Âme de Pureté

Chapitre 20 : Corpse Party: chapitre 20

3214 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/10/2019 14:46

Les jours qui ont suivi, j’ai décidé de me lever tôt pour éviter les soucis du premier jour dans mon nouveau lycée. Je croisais Monsieur Sanpei, toujours aussi bienveillant. De temps en temps, il me lançait quelques questions quant à Joey et moi. Le pauvre, je ne pouvais décemment pas lui dire que notre « relation » se limitait à un attouchement non consenti.


Au lycée, rien n’avait réellement changé. Madame Chono prend un malin plaisir à m’interroger à chaque cours, ce qui m’oblige à veiller tous les soirs pour traduire des portions de texte en espérant tomber sur ceux-ci. Quant à Yugi, je me suis fait une raison au bout de plusieurs jours : Téa n’était pas décidée à le laisser me fréquenter dans l’enceinte de l’établissement, au grand dam de ce dernier. En dehors des cours, Zoé et moi procédions toujours au même rituel : visite du garde-meuble, vérification de l’état de la boss avant d’enchaîner sur notre travail au Tam-Tam. Les jours suivant « l’exorcisation » - comme Zoé aime le définir - de notre ancien employeur, nous avions décidé de dupliquer la fin de contrat qu’elle voulait me forcer à signer. Nous avons ensuite récupéré toutes les adresses des étudiants avant de leur envoyer sous le nom de la patronne. Au début, nous ne nous débrouillions pas si mal avec notre petite combine. Mais plus le temps avance, plus il devient difficile pour nous de garder le rythme, sans oublier des quelques personnes qui s’étonnent de la disparition soudaine de Madame Yoshida.


Ce soir-là, en sortant des cours, Zoé et moi soufflons de soulagement. Pour la première fois depuis le début de cette histoire, nous avons décidé de fermer exceptionnellement le bar et de nous octroyer une soirée de congé.

- « On ne va pas pouvoir continuer comme ça… » Soupire-t-elle lorsque je referme le casier contenant mes chaussures.

La main toujours agrippée au levier du casier, je songe à une solution pour nous sortir de ce pétrin. Rien, rien ne me vient, tout comme les cent autres fois où je me suis cassée les méninges. Si nous déterrons notre cadavre – et par « déterrer », je veux dire le découvrir malencontreusement dans un endroit improbable, les soupçons se porteront obligatoirement sur nous deux. Rien que d’y penser me donne la migraine !

- « C’est pour ça que je nous ai dégotté ceci ! » Je m’exclame en sortant un appareil de ma poche. « Avec le salaire qu’on a pu se verse ces derniers jours, je nous ai achetés ces bidules pour nous aider à ne pas devenir parano. »

Ce que je tiens entre mes mains, c’est un kit d’écoute pour bébé. L’idée m’est venue lorsque je rentrais chez moi un soir. Notre principal problème dans l’état actuel des choses, c’est l’appréhension que la patronne se réveille soudainement dans le garde-meuble sans en être averties. Zoé me dévisage sur le coup, puis m’arrache l’appareil des mains en le manipulant dans tous les sens.

- « Tu sais que tu as des idées encore plus farfelues que les miennes ?

- A croire que je n’apprends que des meilleurs. »

Nous allions quitter la cour quand Zoé baille à s’en décrocher la mâchoire.

- « Rentre te reposer, je m’occupe de tout ce soir. » Je lui propose en récupérant le kit d’écoute.

Mon amie hésite un long moment avant d’accepter et de me souhaiter une bonne soirée. Je la regarde s’éloigner tandis que le soleil vire lentement, diffusant dans le ciel ses habituelles couleurs chaudes. Je ne mérite pas une amie comme Zoé, capable d’endosser les pires atrocités sans se poser de question. Que se passera-t-il si un jour Eléonore décide de l’attaquer et de l’envoyer au Royaume des Ombres ? Je frissonne rien que d’y penser.


La nuit pointe le bout de son nez quand j’atteins l’immense zone industrielle dans laquelle dort notre petit secret. Je marche à l’affut du moindre bruit jusqu’au garde-meuble numéro vingt-trois. Mon cœur s’emballe lorsque j’en déverrouille la porte et la soulève. Un soupir de soulagement s’échappe de mes lèvres, le tas de draps est toujours là, au fond du garage. Tel une machine, je répète les mêmes gestes des jours précédents, non sans remarquer l’évolution du corps plongé dans un sommeil d’ombres. Ses joues sont creusées par la faim et son teint pâlit jour après jour à cause du manque de lumière. Au moins, ses paramètres eux n’ont pas bougé d’un iota. Je me contente donc d’enfermer le corps de la patronne dans les draps et d’installer le kit pour bébé dans une étagère et de vérifier qu’il fonctionne avant de ressortir et de refermer le garde-meuble.

- « Lore-chan ? »

Je pousse un cri strident avant de me figer. Quelqu’un m’a vue. C’est fini. J’aurais dû être beaucoup plus prudente et perdre moins de temps à l’intérieur de ce fichu garage.

Je peux m’en occuper.

A peine sa pensée a parcouru mon esprit que je ressens une vive chaleur fuser à travers mes veines. Soudain, une main se pose sur mon épaule et me force à me tourner. Mon front bouillonne et, grâce à l’obscurité du lieu, je décèle le symbole du millénium scintiller sur ma peau.

- « Lorène ! » S’écrie celui à l’origine de ma frayeur.

Ses mains secouent brusquement mes épaules pour m’arracher de ma torpeur. Je finis par remarquer qu’il s’agit seulement de Yugi, une expression affolée sur son visage. Mon front cesse doucement de briller. 

- « Y-Yugi ? Q-Qu’est-ce que tu fiches ici ? »

A-t-il vu ? M’a-t-il surpris en train de cacher le cadavre ? Je cherche à travers ses yeux améthyste la moindre trace d’une réponse mais ne décèle rien.

- « D-Désolé, je ne voulais pas te faire peur. Tout va bien ? 

- Oui évidemment ! » Je crie presque avant de me reprendre. « Pourquoi est-ce que cela n’irait pas ? Puis tu ne m’as pas répondu, qu’est-ce que tu fais ici ? »

L’adolescent baisse la tête et recule d’un pas.

- « Vu que je n’arrivais pas à te parler au lycée, je voulais te retrouver au Tam-Tam alors je t’ai suivie. Mais je ne pensais pas que tu viendrais dans un endroit aussi excentré. »

Le stress engendré par sa question me provoque une nouvelle bouffée de chaleur. Ma bouche s’ouvre et se referme sans qu’aucun mot ne puisse en sortir. Je suis coincée.

- « Voyons, Yugi, ça ne se fait pas de suivre les demoiselles le soir… 

- Je sais. Mais il fallait que je te parle. A propos d’Eléonore, elle… elle connait le nom du pharaon, n’est-ce pas ? »

A vrai dire, je ne dispose pas des mêmes informations que l’esprit qui partage mon corps. Contraire à l’esprit du puzzle du millénium, Eléonore semble posséder ses propres souvenirs et son savoir sans devoir les consigner dans mon esprit. A moins que…

- « Je pense que oui. Mais je n’y ai pas accès, le nom du pharaon doit se trouver dans un de ces livres que j’ai croisés l’autre fois.

- Des livres ? »

Par la suite, je lui confie l’étrange expérience vécue des suites de ma défaite contre Marek. Cette bibliothèque renferme certainement toutes les réponses à mes questions. A la fin de mon histoire, le puzzle au cou de Yugi se met à rayonner, la lumière m’éblouit quelques secondes.

- « Ce que tu as vu, c’est probablement la chambre de ton âme. » Déclare-t-il d’une voix assez grave pour correspondre à celle du pharaon. « La mienne se trouve dans ce puzzle, séparée de celle de Yugi. Mais étant donné qu’aucun objet ne te relie à Eléonore, vous disposez sûrement de la même. »

J’entoure mon menton de ma main, faisant mine de réfléchir. Ses explications sonnent logiques, mais cela n’éclaircit rien quant à la raison de sa présence dans ma tête.

- « Quelle erreur de te présenter à moi sans tenir ta garde pharaon. »

D’un coup, ma main agrippe celle de Yugi tandis que l’autre plaque son épaule contre la porte du garde-meuble. Surpris, le pharaon ne se défend pas et se contente de me fixer droit dans les yeux.

- « Eléonore.

- Pharaon ?

- Pourquoi fais-tu cela ? Pourquoi t’en prends-tu à mes amis ? Je veux comprendre. »

Ma poigne se renforce. Pour la première fois depuis que je suis en présence du pharaon, je ressens quelque chose d’étrange au plus profond de moi. Comme si quelqu’un d’autre cherchait à émaner du corps du pharaon. Serais-je capable de sentir l’essence de Yugi ?

- « J’avais oublié, ta mémoire a été effacée, c’est ça ? Quel dommage, tu ne pourras pas te remémorer ce que tu nous as fait subir, à nous tous. »

Plus fort que nous physiquement, Yugi repousse Eléonore, tout en gardant une emprise sur mes poignets pour ne pas la laisser s’enfuir. Son regard est si intense que je reconnais difficilement les yeux de Yugi à travers les siens.

- Alors raconte-moi ! Si je t’ai blessée du temps où j’étais pharaon, alors je veux le savoir dans les moindres détails ! 

- Je refuse.

- Mais pourquoi ?!

- Parce que si je le fais, alors tu n’auras plus jamais besoin de moi. Et mon existence se limitera à vivre à travers Lorène comme depuis toutes ces années. »

La poigne de Yugi s’affaiblir durant un court instant, j’en profite pour m’en défaire et de reculer, lasse d’assister à leur petite discussion comme si je n’en étais que le pantin.

- « Qu’est-ce que ça veut dire « toutes ces années » ?! Hein ? Parce Eléonore !

- Lo…

- Non, ne dis rien Yugi ! Tu n’es pas le seul à vouloir obtenir des réponses, putain ! J’aimerais aussi savoir pourquoi je suis obligée de supporter tout ça sans ne rien dire ! »

Mes cris résonnent dans la nuit fraichement tombée. Comme d’habitude, l’esprit enfermé dans mon corps ne répond rien, préférant noyer mon chagrin intérieur dans le pire des silences. Alors que ma rage atteignait progressivement son paroxysme, je me sens attirée vers l’avant et pressée contre le torse de Yugi. Ses bras enlacent mon dos et me serrent contre lui tandis qu’une de ses mains s’occupe de caresser la racine de mes cheveux.

- « Je suis désolé pour tout ce qu’il t’arrive. »

Perdue, je ne réponds pas à son étreinte, trop occupée à me demander pourquoi Eléonore ne le repousse pas. Toujours est-il que son geste ses paroles suffisent à m’apaiser. Au bout d’un moment, le puzzle scintille et je sens les bras de Yugi se retirer doucement. Au vu de son visage rougi et de son regard fuyant, on dirait bien que le pharaon s’est effacé pour rendre le corps à son propriétaire. Son embarra me tire un rire amusé.

- « N-ne te moque pas, tu n’es pas la seule à qui un esprit agit de manière un peu trop…osée. »

Mon état s’empire, des larmes se forment au coin de mes yeux tant mon rire fuse à travers la zone de garde-meubles. Je deviens folle. Mes émotions s’enchaînent à une vitesse que mon cerveau a du mal à assimiler.

- « Je te raccompagne. » Déclare Yugi, d’une voix si basse que je ne l’entends presque pas.

Sur le chemin du retour, il me confie ses premières craintes concernant le pharaon. Il lui est arrivé de ne pas supporter les demandes de l’esprit qui le poussaient parfois dans ses derniers retranchements. A travers sa voix, je percevais parfois une émotion que je connaissais que trop bien : l’appréhension d’un acte forcé qu’il regretterait toute sa vie. Est-ce qu’Eléonore et moi avions déjà franchi cette limite ? A y regarder de plus près, la punition de mon ancienne patronne pourrait s’y apparenter. Cependant, je ne peux en vouloir qu’à moi-même. C’était mon souhait depuis le début.


Le lendemain, j’ai décidé de ne rien dire à Zoé. Après tout, Yugi n’avait pas l’air de soupçonner quoi que ce soit quant au contenu de notre garde-meuble. Il n’a d’ailleurs posé aucune question à ce sujet, ni même n’a fait allusion à notre discussion de la veille, probablement pour éviter les foudres de son amie Téa.

A la fin des cours, nous enchainons avec nos activités de club. Suite à de longues réflexions sur mon avenir au sein du lycée Domino, j’ai finalement choisi d’intégrer le club d’embellissement, ce qui a réjoui Tristan au plus haut point. Jamais je ne l’avais vu avec autant d’étoiles dans les yeux à l’idée que de nouvelles personnes comprennent l’importance capitale d’un environnement scolaire sain et impeccable. C’est ainsi que je me retrouve à nettoyer les couloirs du lycée avec mon nouveau meilleur ami : le balai.

- « Tu aurais au moins pu choisir le club de cuisine et nous filer la bouffe. » Raille Joey, m’ayant rejoint pour fuir le club d’athlétisme.

- « Parce que tu penses que je n’aurais pas essayé de vous empoisonner ? 

- Je pense surtout que tu es assez maladroite pour t’empoisonner toi-même en tentant de nous tuer. »

Je porte une main à mon cœur, choquée par de telles accusations. Armée de mon fidèle balai, je brandis le manche sous le nez de Joey, prête à en découdre.

- « A ta place, je retirerai tout de suite mes paroles, Môsieur Wheeler. »

Loin d’être impressionné, il se munit de son propre balai et le cale contre le mien, y mettant assez de force pour me déséquilibrer légèrement.

- « Omae wa mou shindeiru [1]. » Murmure-t-il en me fixant de ses yeux bruns flamboyant.

- « Nani ? » Je pouffe, incapable de garder mon sérieux.

Et sans que je n’aie eu le temps de protester, je me retrouve assise par terre, luttant de mes mains contre le manche en bois que Joey menace d’écraser contre ma gorge. Je pourrai aisément me défaire de cette position mais mes éclats de rire m’empêchent de contrecarrer son offensive.

- « Alors, qui c’est le champion ? Je veux te l’entendre crier ! 

- Loin de moi l’envie d’interrompre votre bataille, mais on vous entend jusqu’à l’autre bout du couloir. »

Téa… toujours le don pour casser l’ambiance. Dans mon dos, Joey hésite un moment avant de me libérer de son terrible balai. La grande brune persiste à nous fixer, bras croisés sous sa poitrine.

- « Vous n’auriez pas vu Yugi d’ailleurs ? » Enchaîne-t-elle.

Je lance un regard en coin au blondinet. S’il y a quelqu’un qui doit le savoir, c’est bien elle. Nous haussons les épaules, lui tirant un soupir désabusé.

- « Je suis sûre qu’il est encore parti plus tôt pour aller au musée sur l’Egypte ancienne… »

Téa semble parler pour elle-même. Avant de partir à la recherche du maître des jeux, elle nous adresse un signe de la main plutôt amical.

- « C’est fou ce qu’elle est d’humeur changeante quand il s’agit de Yugi. » Je constate, non sans amertume. « Si seulement elle pouvait être comme ça tous les jours. 

- Ou peut-être que Yugi lui a demandé de se calmer pour le bien du pharaon. »

Etrangement, sa remarque m’apparaît pertinente. Surprise, je le lorgne sous tous les angles.

- « Q-Qu’est-ce que tu fiches ?

- Ce que tu viens de dire est trop intelligent pour provenir de Joey Wheeler. Dénoncez-vous, qu’avez-vous fait du vrai Joey ? »

Je récupère mon balai et défie le jeune homme qui se met à râler de ma dernière boutade.

- « Au fait, Yugi m’a parlé de l’endroit où il t’a croisée hier. Qu’est-ce que tu foutais en dehors de Domino ? »

Evidemment, c’était trop beau pour être vrai. Prise au dépourvue, je feins de ne pas avoir entendu sa question et termine de balayer le couloir quand une idée me vient à l’esprit.

- « Je cherchais un endroit rencontré dans mes rêves. C’est un supermarché avec des portes automatiques et un immense parking. 

- Un supermarché hein… Ca ne me dit rien du tout. »

Je m’en doutais. Retrouver l’endroit dans lequel Eléonore m’a empêchée d’entrer, c’est comme chercher une aiguille dans une meule de foin, ça n’a aucun sens.

- « Pas grave, je finirai par le trouver.

- Tu es sûre que c’est au Japon ? Je veux dire, si c’est dans tes rêves, qu’est-ce qui te dit que c’est ici que tu vas le trouver ? »

Les mains tenant fermement le manche du balai, je réprime un grognement de frustration. Quelle idiote, je n’y avais même pas songé ! Si mon rêve se déroulait en Europe, jamais je ne retrouverais ce fichu magasin !

- « Ca va ? 

- Moi oui, par contre toi il va falloir m’expliquer ta soudaine augmentation de QI. 

- Pourquoi tout le monde s’acharne à penser que je suis un idiot ?! »

Désolée Joey, mais certaines choses sont inscrites dans l’univers.



Laisser un commentaire ?