Âme de Pureté

Chapitre 19 : Corpse Party: chapitre 19

5327 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/10/2019 14:45

Lorsque mon réveille sonne, ce matin-là, je suis arrachée d’un autre rêve où je touchais du bout des doigts le titre tant convoité de Reine des jeux. Malheureusement, ce rêve ne s’achèvera jamais car il est grand temps pour moi de retrouver le chemin des cours !

Malgré l’heure qui tourne, je prends mon temps pour m’apprêter, de l’uniforme orangé de Flem à mes cheveux parfaitement peignés. Une dernière vérification dans le miroir de ma chambre et j’attrape mon sac d’écolière avant de rejoindre le séjour. A première vue, ma mère est déjà partie travailler, en atteste le petit mot d’encouragement qu’elle m’a laissé à côté d’un bento soigneusement emballé. Pour peu, je verserai une larme à son attention. Ma mère travaille tellement qu’elle n’a jamais le temps de me préparer quoi que ce soit, donc je finis souvent par m’acheter un sandwich à la cantine de l’école. Ravie, j’engouffre la boite dans mon sac et me dépêche de sortir sous le ciel bleu et scintillant du Japon.


Trois jours ont suivi la fin du tournoi de Bataille Ville, partout on peut entendre les échos de la victoire écrasante de Yugi, d’autant plus que celle-ci a été retransmise sur grand écran depuis Domino City. Au fond, je ressens un peu de jalousie envers le champion. Moi aussi j’aurais aimé m’illustrer devant des milliers de spectateurs ! Au lieu de ça, mon nom a tout simplement été effacé de l’arbre du tournoi. Après tout, celui de Monsieur Pegasus n’y figurait pas non plus, Kaiba ne voulait certainement pas m’offrir le plaisir de contempler mon nom à côté du sien.

- « Bonjour mademoiselle Yuurei ! »

Arrivée dans la rue marchande, je croise Monsieur Sanpei, le vieux et bienveillant poissonnier de la ville.

- « Bonjour monsieur Sanpei ! » Je réponds en agitant ma main.

- « Oh, tu m’as l’air de bonne humeur aujourd’hui ! C’est le retour des cours ? »

Il pointe du doigt mon uniforme scolaire. Je dois avouer que les derniers événements m’ont fait remarquer les bienfaits du train-train quotidien. Je me sens presque enjouée à l’idée de m’enfermer dans une salle de classe pour de longues heures.

- « D’ailleurs, ça m’étonne de te voir ce matin. Ils disaient aux informations hier soir que le lycée n’ouvrirait pas avant la fin de l’enquête. » Ajoute-t-il en déplaçant une caisse lourde aux odeurs prononcées.

Les affirmations du vieux monsieur me plongent dans le doute. Une main enfouie dans mon sac, j’en ressors mon téléphone et consulte les derniers messages reçus la veille.

« Eh, n’oublie pas de vérifier quel lycée t’a été attribué avant de paniquer demain matin. »

Le dernier texto de Zoé m’arrache une grimace, je savais que j’aurais dû lui poser la question hier soir.

Quand on est trop occupé à jouer les criminelles, voilà ce que ça donne.

Permets-moi de te rappeler que c’est aussi de ta faute si on doit planquer ce cadavre ! D’une main, j’effectue des recherches dans mes mails pour vérifier s’il s’y trouve un quelconque mot de l’administration de mon lycée. Bingo !

« Chère Madame Yuurei,

Comme indiqué dans les derniers courriels de l’école, nous nous voyons dans l’obligation de vous attribuer temporairement un autre établissement scolaire le temps que l’affaire sur l’incendie survenu récemment soit close.

Le conseil d’administration a ainsi décidé que vous intégrerez dès lundi le lycée de Domino City. 

Veuillez vous assurer d’être présent dès le début des cours et de vous montrer à la hauteur de la réputation de notre établissement. »

- « D-Domino City… Godverdome ben ik al te laat ! [1] »

En effet, l’heure indiquée plus bas dans le mail est presque passée et vu la distance qui me sépare de la gare, jamais je n’attraperai un train assez tôt !

- Tout va bien mademoiselle ? » S’inquiète le poissonnier devant ma soudaine crise de panique.

Déjà que j’ai manqué les derniers cours, je vais réellement avoir des ennuis si j’arrive en retard à mon premier jour dans ce nouveau lycée ! J’étais sur le point de me lancer dans la course de ma vie quand une série de bruits de clochettes retentit dans mon dos.

- « Attention devant ! »

En me retournant, j’aperçois la silhouette élancée de Joey sur son vélo, visiblement réparé depuis notre première rencontre, ici-même. M’ayant sûrement reconnue de loin, il s’arrête à notre hauteur et salue monsieur Sanpei.

- « Vous feriez mieux de déguerpir, vous deux. » Nous conseille vivement celui-ci. « Vous risquez d’être en retard si vous trainez ! »

A ses mots, Joey consulte son portable déposé dans le panier accroché à son guidon et devient pâle comme neige.

- « Merde, je n’avais pas vu que j’étais à la bourre ! »

Mais au moment où il allait repartir de plus belle, je saisis ma seule chance de régler cette histoire de retard. Sans réfléchir, je m’avance jusqu’à la rallonge arrière de son vélo et propulse son tas de ferraille avant d’y grimper. Sans aucune once de gêne, j’empoigne ses épaules pour garder l’équilibre.

- « M-Mais qu’est-ce que tu fiches ?! » S’insurge Joey, redressant brusquement le guidon pour ne pas tomber.

- « Pose pas de question, fonce jusqu’au lycée de Domino ! »

Au loin, j’ai cru entendre la voix de Sanpei nous prier de faire attention. Très vite, elle a été couverte par les alertes lancées par un policier de quartier, nous sommant de nous arrêter. Evidemment, Joey n’y prête pas la moindre attention et pédale le long des rues de la ville. Le vélo sillonne les rues de la ville à vitesse folle. Je me surprends à apprécier la vue des commerces défilant sous mes yeux et le vent frais qui balaie mes cheveux.

- « Tu pourrais au moins m’expliquer pourquoi tu te rends à mon lycée ? » Me demande soudainement Joey, levant le pied à une intersection.

- « J’y suis mutée le temps qu’ils bouclent l’enquête de l’incendie, on dirait que je vais devoir te coltiner pendant un bon moment ! 

- Eh n’oublie pas que c’est mon vélo qui te supporte là ! » Rétorque le grand blond en accélérant.

Après avoir tenté de me tuer avec l’autre fois, il me doit bien une petite course. Nous parvenons aux grilles du lycée quelques instants avant que le gardien ne les referme, ce qui nous a valu des réprimandes de sa part. Apparemment, nous n’avons pas le droit de monter à deux sur un vélo de cette composition. Dommage, je me suis bien amusée.


- « Ce n’est pas trop tôt ! » S’exclame Zoé, bras croisés devant l’entrée.

Elle hausse un sourcil quand elle remarque la présence de Joey à mes côtés. Un léger sourire se forme au coin de ses lèvres. La grande brune ne manque pas d’ajouter d’un air fier :

- « Oh désolée, j’interrompais quelque chose peut-être ? 

- Oui, j’étais sur le point de te tuer et je me demandais de quel instrument je devais me servir.

- Brûlée par un disque de duel, ça me suffit. »

Sa remarque m’enfonce une nouvelle fois. Je grince des dents, elle est la seule avec Kageyama et Mokuba à être au courant des tenants et des aboutissants de cette histoire. D’ailleurs, je me demande si Kaiba compte régler ce souci de dysfonctionnement et si j’en serais avertie.

- « Alors toi aussi tu es mutée ici ? » Lance Joey, ignorant sa dernière pique.

- « Oui, classe 2-B d’après ce qu’un responsable m’a dit. 

- Eh merde, je vais devoir vous supporter tout ce temps ? »

Ne me dites pas qu’on nous a mis exactement dans la même classe par pur hasard parce que c’est clairement scripté. Malheureusement, mes doutes se sont confirmés quand un professeur qui attendait devant la classe surmontée d’une inscription « 2-B » nous a hélé de la main, sûrement à cause de nos uniformes orange. Nous laissons Joey entrer dans la salle pour nous entretenir avec cet homme. Ce que j’avais pris pour un professeur se révèle être un des responsables administratifs de notre changement d’établissement.

- « Dans combien de temps pensez-vous que l’affaire sera résolue ? » Demande Zoé en croisant les bras.

L’homme paraît soudainement un peu tendu, il ne cesse de relever sa paire de lunettes au sommet de son nez.

- « Nous n’avons pas plus d’informations à communiquer aux étudiants pour le moment. »

Dommage, j’aurais aimé en savoir un peu plus. Cette Kageyama… J’espère sincèrement qu’elle a décidé de se taire à ce sujet, je n’ai aucune envie de me voir enfermée pour un défaut de fabrication de ce crétin de Kaiba.

Sauf que tu oublies un détail. Si Kaiba est à l’origine du problème, tu t’es rendue coupable de ne pas t’être présentée à la police après les faits.

Face à ce constat, je ne peux que me taire. La cloche sonne, signe du début des cours. Le moment le plus gênant de la journée car le professeur chargé de nous présenter à la classe se présente à nous comme une femme d’âge mur aux rides tirées et au maquillage imposant. Mes yeux peinent à comprendre s’ils doivent regarder ses énormes lèvres rouges, son grain de beauté sous l’œil gauche ou son fard à paupières fuchsia compacté derrière l’épaisse poudre blanche qui recouvre l’entièreté de son visage. Zoé me lance un léger coup de coude pour m’intimer de rentrer devant elle. Dès que nous passons le bas de la porte, tous les regards se tournent vers nous. Certains plus intensément que d’autres.

- « Lore-chan ! »

Je repère assez vite la bouille joyeuse de Yugi, contrastant avec l’aura maléfique de la jeune fille placée devant : Téa Gardner. Heureusement, lors des présentations, c’est Zoé qui s’y colle la première. Par la suite, je ne fais que répéter les quelques informations à mon sujet, gardant bien d’introduire la deuxième âme dans ma tête. Par chance, je me retrouve assignée à la place à côté de Tristan qui m’envoie une tape amicale à mon passage. Zoé, elle, s’assoit aux côtés de ma brune préférée.

Après vingt minutes de cours, la folle envie d’assister aux leçons qui m’avait envahie durant ces derniers jours est retombée tel un soufflet. Plus qu’une demi-heure à supporter la voix faussement aigüe de Madame Chono.

Quelle plaie. C’était déjà aussi chiant que du temps où tu ne m’entendais pas.

Je tique. Encore une allusion à son existence dans ma tête. Si la baguette de Marek a invoqué Eléonore, je pensais que ça signifierait que l’esprit se trouvait jadis dans cet objet du millénium. Cependant, après ma découverte dans cette bibliothèque de souvenirs dans lesquels s’écrivent ceux d’Eléonore, il devient difficile de considérer cette théorie.

- « Mademoiselle Yuurei, vous êtes avec nous ? »

Mince, je fixais la fenêtre beaucoup trop profondément pour l’écouter. Sentant une bouffée de chaleur m’envahir sous la honte, je me confonds en excuses auprès du professeur.

- « Pour vous réveiller, vous allez nous lire le prochain paragraphe. »

De sa grande bonté, Tristan pointe discrètement le texte en question, je l’en remercie d’un signe de tête et me lève de ma chaise, livre en main. C’est alors qu’une profonde angoisse s’empare de ma poitrine. Ces signes japonais, ce sont ceux que je redoute le plus depuis que j’apprends la langue en cours.

- « Qu’attendez-vous ? » Insiste Madame Chono, de moins en moins patiente.

Mes mains moites s’agrippent au manuel. Les mots sur la page s’emmêlent dans ma tête, est-ce ce son ou bien celui-là ? Non, plutôt celui-ci. Est-ce que je connais ce mot en fait ? Pressée par le temps, je commence à débiter plusieurs phrases qui n’ont ni queue ni tête vu le visage circonspect du professeur. Je ne manque pas l’insolence avec laquelle elle lève les yeux au plafond avant de m’interrompre.

- « Ça suffit, je ne savais pas que le lycée de Flem éduquait des illettrées. Rasseyez-vous »

Il me semblait pourtant avoir précisé que je ne suis pas japonaise. Le long de mes précédentes années, j’ai rencontré plusieurs professeurs qui, ayant compris mon problème, avaient ajouté des notes dans leurs cours pour m’aider à assimiler les différents caractères. Il est clair qu’aujourd’hui, je vais devoir me débrouiller seule, du moins tant que je serais dans ce lycée.

Je me suis assise sur ma chaise et le cours a repris de plus belle. Cette fois, Madame Chono a interrogé à la suite Téa et Zoé qui n’ont évidemment commis aucune faute, de quoi approfondir mon mal-être. De subtiles vibrations interviennent au bout de mes doigts. Je secoue vivement la tête. Non, Eléonore, nous sommes en cours, il est hors de question de jouer ton petit jeu ici.

- « Eh, ça va ? » Me chuchote Tristan.

Les yeux fermés et la tête baissée, je soupire en silence avant d’acquiescer. Si seulement Eléonore était capable de me rendre plus intelligente plutôt que de me permettre d’envoyer les gens dans une sorte d’Enfers.

Techniquement, si on envoie tout le monde au Royaume des Ombres, tu seras la plus intelligente.

Pff. On croirait entendre la méchante de Blanche Neige. « La plus belle, c’est Blanche Neige, alors je vais la tuer. Comme ça, je serai la plus belle du royaume. »

Ça aurait fonctionné si elle n’avait pas été assez stupide pour se transformer en vieille sorcière. Non mais sérieusement, qui fait ça ?

Suis-je réellement en train de débattre d’un Disney avec cet esprit vieux de cinq-mille ans ? Notre débat interne se poursuit jusqu’à la sonnerie de la fin du cours. Mon cœur devient plus léger quand Madame Chono quitte la pièce, sans un regard à mon égard.

- « Bienvenue, Lorène ! »

Mais à peine ai-je le temps de souffler de soulagement qu’un élève se pose devant moi. Je souris devant le visage joyeux de Yugi Mûto. La dernière fois que je l’ai croisé, c’était durant ce duel qui m’opposait à Marek, autant dire que ça ressemble à des années vu tout ce qui s’est produit ensuite.

- « Merci, Yugi ! Et mes félicitations pour le tournoi de Bataille Ville. 

- Il le fallait, après tout… Mais je dois dire qu’on a été surpris de ne plus te voir après mon duel. »

Durant un court moment, je le dévisage, tenant de me remémorer la suite des événements. Ah mince, je me suis réveillée après Eléonore, j’avais presque oublié ce détail.

- « Oh… A vrai dire, je … ne me souviens pas de grand-chose. 

- Quoi ? Ne te me dis pas que tu as raté l’explosion de l’île de Kaiba ? »

Joey s’est incrusté dans notre discussion comme si de rien était. Mes yeux s’écarquillent et je manque de tomber en arrière.

- « L’île de Kaiba a explosé ?! »

Les trois garçons hochent la tête à l’unisson.

- « Il a déclenché ses minuteurs alors que le dirigeable ne redémarrait toujours pas… » Gémit Tristan, avachi sur son banc.

Encore un détail que tu t’es bien gardé de me communiquer, Eléonore.

Désolée, j’aurais dû te faire un compte rendu.

L’ironie dans sa voix intérieure m’irrite. Que c’est frustrant de ne pas être maître ni de ses souvenirs, ni de ses actes.

- « Et toi, tu es devenue quoi à ce moment-là ? »

Je leur partage mes derniers souvenirs de cette dernière journée de tournoi, passant sous silence le moment où je me suis retrouvée à califourchon au-dessus de Monsieur Pegasus, prête à le poignarder dans le plus grand des calmes. Mon explication semble perturber Yugi qui dévie le regard quelques minutes.

- « Tu ne trouves pas ça étrange que Pegasus se rapproche de toi, comme ça ? »

Enfin quelqu’un qui le mentionne ! Je me dépêche de lui répondre.

- « Et pas qu’un peu ! Le plus bizarre avec lui, c’est qu’il ne m’appelle pas Lorène comme tout le monde, il m’appelle Eléonore sans arrêt. »

Cette appellation jette un froid glacial sur le petit groupe. Téa, un peu à l’écart jusqu’ici, en profite pour s’introduire dans la discussion.

- « Le cours va bientôt commencer, on retourne à nos places, Yugi ? »

Je ne manque pas les éclairs qu’elle m’envoie de ses grandes prunelles bleues. En fin de compte, c’est moi qui devrais la fusiller du regard. Si je me rappelle bien, c’est elle qui est à l’origine de mon duel contre Marek, à me reprocher sans arrêt les actions d’Eléonore !

- « J’arrive. Lorène, je pourrais te parler à la pause de midi ? »

Le pharaon a visiblement besoin de s’entretenir avec nous, c’est du moins ce que m’insuffle sa demande. N’ayant pas de raison de lui refuser, j’accepte sa proposition. Et toutes les heures qui ont suivi m’ont servi à préparer cette entrevue. Je pèse le pour et le contre de confier au pharaon ce que j’ai trouvé au fin fond de mon âme. Peut-être qu’il pourra m’aider à comprendre la signification de tous ces bouquins, vu qu’Eléonore se mure dans un silence détestable au plus haut point. Je rêvasse tandis que le professeur nous donne des exercices de mathématiques que je mime de compléter sur mon bout de cahier. Au fond de moi, je me sens comme à la veille d’une virée au parc d’attraction, complètement excitée à l’idée d’enfin résoudre ce mystère qui entoure Eléonore.


Les joues affalées dans mes mains, je pousse un soupir de joie quand la cloche retentit sous les coups de midi. Certains élèves se réveillent de leur sieste quand d’autres se rapprochent pour échanger leurs notes sur les cours précédents. Je me lève, prête à rejoindre Yugi lorsque la voix de Téa s’élève assez haut pour que je l’entendre.

- « Yugi, j’ai quelque chose à te montrer, tu viens ? »

Je me tourne suffisamment pour l’admirer en train de s’agiter aux côtés du jeune garçon. Celui-ci paraît embêté et tente vainement de raisonner son amie.

- « Téa, je dois absolument parler à Lorène. Ça peut attendre ? »

C’est maintenant qu’on va voir qui commande entre le pharaon et Yugi. Finalement, c’est une bonne chose d’avoir été envoyées dans ce lycée.

Téa ne manque pas d’insister auprès de son ami pour qu’il l’accompagne. Armée de son bentô, elle tire à plusieurs reprises sur le bras de Yugi qui résiste de moins en moins. Dans son désarroi, il me jette quelques regards affolés. Désolée, chacun son bourreau. Toi c’est une lycéenne capricieuse, moi c’est un esprit vieux de cinq-mille ans.

Tu es obligée de me rappeler tout le temps que je suis vieille ?

- « A tout à l’heure les garçons ! » S’exclame Téa en atteignant la porte de la classe.

Finalement, Yugi aura cédé au bout d’une vingtaine de secondes. Je ne parviens pas à me décider de si c’est un exploit ou une déception. Toujours est-il que je me retrouve debout comme une imbécile au milieu de la classe.

- « Eh, reste pas là, viens t’asseoir ! »

Tristan et Joey s’affairent à pousser les tables et les chaises au fond de la classe pour nous laisser nous y installer avec Zoé. Sans piper mot, j’attrape mon bento et rejoins les autres, un goût amer au fond de la gorge. Les garçons commencent par râler sur les exercices supplémentaires gracieusement octroyés par le professeur de mathématiques tandis que Zoé et moi mangeons en les écoutant. Piquant ma petite fourchette dans un bout d’œuf dur de ma boite, je repense aux dernières paroles lancées par Téa dans le dirigeable.

« Tu n’as rien à foutre dans notre groupe et en plus de ça, tu es nocive. »

De quoi me foutre un sacré coup au moral, un de plus dans cette journée pourrie.

- « L’autre peau ne t’a pas ratée en tout cas ! » S’exclame Joey assez fort pour me tirer de mes pensées.

Joey Wheeler, ou comment rajouter de l’huile sur un incendie.

- « Je n’avais pas besoin d’elle pour savoir que mon japonais laisse à désirer… »

Devant mon ton déprimé, Zoé repose son bento et ses baguettes sur la table et m’assène une tape sur l’épaule.

- « Dommage qu’on n’a pas pu transférer Monsieur Yamamoto, pas vrai ? » Rétorque-t-elle d’une voix enjouée.

J’approuve instantanément ses dires. Monsieur Yamamoto enseignait le japonais à Flem et il se comportait comme un véritable mentor auprès de ses élèves. Quand je l’ai informé de mes problèmes dans la langue, il m’a aidée à traduire certaines parties de mes manuels et acceptait de relire mes devoirs quand les résultats étaient cruciaux pour mon dossier. Une véritable crème.

- « Jamais il ne m’aurait humiliée à ce point ! J’aimerais trop qu’il vienne ici ! 

- Il y a peut-être un moyen… »

Je reconnais ce ton, c’est celui de Zoé quand elle m’intime d’utiliser Eléonore à mes fins personnelles. Certaine de ne pas vouloir reprendre un tel risque, je pointe ma fourchette dans sa direction et secoue la tête.

- « Pas possible. »

Le reste du repas se déroule dans la bonne humeur. Difficile de s’ennuyer en présence des deux Apollons de Domino après tout. Mais alors que je rangeais mes affaires dans mon sac de cours, la voix étrangement sérieux de Tristan s’élève à ma droite.

- « Au fait, Lorène. 

- O-Oui ? » Je bredouille, surprise.

Il lance un regard à Joey qui opine du chef avant de revenir vers moi.

- « Je voulais m’excuser pour l’autre fois. Tu te souviens, dans le dirigeable pendant le duel de Yugi. »

Je penche la tête sur le côté. Ses excuses me rendent perplexes tant je ne saisis pas leur origine.

- « Quand tu t’es fâchée avec Téa dans la chambre de soins, elle a dit des choses pas très sympa. Et à un moment tu t’es retournée vers Duke et moi pour nous demander ce qu’on en pensait.

- Oui, et vous vous êtes débinés comme des lâches. Résultats ? J’ai fini au Royaume des Ombres.

Prise au dépourvu, je me râcle la gorge et enchaîne avant que Tristan n’ait le temps d’ajouter quoi que ce soit.

- Désolée, c’était pas moi. Oui, mais tout le monde était à cran, Joey et les autres étaient inconscients. Ce n’est pas à vous deux que j’en veux. 

- Mais je tenais à m’excuser. Si j’étais intervenu pour calmer le jeu entre vous, tu n’aurais peut-être pas affronté Marek avec le résultat qu’on a connu. »

Pour une surprise, c’en est une. A mon humble avis, c’est Joey qui lui a fait comprendre que les accusations de Téa à mon égard étaient tout à fait infondées. Du moins, c’est ce qui me plaît à croire.

- « Ce n’est pas grave, tu es pardonné. Comment pourrais-je en vouloir à un Apollon de Domino, sérieusement ?

- C’est toujours trop tôt pour d’appeler la Schizo ? 

- Toujours trop tôt. » Je réponds en souriant.


L’après-midi défile à une vitesse incroyable. Il faut dire qu’avoir Tristan comme voisin de classe offre un magnifique spectacle tant il met un point d’honneur à garder son environnement sain et propre. Il m’avouera entre deux cours qu’il est le président du club de nettoyage, ou plutôt « d’embellissement » du lycée de Domino.

A la fin des cours, j’attrape mon sac et me prépare à rejoindre Zoé dans le couloir. Chaque soir depuis notre dernier service au Tam-Tam, nous avons convenu de nous réunir. J’adresse à Tristan et Joey un signe de la main quand je remarque que Yugi a déjà quitté la classe. Mais ce détail est immédiatement oublié quand mon amie me presse jusqu’à la cour du lycée.

- « Il faut absolument qu’on vérifie son état aujourd’hui. »

Tout à l’heure joyeuse, Zoé arbore désormais une expression sérieuse et parle d’un ton plus grave. Je calque le rythme de mes pas au sien quand l’appel de mon nom me stoppe dans ma marche.

- « Est-ce qu’on peut discuter ? »

En me retournant, j’aperçois Yugi, légèrement essoufflé. Il remet une mèche blonde qui masquait son visage d’ange.

- « On n’a pas le temps, Lore. » Me chuchote Zoé dans mon dos.

Elle a raison, je le sais pertinemment. Pourtant, j’aimerais m’entretenir avec Yugi pendant de longues heures et, au vu du regard qu’il me lance, c’est certainement son cas. Embarrassée, je plonge une main dans mon cou, envoyant valser mes cheveux au gré du doux vent du soir.

- « Désolée Yugi, j’ai un truc important à faire tout de suite. 

- Je comprends, mais est-ce qu’on pourra se voir seul à seul ? »

Sa demande ainsi formulée m’arrache un sourire gêné, s’il remarquait la nuance quasi-romantique de ses mots, je ne suis pas sûre qu’il l’aurait répété.

- « Tu as mon numéro, n’hésite pas. » Je soupire avant de me retourner.

Une chose est certaine : Téa ne m’empêchera pas d’accomplir mon but, ni même celui du pharaon.

Désormais, Zoé et moi devons accélérer le pas pour atteindre notre lieu de rendez-vous attitré il y a trois jours. A l’écart de la ville, nous nous éloignons de la civilisation pour rallier une énorme zone industrielle. Dans celle-ci, nous marchons à allure rapide vers une bâtisse construite sur une centaine de mètres pour y contenir des garde-meubles. Après avoir dépassé une vingtaine d’entre eux, Zoé se munit des clés de son sac pour ouvrir le numéro vingt-trois sur notre droite.

Pour une fois, je dois bien avouer que vous êtes bien organisées pour des criminelles amatrices.

Je me passerai bien de tes commentaires. Ma respiration se saccade, il faut que je me calme. Je suis parvenue à garder mon sang-froid toute la journée pour ce moment précis.

- « Personne en vue. » Je souffle en vérifiant de tous les côtés.

Zoé déverrouille le garage et soulève la porte avec mon aide. A l’intérieur du garde-meuble, rien de spécial, si ce n’est quelques affaires appartenant à la mère de mon amie. J’appuie sur l’interrupteur pour éclairer l’intérieur de l’espace de stockage. Au fond, un matelas et une montagne de draps sont entreposés à même le sol. Je m’y engage la première, retenant mon souffle au fur et à mesure que j’approchais au but. Tandis que Zoé reste en retrait pour s’assurer que personne ne nous observe, je m’agenouille devant la pile de couvertures et, délicatement, tire sur le sommet de celles-ci pour découvrir notre nouveau secret.

Le teint pâle comme la neige, son corps se durcissait à vue d’œil. Seule sa respiration extrêmement régulière témoignait de la vie qui habite encore cet être. Ses paupières sont baissées, sa bouche légèrement entrouverte et ses cheveux devenus gras par les jours passés sans soin s’emmêlent dans les draps gentiment offerts par la famille Hirae.

- « Alors ? » 

Un véritable chef d’œuvre.

J’envoie valser la pensée d’Eléonore et pose l’index et le majeur contre sa trachée et évalue approximativement son pouls. Il va sans dire que j’ai visionné bon nombre de vidéos sur Youtube avant de me déclarer médecin de garde du quasi-mort. Lorsque je suis certaine de son état, je retire mes doigts et recouvre à nouveau le corps dans les couvertures pour le cacher du monde extérieur. Un instant, je me fixe sur son visage, endormi, me remémorant les derniers moments où elle s’est adressée à moi comme d’un objet à son service. Je l’emmitoufle avec le reste de ses membres et rassure Zoé sur la suite des événements.

- « C’est fou, depuis que la patronne est endormie, je ne me suis jamais autant occupée d’elle. »


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