Âme de Pureté

Chapitre 4 : Bataille Ville: chapitre 4

5976 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/10/2019 14:34

Après toutes ces émotions, Zoé et moi décidons de rentrer ensemble. Hors de question de s'aventurer à nouveau dans les recoins sombres de Domino. Nous n'empruntons que les rues les plus éclairées. Elle me raconte m'avoir cherchée à la sortie des cours. Malgré mon habitude de ne pas répondre directement à mes messages, elle a commencé ses recherches dans les endroits que j'ai l'habitude de fréquenter. Sûrement était-elle sur ses gardes après l'incident qui l'a clouée au sol la veille. « Un mauvais pressentiment » a-t-elle dit. Comme quoi, elle avait raison de s'inquiéter.

Lorsque nous traversons une avenue commerciale de Domino particulièrement fréquentée ce soir, le téléphone de Zoé vibre si fort que je l'entends à travers la poche de sa veste.

- « Allô ? Oh madame ? »

Nous ralentissons naturellement le pas. Je fixe le visage de mon amie d'un air soupçonneux. A ma connaissance, Zoé ne s'adresse de cette manière qu'à une personne.

- « Tout de suite ? Mais je ne suis pas de service ce soir. »

Mes doutes se confirment assez rapidement. Elle discute en ce moment-même avec la patronne. Un violent frisson de dégoût me parcourt l'échine. Son air dédaigneux me revient immédiatement en tête, tout comme l'humiliation qu'elle m'a assénée ce matin devant la clientèle du bar.

- « Vous êtes certaine ?

Les traits de mon amie se crispent. Elle semblait avoir d'autres projets pour la soirée.

- « Qu'est-ce qu'elle te veut ? »

Zoé hausse les épaules. On dirait que la patronne la coupe à chaque fois qu'elle tente de reprendre la parole.

- « Oui, elle est à côté de moi. »

Mon amie me lance un petit sourire moqueur. Il ne manquait plus que ça.

- « Très bien, je lui demande. » Poursuit-elle avant de coller son téléphone contre sa poitrine pour bloquer le son. « La Boss te propose de te racheter ce soir. »

Pour peu, je manquerai de m'étouffer avec ma propre salive. « Me racheter » ? C'est la meilleure. Le regard appuyé de mon amie m'intime qu'il s'agit d'une vraie proposition. Je secoue vivement la tête, la priant de refuser.

- « Après le cirque de ce matin ? Plutôt crever.

- Je t'explique : elle a licencié d'autres étudiantes cet après-midi donc elle se retrouve sans personne pour assurer le service jusque vingt-trois heures. Bien sûr, je négocierai une double paie avant qu'on s'y mette. »

Son ton assuré voire autoritaire ne me laisse pas énormément de choix. Certes, l'idée d'une double paie est plus qu'alléchante, mais tous les points négatifs en valent-ils le prix ?

- « Elle est d'accord. »

Sans que je puisse rétorquer quoi que ce soit, mon amie raccroche et me demande de faire demi-tour, direction le Tam-Tam.

- « Eh, je ne t'ai jamais dit que j'acceptais !

- Ah bon ? Je croyais avoir décelé cette étincelle dans tes yeux à l'évocation de tout cet argent qu'on va se faire !

- Niveau plan foireux, tu obtiens la palme d'or. Dois-je te rappeler que j'ai « démissionné » ce matin-même ou ce détail t'es complètement passé par-dessus la tête ? »

Zoé feint de réfléchir, elle accélère le pas, m'obligeant à cavaler pour rester à sa hauteur.

- « Oui, tu m'as parlé de quelque chose dans ce style. Allez, ne boude pas, tu as bien besoin de te changer les idées après ce duel, non ? »

Elle marque un point, mais j'aurai largement préféré qu'elle m'offre des sushis, un milkshake ou même une peluche kuriboh plutôt qu'une soirée en compagnie de ma patronne bien-aimée. Je pousse un long soupir désabusé. Moi qui avais rêvé l'espace d'une minute rentrer chez moi et me détendre sous une douche bien chaude...

Une poignée de minutes nous suffisent pour rejoindre l'établissement. En effet, la patronne n'avait pas exagéré sur le nombre de clients présents en salle. A l'instant pile où nous posons un pied à l'intérieur, celle-ci se précipite à notre rencontre.

- « Dieu soit loué, mes chéries, vous êtes là ! »

Un nouveau frisson de dégout me secoue de part en part. Jamais, en l'espace de huit mois, elle n'avait employé le moindre surnom amical. Je ne peux m'empêcher de sursauter lorsqu'elle attrape mes mains de force pour m'attirer à elle.

- « Quel bonheur de te revoir, Solène !

- C'est Lorène, madame.

- Oh bien sûr, Marlène, où avais-je la tête ? »

Je préférerai qu'on s'en tienne à « Yuurei » pour le moment. D'autres clients nous frôlent pour s'installer au peu de tables vides restantes. J'en profite pour libérer mes mains de son emprise et filer dans le vestiaire, accompagnée de mon amie.

- « Elle me fiche une de ces frousses !

- C'est pour ça qu'il fallait accepter. Maintenant, on va lui offrir le plus beau service qu'elle n'a jamais connu et on l'aura dans nos poches pour le restant de la saison ! »

L'engouement de Zoé ne me convainc pas plus que ça. Tout en enfilant la chemise de serveuse, je vérifie les messages reçus durant ces dernières heures.

« Lorène, je suis sortie des cours, tu es où ? », Zoé m'en a envoyés d'autres dans ce genre, de plus en plus paniquée. Pourtant, il ne me semble pas que ce duel ait duré aussi longtemps.

- « Tu regarderas tes messages plus tard, on y va ! Attends, tu saignes ? »

Zoé pointe du doigt les quelques traces de sang sur mon bras gauche, suite d'une des attaques de PaniK. Que je veuille y croire ou non, cet hologramme est bel et bien parvenu à me blesser physiquement. Zoé se précipite sur la boite de premier secours et bande la partie de mon bras ou ma manche a été déchirée.

Et si... Et si c'était un mec comme PaniK qui s'en est pris à mon amie hier ? En fin de compte, elle ne m'a jamais parlé de quelconques coups qu'elle aurait reçu d'un type. D'autant plus qu'elle possédait un disque de duel à ce moment-là.

Pas le temps d'y songer davantage, mon amie me pousse jusqu'à la sortie du vestiaire. Sous l'œil attentif de la patronne, je me munis de mon calpin et de mon sourire crispé habituel pour prendre les premières commandes.

Le service se déroule sans accroc, ce qui me vaut de recevoir les félicitations de la chef à chaque fois que j'apporte la recette à la caisse. Autant je déteste sa facette diabolique, autant son côté manageur un peu trop impliqué flanque une énorme trouille. Un duel des ombres contre PaniK ou cinq minutes en sa compagnie me flanquerait la même frousse. J'encaisse une nouvelle commande quand une jeune femme se présente à l'entrée du bar.

- « Wow, ça m'a l'air bien rempli ici. »

A peine ai-je jeté un regard dans sa direction que mon cœur rate un battement. De long cheveux blonds, un regard améthyste perçant et un look de femme fatale à toute épreuve. A deux mètres de moi se tient l'une des plus fortes duellistes de Bataille Ville, Mai Valentine !

- « Bonsoir ! Je peux vous aider ? »

Je regrette aussitôt ma réaction beaucoup trop spontanée. Ma voix est partie dans les aigus, se brisant à la moitié de ma phrase, ce qui semble l'amuser.

- « Bonsoir, je vais juste m'installer au bar, je pense. »

Zoé suit d'un œil attentif notre échange et prend le relai tandis que je rejoins une table de quatre m'hélant depuis une bonne minute. C'est beaucoup trop d'émotions en une seule soirée. Et dire que j'ai assisté à un de ses duels il y a quelques heures à peine !

Lorsque je reviens au bar pour porter ma commande à Zoé, celle-ci me pointait du doigt avec un petit sourire. Je fais mine de ne pas l'avoir remarquée et dépose mon bon sur sa table de préparation.

- « Deux gold mojito et deux Alexandra, s'il te plaît.

- « Tout de suite ! »

Je profite de cet instant de répit pour me reposer les yeux. Décidément, Zoé a choisi de m'en faire voir de toutes les couleurs dernièrement. D'abord le disque de duel, ensuite cette soirée de travail non prévue. J'ignore ce qu'elle va encore m'inventer, mais je ne donne pas cher de ma peau.

- « Alors comme ça, tu participes au tournoi de Bataille Ville, toi aussi ? »

La voix suave de Mai me tire de mes pensées, elle est accoudée au bar, les lèvres rouges légèrement étirées. Allez, Lorène, un peu d'assurance. Tu gonfles la poitrine et tu réponds !

- « Oui ! »

Un échec, ma vie est un échec.

- « Tant mieux, je n'ai pas croisé beaucoup de filles jusqu'à présent. A croire que les mecs se sont encore appropriés tout ce qui pouvait être amusant. »

Son discours a pour effet de m'apaiser. Mai m'adresse un regard amusé tout en sirotant une première gorgée du cocktail servi par Zoé. Le plateau callé contre ma poitrine, je me décide enfin à aligner plus de deux mots face à cette célébrité locale.

- « J'ai vu un de tes duels tout à l'heure, tu étais vraiment impressionnante ! »

En ai-je fait trop ? C'est l'impression que je me renvoie à la fin de ma phrase. Pourtant, elle semble apprécier le compliment.

- « Oui, je dois avouer que mes stratégies de duel sont difficilement contrées. »

Malgré ma fascination pour cette femme, je m'aperçois que sa confiance en elle ressemble à celle d'une autre de mes connaissances. Enfin, c'est certainement une coïncidence. Je n'aurai pas l'occasion de m'y attarder davantage car Zoé revient vers moi avec ma commande.

- « Ton amie m'a dit que tu n'étais pas sûre de continuer le tournoi. »

Bien sûr, je m'y attendais. Zoé m'envoie un signe d'encouragement. De mon côté, j'ai juste envie de la bazarder, en fait. Je me résigne à répondre sincèrement à l'affirmation de Mai.

- « Eh bien... C'est plutôt compliqué. Je ne suis pas très douée en Duel de Monstres, c'est à peine si je connais les effets de mes cartes ! Alors de là à participer à un tournoi comme celui de Kaiba, c'est un peu de la folie... »

Le plateau de cocktails callé sur mes mains, je me demande si je ne devrai pas m'arrêter là. Pourtant, je finis par attendre une réaction de la part de Mai. Quoi exactement ? Peut-être la confirmation que ma participation n'a aucun sens, ou peut-être un peu encouragement. Après le duel de ce soir, mon esprit peine à assimiler toutes les informations.

- « Qu'est-ce que tu y perds à ne pas jouer ? Parce que, ce que tu me dis là, c'est une excuse de débutant. »

Aïe, coup dur pour la serveuse. Mais je ne peux m'en prendre qu'à moi-même, elle a tout à fait raison.

- « Si tu as des cartes, joue. Personnellement, je n'ai besoin de personne pour me dire que mon niveau est trop faible pour ce tournoi. Je livre des duels et je les remporte, c'est aussi simple que ça. Et c'est ce que tu devrais faire aussi.

- C'est ce que je lui répète tous les jours.

- La ferme, Zoé. »

Je promets que ces mots sont sortis tout seuls. Mai appuie ses paroles d'un regard déterminé, ses yeux sont si perçants que je doute un moment qu'elle puisse lire dans mes pensées.

- « Tu as tellement d'assurance, Mai.

- C'est ça d'être une femme. Mais crois-moi, Lorène c'est ça ? Crois-moi que tu le regretteras si tu ne te donnes pas au moins une chance d'être une vraie duelliste, comme moi. »

Autant dans d'autres dispositions, j'aurai trouvé son air arrogant insupportable, autant Mai a trouvé sans le savoir le moyen d'attiser ma curiosité. Après tout, pourquoi je ne songerai pas à participer au tournoi de Bataille Ville ?

La boss me jauge du coin de l'œil. Les clients attendent leurs cocktails depuis bien trop longtemps. Je repars d'un pas précipité pour terminer ce service imprévu.

Vers vingt-trois heures trente, seules trois silhouettes arpentent encore la salle du bar : Zoé range les dernières bouteilles dans les frigos, je m'assure que tout est en place pour le service du lendemain et la patronne compte la recette de la soirée d'un air satisfait. Mes membres commencent à souffrir du manque de sommeil. Après une journée comme celle-ci, je crains ne pas résister longtemps une fois dans mon lit. Et dire que je serais déjà couchée à cette heure si Zoé ne m'avait pas entrainée dans cet endroit.

- « Les filles, vous pouvez rentrer chez vous. Je me chargerai de la fermeture. »

Je tressaute. Le silence instauré et la fatigue me rendent à fleur de peau. Sans un mot, je file dans la cuisine pour déposer balai et autres ustensiles avant de récupérer mes affaires dans le vestiaire. Zoé m'imite, une petite tape sur mon épaule et un sourire moqueur plaqué sur le visage.

- « Chimène, vu que tu m'as rendu service ce soir, tu pourras revenir. »

Son changement de comportement, sa manière de se tromper de prénom ou son attitude totalement désintéressée quant à notre altercation de ce matin. Habituellement, j'aurai démarré au quart de tour et refusé de remettre les pieds ici. Mes paupières deviennent lourdes, au point où me tenir droite s'avère une terrible épreuve pour mon dos et mes jambes. Zoé se charge de prendre congé pour nous deux, je l'attends patiemment dehors, baladant mon regard le long des lampadaires éclairant la place aux passants qui se promènent le long des dernières institutions sur le point de fermer.

Lorsque Zoé et moi nous quittons à la sortie du train, je m'empresse de regagner mon domicile sous un ciel dénudé noir d'étoiles. Mon cœur palpite démesurément, ma petite expérience du jour m'a de toute évidence développé une peur de la solitude et de l'obscurité. Engagée dans la rue marchande, j'attrape mon téléphone pour me donner un peu de courage dans la montée. Je remarque alors les appels en absence et les quelques messages reçus et lors de ma disparition GPS.

« Hey, c'est Joey, appelle Soso dès que tu vois ce message, elle est inquiète. »

Bien qu'ayant été reçu il y a près de trois heures, je m'empresse de répondre à celui-ci.

« Drôle de manière de prendre le numéro d'une fille. »

A vrai dire, je ne sais pas quoi penser de tout ça. Si le deuxième duel mené au cours de ma vie s'avérait être un duel des ombres, alors la raison voudrait que je cesse tout immédiatement. Personne n'aurait envie de risquer sa vie pour un jeu de cartes. Mais les paroles de Mai trottent dans ma tête. Malgré tout, Yugi, Mai et Joey s'évertuent de progresser dans le tournoi comme s'ils se fichaient des conséquences que tout cela pourrait engendrer. Les vibrations de mon portable me sortent brusquement de mes réflexions. Tiens, il ne dort toujours pas ?

« J'aurai fini par l'avoir de toute façon. »

... Sérieusement, Joey ?

« Tu te vantais moins contre Espa Roba tout à l'heure. Tu étais à deux doigts de te chier dessus. »

Désolée, je ne suis pas le genre de filles aux manières gracieuses et aux douces paroles. Inutile de se cacher derrière une fausse identité. Sans m'en apercevoir, j'avais déjà rejoint ma maison et ce, sans trembler de peur sous l'éclairage défectueux de ma rue. Je me dépêche de rentrer et de filer sous la douche. Ma mère dort certainement à l'heure qu'il est, je contourne donc soigneusement tous les meubles afin de ne pas la réveiller.

Ce n'est qu'une fois sous le flot d'eau bouillante que les images de la matinée défilent dans mon esprit : la patronne excédée qui me hurle de signer son contrat, le duel de Joey contre Espa Roba puis mon propre duel contre PaniK sans oublier ma rencontre imprévue avec Mai Valentine. C'est un peu comme si le monde tournait de travers.

Demain, c'est dimanche. Rien de mal ne peut arriver un dimanche.

Je ressors de la salle de bain vêtue d'un simple pyjama et m'écroule sur mon lit. Sur la chaise de mon bureau trône un uniforme de mon lycée, il faut que je remercie ma mère pour ça. La respiration calme et profonde, je me roule sur le côté pour reprendre mon téléphone. Evidemment, Joey m'a déjà répondu.

« Tu as vu le duel ? J'ai été génial, pas vrai ? »

Un léger rire m'échappe, quel idiot, depuis quand demande-t-il mon avis ? Je me remémore le discours de Téa avant de rédiger un nouveau message :

« Ouais, Sérénity doit être fière de toi. »

J'alterne ensuite avec une application de vidéos en ligne pour me détendre un peu, bien que la lourdeur de mon corps me tire inéluctablement vers un sommeil profond. Je me surprends à répondre à chacun des messages envoyés par l'autre blond. Finalement, peut-être qu'on n'est pas aussi incompatible que je ne le pensais.

Dimanche après-midi arrive bien trop vite à mon goût. Armée de mon disque de duel à Domino, je baille à m'en décrocher la mâchoire. Les duels au centre-ville diminuent au fur et à mesure, les premiers finalistes se démarquent du lot. En me baladant de duel en duel, je prends soudainement conscience que tous les combats que j'ai menés jusqu'ici m'ont presque été imposés. Comment sommes-nous censés défier quelqu'un en duel ? Je veux dire, dois-je simplement marcher avec un type avec un disque de duel et lui dire « Défie-moi ou péris ? » ou autre chose dans le genre ?

- « Non, c'est hors de question que je sorte ça. »

De toute façon, je n'ai toujours pas de nouvelle de la KaibaCorp pour savoir si, oui ou non, je peux encore concourir pour ce tournoi. Habituellement, je rechignais à devoir traverser la ville et me faufiler dans la foule pour rentrer chez moi quand les trains ne me le permettaient pas. A croire que le Duel de Monstres me change au fil des jours.

- « Attention ! »

Des crissements de pneus à ma hauteur me forcent à agripper le premier poteau sur le trottoir pour me mettre en sécurité. Si cela continue, je vais finir par me faire renverser à force de ne pas regarder où je mets les pieds.

- « Rien de cassé ? »

Les bras enroulés autour d'un lampadaire, je relève les yeux et reconnais la silhouette grande et fière d'un des amis de Joey, casque à la main à bord d'une imposante moto noire.

- « Non, non, c'est de ma faute.

- Hé, mais tu es la serveuse de l'autre jour ! »

Mince, ces souvenirs de moi ne doivent pas être très glorieux. J'abandonne mon poteau pour m'approcher de son véhicule, porté sur le trottoir pour ne pas gêner la circulation.

- « Je m'appelle Lorène, mais je ne me souviens pas qu'on ait été présenté.

- Tristan Taylor. Joey m'a dit ce qui t'est arrivé hier. Ça devient chaud dans les parages. »

Je ne peux qu'approuver ses dires avec une petite grimace.

- « Tu n'es pas duelliste, pas vrai ?

- Eh non, je garde ça pour Joey et Yugi, ils se débrouillent bien assez ! Par contre, je reviens de l'hôpital, Sérénity veut absolument qu'on lui raconte les duels de son frère. »

C'est tellement adorable, je serai presque jalouse de la relation entre Joey et sa sœur. Si seulement mes frères pouvaient se montrer un peu plus prévenants.

- « Elle est à l'hôpital ?

- Tu n'étais pas au courant ? Sérénity devait subir une importante opération des yeux et Joey l'a financée avec l'argent du tournoi du Royaume des Duellistes. D'ici quelques jours, elle devrait avoir retrouvé la vue. »

Ce qui explique pourquoi c'était aussi important pour Joey de remporter ses duels. Je n'ose même pas imaginer la pression sur ses épaules.

- « Je te dépose quelque part ? »

Mh ? La demande de Tristan me surprend, on ne se connait pas vraiment après tout, il n'a pas à se montrer aussi gentil envers moi.

- « Je ne voudrai pas te déranger, tu sais et tu risques de faire un grand détour juste pour moi.

- Si je te propose. Les amis de mes amis, tu connais la devise ? Puis avec ta mésaventure d'hier, il ne serait pas raisonnable de te laisser rentrer toute seule. »

Suis-je supposée comprendre que je suis leur amie ? C'est mignon dans un sens, à l'image du jardin d'enfants où on devient amis ou ennemis en un claquement de doigts. J'attrape le second casque que Tristan me tend et l'enfile avant de le rejoindre à l'arrière de la moto. Jamais au cours de ma vie je ne suis montée sur ce genre d'engin. Le grand brun semble le comprendre quand il enroule mes bras autour de son torse pour me maintenir en équilibre.

Lorsque la moto démarre, je sens mon cœur s'emballer et mes membres se contracter sous l'appréhension, je resserre mon emprise sur Tristan, dont le rire parvient à mes oreilles. Nous sillonnons les rues de Domino jusqu'à celles de Flem. Plus les paysages nocturnes de la ville défilent, plus je gagne de la confiance et me redresse pour observer les différentes enseignes que nous croisons. Engagés dans une rue excentrée, Tristan décide de ralentir à hauteur du trottoir. Il pose un pied au sol et retire son casque, je l'imite sans trop savoir pourquoi.

- « Tiens, qui voilà. Ce ne serait pas le nouveau champion de Bataille Ville ? »

La personne à qui il s'adresse n'est personne d'autres que Joey, que je n'avais pas reconnu tout de suite, trop occupée à ne pas valser d'un côté de la moto.

- « C'est lui-même en personne !

Ce dernier s'avance vers nous et frappe dans la main que Tristan lui tendait.

- Alors mon vieux, on joue les chauffeurs pour minettes ?

- Je l'ai croisée en ville et j'ai failli l'écraser. »

Si je les dérange, il faut me prévenir tout de suite. C'est comme si j'étais soudainement devenue invisible.

- « Donc en vérité, ce n'était pas ma faute l'autre fois en vélo. Cette fille est juste un danger public. »

Il a de la chance que mes mains sont occupées à maintenir le casque de protection, je lui aurai bien adressé un petit doigt d'honneur.

- « Je voulais éviter qu'il ne lui arrive la même chose qu'hier.

- Tu as bien fait mon pote. On n'est jamais trop prudent. Je suis passé voir ma sœur, elle m'a dit que tu t'occupais bien d'elle.

Tristan gonfle le torse et prend une profonde inspiration. Sur le coup, je n'ai pas trop envie de comprendre ce que « s'occuper d'elle » signifie.

- Elle a vraiment hâte de te voir jouer, surtout après tes duels contre Insector Haga et Mako Tsunami. »

Deux victoires en un jour ? Joey doit être possession d'un bon nombre de cartes de localisation, contrairement à moi qui n'en ai que quatre à mon actif. Il me manque encore deux duels au maximum pour pouvoir prétendre à la seconde phase du tournoi, mais encore faut-il oser défier des gens.

- « Tu m'étonnes ! Son grand-frère est sur le point de devenir le meilleur duelliste sur cette Terre ! Toutes mes fans n'attendent que ça ! »

Ses chevilles gonflent à vue d'œil et ce n'est pas Tristan qui va le contrarier. Pendant leur échange, j'ai eu le temps de me souvenir du chemin pour rentrer chez moi, ce n'est pas si loin que ça à pieds. Je veille à ne pas tomber en enjambant la moto et remercie vivement le grand brun pour son aide.

- « Il n'y a pas de quoi, les Apollons de Domino sont toujours au service de demoiselles en détresse !

Je croise les bras et soulève un sourcil à ce surnom ridicule.

- Les Apollons de Domino ?

- Eh oui, petite, Tristan et moi sommes à la fois forts, irrésistibles et courageux ! »

Joey ne peut pas s'empêcher de faire le pitre tout en louant ses prétendues qualités, rapidement suivi par son ami.

- « Wow, je ne voulais pas l'avouer, mais c'est vrai que vous êtes incroyablement beaux et musclés.

- Tu vois ? On les fait toutes craquer.

- J'imagine que vous êtes toujours célibataires, vous deux, hein ? »

Toute l'énergie qui émanait de leurs êtres s'éteint en une fraction de secondes, Tristan donnerait presque l'impression de pleurer à grosses larmes. Devant leurs têtes déconfites, j'explose de rire, tentant vainement de me récupérer.

- « Ce n'est pas de notre faute si les femmes sont des êtres si cruels !

- Oui, oui... »

Des larmes surgissent au coin de mes yeux, ces gars sont vraiment trop stupides, mais c'est sûrement aussi leur meilleure qualité.

- « D'ailleurs, toi qui sembles si fière, combien de cartes de localisation as-tu récoltées ? »

La question de Joey me redescend immédiatement sur Terre. Son regard moqueur m'intime qu'il connait d'avance ma réponse.

- « Quatre. » Je marmonne.

- « Seulement quatre ? Oh mais regarde ce que je tiens en main : six cartes de localisation. On dirait bien que pour le moment, seul l'un d'entre nous peut accéder à la seconde phase du tournoi ! »

Le grand blond brandit fièrement ses cartes translucides et s'amuse même à les compter plusieurs fois à haute voix pour bien me prouver qu'il en possède six. Je croise les bras sous ma poitrine et relève la tête.

- « N'oublie pas que je n'ai toujours pas reçu de réponse de la KaibaCorp quant à mon inscription ! Je ne sais pas si j'ai encore le droit de poursuivre mes duels.

- Des excuses, c'est tout ce que j'entends ! »

Bon d'accord, ce sont peut-être de simples excuses, mais je ne peux définitivement pas lui dire que j'appréhendais chacun des duels que j'ai menés jusqu'ici. Soudain, les vrombissements de la moto de Tristan brisent l'atmosphère joyeuse qui régnait dans la rue.

- « Bon les blondinets, je dois vous laisser. Faites attention à ne pas vous faire arrêter pour tapage nocturne ! »

Sur ce, un signe de la main puis il repart dans la direction opposée. On est si bruyant que ça ?

- « Moi aussi, je vais y aller. Ça ira jusque chez toi ?

- Oui, ma maison est à seulement un kilomètre. »

A son tour, Joey m'adresse un signe d'au revoir et s'élance un peu plus loin. Ce calme, je l'appréciais il y a quelques jours, mais maintenant c'est comme s'il m'oppressait. D'un pas pressé, je gravis toute la rue marchande pour regagner ma rue. Est-ce moi où les lampadaires éclairent de moins en moins mon chemin au fil des jours ?

- « Yuurei ?

- Ah ! »

Je n'ai pas pu retenir un cri de surprise quand cette voix grave a prononcé mon prénom. Les mains serrées sur les lanières de mon sac à main, je me retourne pour faire face à celui qui m'a appelée. Sa silhouette m'est familière, c'est un jeune homme d'une taille immense aux cheveux bruns courts et les yeux bleus perçants. Je suis certaine d'avoir déjà vu son visage quelque part.

- « Mokuba m'a informé du problème rencontré avec ce disque de duel. »

Mokuba ? Ah oui, c'est le petit garçon avec les cheveux noirs ébouriffés. Mais alors, s'il l'appelle par son prénom, serait-il possible que ce type soit... ?

- « Seto Kaiba ?! » Je n'ai pu m'empêcher de crier.

- « Encore une de ces hystériques... »

Je dois avoir mal entendu, ce mec vient réellement de m'insulter d'hystérique ? Encore un de ces gosses de riches cons comme leur pied à première vue.

- « Ne me fais pas perdre mon temps, passe-moi ton disque de duel, tes cartes de localisation et ton deck. »

Mon deck aussi ? De ce que je sais, je ne l'ai pas volé, contrairement au disque de duel. Il essaie de me racketter ? Une profonde envie de l'envoyer chier me pousserait bien à le faire patienter au beau milieu de la rue, mais s'il est là, c'est aussi pour régler mon problème de participation. J'obtempère donc, dans l'espoir qu'il reparte assez vite pour que je puisse rentrer.

Dans un premier lieu, il inspecte l'appareil, sûrement pour vérifier qu'il n'a pas été trafiqué. Ensuite, il retire de l'emplacement mon deck et scrute chacune des cartes, comme s'il en recherchait une en particulier. Lorsqu'il atteint la dernière, il me rend le paquet, évitant soigneusement tout contact physique avec ma peau.

- « Complètement inintéressant, comme je le suspectais. Pas la moindre carte de Dieu égyptien. Les tricheuses comme toi ne m'intéressent pas dans mon tournoi. Encore une duelliste à la noix qui m'a fait perdre mon temps. »

Le disque de duel dans une main et les cartes translucides dans l'autre, il se détourne de moi. Mon sang ne fait qu'un tour.

- « Sérieusement ? J'ai remporté deux duels à ton putain de tournoi et tu me retires tout pour une question de vol débile ?

- Cesse de me suivre. Il n'est pas question de vol, je ne tolère pas de duelliste de seconde zone. Dans ton cas, je parlerais aussi de duelliste de troisième zone. »

Mes veines bouillonnent, je lui emboite le pas tandis qu'il cherche à s'échapper.

- Oh, klootzak kom terug [1] ! »

Malgré son objection, je le suis jusqu'au-dessus de la rue marchande, où une voiture s'est visiblement parquée sans autorisation. Les privilèges des riches, dira-t-on. Peu importe ce que je lui sors, Kaiba m'ignore totalement jusqu'à en avoir marre de m'entendre geindre.

- « Tu veux ton disque ? Alors va le chercher ! »

Kaiba a crié si fort que des chambres des maisons voisines s'allument et certaines fenêtres se referment brutalement, signe de dérangement. Le PDG de la KaibaCorp projette donc sa propre création contre le premier poteau électrique qu'il croise. L'appareil heurte le métal en un fracas distinct puis se coince dans un lot de câbles suspendus. S'en suit alors un long rire, en provenance de la limousine de Monsieur Kaiba. D'abord les cartes de localisation, ensuite ça... J'ai beau lever la tête et me tordre dans tous les sens, je me vois mal grimper là-haut pour le récupérer. Lancer une ou deux pierres ne me semblent pas non plus une bonne idée, je pourrai l'endommager ou pire, l'envoyer chez un voisin.

- « Il ne reste plus que l'échelle. »

Attendre jusqu'à demain serait également une solution, je pourrai demander de l'aide à n'importe qui et la vision serait bien meilleure. Pourtant, après m'être faite ridiculisée par Kaiba, je me sens pousser des ailes et capable de n'importe quoi pour lui donner tort. S'il y a une infime chance que le disque ne soit pas entièrement détruit, alors je me dois de le récupérer. Une échelle jonchant le jardin d'une maison voisine m'apparaît comme un cadeau du ciel. Il me suffit d'enjamber le mur entre la chaussée et le jardin pour ensuite me laisser tomber sur cette propriété privée.

Entre la possession d'un objet volé et une violation de domicile, je suis à deux doigts de basculer dans le grand banditisme. L'échelle a beau être grande, je parviens à la déplacer jusqu'au mur, que j'escalade à nouveau avant de tirer l'armature de bois et de la tirer de toutes mes forces pour la basculer du côté de la rue. Par chance, les rideaux de la maison en question sont tirés et le peu de voisins dérangés par Kaiba se sont finalement enfermés chez eux.

Me voilà désormais devant le fameux poteau électrique, le vent borde doucement le disque en son sommet. S'il tombe, aucune prière ne permettra de le saucer. J'espère que tu as construit tes appareils de malheur avec les meilleurs composants du marché, Kaiba !

A l'aide du reste d'adrénaline qui me parcourt les veines, je soulève l'échelle et la penche contre le poteau. Heureusement, elle est suffisamment haute pour me permettre d'atteindre le sommet de celui-ci, à condition que je gravisse les derniers échelons. Et là se présente le plus gros des problèmes : j'ai horreur du vide.

- « Allez, un peu de courage, si tu as vaincu un Pilleur de l'Ombre, tu peux vaincre une échelle. »

Je place mes doigts au niveau des premiers échelons et commence à grimper, ce qui semble simple jusqu'à trois mètres. La rue en pente, la vue d'ici est à la fois belle et effrayante, le vent souffle plus fort, au point de m'aveugler de mes cheveux, et la température déjà basse se rafraîchit à cause de la hauteur. Pourtant, même après m'être élevée si haut, le disque paraît toujours aussi éloigné. Plus je monte, plus il s'éloigne, encore une vieille technique de ce crétin pour m'emmerder. A partir du quatrième mètre, mon ascension perd en cadence, chaque échelon gravit m'emplit autant de fierté que d'angoisse. Le disque serait à portée de mains si l'échelle possédait deux ou trois échelons de plus. Une fois au sommet, mon visage entier se glace sous les bourrasques de vent qui s'acharnent sur les câbles. Une partie de moi me supplie de ne pas jeter le moindre coup d'œil en bas. Sage décision, je fixe toute mon attention sur le disque de duel et enroule un bras sur le métal pour me maintenir tandis que l'autre s'étend au maximum.

Mais alors que je frôle du doigt mon dû, ma chaussure glisse sur le dernier échelon. Dans ma frayeur, j'agrippe le poteau des deux bras et me repositionne correctement sur l'échelle. Mes poumons se remplissent d'air froid, pourtant incapable de refroidir mon corps, couvert de sueurs. Le mal est fait, mon regard s'est brutalement porté sur le bas de la rue, assez bas pour que je m'imagine les dégâts d'une telle chute. Il faut que je réessaie tout de suite, sinon je ne serai jamais capable de tenir tête à ce foutu Kaiba ! Il dit que je suis inintéressante ? Est-ce que quelqu'un d'inintéressant serait capable de ça ?

Cette fois, sans réfléchir, je pose un seul pied sur le dernier échelon et profite de mon élan pour m'étendre d'une traite vers le disque de duel. Mes doigts attrapent la partie métallique destinée aux cartes monstres. Et, avant de me retrouver paralysée de peur sur ce poteau, je m'élance suffisamment pour retrouver un équilibre normal sur l'échelle.

- « Je l'ai ! »

Ma joie n'a d'égal que le froid qui me gèle la peau découverte au vent.

- « Kaiba, je t'encule ! »

Au moins, de là-haut, tout le monde pourra l'entendre.

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