The X-Mas Files : Trust no Onna
Chapitre 1 : L'étrange affaire de Presley Wendicott
4466 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour il y a 5 mois
Cette fanfiction participe à l’activité d’écriture du forum de novembre-décembre 2024 : Secret Santa, mettez le paquet !
Elle est destinée à Firestorm
Merci à Alresha et Chiara pour leur aimable relecture
The X-mas Files : Trust no Onna
TALKEETNA, ALASKA, 18 DÉCEMBRE
Une éblouissante lumière dorée éclaboussait l’allée et les buissons bordant le jardin de Presley Wendicott. Debout sur son perron, ce dernier observait les jeunes gens du lycée revenir après la fin des cours. Tous avaient des blousons siglés aux couleurs de l’équipe sportive, sans illusion sur ses performances, qui s’était fort lucidement baptisée « Les Castors Édentés ». Leur truc, ça n’avait jamais été la gagne, le sport, mais on les y contraignait. Alors ils rentraient en traînant leurs maigres guibolles, riant aux éclats, lançant des imprécations factices et s’interpelant de noms encore plus ridicules et grandiloquents. Tous les soirs, sauf les week-ends et les vacances.
Ce vieux garçon acariâtre et mal embouché était souvent considéré comme le pire voisin du monde et la bonne humeur des adolescents l’agaçait autant qu’elle lui faisait envie. Il était resté dans son jus depuis des presque fiançailles, où la demoiselle avait eu la présence d’esprit de s’enfuir avec un quarterback des « Cracheurs de Feu Rugissants » de la ville d’à côté.
Aigre et revanchard, Presley Wendicott choisissait alors une fois par an le plus chétif du troupeau, le plus solitaire, le plus asocial. Et ce petit veinard gagnait le privilège de passer de formidables vacances d’hiver payées par de la famille qui habitait en Europe, en Asie ou n’importe où à l’autre bout du monde. Le chanceux recevait une généreuse enveloppe et un billet pour une prestigieuse ville étrangère, une université en Espagne, ou en Finlande. Ses copains lui disaient en blaguant qu’il s’y plairait peut-être plus que dans le trou paumé qui l’avait vu naître. Et cette prédiction s’avérait immanquablement vraie : le gagnant de la loterie mystère n’y revenait jamais.
Puisqu’il finissait dans l’assiette de l’ogre bouilleur d’enfant.
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— Salut, M. Wendicott ! Comme ça, vous prenez le frais ? Parce que votre braguette est ouverte !
Le galopin éclata d’un gros rire simiesque, surtout quand l’intéressé vérifia que ce n’était pas vrai du tout. L’outragé fit semblant de partager leur hilarité en s’approchant de la route. Chassant la pellicule de neige qui la couvrait, il ouvrit sa boîte aux lettres au vantail grinçant. En extirpant de là un épais paquet, il afficha un grand sourire avant de l’ouvrir sans se soucier d’eux.
— Hè hè, qu’est-ce que j’ai donc là… « Diablo » ? Qu’est-ce que c’est que ça encore ? Mon pauvre neveu est aussi demeuré que vous. Il a toujours des idées bizarres. Je vais pas faire collection, moi… Encore de l’argent foutu par les fenêtres…
Les gamins restèrent là, les bras ballants et les yeux comme des soucoupes, à son plus grand plaisir. “Eh ouais, les traîne-savates. Le gros Wendicott se fait offrir un gros carton du box-office vidéoludique alors que le jeu est à peine sorti…”
— Allez, cassez-vous les comiques ! dit-il cette fois tout haut. Débarrassez ! Vous aplatissez mon gazon. J’ai les décos de Noël à installer avant demain, autrement la pétasse du comité de quartier va encore me pourrir !
Les gosses refluèrent vers la rue, murmurant des messes basses tout en le regardant du coin de l’œil. « Big » Wendicott avait un mince sourire aux lèvres. Avec un peu de chance, son piège serait efficace et se refermerait tout seul sans qu’il ait à lever le petit doigt. Un petit inconscient viendrait de lui-même se jeter dans la gueule du loup.
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— On s’en fout ! insista celui qui était le chef autoproclamé de la bande. On fait diversion d’un côté à la porte avec des chants de Noël et des gâteaux à vendre ; de l’autre, on passe par la fenêtre, on échange le jeu dans la boîte en mettant un vieux à la place, et on ressort illico. Net et sans bavure. Il n’y connait rien et ne verra pas la différence. Tout le monde est d’accord ?
Les gosses opinèrent avec vigueur. Le chef – qui avait un sens aigu du « on » – précisa :
— Toi, Lenny, t’es le plus souple. Tu feras ça les doigts dans le nez. Ok ?
Pris entre deux feux, l’interpellé piqua un fard. Alors, au choix : la terreur de se faire prendre ou le désespoir d’être déjà exclu d’une bande où il peinait à s’intégrer… En fait d’intégration, c’était plutôt lui qui se coltinait toujours les basses besognes.
— Ouais, fit-il mollement. Éventuellement mais…
— Alors c’est réglé ! Roulez ! Je passe chez ma mère chercher de la cannelle et la recette. Toi, Popo, tu ramènes la farine ; toi – je sais plus ton nom, déso – les œufs, le sucre, tout ça. Et direction la cuisine de Tobias le Borgne.
Tollé de protestations.
— Ah non ! Ça schlingue chez lui ! Moi j’y vais pas, si c’est comme ça.
— Popovitch, t’es chiant. Il y a deux fours gigantesques chez ta mère ? Non. Chez Le Borgne, non seulement ça sera cuit super vite, mais en plus on double la production. On ne va pas se priver de faire un peu de thunes. Il va falloir arroser plusieurs quartiers de la ville pour noyer le poisson.
— Non. Mais moi ça me fait flipper d’aller chez lui. Il met quoi d’abord à cuire dans ses fours ? Des carcasses de caribou ?
— C’est des élans.
— Nan, mon père il dit que c’est des orignals.
— Orignaux, crétin ! s’exaspéra le chef autoproclamé.
— Arrête de me taper sur la tête ! On s’en fout, c’est des bêtes avec des cornes, pareil !
— N’empêche que dans le journal, ils signalent qu’il y a des rennes du troupeau de Whitstraum qui disparaissent mystérieusement avec des lumières dans le ciel et après ils accouchent de zèbres difformes. Je dis ça, je dis rien… Peut-être qu’il crame les preuves… insinua Mendelson pour faire son intéressant (et ne pas ramener le sucre).
— Arrête avec ces conneries d’aliens qui enlèvent des trucs pour faire des expériences débiles… Allez, on fait comme on a dit. Rendez-vous à sept heures chez le Borgne. Il rentre à neuf heures et demie. Deux heures pour les gâteaux, un quart d’heure pour nettoyer et aérer. Go !
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L’air de la nuit était piquant et âpre. Une lune pâle étendait ses rayons blafards sur le visage de Presley Wendicott, allongé par terre , il gardait les yeux rivés sur elle. Le froid gagnait rapidement ses membres mais il n’en avait cure.
Car même s’il avait l’air estomaqué et furieux, il n’en était pas moins mort.
Dominant cette scène glaçante, une silhouette trapue et courtaude s’avança dans le jardin où les guirlandes n’étaient que partiellement accrochées. Le petit homme, à l’épaisse barbe blanche étalée sur une longue tunique rouge, louvoya entre les décorations qu’un coup de vent avait fait tomber. Il s’avança de quelques pas prudents sur le bord de l’allée. Son impression se confirmait : en tendant bien l’oreille, il pouvait entendre le bref tintement renouvelé d’un carillon.
Se dirigeant d’après le son, il contourna un sapin de Noël de belle taille, posé à plat à côté d’un trou fraîchement creusé, et il comprit de quoi il retournait. Des curieux, massés près de la haie mitoyenne, haussaient le cou pour tenter de voir ce qui se passait. Leurs chuchotis troublaient à peine le silence. L’audacieux éclaireur venu voir le premier avisa près du trou une boite en carton noire ornée de motifs gothiques. Il la ramassa et la considéra quelques instants avec circonspection, avant de la jeter négligemment par-dessus son épaule.
Avec un soupir, il ôta son bonnet pointu en s’avançant près du corps du jeune voleur, tassé le long des branches du sapin. Quand il se retourna vers ses amis en secouant la tête, une lamentation s’éleva parmi eux. Mais sur un simple sifflement, ils furent incités à se bouger pour venir l’aider.
Ceinture rebouclée et manches retroussées, le bonhomme se mit au travail avec la pelle qu’on venait de lui apporter : avec deux comparses, il agrandit l’excavation et traîna le cadavre pour le faire rentrer. Cela fait, il enficha le sapin par-dessus, et reboucha tout autour avec de la terre. De sa grosse botte noire, il tassa bien, avant de s’autoriser à souffler, essuyant le surplus de tourbe sur son pantalon.
Il en était là quand un jeune à la bouille fleurie lui tira la manche. Quelques doigts frêles, tendus vers le ciel en une vaine supplique, affleuraient encore au sommet d’une motte fraîche. Le jardinier macabre opina, sauta dessus deux ou trois fois pour les faire disparaître, pendant qu’un complice prévoyant déposait dessus un bac à fleur, et lançait artistement quelques feuilles sèches tout autour. Tous s’en regagnèrent leurs bouts de pelouse respectifs en formant une lugubre procession indignée.
Ceux qui étaient restés se retournèrent alors lentement vers le corps imposant. Ils ne ressentaient aucune pitié. Trop, c’était trop, ça lui pendait au nez. Après s’être mis d’accord et assurés que personne ne venait, ils lui sautèrent souplement dessus. Et de leurs larges gueules pleines de dents fines et pointues, ils lui dépecèrent la gorge et l’estomac avec satisfaction. L’ogre mangeur d’enfants était à son tour mangé par plus petit que lui. Hè hè hè. Appelez-ça le karma.
Interrompus par un bruit sec, ils s’enfuirent aussitôt sans demander leur reste, se fondant parmi les ombres complices de la nuit, la boîte de jeu vidéo abandonnée derrière eux.
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(Musique bizarre)
Activités paranormales
FBI Fox Mulder
Le gouvernement nous ment
FBI Dana Scully
La vérité est ailleurs
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WASHINGTON D.C., 19 DÉCEMBRE
Une lumière grise filtrait à peine à travers les lattes du store du salon. Le soleil n’était pas couché, loin s’en faut, mais les lourds rideaux rouge sombre donnaient en permanence le sentiment de vivre à l’heure crépusculaire. Et ce n’était pas le mois de décembre qui allait arranger ça.
L’occupant des lieux n’y voyait aucun inconvénient. Appelé à voyager pour son travail, il était assez peu souvent chez lui, mais c’était l’idée qu’il se faisait d’un cocon paisible venant accueillir ses ruminations. Seuls le rétro-éclairage de l’aquarium trônant dans l’angle de la pièce et une lampe de bureau allumée fournissaient des contrepoints à la semi-obscurité.
La télévision fonctionnait, le son réglé au minimum, faisant seulement office de bruit de fond. Sur son écran, les personnages d’un film en noir et blanc se dandinaient avec force rodomontades exagérées qu’il ne regardait que d’un œil. Affalé sur son canapé, il se livrait à l’activité fort peu constructive qui consistait à lancer du pop-corn tout chaud en l’air et à tenter de le gober la bouche ouverte.
La plupart de ses essais infructueux finissaient par consteller le coton de son t-shirt froissé ou le beau cuir vert de l’assise, avec un léger chpik. Se vider la tête, c’était tout ce qu’il voulait.
Fox Mulder n’aimait pas Noël.
Ses relations familiales étaient plus hantées et maudites qu’un vieux manoir du même type. Il ne lui restait que sa mère qu’il ne voyait pour ainsi dire jamais… Alors une fête de famille sans famille ? La chose lui semblait sans intérêt. Il aurait préféré travailler mais allez savoir pourquoi, il se figurait qu’il n’aurait rien d’autre de plus croustillant à se mettre sous la dent qu’un petit peu de maïs soufflé.
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Avalant de travers, il toussa et reposa le saladier qu’il dorlotait. Et pendant qu’il était à genoux pour ramasser le plus gros des fuyards, il lui sembla entendre de petits coups répétés à la porte. Chopant la télécommande, il coupa le son.
— Mulder, ne fais pas semblant d’être absent. Je sais que tu es là : la lumière est allumée !
Avec un sourire en coin, il balaya vite fait ce qui était tombé sur le tapis en dessous du canapé et alla regarder par l’œilleton. Précaution de pure forme, il ne pouvait que reconnaître la voix de son opiniâtre coéquipière.
Il ouvrit prudemment en restant à moitié caché. C’était bien elle, avec son carré roux très sage et ses yeux francs plantés droit dans les siens. Francs et… inquiets ?
— Scully ? Mais qu’est-ce que tu fais là ? Tu ne devais pas aller chez ton frère ?
Elle s’abstint de répondre directement avec un coup d’œil évasif, répondant à la question par une autre question.
— Tu ne m’invites pas à entrer ?
— Euh… si, mais… j’ai mis du pop-corn partout et c’est un peu le bordel. Je n’attendais pas de visite. Et certainement pas la mère Noël ! ajouta-t-il en pointant du regard un paquet qu’elle tenait entre les mains.
— Détends-toi, Mulder, ce n’était pas pour toi…
La main sur le cœur, jouant ostensiblement le soulagement, il se redressa en ouvrant la porte plus largement pour lui livrer passage. Elle était toute petite mais parvint à le toiser de haut en voyant sa mise négligée. Il s’en fichait. Il était chez lui, un jour de repos, et elle venait le débusquer, c’était à ses risques et périls…
— Ah bon ? répondit-il d’un ton amusé. Non, si je fais le mort, c’est parce que ça fait deux heures qu’on frappe à ma porte pour me chanter Noël sur tous les tons – faux, le plus souvent – ou pour essayer de me faire enfiler un costume rouge et une barbe puante pour l’association du quartier…
— Mh-hm, fit-elle en constatant qu’il n’avait pas menti sur le « bordel ». Jour de lessive et la femme de ménage est en vacances ?
— Tout juste… Ne va pas le prendre mal, Scully, et même si je suis ravi de te voir y compris un jour chômé mais… qu’est-ce que tu fais là ?
Elle soupira en levant les yeux au ciel, tordant sa jolie bouche en une moue impatientée, tandis que de son côté, il la fixait avec ce qui s’apparentait à une authentique curiosité.
— Je suis venue voir comment tu allais, se justifia-t-elle en écartant les bras. Ce n’est jamais une bonne période pour toi. Depuis le temps qu’on travaille ensemble, je commence à le savoir. En plus, avec ce qui s’est passé l’an dernier…
— Qu’est-ce qui s’est passé l’an dernier ? dit-il avec une étourdissante mauvaise foi en essayant à la hâte de rendre le salon plus présentable.
— Fais donc l’innocent. Je crois que c’est l’idée la plus calamiteuse que tu aies eu pour faire en sorte que je déteste Noël moi aussi… Si je veux être honnête, je crois que je t’en veux encore un peu.
— Oh, sage Dr Scully, un homme te fait vivre le grand frisson et tu trouves encore le moyen de le lui reprocher ? [1]
— Arrête de faire l’idiot. Je pourrai aller chez mon frère le 24 au soir. Habille-toi. Je t’ai trouvé une affaire pour t’occuper, au lieu de rester là, à jouer les Scrooge en ruminant.
Il lui sourit du même air qu’un petit garçon à qui l’on promet une fête foraine et puis tourna les talons vers sa chambre, pendant qu’elle l’attendait.
— Quel genre ?
S’il y avait une chose qu’elle avait comprise lors de cette horrible nuit – où il n’avait rien trouvé de mieux que de l’obliger à venir avec lui, dans un manoir hanté par deux trop tangibles fantômes tueurs, qui lui avaient collé la frousse de sa vie de cartésienne endurcie – c’était qu’il était vraiment vulnérable à cette époque de l’année.
Elle déplia un journal et lut tout haut, en entendant que l’eau avait cessé de couler dans la salle de bains.
— « Quinzième disparition d’enfant dans une petite ville d’Alaska. La première remonte à 1985. Les habitants accusent des extraterrestres de les enlever tous les ans et de les transformer en élans… ». C’est une histoire pour toi.
Moins de cinq minutes plus tard, il était devant elle, peigné, rasé et revêtu des costard-cravate sombre et pardessus qui constituaient son uniforme ordinaire.
— Et ce qu’il y a de plus bizarre, c’est qu’en plus des légendes locales d’extraterrestres nourries par des aurores boréales, il y a surtout un vieil homme qui a été retrouvé tué à moitié dévoré dans son jardin. L’animal responsable reste pour l’heure non identifié. Selon ce qui est écrit là, les traces de morsure évoquent plutôt des dents de paraya, appelé aussi familièrement poisson-vampire ou poisson Dracula… Son habitat naturel est dans les eaux douces d’Amérique du Sud, précisa-t-elle sans lever les yeux du journal.
L’entendre énoncer tout cela, d’un ton à la fois très détaché et curieux, lui arracha un sourire. Chose qu’elle entendit fort bien.
— Attends, t’as dit aurores boréales ? C’est où ?
— A Talkeetna, en Alaska.
— Ok… Alors, une parka et des moufles dans ma valise, dit-il en rouvrant son placard. Il y a combien d’heures de vol jusque là-bas ?
— Onze ou douze, sans compter le trajet depuis l’aéroport.
Il gloussa légèrement.
— Quand on aime, on ne compte pas. T’as déjà les billets, pas vrai ?
Elle sourit à son tour en se rengorgeant un peu, les tirant de la poche de son manteau avant de les agiter devant son nez de fouineur.
— Pourquoi est-ce que tu demandes ? Joyeux Noël, Mulder.
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TALKEETNA, ALASKA, SUNSHINE HEALTH CENTER, 22 DECEMBRE
Debout au-dessus du cadavre de Presley Wendicott, Scully écartait le bord d’une plaie d’un doigt ganté précautionneux. Sur un petit chariot rutilant près de la table d’examen, elle prit une loupe pour examiner de près les morsures.
— Tu vois ça ? murmura-t-elle à son coéquipier qui restait à distance.
— Ça dépend de ce que je dois regarder…
— Ces morsures ne peuvent pas avoir été infligées par des « poissons ». Mais je comprends pourquoi le légiste a pu y penser même si a priori, cette hypothèse ne revêt aucun sens sous cette latitude…
— Import frauduleux par une animalerie ? Patron de restaurant désireux d’améliorer l’ordinaire de sa carte ? Touriste qui a trouvé Nemo ? [2] débouta-t-il en réfléchissant tout haut aux autres options qui auraient pu expliquer tout de même ce phénomène.
De son timbre calme et posé, elle poursuivit sans se laisser perturber.
— Sauf que la dentition des poissons vampires n’est pas si régulière… Tu vois là, sur l’os ? Ce sont des dents plus longues et fines qui ont fait ce carnage, probablement pour atteindre la moelle.
Mulder avait trop vu de morts durant ses enquêtes pour être véritablement mal à l’aise.
— Selon toi, à quelle espèce appartiendraient-elles ? Une fouine ? Une belette ?
— Pour le moment, je n’en sais rien. L’état de son cadavre est clairement dû à des blessures post mortem, il n’y a pas de sang. Mais qu’est-ce qui l’a tué avant ? Il n’y a pas de coups, pas de marques, ni rougeurs, ni décolorations et pas de traces de piqûres… Il faudrait que je fasse son autopsie et que je lise un compte rendu de l’analyse toxicologique et du contenu de son estomac.
Fox acquiesça pendant qu’elle recouvrait le corps et ôtait gants de latex et masque. Il lui dit qu’il l’attendrait dehors, le temps qu’elle puisse voir son homologue de la morgue.
Ce dernier s’avéra inflexible. Badge du FBI ou pas badge, le shérif local devait contresigner leur demande et vérifier leurs identités : un badge, c’était facile à falsifier. Elle en doutait fort mais apprit ainsi en le faisant parler que le gouvernement cachait beaucoup de choses aux administrés à propos d’expériences secrètes sur des gens. Lorsqu’elle chercha à en savoir plus, il ne sut lui répondre que :
— Moi je n’ai pas envie de jouer à l’homme qui en savait trop. Allez voir Whitstraum. Lui, il est vieux, peut-être qu’il voudra vous parler…
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Quand elle le rejoignit à l’extérieur, Mulder était appuyé contre leur voiture de location, grise à la base mais saupoudrée de neige. Il était en pleine lecture de la gazette locale à laquelle il semblait trouver de l’intérêt. Pendant qu’il parcourait les articles, il mordait allègrement dans un bonhomme au pain d’épices.
Elle tapa dans ses mains gantées et souffla dedans.
— Eh bien, je vois que ça ne t’a pas coupé l’appétit…
— Finalement ? Non, ils ne sont pas mauvais du tout. Tu en veux ?
— Non, merci. Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? Je ne peux pas pratiquer l’autopsie avant le retour du shérif à la fin de la journée.
— Eh bien, nous allons interroger les proches de…
Il approcha le journal pour lire l’entrefilet.
— …Leonard Krassluk, 15 ans, élève au lycée de Susitna Valley. Le gamin a disparu depuis quatre jours, soit le même jour que la mort de Wendicott.
Fox affichait le petit air agaçant qu’elle lui connaissait quand il était intimement convaincu sans avoir encore de preuves.
— Une simple coïncidence, me diras-tu. Un de ses camarades de classe – celui qui m’a vendu justement ces gâteaux – pense qu’il a fait une fugue. C’est pour ça que j’aimerais interroger son entourage pour voir s’il y a de quoi corroborer ça.
— D’accord, d’accord, je viens avec toi.
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L’architecture du village était pittoresque et ne manquait pas de charme. La rue principale était large, bordée d’édifices et de commerces pour touristes. Elle donnait confusément l’impression qu’on se trouvait hors du temps, dans un Far-West géographiquement très littéral, mais en beaucoup plus coquet. Beaucoup de maisons s’habillaient d’un bardage peint en rouge et en blanc, et combinaient le bois et la pierre. Ils frappèrent à la porte de l’une d’elles.
Les parents du disparu avaient dit d’entrée de jeu que la police était déjà venue poser des questions sur ses habitudes, son emploi du temps et ses fréquentations. Maintenant plantés dans le salon morne de leur modeste demeure depuis un quart d’heure, les agents du FBI écoutèrent avec attention les parents bourrelés d’anxiété leur raconter que leur fils était un bon garçon, qu’il travaillait bien et avait de bonnes notes, et qu’il avait plein d’amis.
Et quand Mulder leur avait demandé des noms, M. et Mme Krassluk s’étaient troublés en disant qu’ils ne les connaissaient pas vraiment, mais qu’ils les voyaient déposer leur fils devant la maison tous les jours. Très coopératifs, ils n’avaient pas rechigné à leur montrer la chambre, assez typique de celle d’un geek adolescent moyen. A quelques détails près.
Le tandem ressortit presque bredouille, et l’agent Mulder engouffra un demi-biscuit au pain d’épice sous le coup de la frustration et du besoin de calories.
— Ils mentent, affirma-t-il résolument.
— Et qu’est-ce qui te permet de dire ça ?
— La chambre d’un garçon de cet âge ne peut pas être immaculée. Elle a été nettoyée de fond en comble, il n’y avait pas un grain de poussière, le lit était fait et les draps propres.
— Et tu n’as trouvé aucun magazine porno ?
— Et pourtant j’ai bien cherché.
— Leonard semble plutôt adepte des jeux-vidéos. J’en ai trouvé des dizaines dans le tiroir de la penderie. De plus, il tient un journal intime.
— Tu l’as ?
— J’ai entendu dire qu’il fallait un mandat pour ça, mais je l’ai feuilleté très brièvement et il est évident que ce garçon se sentait très seul, ce qui n’aurait pas dû être le cas s’il avait « plein d’amis ». A ce propos, tu as le nom de celui qui t’a parlé de fugue ? Il aurait peut-être quelque chose à dire devant une plaque officielle ?
— Ou pas. Si ses amis sont des geeks, je te parie qu’ils voudront te parler sans même que tu aies besoin de la sortir.
— Qu’est-ce que tu insinues ?
— Que je connais bien ce genre de gars…
Il disait la vérité, mais elle haussa les épaules en levant les yeux au ciel, attrapant les clés du véhicule avant de s’installer au volant.
(à suivre)
Notes
[1] Réf. Episode de Noël de la saison 6 : How the ghosts stole Christmas / Les Amants maudits.
[2] Jeu de mot sur le titre anglais du “Monde de Nemo” : “Finding Nemo”