La voix de l'ombre - Livre III : Au-delà des brumes
Chapitre 33 : L'heure du jugement (partie 2)
5264 mots, Catégorie: T
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Chapitre 32 : L'heure du jugement. (partie 2)
Baine arpentait la salle. Il semblait aux prises avec ses principes, une fois de plus. Mais il s'était préparé à interroger Keera, conscient de ce qu'il allait devoir lui infliger, à elle aussi. Et tout cela dans le but de défendre celui qu'il aurait aimé occire lui-même lorsqu'il apprit qu'il avait tué son père.
Quelle ironie. Et bien que les visions que Kairoz lui avaient montrées le menait bel et bien à une explication quant à certains choix de Garrosh concernant Keera, exposer tout cela serait extrêmement pénible.
Il s'apprêtait à la sacrifier, ni plus ni moins. Et pas uniquement elle.
Il finit par se tourner vers Keera, qui l'observait avec une certaine appréhension. Conscient de ce qu'il allait devoir infliger, il prit un air digne, et lança :
- Princesse Keera, je n'irai pas par quatre chemins, annonça Baine après un long soupir. Vous nous avez expliqué que vous proveniez d'un peuple aujourd'hui éteint. Un peuple antique de protecteurs de la Terre. Est-ce exact ?
- C'est exact, répondit simplement Keera qui se méfia tout de même.
- Pouvez-vous nous dire comment votre peuple a disparu ?
- Je proteste ! s'écria Tyrande avec la même indignation qui se lisait sur le visage de la princesse. Nous ne jugeons pas la princesse Keera il me semble !
- Maître Zhu, il s'avère que le passé de ce peuple de Terrestres présente quelques similitudes avec la situation actuelle, expliqua Baine.
- Bien, voyons cela, autorisa Taran Zhu d'un geste de la main. Vous pouvez répondre, Keera.
Thrall n'avait pas menti. Baine frappait vite et fort, et même d'entrée de jeu. Keera dût se retenir de grogner, car il l'obligeait à divulguer son lourd passé, ou tout du moins ce qu'ils avaient appris dans le livre retrouvé il y avait longtemps. Elle leva le menton, et répondit donc :
- D'après un livre très ancien retrouvé par les explorateurs, il s'avère que... j'aurais contribué à sa disparition.
- Vous voulez dire que vous auriez éliminé vous-même votre peuple ? demanda Baine après les quelques murmures déjà audibles dans l'assistance.
- Les écrits portent à croire que oui, fit Keera en fronçant les sourcils. Mais je n'en ai aucun souvenir
- Kairoz, s'il-vous plaît ? l'interpella le tauren.
Le dragon de bronze sous sa forme de haut-elfe sourit, et se hâta d'activer la Vision du Temps, chose qu'il n'avait pas encore pu accomplir comme son homologue Chromie, depuis le début du procès. Il utilisa donc la relique avec dextérité, agitant ses doigts avec aisance et délicatesse.
La vision prit alors forme, montrant un immense et majestueux palais aux sommets arrondis et recouverts d'une mousse verdoyante. Une telle architecture n'avait encore jamais été contemplée sur Azeroth.
Devant le palais, les habitations brûlaient. Des cris et des hurlements s'entendaient jusqu'au balcon du palais où discutaient deux elfes mâles aux traits bien différents des elfes connus à ce jour.
- Sindri'la, mon enfant, fit le plus jeune des deux elfes en admirant le désastre devant eux.
- Roi Harald, elle arrive. Qu'allons-nous faire ?
Les mots étaient dits en langue inconnue, mais, comme pour les dialogues en langue orque, une voix provenant de la vision traduisait magiquement. Keera, qui pouvait contempler son père pour la première fois, sentit son cœur se serrer dans sa poitrine. D'après la vision, elle lui ressemblait, car il arborait un visage fin et singulier, ses yeux dorés et ses longs cheveux noirs rappelant l'unique illustration du livre retrouvé des années plus tôt. Ses atours ne masquaient pas ses larges épaules, et son air doux et bienveillant jurait avec le panorama cauchemardesque qu'il contemplait.
L'autre elfe, qui devait être l'un de ses conseillers, implorait son roi qui scrutait l'horizon.
- Votre Majesté, son Altesse a déjà décimé presque tous les nôtres, elle est dangereuse, nous devons l'arrêter ! insista-t-il.
- C'est ma fille, mon unique enfant encore en vie, rappela le roi très sereinement malgré la situation. Et tu sais que je ne peux rien contre elle.
- Mais, sir, … fit l'elfe qui regarda dans la même direction que son roi.
Au loin, au milieu des rues pavées de morts et ensanglantées, une elfe s'avançait langoureusement. Ses longs cheveux noirs et tressés flottaient derrière elle, et un sourire sinistre déformait son visage étrangement envoûtant. Deux fines marques sombres étaient dessinées sous ses yeux, à la manière des tatouages faciaux des femelles elfes de la nuit, traces qui avaient apparemment disparu avec le temps.
Son armure cuivrée devait avoir été resplendissante avant d'être maculée de sang, tout comme son épée à la longueur démesurée qui ne demandait qu'à être nettoyée. Elle lança nonchalamment au sol la tête qu'elle tenait dans sa main, et s'arrêta pour admirer les deux elfes.
Keera, la princesse d'Alterac, veuve d'Orgrim Marteau-du-destin, comme provenant d'un passé lointain, se tenait droite et fière, aussi jeune et belle qu'aujourd'hui, c'est-à dire plus de vingt mille ans après.
Totalement bouleversée par cette vision, Keera resta médusée, tandis que tous observaient avec beaucoup d'attention. Après tout, cette scène se déroulait il y avait des millénaires, et les plus proches de la princesse, tels que Varian et Thrall, furent particulièrement saisis.
- Père ! s'inclina-t-elle légèrement comme pour signifier son respect.
- Votre Majesté ! Nous ne pouvons la laisser …
L'elfe fut interrompu par une main levée du roi qui ne quittait pas sa fille des yeux.
- Solaf, nous ne pouvons l'arrêter, confirma le roi. Mais lui, oui.
Solaf suivit son regard, bien qu'il entendait déjà les pas lourds et convaincus approcher du palais. Durcissant son regard, la princesse Sindri'la de la vision se tourna vers l'être immense qui marchait vers elle, et tenait un marteau tout aussi gargantuesque. Fait de pierre, le géant posa son regard impassible sur la princesse lorsqu'il s'immobilisa devant elle. Ne cachant pas son indignation, la princesse pivota vers son père, et lui lança un air de défi.
- Bien, qu'il en soit ainsi, fit-elle en levant son épée pour faire face au colosse qui attrapa son marteau de ses deux mains.
Le géant qui se tenait à présent face à elle la dépassait de plusieurs pieds, la princesse ne lui arrivant qu'en-dessous des genoux. Pour autant, elle brandit son épée et rua le Gardien de pierre qui esquiva, et essaya de la toucher à l'aide de son marteau. La princesse s'élança en arrière, et lui lança son immense épée qui vint se ficher dans sa cuisse. Apparemment peu contrarié, le Gardien retira l'épée, et lui logea un coup de pied qui l'envoya s'écraser violemment contre une maison qui s'écroula sur elle.
L'auditoire bourdonna de concert, mais réagit plus vivement à la vue du Gardien qui s'approcha de la Keera de la vision pour l'attraper par le pied et la lancer sur les habitations de l'autre côté.
Une personne normale n'aurait jamais survécu à un tel choc, mais tous virent la princesse sortir des décombres en feu et regarder le Gardien de pierre briser son épée de sa main.
- Tu n'en auras plus besoin là où tu vas, fit Archaedas de sa voix forte et rocailleuse.
- Hin ! Tu es peut-être plus fort que moi, mais tu ne contrôles pas la nature, se moqua Sindri'la, dont le visage ensanglanté forma un rictus en voyant des racines sortir du sol pour l'écarteler en un éclair.
Un arbre jaillit du sol, soulevant la princesse pieds et poings liés, et qui observait la Gardienne qui s'avançait vers elle. Elle toisa l'être gigantesque qui l'avait immobilisée en à peine une seconde, et la gratifia d'un regard mauvais.
Immense, et également faite de pierre, la créature était dotée d'atours rappelant la faune, tandis qu'une sorte de halo vert tournoyait autour d'elle.
- Tu es en retard, Freya, gronda Archaedas qui examinait Sindri'la.
- Pardonne-moi, roi des Luisants, fit la Gardienne en direction d'Harald. Mais tu sais ce qui doit être fait.
L'assemblée put voir le roi acquiescer depuis son balcon, une mine triste se dessinant sur son visage si intriguant. Le combat avait été épique, et voir des Gardiens forgés par les Titans à l’œuvre représentait un privilège. Tous virent donc Freya ordonner à l'arbre de briser chaque membre de la princesse qui hurla de douleur.
La vision s'évapora ensuite pour laisser entrevoir une scène ultérieure. À présent démantibulée et inconsciente, Sindri'la fut conduite dans une sorte de caverne dans les bras de son père, guidé par Archaedas et Freya. Ils se dirigeaient vers un lieu apparemment reculé où le blizzard n'avait de cesse de gronder. L'endroit sinistre cachait une grotte dans laquelle ils entrèrent.
Une fois à l'intérieur de la grotte, Freya incanta un sort, et le germe d'un petit arbre sortit du sol terreux, pendant qu'Archaedas lançait un jet de lumière sur l'arbrisseau qui s'habilla de bronze. Et tandis qu'il poussait, le Gardien prit Sindri'la d'une main des bras de son père, et l'inséra dans le tronc de l'arbre de bronze créé de concert avec Freya, qui caressa le visage de sa protégée de son doigt, et repartit sans rien ajouter.
Tous virent le sceau qu'Archaedas apposa sur son ventre, et l'entendirent prononcer ces mots :
- Ses pouvoirs ont présenté une anomalie. Quelque chose l'a consumée de l'intérieur, un mal comme celui qui vous a affaibli et rendu vulnérables. Par ce sceau, que seule l’Âme-monde saura réactiver, ta fille pourra accomplir sa destinée. (il se tourna vers Harald) Le peu qu'il reste de ton peuple se verra retirer son pouvoir de conception, car nulle autre anomalie ne doit naître par ce sang.
- Mon propre sang aura donc condamné mon peuple, ajouta le roi. Mais pourquoi inverser sa croissance, Gardien ? demanda-t-il alors qu'il regardait son enfant rajeunir de quelques années en l'espace de quelques secondes.
- Ton enfant doit renaître, et son corps pourra s'approprier ses pouvoirs durant sa dormance sans devenir une anomalie, répondit Archaedas. Elle doit sommeiller, et assimiler ses pouvoirs pour protéger et non détruire, comme elle a détruit son peuple.
La vision s'évanouit lentement sur une image de Keera, dormant paisiblement dans les entrailles d'un arbre, lovée telle une enfant dans les bras de sa mère.
Baine, qui avait déjà été témoin de la scène lorsque Kairoz la lui avait proposée, laissa quelques instants à Keera pour se reprendre. Des larmes perlaient dans ses yeux luisants, et Baine sentit son cœur se serrer, car il s'apprêtait à la condamner.
Thrall comme Varian restèrent ébahis devant la scène macabre que le tauren avait présenté, de même que le reste des personnes présentes. Mais tous furent subjugués par ce morceau d'histoire oublié, et dont très peu avaient jamais eu connaissance avant l'apparition de Keera.
Baine fit face à l'auditoire, et se lança :
- Voici donc la preuve qu'un être, quel qu'il soit, peut être enclin au génocide. Et pourtant, nous savons tous combien la princesse Keera est bienveillante et a risqué sa vie pour défendre Azeroth. Elle a eu droit à une seconde chance, ajouta-t-il en se tournant vers elle, puis vers les Astres. Qui n'a pas droit à une seconde chance ?
Il laissa à nouveau quelques instants de silence s'installer, tandis que l'humeur ambiante trahissait une certaine contrariété. En une vision, Baine avait prouvé combien le pardon pouvait se justifier, ce qui força Tyrande à se mordre la lèvre inférieure.
Puis, après un bref moment, le tauren reprit :
- Keera, pardonnez-moi si je vous fais répéter, mais vous disiez avoir été l'amie de Garrosh Hurlenfer il fut un temps.
- Oui, répondit la princesse à contrecœur, encore sous l'effet de la précédente vision.
- Si l'un de vos amis était en danger, ou bien dans le besoin, l'aideriez-vous ?
- Bien sûr.
- Vous définissez-vous comme une amie loyale ?
- Je l'espère oui.
- Garrosh a-t-il jamais eu besoin de votre soutien ?
- Je n'en ai pas le souvenir. En tout cas, il ne l'a jamais manifesté.
- Lorsque vous commenciez à comprendre le tournant que prenait son règne, avez-vous tenté de le conseiller ?
- Oui, mais il n'a pas écouté.
- Qu'avez-vous fait dans ce cas ?
Keera regarda en direction de Garrosh.
- Je l'ai menacé.
- Donc, plutôt que d'insister pour qu'il entende raison, vous avez menacé sa vie ?
- Je proteste ! s'écria Tyrande. Le Défenseur harcèle le témoin !
- Venez-en au fait, Défenseur, demanda Taran Zhu.
- Vous avouez donc avoir menacé l'accusé. Avez-vous mis votre menace à exécution ?
- Non, je l'ai... juste secoué, avoua Keera.
- Je demande l'autorisation de montrer la vision des faits évoqués par le témoin.
- Accordé, fit le Pandashan.
La vision montra donc Garrosh dans la salle des cartes du Fort Grommash, et Malkorok qui se dirigeait vers la porte. L'orc Rochenoire se figea, et prit la porte en pleine tête lorsque celle-ci s'ouvrit. L'assistance vit alors Keera entrer en trombe, arrachant la porte, sans même voir Malkorok debout derrière elle qui finit par s'écrouler au sol.
Devant les rires de l'assemblée, Keera dut admettre que la scène avait un attrait comique. Baine leva la main vers Kairoz qui figea la scène d'un geste de la main.
- Quand a eu lieu cette rencontre Keera ? demanda le tauren.
- Juste après la destruction de Theramore. Je suis venue à Orgrimmar directement.
- Kairoz, s'il vous plaît ?
Le dragon de bronze sourit, et la scène reprit. L'audience vit Keera hurler sur Garrosh, le pousser contre le mur et le tenir en respect en appuyant son avant-bras contre sa gorge.
- Je t'avais prévenu ! Je t'avais dit ce qui arriverait si tu t'en prenais à l'Alliance !
- Alors tue-moi, avait rétorqué le Garrosh du passé. Crois-tu que j'ai peur de la mort ?
- Il y a pire que la mort Garrosh, et tu manques encore d'expérience à ce sujet.
- Ce que j'ai fait, je l'ai fait pour assurer un avenir à la Horde, gronda-t-il.
- Non Garrosh, ce que tu as fait c'est d'exterminer à bonne distance et sans risque, le reprit-elle. La mage Jaina œuvrait pour la paix, et jamais elle n'aurait attaqué Orgrimmar sans raison !
- Que tu dis ! cracha l'orc. C'était une humaine, une ennemie potentielle. Elle n'est plus rien, à présent, sourit-il.
La vision montra Keera serrer le poing pour l'abattre sur Hurlenfer, mais elle dévia le coup.
- Tu ne me tueras pas, Keera, sourit le Garrosh du passé. Et tu le sais.
- Arrêtez là ! demanda Baine. Keera, vous semblez en effet hésiter à tuer Garrosh. Pour quelle raison ?
Keera le dévisagea, et tourna son regard vers Garrosh qui la scrutait.
- Comme je l'ai dit à Garrosh, c'est uniquement par égard pour son père qu'il est encore en vie.
- Vous voulez dire que par respect pour Grommash Hurlenfer, vous vous refusez à le tuer ? Pour cette raison uniquement ?
- Oui.
- Même après Orneval ? Après Theramore ?
- Oui.
- Même après le Val de l’Éternel Printemps ?
- Oui.
- Et après Hermand ?
- Je proteste ! se leva Tyrande, qui crut un instant que Keera allait sauter à la gorge du tauren.
Comment pouvait-il ? Comment osait-il brandir la mort d'Hermand comme un étendard à la vérité ? Il l'avait vu lui-même pleurer le corps momifié de son ami.
Keera était dépitée, certes, mais surtout furieuse. On l'avait pourtant prévenue que Baine utilisait toutes les armes en sa possession pour défendre Garrosh. Mais de là à poignarder ses amis ainsi...
Taran Zhu, bien conscient du courroux de Keera, attendit quelques instants pour demander :
- Venez-en au fait, Défenseur. Et évitez de provoquer vos témoins plus que de raison.
- Bien, maître Zhu. Dites-nous, Keera, ce que Garrosh devra faire pour mériter la mort ?
- Il la mérite, répondit simplement Keera, en essayant de garder un ton neutre. Mais pas de ma main.
- Votre loyauté envers Grommash Hurlenfer est louable, avoua Baine. Y a-t-il une autre raison pour que vous refusiez de le tuer vous-même ?
- Il n'y en a pas, non, fit-elle d'un ton sec.
Baine fit signe de la tête à Kairoz qui anima la scène à nouveau. La vision montrait Keera se tenant la poitrine, l'air désemparé. Elle semblait souffrir. Garrosh se frottait le dos, et avançait vers elle, apparemment contrarié. Il agrippa l'épaule de la princesse et la fit pivoter pour qu'elle lui fasse face.
- Je n'ai pas cherché à te faire de mal Keera. Ce n'était pas dirigé contre toi.
- Non, c'était pour la gloire de la grande Horde menée par le plus grand Chef de guerre de l'histoire, ironisa la princesse. Et rien à faire si au passage Azeroth souffre, comme si elle n'avait pas été assez éprouvée avec le Cataclysme.
- La Terre s'en remettra, grogna Garrosh. Mais pas l'Alliance, qui restera à sa juste place, à terre dans la fange qui lui sert d'habitat.
La vision montra alors Keera repousser Garrosh violemment, et dire :
- Tu es ignoble Garrosh ! Regarde-toi ! Tu es devenu lâche, perfide et fourbe ! Tu fais honte au nom que tu portes ! Et tu n'es pas digne de mener ne serait-ce qu'un troupeau de pourceaux !
La Keera du passé s'éloigna, mais s'immobilisa après quelques pas. Elle pivota, et dit d'un air triste :
- Regarde ce que tu es devenu. Que reste-t-il de bon en toi ?
La fin de la vision montra un Garrosh furieux qui hurla de toute son âme, après que Keera soit partie, piétinant Malkorok au passage. Un geste si nonchalant qu'il ne manqua pas de faire rire une partie de l'assistance une nouvelle fois.
Baine s'avança alors vers Keera, et dit :
- Vous avez agressé Garrosh Hurlenfer, vous l'avez insulté, même après qu'il vous ait montré une certaine compassion, puis rejeté, et humilié. À vous seule, vous lui avez donné plus de raisons que Vol'jin, Kelantir et Fandris Farley réunis pour vous tuer. Tous trois, et d'autres, avaient fantasmé sa chute. Et pourtant, il n'a jamais cherché à vous faire assassiner.
- Sauf lors de l'explosion de la mine des explorateurs au Val, rétorqua Keera.
Baine ne dit rien, et se tourna vers Kairoz qui comprit la demande implicite. Une nouvelle vision se forma, mettant en scène Garrosh et Malkorok, au Sanctuaire des Deux Lunes.
- Chef de guerre ? Il y a un élément qui pourrait retenir votre attention, fit le Malkorok du passé.
- Dis-moi, Malkorok ?
- Les gobelins qui ont scellé les issues pour éviter aux nains de s'enfuir, ils auraient identifié une personne qui les accompagnait. Une personne qui ne faisait pas parti de la Ligue des explorateurs, et qui n'était pas supposée être là.
- Et alors, en quoi ce détail peut m'intéresser ?
- Eh bien, j'ai pensé que vous pourriez vouloir savoir que cette personne était également morte dans l'explosion, fit prudemment Malkorok.
- Pourquoi ? demanda sèchement Garrosh. De qui s'agit-il ?
- De Keera, Chef de guerre.
La mâchoire du Garrosh du passé se crispa l'espace d'un instant, mais il reprit contenance devant son kor'kron. Après lui avoir demandé une preuve de ce qu'il avançait, Malkorok lui tendit un linge dans lequel se trouvait la lance de Keera. La vision montra Garrosh refermer ses mains sur l'arme, puis retourner dans ses quartiers.
Après quelques instants, tous purent voir l'ancien Chef de guerre s'asseoir, regarder la lance, et fermer les yeux.
- Pause ! demanda Baine. Keera, pensez-vous toujours que Garrosh ait voulu votre mort ?
Keera resta bouche bée devant le visage empreint de tristesse de l'orc. Garrosh, en revanche, foudroyait Baine du regard.
Le tauren poursuivit, voyant que Keera ne répondait pas.
- Pensez-vous encore qu'il n'y ait plus rien de bon en lui ? Depuis Theramore, où il a pu réaliser ce que cela vous infligeait lorsqu'il s'en prenait à Azeroth, il n'a plus endommagé la Terre. Ce n'est que lorsqu'il vous a cru morte qu'il a déversé le Cœur d'Y'Shaarj dans les eaux sacrées du Val, détruisant ainsi la flore environnante.
La princesse haussa les sourcils. Elle avait cru Garrosh beaucoup trop égocentrique pour éprouver ne serait-ce que de la loyauté envers un ami, si tant est qu'il lui en restait.
Il lui fallait tout de même apporter une réponse à la question.
- Je m'étonne que Garrosh puisse encore éprouver de l'amitié ou de la compassion pour quelqu'un qui le menace et l'agresse, affirma-t-elle.
- Dans ce cas, pensez-vous qu'il ait pu ressentir plus pour vous qu'une simple amitié ?
- Je n'en sais rien, je ne suis pas dans sa tête, s'offusqua Keera.
- Ni dans son cœur ? osa Baine, tandis que Varian serrait les poings.
- Je proteste ! s'écria Tyrande. Si Baine ne peut produire de preuve de ce qu'il suppose, je demande qu'il cesse de harceler le témoin !
- Défenseur ? demanda Taran Zhu. Avez-vous une preuve de ce que vous avancez ?
- Non, maître Zhu, avoua Baine. Mais je pense que...
- Veuillez cesser ce type d'interrogatoire, dans ce cas, le somma le Pandashan.
Baine savait ce sujet nébuleux. Personne ne pouvait affirmer catégoriquement que Garrosh éprouvait de la tendresse pour Keera, ni pour qui que ce soit. Mais c'était la seule réelle preuve d'humanité que le tauren pouvait présenter à cette cour pour lui éviter l’échafaud. Il connaissait l'existence de la promesse faite par Grom de protéger la princesse. Marteau-du-destin le lui avait fait promettre, et Garrosh avait hérité de cet engagement. Mais s'il avançait ce fait, il ne pourrait plus démontrer que Garrosh possédait encore un cœur, et se refusait à tuer Keera par simple affection.
Il se reprit alors, et poursuivit son interrogatoire :
- Keera, que pensez-vous qui puisse amener Garrosh à se montrer déloyal envers un ami ?
- Je ne sais pas, la trahison ?
- Qui selon vous représente le plus grand obstacle aux plans de Garrosh ? Son plus grand adversaire ?
- Le roi Varian Wrynn je dirais, fit-elle en toute innocence.
- Le roi Varian est en effet le rival notoire de Hurlenfer, tout comme leur haine mutuelle est légendaire. Le connaissez-vous bien ?
- Oui, répondit simplement Keera.
Le regard de Varian se durcit subitement. Anduin le regardait du coin de l’œil, et sentit qu'il s'était tendu.
- Vous vous êtes rencontrés à plusieurs reprises, est-ce exact ?
- C'est exact.
- Et diriez-vous que vous entretenez une relation cordiale ?
- Nous avons appris à nous connaître, et je le considère comme un ami, oui, fit Keera sur la défensive.
- Comme un simple ami ? insista Baine.
Cette simple question suffit à provoquer un brouhaha général qui obligea Taran Zhu à taper sur son gong pour ramener le calme. Et la mine éberluée de Keera n'aidait en rien à contredire les sous-entendus du tauren.
Thrall avait cessé de respirer, pensant savoir à présent ce que Keera lui avait caché, ainsi qu'à tous : une relation intime avec le roi de Hurlevent. Vol'jin s'était redressé, tandis qu'Irion arborait un air plus qu'intéressé.
Plusieurs regards se tournèrent vers Varian, dont les yeux, s'ils avaient pu occire le tauren, se contentèrent de le foudroyer implacablement et sans sourciller. Jaina, qui se trouvait à ses côtés, se raidit.
Tyrande n'osa évidemment pas protester, car cela aurait corroboré les allusions de Baine qui venait de s'empêtrer dans une situation politique des plus houleuses et risquées.
Taran Zhu lui-même ignorait quelle était la meilleure chose à faire. Une telle liaison cachée ainsi mise à nue aurait des conséquences irrévocables. Mais Baine connaissait ces conséquences, et avait pris sa décision. Les jours précédents, d'autres avaient déjà fait les frais de ce procès, tout comme lui.
Il avait été désigné pour défendre Garrosh, et il ferait son devoir, quoi qu'il en coûte.
Il prit alors une grande inspiration, et reformula :
- Keera, vous considérez-vous comme plus qu'une amie pour le roi Varian Wrynn ?
À présent, la princesse le fixait de son regard noir. Une telle trahison venant d'un ami la sidérait. Mais Baine semblait prendre son rôle de Défenseur très au sérieux, et ne reculerait devant rien pour honorer ce rôle.
Elle chercha alors Varian du regard, et lorsqu'elle le trouva, elle y vit de la colère et une profonde amertume. Soudain, elle réalisa qu'il n'y avait là nulle honte, ni même aucun embarras à révéler un fait censé être quelque chose de noble et de merveilleux. Pourquoi cela devait-il être si compliqué, si problématique, après tout ?
Dans un regain de courage, Keera leva fièrement le menton, et finit par répondre :
- Le cœur d'un guerrier n'est rien s'il n'est pas animé par la flamme qui le transcende. Et en ce qui me concerne, le mien est à lui.
En un instant, l'immense et vaste pièce se transforma en une cacophonie assourdissante, que le gong de Taran Zhu ne réussit à faire taire. Plusieurs personnes s'étaient levées, à commencer par des généraux de l'Alliance, et même de la Horde.
Cette révélation était d'une telle importance, d'une telle portée publique et politique que Varian reçut des regards désapprobateurs, voire hostiles, auxquels il répondit instantanément par un air de défi.
Anduin, pour sa part, s'en réjouissait intérieurement, tandis que Jaina gratifia le roi de Hurlevent d'un « hin », et offrait un air à la fois pincé et victorieux.
Varian l'avait tant critiquée, tant moquée pour ses affinités avec Thrall, et ses rêves de paix. À présent, c'était son tour de connaître l'opprobre d'être montré du doigt. Et, bien que cela aurait pu n'être qu'un sentiment de justice, en juste retour des choses, Jaina ressentit finalement de la compassion pour lui. Pour la première fois depuis qu'elle le connaissait, il faisait preuve d'abnégation, au point d'accueillir dans son cœur une étrangère à l'Alliance, et, contre toute attente, la veuve du Chef de guerre orc qui avait rasé Hurlevent il y avait des décennies de cela.
- Du calme ! Je veux le silence ! ordonna Taran Zhu qui fit un signe de tête pour que des Pandashans évacuent les plus belligérants.
Le procès de Garrosh avait déjà conduit à de tels écarts de conduite que personne ne fut choqué du traitement réservé aux fauteurs de troubles.
Et tandis que Keera fit un tour d'horizon de l'assemblée, elle sentit la colère presque physique d'une paire d'yeux qui l'observait avec insistance : Garrosh, d'ordinaire imperturbable, affichait clairement sa rancœur. Ses narines dilatées trahissaient ses envies de meurtre, ainsi que la frustration liée à ses entraves.
Elle l'avait trahi, tout comme Thrall, en s'acoquinant avec des membres de l'Alliance. Elle avait trahi Orgrim Marteau-du-destin, trahi son père et sa promesse, et trahi les orcs qui avaient été ses frères durant des années.
Après qu'un certain calme soit revenu, Baine s'attela à terminer son interrogatoire :
- Il a été démontré que Garrosh Hurlenfer, malgré les menaces, les insultes, les agressions, ainsi que la trahison, était capable de compassion et d'abnégation.
- Je proteste ! scanda Tyrande. Nous n'avons aucune preuve que Garrosh ait été au courant de... cette relation, dit-elle prudemment.
- Je retire donc trahison, fit Baine de bonne foi, sachant pertinemment que le mal était fait. Mais il a également été démontré que l'accusé était capable d'écouter les conseils, ce qui prouve qu'il peut être influencé. La princesse Keera a indiqué à l'Accusatrice que Malkorok fermait volontairement les yeux sur certains agissements peu reluisants de membres de la Horde, contrairement à Garrosh. Keera, pensez-vous que l'accusé soit quelqu'un d'influençable ?
- Oui, mais sous réserve que les conseils apportés correspondent à ses attentes, ajouta la princesse.
- Pensez-vous qu'il ait pu être influencé par Malkorok ?
- Indirectement, oui.
- Croyez-vous que sa gouvernance aurait été moins brutale et ségrégationniste sans Malkorok pour le conseiller ?
- Je proteste ! Keera ne peut décemment pas savoir comment les choses auraient évolué, déclara Tyrande.
- Je tente de dresser le caractère de l'accusé à travers les personnes qui l'ont assez approché pour pouvoir en témoigner, maître Zhu, répliqua Baine.
- Accordé. Vous pouvez répondre, Keera.
- C'est très possible, oui, répondit la princesse. Même si sa belligérance envers l'Alliance existait avant leur rencontre, je ne suis pas sûre qu'il aurait été aussi loin.
- Si vous étiez restée à ses côtés, aurait-il été le Chef de guerre orgueilleux et agressif qu'il a été ?
Baine la mettait aux pieds du mur, comme il l'avait fait pour Thrall. Il venait de lui rappeler combien Garrosh pouvait être influençable. Il avait raison. Et Thrall avait cru qu'elle resterait à Orgrimmar davantage, et avait en partie compté sur elle pour le guider.
La réponse était donc assez évidente.
- Je pense qu'il est orgueilleux et agressif, quoi qu'il en soit, mais qu'il aurait peut-être écouté, finit par dire la princesse.
- Très bien, mais ne vous sentez-vous pas de fait en partie responsable du tournant qu'a pris son règne ?
- Je proteste ! Ce n'est pas Keera que l'on juge aujourd'hui !
- J'approuve le Défenseur, trancha Taran Zhu qui attendait la réponse de Keera, tandis que Tyrande ne se rassit pas.
- Non, je pense que chacun est responsable de ses choix et de ses actes, fit-elle en regardant Garrosh qui avait recouvré son visage placide. Mon devoir était ailleurs.
- En effet, vous avez contribué à la victoire contre Aile-de-Mort, reprit le tauren. Mais n'avez-vous aucun regret ?
Tyrande se retenait pour ne pas protester. Elle toisait Baine, et comptait sur l’assurance et la sincérité de Keera pour démolir son argumentaire.
La princesse finit par répondre :
- Non, cela ne servirait à rien.
Baine s'approcha d'elle, et maintint son regard. Il essayait de la sonder, et vit dans ses prunelles dorées qu'elle était sincère.
Tout avait été dit. Et ce procès n'avait que trop duré. Baine mit donc un terme à l'interrogatoire avec un certain soulagement :
- Je n'ai plus de questions, annonça-t-il en s'inclinant légèrement vers Keera, puis les Astres Vénérables.
- Bien, le dernier jour du procès aura lieu demain, avec le dernier témoin, proclama Taran Zhu qui frappa sur son gong pour annoncer la fin de cette septième journée de procès.