

- « Mes hommes vous contacteront quand ils auront localisé la sœur de ce crétin. » Ajoute-t-il avant de franchir les portes automatiques.

Assise en tailleur, je m'essuie la langue du mieux possible. Je me dégoûte autant que je le déteste. Je ne réagis presque pas quand un bras s'enroule autour de mon cou pour me presser en arrière. Les cheveux de Zoé me caressent le visage alors qu'elle cale le sien au creux de mon oreille.

- « Je suis fière de toi. » Murmure-t-elle en m'étreignant davantage.

A quelques pas, Téa reste stoïque, les bras pressés contre sa poitrine. Peu importe ce qu'il vient de se passer, peu importe les regards amusés des employés qui nous fixent sans oser, nous sommer de dégager. Nous n'avons pas encore retrouvé Sérénity.


De retour en ville, nous quadrillons les zones possibles d'abriter notre cible. Nous échangeons nos numéros de téléphone avec Téa pour partager les informations. Les hommes de Kaiba me contacteront probablement en premier, je dois donc me tenir prête à relayer la position de Sérénity à tout moment.

Etant la moins familière avec la Domino City, les filles m'ont attribuée la zone limitrophe à Flem, ce qui se résume à quelques ruelles malfamées et aux quais. Rapidement, je renonce aux quartiers aisés. Qui enlèverait une jolie fille pour l'emmener dans une maison luxueuse ? Non, si je devais enlever quelqu'un, je l'emmènerais...

- « Dans un garde-meuble. » Je grogne en fouillant les lieux du regard.

Au bout d'une vingtaine de minutes, j'abandonne. Elle n'est définitivement pas ici. Soudain, de légères vibrations surviennent. Elles émanent de mon sac. Rangé dans la poche avant, mon téléphone indique la réception de plusieurs messages. L'un d'eux provient d'un numéro inconnu, il contient des suites de caractères inscrits en degrés, minutes et secondes.

- « Des coordonnées GPS. Bien joué Kaiba. » Je marmonne avant de transférer le message à Téa, Zoé et, après une seconde de latence, Joey.

Grâce à mon téléphone et aux informations délivrées par la Kaiba Corp, je parviens à localiser un lieu situé au Nord de Domino City. C'est à une vingtaine de minutes à pieds de l'endroit où je me trouve. Il n'y a pas de temps à perdre. Je remonte l'anse de mon sac sur mon épaule et file dans la direction conseillée. Mes poumons brûlent, cela fait bien longtemps que je n'avais pas couru d'une façon aussi soutenue. Mon endurance laisse clairement à désirer. Néanmoins, je serre les dents, oublie les pointes qui attaquent mes côtes et me focalise sur mon but final. 

D'après les notifications qui surgissent dans ma course, tout le monde a reçu l'information et se dirige vers le point GPS. Mes jambes me mènent vers une zone industrielle que je ne connaissais pas. S'enchainent hangar et autres terrains vides à la terre retournée. Mes yeux s'affolent devant tous les endroits malfamés où pourrait se trouver Sérénity. Je suis cependant forcée de ralentir l'allure de mon pas quand le téléphone m'indique le bâtiment dans lequel elle serait captive.


A mon plus grand étonnement, malgré la vitesse à laquelle je suis parvenue jusqu'ici, je ne suis pas la première à avoir repérer les lieux. Les yeux rivés sur son téléphone, Joey marche en direction du hangar en question. Visiblement, sa recherche en solo n'a pas été fructueuse.

- « Joey ! »

Je le rejoins au pas de course, ignorant ma poitrine qui brûle sous l'effort. Contrairement à tout à l'heure, il semble s'être apaisé. Du moins, il me dévisage plus.

- « Comment tu as fait ? »

Les images de ma langue frôlant la chaussure de Kaiba me reviennent immédiatement en tête. Il y a définitivement des choses qu'il ne faut jamais avouer.

- « Peu importe, son téléphone est là-bas. On n'a pas le temps d'attendre les autres. On doit y aller !

- Je dois y aller. Reste ici, c'est trop dangereux. »

Quoi ? Après tous mes efforts, il me demande d'attendre sagement qu'il porte secours à Sérénity ? Hors de question !

- « Et te laisser te battre seul contre ce Hirutani ? Tu te fous de moi ?

- Hé, comment tu es au courant pour...

- Je le sais, c'est tout. »

L'entrée n'est plus qu'à une dizaine de mètres. Naturellement, je ne peux pas masquer mon appréhension, ni les battements de mon cœur qui trahissent une peur certaine. Je suis incapable de me battre, ni même de me défendre contre Kageyama, alors contre un gang...

- « Tu n'es pas obligée de faire ça, tu risques de te faire mal.

- Il n'est pas question de moi, Joey, mais de ta sœur. Ne compte pas sur moi pour jouer aux figurantes. »

Je me doute que mes mains tremblantes contredisent le faux ton assuré que j'emploie pour le convaincre. Lasse de devoir argumenter, je me décide d'avancer et d'abandonner mon sac un peu plus loin. Les bruits de pas dans mon dos m'informent que Joey m'accompagne en silence. Nous contournons le hangar afin de trouver un semblant de porte pour nous y infiltrer. L'extérieur du bâtiment semble désert, complètement abandonné aux mains des gangs et autres mafieux. Une parcelle du mur que nous longeons a été abattue et fait office d'entrée. Courageuse mais pas téméraire, j'attends que Joey entre en premier pour le suivre de très près. Des échafaudages, des caisses poussiéreuses et des murs taggués tellement de fois que les inscriptions sont indéchiffrables. Un vieil entrepôt désaffecté, c'est tout ce que cet endroit m'inspire.

- « Oh hé, Wheeler, t'en as mis du temps mon pote ! »

Une voix masculine résonne dans tout le hangar. De l'ombre jaillit un homme dont je peine à estimer l'âge. De larges épaules, une oreille percée de trois anneaux et des tempes creusées, mais le détail qui me surprend le plus chez ce type, c'est la chaise roulante sur laquelle il est fièrement assis.

- « Hi-Hirutani ?! »

Alors c'est ce mec que tout le monde redoute ? Non, ils se moquent de moi. Tu lui crèves ses pneus, il ne peut plus avancer ! En guise de bienvenue, il écarte ses bras.

- « Wheeler, cela fait si longtemps qu'on ne s'est pas vu, mec ! Il faut dire que la dernière fois, tu n'y as pas été de main morte avec ton petit copain. »

Je jette un coup d'œil rapide au grand blond, totalement décontenancé par l'apparence d'Hirutani. A vrai dire, j'ai du mal à croire que Joey soit à l'origine d'un tel handicap.

- « Non, tu es simplement tombé du toit. Ne te fous pas de ma gueule et dis-moi où est Sérénity !

- Grand-frère ! »

La principale intéressée sort de l'ombre, fermement maintenue par un mec au double de ma carrure.

- « Espèce d'enculé, tu vas regretter de l'avoir enfermée ici ! »

Pendant qu'il s'égosille de menaces envers Hirutani, je scrute les environs. Pour une raison qui m'échappe, mon cœur s'emballe beaucoup plus fort que je ne l'aurais pensé. C'est un piège, nous sommes loin d'être seul ici, je peux sentir l'odeur de transpiration d'une multitude de corps.

- « Je te conseille de t'adresser à moi sur un autre ton. N'oublie pas que c'est moi qui ai ta jolie sœur et qu'un accident est bien vite arrivé. »

Pour prouver ces dires, l'homme qui retient Sérénity se libère une main pour brandit un boitier aux crochets métalliques. Un taser. La prisonnière pousse un cri de terreur quand son bourreau allume l'appareil, crépitant sous la décharge électrique.

- « Qu'est-ce que tu veux ?

- Tu me poses encore la question ? Voyons, tu le sais très bien. Il n'y a personne d'autres dans cette ville capable de rivaliser avec les autres gangs sauf toi Wheeler. Accepte gentiment de me rejoindre et je ne ferai aucun mal à cette poupée. »

Eh... Alors ce n'est pas la première fois qu'il a affaire à ces types louches. Cela explique l'inquiétude de Tristan et des autres.

- « Je vois que tu es bien accompagné d'ailleurs. Allons, mec, je doute que mes gars aient envie de se battre avec une fille donc je te conseille d'accepter ma proposition et on n'en parle plus. »

Sa remarque me pique au vif, mais ce n'est pas le moment de s'affirmer. Du moins pas tant que ce gros lourd retient Sérénity en otage.

- « J'accepte. Laisse ma sœur et mon amie partir. »

Joey fixe Hirutani d'une haine que je n'ai jamais décelée chez lui. Il abandonne ? A moins que ce ne soit qu'une diversion pour s'enfuir ensuite. Enfoncé dans son fauteuil roulant, le chef entrecroise ses doigts, un grand sourire aux lèvres.

- « Enfin un peu de sagesse de ta part. Approche, je vais te la rendre. »

On dirait qu'il parle de Sérénity comme d'un vulgaire jouet. Celle-ci baisse la tête pour ne pas croiser le regard qu'Hirutani lui lance. Les pieds cloués à terre, j'observe mon ami avancer jusqu'à sa petite sœur tout en surveillant les moindres gestes des gars qui l'entourent. Dès que Sérénity sera hors de portée, alors nous pourrons...

- « Tu me prends clairement pour un con, Wheeler ! »

Ni une, ni deux, Hirutani profite que lui tourne le dos pour lui asséner un coup de poing dans la nuque. Il s'éffrondre sur le sol sale du hangar, grognant de douleur. Quel connard, c'était évident que ce fauteuil roulant n'était qu'une putain de diversion ! 

- « Joey ! » Je m'écrie en courant à son secours.

Mais mon sauvetage s'interrompt brusquement lorsqu'une horde de gars aussi effrayants et moches les uns que les autres se détache des ombres pour s'interposer entre Joey et moi. Pourtant, en dépit de leur surnombre, ils se contentent de m'examiner de haut en bas, dans l'attente d'un ordre de leur patron.

- « Hé, petite. Comme je l'ai dit précédemment, on n'a pas envie de se battre avec les filles. Alors va-t'en retrouver tes petites copines, on va bien s'occuper de ce nigaud. »

L'un des mecs s'écarte du cercle qui s'est formé autour de moi pour m'intimer de prendre la fuite. Bordel, ce n'est pas un gang ça, c'est littéralement une armée de délinquants ! Je ne fais clairement pas le poids, surtout avec un Joey à terre.

- « Tu veux de l'aide pour trouver la sortie ? Un peu de galanterie ne nous fera pas de mal, après tout... »

De la galanterie ? De la stupidité oui ! Muette, je frisonne lorsqu'un des types louches s'approche de moi et pose une main sur mon épaule. D'un coup, je me revois devant Kageyama, incapable de me défendre. Arrête de réfléchir, Yuurei.

- « Allez m'amzelle, c'est par ici ! »

Il ne leur en a pas fallu davantage pour se jeter sur moi. J'ai eu beau tenter de me faufiler parmi leur corps couvert de sueurs, l'un d'eux est parvenu à me plaquer au sol tandis qu'un autre me renvoyait le coup de poing en pleine figure pendant que leurs potes admiraient le spectacle. A plusieurs reprises, j'entends mon prénom entre deux grognements, certainement la voix de Sérénity. Je n'en suis pas très sûre, mes oreilles bourdonnent si fort que je doute que je resterai consciente encore longtemps. Le mec qui me maintenait au sol se relève pour me flanquer un coup de pieds dans les côtes avant de s'écarter. Je profite de ce moment de répit pour me décaler en position latérale de sécurité à l'aide de mes dernières forces.

Espèce d'idiote, tu savais très bien comment ça finirait dès l'instant où tu as posé les pieds dans cet endroit.

Ma joue s'engourdit après de longues secondes de souffrance, ma bouche est remplie de sang que je décide finalement de cracher de quelques toussotements. Au moins, si je crève ici, Eléonore m'aura adressé la parole.

Ce serait idiot de mourir sans avoir eu l'occasion de me venger du pharaon.

Je réprime l'envie de rire. A croire que j'avais oublié ce que ça faisait de converser avec elle. A quelques mètres, je décèle une forme se démener contre les autres types. Joey les affronte un à un, ignore les attaques qui lui sont portées et réplique aussi vite. Néanmoins, seule contre tous, il peine de plus en plus à se relever de chaque chute. Je...

Qu'est-ce que tu fous ?

La lèvre inférieure mordue jusqu'au sang, je me redresse sur mes genoux puis m'appuie sur mes jambes chancelantes. Le goût de fer dans ma bouche et dans mon nez me donne envie de gerber. Ma peau semble brûler à chaque frottement contre mes vêtements.

Eléonore, on va les défoncer.

Pourquoi je t'aiderai ?

- « Parce qu'ici comme en duel, c'est la victoire ou la mort. » Je marmonne en fixant des yeux Hirutani occupé à s'extasier devant le combat de Joey.

A lui seul, il a réussi à amener au tapis cinq mecs sur dix. Impressionnant. Je comprends désormais pourquoi ce type infect voulait le recruter.

- « Hé, Hirutani. » Je lance alors que Joey recule d'un pas pour esquiver un énième coup de poing.

L'intéressé reporte son attention sur moi. Mon visage doit lui plaire étant donné son large sourire. Si la vue su sang l'excite, alors je ne vais pas me gêner.

- « Incroyable, la copine de Wheeler tient encore sur ses pieds ! T'en as pas eu assez ma belle ? Avoue que tu aimes ça.

- Dégage Lorène ! » Me hurle le grand blond.

C'est tout le contraire qu'il se produit. Comme la douleur de mes membres s'était soudainement envolée, je m'élance dans la direction d'Hirutani, évite de justesse le plaquage d'un de ses sbires et lui inflige un violent coup de pied dans l'abdomen. Si cette première attaque venait de mon propre chef, les suivantes sont, elles, dictées par une force extérieure. J'abandonne le contrôle entier de mes membres qui se chargent d'achever les malchanceux encore debout. Les nez craquent sous mes phalanges, les râles de douleur se rejoignent dans un concerto presque jouissif. Ils tombent un à un à terre jusqu'au dernier. Ne demeure plus qu'Hirutani, incrédule devant mon soudain regain d'énergie.

- « A ton tour ? Tu sais, je n'aime pas me battre contre les garçons, alors va-t'en retrouver tes petits copains. » Je siffle en m'avançant lentement vers lui.

Un voile de panique assombrit ses yeux. Puis, soudain, un sursaut. Sans que je n'aie le temps de réagir, il se précipite dans le dos de Sérénity, abandonnée par le gros tas qui la retenait. Son bras s'enroule autour de sa gorge et sa main libre soustrait de sa poche arrière un canon qu'il plaque contre la tempe de son otage.

- « SÉRÉNITY ! » Hurle Joey, agenouillé à quelques mètres de moi.

- « Vous ne m'aurez pas tous les deux ! Alors maintenant c'est la petite ou Wheeler. »

Depuis le début, il ne souhaite pas recruter Joey, bien au contraire. Tout ce qu'il désire, c'est le descendre pour ne plus qu'il lui fasse de l'ombre. Les coups précédents me tordent en deux. Eléonore est incapable d'effacer la douleur physique, je l'aurai presque oublié si je n'avais pas l'impression qu'on me fracasse les os à coup de burin.

- « A-A...l'a...de. »

Les prières de Sérénity sont presque inaudibles, ne fusent qu'une série de sons aigus du fin fond de sa gorge. Les yeux de Joey sont révulsés, il tremble de la tête aux pieds. Moi aussi.

« J'ai une meilleure idée »

Les souvenirs du magasin resurgissent dans mon esprit, suivi du bruit de la détonation et de la vision d'horreur du sang qui s'écoule sur le sol. Ma respiration se saccade. Mains plaquées sur mes tempes, je ne parviens pas à me retirer du crâne ses images de mes parents morts.

Lorène...

On ne peut pas laisser cette horreur se reproduire !

Je relève brusquement le menton, croisant le regard fier d'Hirutani. Son index joue sur sa gâchette, provoquant un bruit mécanique qui résonne dans mes tympans.

- « Toi...

- Oui ? Quelque chose à ajouter ?

- ...sombre âme qui a pété par ses actes, tu ne mérites pas de vivre auprès du commun des mortels... »

Ma vue se brouille, des larmes s'écoulent le long de mes joues et se mélange avec le sang séché de mes blessures. Mes veines pulsent sous la tension, des crampes s'insinuent dans mes membres. J'ai chaud, très chaud.

- « Q-Qu'est-ce que c'est que cette merde ?! Je ne sais plus bouger ! »

Hirutani s'excite, ses épaules tressaillent, mais sa position reste la même. Il est entièrement paralysé, incapable d'appuyer sur la gâchette de son pistolet.

- « Au nom du Royaume des Ombres, je décide de t'envoyer dans un endroit si noir et horrible que tu n'en sortiras qu'une fois repenti... »

Plus que six petits mots et il rejoindra Madame Yoshida et Monsieur Kageyama dans les méandres des enfers. Mon front brûle. Je ressens la présence d'Eléonore dans mon dos, étrangement silencieuse. Hirutani dépasse le stade de la folie et me supplie de le laisser vivre. A-t-il seulement compris ce qui lui pend au bout du nez ? Sait-il qu'il est sur le point de mourir ? Les hoquets de frayeur de Sérénity se sont brusquement arrêtés. Elle ferme les yeux dans l'attente de la suite.

- « Va te faire foutre, Hirutani. » Je conclus en m'avançant vers lui.

Envoyant valser mes envies de vengeance, je lui craque les doigts pour récupérer son arme et la braquer contre lui. Mon bras ne tremble pas. Une force surhumaine l'en empêche. Sérénity se détache de l'emprise d'Hirutani et se réfugie dans les bras de son frère. Ses pleurs n'apaisent pas ma colère, chaque parcelle du pistolet semble fusionner avec ma peau, comme s'il n'était que le prolongement logique de mon bras. Un seul geste et ce type ne blessera plus jamais Joey. La force qui maintenait mon bras s'amenuise. Hirutani s'écouler sous son propre poids, les orbites écarquillés, ancrés dans mon regard qu'il n'ose pas détourner.

- « La prochaine fois, je te bute. »

Il déglutit et hoche la tête sans un mot. Sentant la douleur revenir petit à petit, je me tourne vers Joey en train d'enlacer Sérénity, sous le choc.

- « Allons-y. » Je marmonne en reculant de deux pas.

Tout aussi ahuri que moi, il acquiesce et nous repartons par la brèche qui nous a servi d'entrée. J'abandonne sur le chemin le pistolet d'Hirutani, dans le même coin où je récupère mon sac à main.


- « Sérénity ! Dieu soit loué, tu es saine et sauve ! »

Zoé et Téa viennent seulement d'arriver au point indiqué par les coordonnées GPS. La rescapée quitte les bras de son frère pour ceux de la grande brune. Ma partenaire de toujours s'approche de moi et jauge la gravité de mes blessures.

- « Ils ne plaisantaient pas... Vous vous sentez bien ? »

Sa question s'adresse à Joey et moi, seuls à être couverts de bleus et d'entailles. J'ai la tête qui tourne les jambes qui menacent de lâcher à tout moment.

- « C'est à eux qu'il faut poser la question. » Je plaisante avant de cracher sur le côté le peu de sang qui me restait au fond de la gorge.

- « Très sexy. »

Loin de s'inquiéter de nos visages meurtris, Téa se confond en excuses envers Sérénity, honteuse d'être à l'origine de son enlèvement. Mon amie lève les yeux au ciel et attrape mon sac à main pour m'aider à me déplacer.

- « Rentrons à la maison. »

Sans hésitation et malgré quelques difficultés à bouger sans grogner de douleur, j'accompagne Zoé après un bref signe de la main au reste du groupe.

- « Lorène ! »

La voix brusque de Joey me provoque un sursaut. Sa joue gauche est gonflée et ses bras couverts d'égratignures, certaines plus sérieuses que d'autres.

- « O-Oui ?

- Je... je passe te voir ce soir ! »

Alors que mon rythme cardiaque avait repris une cadence correcte, je me sens entrainée dans une nouvelle tourmente. Qu'est-ce qui lui prend de dire ça, tout haut ? Devant toutes les filles ?! Mon visage doit être aussi décomposé que le sien pour que Zoé éclate de rire avant de m'emmener plus loin. Une fois que nous sommes suffisamment éloignées, je lance un coup d'œil vers la brune.

- « J'ai failli le tuer, Hirutani... Une phrase de plus et il...

- Tu as sauvé Sérénity, et c'est tout ce qui compte. »

L'expression de supplice sur le visage de cet enfoiré hante déjà mon esprit. Pourtant, je continue d'avancer en silence, en route pour la maison.


Si ça avait été l'enfoiré qui a abattu mes parents, qu'aurais-je fait ?


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