La voix de l'ombre - Livre III : Au-delà des brumes
Chapitre 32 : L'heure du jugement (partie 1)
4706 mots, Catégorie: M
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Chapitre 32 : L'heure du jugement.
La neige éternelle tombait encore sur le Temple du Tigre blanc en cette matinée ensoleillée. Le témoin attendu par Tyrande demeurait encore un mystère, car elle attendait une confirmation pour annoncer sa venue. L'elfe de la nuit demanda tout de même au scribe de noter qu'il s'agissait d'un témoin hostile à la procédure.
Les portes du Temple s'ouvrirent soudain légèrement, laissant entrer un Pandashan qui rejoignit la grande prêtresse et lui susurra quelque chose. Elle acquiesça, puis se tourna vers Taran Zhu qui trônait sur un gradin supérieur, attendant, tout comme l'assemblée qui s'impatientait, le prochain témoin.
Sans plus attendre, Tyrande se tourna vers l'assistance, et, de sa voix assurée et mélodieuse, elle annonça :
- Je demande à entendre le témoignage de la princesse Keera.
Des murmures se firent entendre dans l'auditoire. Si tout le monde connaissait la princesse de nom ou de réputation, très peu en revanche l'avaient approchée, et encore moins côtoyée. C'est donc avec curiosité qu'ils la virent franchir les portes du temple. Son vêtement guerrier tiré de la mode pandarène était comme une seconde peau. Ses longs cheveux ébènes volaient derrière elle, relevés en queue de cheval, tandis que son visage merveilleusement insolite dissimulait une profonde appréhension.
Marchant en direction de l'Accusatrice qui se tenait debout devant une petite table, Keera scruta l'assemblée devant elle. Elle avait tant redouté de devoir comparaître ainsi devant tous les dirigeants et autres personnalités importantes d'Azeroth.
Tyrande l'examinait. Keera s'avança davantage, et eut un geste de recul lorsqu'elle aperçut une gnome non loin, installée près d'un haut-elfe dont le regard manifestement enjoué ne lui inspirait pas confiance.
Une fois au centre de la vaste pièce, elle s'assit sur le siège en bois réservé aux témoins, et vit plus haut son maître et ami Taran Zhu qui l'observait. Bien plus haut encore, les Astres, qui avaient adopté une forme plus accessible, certainement par égard pour les membres de l'assemblée, la regardait prendre place.
Elle se tourna vers Baine, qui était assis à côté d'un orc massif habillé d'un linge clair et enchaîné de la tête aux pieds. Garrosh, dont elle croisa le regard, affichait un air si étrange qu'elle ne sut dire le fond de ses pensées. Son regard indéchiffrable trahissait tout de même sa surprise, ce qui n'était pas surprenant, car il l'avait cru morte. Son visage arborait tout de même un léger rictus, ce qui le déformait encore davantage.
Keera finit par se tourner vers la grande prêtresse, et lui lança un regard plutôt dur. La ténacité dont l'elfe de la nuit avait fait preuve pour l'obliger à témoigner contre Garrosh ne rendrait sûrement pas leurs échanges des plus sympathiques. Néanmoins, Tyrande s'était avancée vers elle, et dit :
- Je vous remercie d'être présente aujourd'hui. Pouvez-vous vous présenter à cette assemblée ?
Keera passa en revue les personnalités qui ornaient les gradins, à la recherche d'un regard compatissant et bienveillant. Elle s'attarda donc tout naturellement sur Anduin, et vit Varian à ses côtés, le regard inquiet.
Prenant une grande inspiration, elle se lança :
- Je suis Keera, ancienne princesse d'Alterac, veuve d'Orgrim Marteau-du-destin, surnommée l'Enfant de la Terre, et plus récemment légataire du nom de Foudrepique.
Cet hommage à l'un des hommes qui avait été si important pour elle lui valut de larges sourires de la part des quelques nains assis dans les gradins.
Toutefois, sa présentation demeurait incomplète. Et Tyrande, soucieuse du détail, intervint :
- Keera, est-ce votre véritable nom ? Pourriez-vous nous en dire plus sur vos origines ?
Keera la toisa. Elle ne voyait pas bien pourquoi tant de détails. Mais cela devait avoir un sens pour l'Accusatrice. Elle répondit donc à contrecœur :
- Non, en effet. C'est mon nom usuel, celui que mon père adoptif m'a donné. Je suis issue d'un peuple elfe antique dont je suis la dernière représentante. Nous étions des Terrestres, et devions protéger Azeroth.
- Et quel est donc votre véritable nom ?
- Sindri'la, répondit Keera.
- Mais pourquoi ne pas l'utiliser ?
- Je ne comprends pas ce que mon vrai nom vient faire dans ce procès.
- En effet, je proteste ! s'écria Baine. Ce n'est pas Keera que l'on juge ici.
- Accordé au Défenseur, réagit Taran Zhu. Accusatrice, venez-en au fait, je vous prie.
Tyrande opina du chef, et poursuivit après s'être raclé la gorge.
- Vous avez longtemps vécu parmi les orcs, annonça Tyrande sans détour. Votre père adoptif, le roi Perenolde, vous a mariée de force au Chef de guerre Orgrim Marteau-du-destin afin de sceller un pacte de non-agression. Après la Seconde guerre, vous vous êtes cachée au Pic Rochenoire. D'autres orcs s'y cachaient également. Vous ont-ils été hostiles ?
Keera serra les dents. Tyrande comptait à nouveau dépeindre les orcs comme un peuple barbare et cruel.
- Oui, répondit-elle.
- Qui étaient-ils ?
- Les orcs du Rictus de Noirdent, menés par Rend Main-noire.
- Est-il exacte qu'ils appartenaient à la Horde, et étaient sous les ordres de votre défunt époux ?
- C'est exact, fit Keera.
- Pourquoi se sont-ils donc montrés hostiles ? Est-ce parce que vous n’êtes pas une orque ?
- Je proteste ! s'écria Baine qui s'était levé.
- Je retire ma question, dit Tyrande avant l'intervention de Taran Zhu pour la rappeler à l'ordre. Keera, pourquoi pensez-vous qu'ils se soient montrés hostiles envers vous ?
- Rend avait été déshonoré de perdre lors d'un Mak'gora contre moi, quelques temps plus tôt. Et il haïssait Orgrim pour avoir tué son père.
- Il s'est donc vengé sur vous, poursuivit l'Accusatrice. Sur vous uniquement ?
- Non, sur mon ami Bazol également. Orgrim l'avait désigné pour me protéger.
- Vous n'étiez donc que deux à subir leurs mauvais traitements ?
Keera ne répondit pas. Le plus grand malheur de sa vie était sur le point d'être révélé à la face du monde. Ce qui ne lui plaisait pas du tout.
Devant son silence, Tyrande reformula :
- Ces orcs s'en sont-ils pris à quelqu'un d'autre ?
- Oui, répondit Keera après un moment.
- À qui ?
Après un autre moment d'hésitation, Keera finit par dire à contrecœur :
- À mon enfant.
La salle se remplit de murmures désapprobateurs. Certains récits ne figuraient pas dans les livres d'histoire, et celui-ci ne serait pas plaisant.
Désireuse d'ouvrir les yeux à l'ensemble d'Azeroth sur les agissements des orcs, Tyrande demanda :
- J'aimerais proposer une vision qui atteste de ces faits.
- Par la Terre-mère, je proteste ! hurla Baine dont les yeux lançaient des éclairs. La torture de nourrisson est au-delà de tout supportable, et il est hors de question de faire endurer cela une seconde fois au témoin !
- Accordé ! statua Taran Zhu. Tyrande, veuillez revoir votre approche, et venez-en au fait. Ce genre de vision ne saurait être toléré ici.
De nombreuses protestations animèrent également l'assemblée. Anduin porta une main devant sa bouche et étouffa un cri de stupeur, tandis que Varian fronçait irrépressiblement les sourcils.
- Jusqu'où est-elle prête à aller pour incriminer Garrosh ? cracha Aggra.
- Trop loin, j'en ai peur, fit Thrall, le regard dur. Je n'ose imaginer ce que Keera ressent, émit-il, si désolé pour son amie.
Keera était dans un état second. Tyrande avait-elle réellement souhaité montrer une vision de son enfant battu à mort ? Les yeux grands ouverts, elle tourna la tête vers l'Accusatrice, qui la fixait avec contrition.
- Je présente mes excuses au témoin si je l'ai bouleversé.
- Je demande quelques minutes de pause, répliqua Baine.
- Keera, avez-vous besoin d'une pause ? demanda Taran Zhu, quelque peu inquiet par son état de choc.
Keera fit non de la tête, les yeux toujours grands ouverts.
Avec prudence, Tyrande reprit :
- Je demande l'autorisation de produire une vision de ce qu'il s'est passé ensuite. Cet événement explique certains faits qui se sont produits ultérieurement.
- Accordé, fit le chef des Pandashans.
Comprenant ce que Tyrande attendait d'elle, Chromie, la dragonne de bronze sous les traits de la gnome qui avait surpris Keera, se leva de son siège, et se dirigea vers une statuette représentant deux dragons entrelacés. Elle anima l'artefact, plus connue sous le nom de Vision du Temps, de ses doigts experts et sûrs.
Soudain, l'atmosphère devint sombre, et une apparition d'abord floue se matérialisa devant l'assemblée. Keera apparut alors, enchaînée par les mains et suspendue, le corps recouvert de contusions et d'hématomes, et les yeux clos. Ses longs cheveux cachaient son corps dénudé, et du sang coulait entre ses jambes. Puis, lorsqu'elle ouvrit les yeux, une lueur blanche anima son regard cruel qui durcit considérablement son visage, le rendant presque méconnaissable. Elle tira sur ses entraves, tandis que l'on entendait des rires ainsi qu'un orc qui se lamentait.
- Le rejeton de Marteau-du-destin était un dur à cuire, fit Maim en langue orque, qui semblait piétiner une petite forme sur le sol.
- Il a bien résisté, sourit Rend qui se retourna, sentant une aura malsaine derrière lui.
La Keera de la vision les regardait, et brisa ses chaînes d'un coup. Les bras retombant devant elle, elle parla dans une langue inconnue, et se rua sur Maim qu'elle fit trébucher. Tout en continuant de parler, elle perça le ventre de l'orc de sa main, et en sortit les boyaux.
Plusieurs personnes dans l'auditoire manifestèrent leur révulsion face à cette séquence.
Apeuré, Rend observait la scène tout en reculant, et la vit attraper la tête de son frère qui hurlait et gémissait de douleur.
Keera tira fort, et réussit à arracher la tête de Maim dans un craquement sinistre, aussi sinistre que le sourire qu'elle servit à Rend en lui envoyant la tête qui atterrit à ses pieds.
D'abord paralysé par la peur et le choc, l'orc urina, puis détala à toute vitesse, suivi des autres orcs qui se tenaient près de Bazol.
- Là ! Arrêtez la vision ! demanda Tyrande. Keera, pouvez-vous me dire qui est cet orc qui s'échappe derrière Rend ?
Sans la moindre hésitation, la princesse répondit :
- Malkorok.
L'assemblée grommela de concert, et Taran Zhu dut demander le silence. Voilà où Tyrande voulait en venir. Elle se servait des affinités de Garrosh pour l'incriminer.
- Voilà à qui Garrosh Hurlenfer s'est associé. Les agissements de la Horde noire étaient notoires, mais cela ne l'a pas empêché de recruter ses soldats parmi les pires individus.
Keera jeta un œil vers l'intéressé. Ils avaient eu cette conversation, après le Cataclysme.
Mais Tyrande ne s'arrêta pas à ce seul exemple.
- Keera, avez-vous subi d'autres agressions, ou tentative d'agression de la part d'orcs sous le commandement de Garrosh ?
- Oui, une fois, avoua la princesse.
- Je demande l'autorisation de montrer une seconde vision pour illustrer cette rencontre.
Et tandis que Taran Zhu acquiesça, l'environnement s'assombrit à nouveau, et tous pouvaient voir le groupe d'orcs qu'elle avait croisé après la chute de Theramore. Ils virent l'un d'eux l'attraper par le bras et la plaquer au sol violemment, alors qu'elle semblait blessée.
- Pause ! Pouvez-vous nous dire quand s'est passé cette rencontre Keera ?
- Juste après la destruction de Theramore.
- Que faisiez-vous ici ?
- Je me rendais à Bael Modan, lorsque j'ai trouvé un soldat de Fort Guet-du-Nord mourant près du Marécage d'Aprefange. Avant de mourir, il m'a dit que la Horde s'apprêtait à attaquer Theramore. Je m'y suis donc rendue.
- Pour tenter d'empêcher l'attaque ?
- Oui, si cela était possible.
- Nous savons tous que votre tentative a échoué, puisque Theramore n'est plus. Que s'est-il passé ?
- Je me suis approchée assez pour voir la bombe tomber, et j'ai été touchée par ses émanations.
- Ce qui explique votre état lorsque ces orcs vous ont trouvée.
Keera opina, et Tyrande demanda à Chromie de relancer la vision à l'aide de la Vision du Temps.
L'orc qui avait immobilisé Keera ouvrait son pantalon. Des murmures outragés se firent alors entendre, et Varian serra les poings. Tyrande allait-elle laisser l'assemblée assister à un viol ? Baine ne protesta pas, ce qui le rassura sur la conclusion de ce passage.
C'est alors qu'ils entendirent Keera dire en langue orque :
- Tu ne devrais pas sortir ça !
Et la scène, quelque peu orientée vers le haut afin de cacher un passage indécent, offusqua néanmoins, puisque le geste de la princesse, qui tirait sur le membre de l'orc, était compréhensible. C'est pourquoi Tyrande fit cesser la vision.
L'Accusatrice reprit alors :
- Pouvez-vous nous dire ce que vous avez dit à cet orc avant de l'achever ?
- Je lui ai dit que la Horde était tombée bien bas, et que ce n'était pas la Horde que j'avais aidée autrefois.
- Pourtant, ce genre de... pratiques, je dirais, est monnaie courant en tant de guerre. Bien malheureusement. Pourquoi avoir dit cela ?
- Parce que sous le commandement d'Orgrim, jamais un orc n'aurait osé faire cela.
- Vous voulez dire qu'Orgrim Marteau-du-destin n'aurait jamais toléré cela ?
- En effet, il ne l'aurait jamais autorisé, confirma Keera.
- Pensez-vous que Garrosh aurait puni les orcs qui s'adonnaient à ces atrocités ?
- Peut-être, dit Keera.
- Si sous le règne de Marteau-du-destin, les orcs n'osaient faire cela, et qu'ils se l'autorisaient une fois sous les ordres de Hurlenfer, ne trouvez-vous pas cela troublant ?
- Je ne suis pas sûre que Garrosh aurait approuvé cela, fit Keera en fronçant les sourcils. En revanche, je suis convaincue que sous l'impulsion de Malkorok, cela pouvait arriver sans qu'ils ne soient inquiétés.
Tyrande ne s'était pas attendue à cela. Elle devait orienter le débat vers un autre point si elle voulait éviter de gagner des sympathies pour Garrosh.
- Keera, pouvez-vous nous dire ce qui est finalement arrivé à Bazol ?
- Il... il a été tué par le Sha de la peur, à la Terrasse Printanière, fit-elle l'air sombre.
- Comment est-ce arrivé ? Et comment vous êtes-vous retrouvés là-bas ?
- J'ai reçu un message de Bazol me disant que Garrosh avait caché la Cloche Divine à la Terrasse. Je m'y suis rendue, et j'y ai trouvé une troupe de kor'krons auprès du Sha.
- Et vous avez combattu le Sha, ajouta la grande prêtresse. Comme chacun le sait, vous l'avez vaincu. Et Bazol ?
- Il est intervenu dans le combat, et m'a protégée. C'est à l'issu du combat qu'il...
- Qu'il est mort, termina Tyrande, voyant qu'il était difficile à la princesse de finir sa phrase.
Keera opina du chef, la mine sombre.
- Je souhaite montrer à l'assistance une vision expliquant ce qu'il s'est passé.
- Accordé, acquiesça Taran Zhu.
La pièce s'assombrit à nouveau pour laisser une image de Garrosh et de Malkorok apparaître. Tous deux discutaient à la Halte de la Domination.
- Chef de guerre, si je peux me permettre ?
- Qu'y a t-il ?
- C'est à propos de Bazol.
- Ah oui, Bazol, reprit Garrosh du passé. Tu penses vraiment qu'il a averti Keera pour la Cloche ?
- Je n'ai pas de preuve, mais depuis peu, je le fais suivre, Chef de guerre. Et, il s'avère qu'il l'a rencontrée.
- Quand ? Et où ? demanda Garrosh sèchement.
- À Krasarang, loin de la Halte. Il courait comme un dément, et lui aurait dit que nous avions retrouvé la Cloche. Elle s'est envolée sur un serpent-nuage noir, et Bazol est retourné à son poste, comme si de rien n'était.
Le Garrosh du passé contourna la table de bois et s'avança à grandes enjambées pour faire face à son bras-droit.
- Ce que tu essaies de me dire, Malkorok, c'est que Keera collabore pleinement avec l'Alliance ?
- Ou en tout cas, qu'elle les a prévenus pour la Cloche, se méfia Malkorok qui se tassa légèrement. Et qu'elle cherche à vous empêcher de conquérir la Pandarie.
Un passage de la vision s'évapora pour présenter la suite de la conversation :
- Tout comme moi, tu as vu les rapports sur la bataille au Temple du Repos du Ver. La bataille contre Aile-de-Mort.
- Je les ai vus, acquiesça le kor'kron.
- Tu sais donc, tout comme moi, de quoi Keera est capable. Tu sais aussi qu'elle peut s'emporter au point de se transformer en machine à tuer si on s'en prend à ceux auxquels elle tient. Nous ne pouvons pas tuer Bazol, à proprement parler, annonça Garrosh. Mais nous pouvons l'empêcher de recommencer, dit-il en plissant les yeux.
- Je vous écoute, Chef de guerre, sourit sinistrement Malkorok.
- Tu vas laisser Bazol entendre que je cache la Cloche dans un endroit dangereux, je te laisse le choix, fit Garrosh. Il va contacter Keera, qui s'y rendra. L'important, c'est qu'il y reste sans que nous n'y soyons pour quelque chose, et que Keera en soit témoin.
- J'ai parfaitement compris, et j'ai mon idée à propos du lieu, et du monstre qui va se charger du traître, affirma Malkorok.
- Bien, ne me déçois pas, Malkorok !
La vision s'évanouit lentement, tandis que Tyrande se tourna vers Keera. Et, à en juger par le regard mauvais qu'elle lançait à l'accusé, elle avait réussi son coup. Ce qu'elle n'avait pas prévu, en revanche, c'était que Keera enfonce ses doigts dans les accoudoirs de son siège au point d'abîmer le bois, et de s'élancer en avant à une telle vitesse que les gardes Pandashans peinèrent à la contenir par la force.
Garrosh eut un geste de recul, tandis que Baine se leva et tenta également de retenir la princesse. Cela occasionna évidemment un tohu-bohu que maître Zhu s'empressa de refroidir à l'aide de son gong et de ses menaces d’expulsion de la salle.
- J'aimerais que chacun garde son calme ! clama Taran Zhu. Keera, veuillez modérer votre comportement, même si les circonstances sont compréhensibles.
Keera le gratifia d'un regard noir, et se rassit bien malgré elle. Tyrande vint lui parler, certainement pour lui proposer une pause. L'audience vit la princesse faire non de la tête, puis la grande prêtresse reprit son air sérieux, et poursuivit son interrogatoire.
- Keera, diriez-vous que Garrosh et vous étiez en bons termes ?
Après avoir lancé un regard mauvais la grande prêtresse, Keera finit par répondre :
- Il fut un temps, oui, dit-elle en serrant les dents, les yeux tournés vers l'accusé.
- Pourrait-on dire que vous avez été amis ? (Keera continuait de fulminer)
- J'imagine que oui.
- Mais vous avez surtout été l'amie de son père, Grommash Hurlenfer ?
- C'est vrai, acquiesça la princesse.
- J'aimerais présenter à cette assemblée une vision prouvant cette amitié, ainsi que la complicité de la princesse Keera avec les orcs, annonça Tyrande.
- Faites donc, acquiesça Taran Zhu, tandis que la vaste pièce s'assombrit pour laisser voir Grommash et Keera attendant derrière un arbre, dans une sorte de marécage.
- Princesse, pouvez-vous nous préciser le contexte de ce que nous voyons ?
- Il s'agit d'une partie de chasse, qui date de quelques années, fit Keera dont le cœur palpitait à la vue de son ami. Nous avons passé plusieurs basses saisons parmi les orcs du clan Chanteguerre, Orgrim et moi.
- Je vous remercie, dit Tyrande qui lança un coup d’œil à Chromie qui réactiva la vision.
Tous purent voir la princesse et le défunt Grommash Hurlenfer scruter les environs, et patienter, l'arme prête à dégainer. Chacun était concentré sur la proie au loin, parmi les arbres de la forêt où ils chassaient. Après un moment, le visage de Grom mua en une grimace enjouée, tandis que Keera finit par le regarder après avoir reniflé l'air ambiant nauséabond. Elle s'éloigna alors en s'écriant :
- Grom ! Tu as recommencé ! (elle se tourna vers leur proie) Et le daim s'est enfui !
- Ahhhh ! Tu es trop sensible, Keera ! se moqua l'orc qui ne pouvait s'empêcher de rire, tout en maintenant sa posture de gué. Mais tu vas …
Grom, qui riait très fort, s'interrompit lorsqu'il reçut un rondin de bois en pleine tête. Grognant bruyamment, il se leva, et l'assemblée vit Keera le rejoindre. Tous deux s'invectivèrent, tandis que la scène disparut pour laisser apparaître une sorte de souterrain. Keera et Grom marchaient à travers les galeries sombres d'un pas contrarié, et furent rejoints par Marteau-du-destin.
C'est alors que Keera cessa de respirer. Les yeux à présent embrumés, elle ne décrocha pas son regard d'Orgrim. Comme transportée des années en arrière, elle sentit sa poitrine se soulever d'émotion.
- Que se passe-t-il ? les interrogea Orgrim de la vision.
- Grom a recommencé, Orgrim ! Il a encore... il a attendu que je sois tout près de lui pour… et cette odeur !!
- Tu n'es qu'une petite nature, Keera, osa Grom en se penchant sur elle.
- Keera, il n'y a rien de grave, tu connais Grom, il n'a pas voulu t'offenser, dit Orgrim qui se retenait de rire.
- Ah oui, tu prends son parti alors ? Tu vois bien que cela me dérange quand il fait ça !
- Ne t'offusque pas, O'nosh, lui sourit Marteau-du-destin. Mais,... pourquoi cette mine ? demanda-t-il tout à coup en fronçant les sourcils.
- Parce que... je me sens... sale, quand il fait ça. (Keera arbora un air froissé) Tu le sais … je … je crois que je ne pourrai dormir à tes côtés, Orgrim, fit-elle d'un air faussement contrit. Pendant quelques jours, je vais me sentir …
- Quoi ? Mais … ce n'est rien, tout va bien ! la rassura Orgrim qui ne vit pas le regard suspicieux de Grom.
- Non je … ne t'inquiète pas, cela va passer … dans quelques jours … peut-être …
La princesse de la vision s'éloigna, le pas lourd et traînant. L'assistance put alors voir l'air outré de Marteau-du-destin qui s'écria :
- O'nosh ! (il se tourna vers Grommash) Grom, Va t'excuser ! ordonna-t-il en montrant Keera du doigt.
- Je … Mais … Marteau-du-destin ! Elle se joue de toi ! Ne vois-tu pas …
- Je ne passerai pas une nuit sans elle, sans ... Va t'excuser, c'est un ordre ! cria-t-il tout en rejoignant sa compagne.
Le regard menaçant de Grommash, dont les yeux rouges luisaient, témoignait d'un certain sang-froid. Cependant, tous le virent attraper une bûche de bois, et dire :
- Très bien, Marteau-du-destin. Mais je vais aussi devoir m'excuser pour ça ! fit-il en brandissant le rondin tout en s'avançant dans le corridor à son tour, l'air mauvais.
La vision s'évapora alors sur le rictus sinistre de Grommash Hurlenfer, sur le point de faire bon usage de sa bûche sur son amie manipulatrice. La scène avait produit un certain nombre de réactions, dont quelques ricanements, gloussements, mais surtout un visage illuminé qui anima la mimique fermée de Garrosh à peine quelques secondes.
Quant à Varian, il serra les poings devant la complicité et l'affection évidente de sa compagne avec Marteau-du-destin. Bien qu'il fût conscient du lien qui avait existé entre eux, cela nourrissait toujours plus sa jalousie et son amertume vis-à-vis de la Horde. Une fois de plus, ce procès mettait les nerfs à rude épreuve.
Laissant quelques instants à tous pour se reprendre, et surtout à Keera, la grande prêtresse tenta d'analyser la scène :
- Eh bien, je dois admettre qu'il s'agissait d'un coup de maître, sourit l'elfe de la nuit. Vous avez su tirer avantage de la situation en un éclair.
- En combat, il faut savoir exploiter les failles, sourit timidement Keera, encore gênée de la scène qui venait d'être présentée.
- Cela requiert de l'intelligence et du sang-froid, admit Tyrande. Et malgré la différence culturelle notable entre vous et les orcs, il semble que vous ayez été très proches. Votre défunt époux semblait même vous avoir trouvé un surnom plutôt affectueux. Osh signifiant le cœur en langue orque, si je ne me trompe pas ?
- C'est vrai, sourit Keera dont les battements de cœur se calmaient peu à peu. Et je tiens à vous remercier pour cette vision, Tyrande. Elle dépeint parfaitement l'ouverture d'esprit des orcs, et prouve qu'ils sont capables de compassion, et même d'humour, ajouta-t-elle en souriant.
Tyrande eut l'impression fort désagréable d'être prise à son propre piège. Cette vision avait eu pour but de montrer l'amitié et la connivence de Keera avec les orcs, et surtout avec Hurlenfer père, afin de démontrer ensuite combien son fils était différent, et bien plus méprisable. Elle savait pourtant combien la princesse était attachée aux orcs. Dans les tribunes, Aggra ne put retenir sa mimique satisfaite malgré les quelques brouhahas du côté des estrades de l'Alliance.
Reprenant contenance, et refusant de s'avouer vaincue, Tyrande poursuivit sans rebondir :
- Princesse Keera, pouvez-vous nous décrire ce que vous avez ressenti lorsque vous avez réalisé que l'accusé avait fait de Malkorok son second ?
- Je me suis sentie trahie, avoua-t-elle.
- Lui avez-vous fait part de ce sentiment ?
- Je l'ai fait, oui.
- A t-il tenté de se dédouaner ? De s'expliquer.
- Il disait qu'ils lui étaient loyaux et qu'ils avaient été soumis par les dragons noirs auparavant, ce qui pouvait les excuser de leurs agissements. J'ai alors quitté Orgrimmar après quelques échanges houleux.
- Il n'a donc écouté aucun de vos arguments ?
- Non, aucun, confirma Keera.
- Par le passé, il avait pourtant prêté attention à vos remarques, à vos conseils ?
- Oui, étrangement.
- Puisque vous étiez proche de son père, Grommash Hurlenfer, était-ce pour cela qu'il vous écoutait ?
- Je n'en sais rien, c'est possible.
- Et vous avez assisté à son évolution durant le Cataclysme, et même après. J'imagine qu'il vous a fort déçue.
- Je proteste ! fit Baine. L'Accusatrice suppose à la place du témoin.
- Accordé ! Tyrande, reformulez, s'il vous plaît, proposa Taran Zhu.
- Vous connaissiez bien Grommash, reprit-elle. Pensez-vous qu'il aurait agi ainsi ? Serait-il fier des actes de son fils ?
- Je désapprouve ! scanda à nouveau le Défenseur. Keera ne peut savoir ce que Grom penserait.
- Il est évident que Keera représente le témoin privilégié de deux périodes historiques de la Horde, et qu'elle connaissait Grommash de longue date, fit Tyrande. Et, plus tôt durant le procès, vous avez admis que les témoins pouvaient donner leur avis, et même présenter une analyse pertinente.
- J'approuve l'Accusatrice. Vous pouvez répondre, Keera.
La princesse prit le temps de la réflexion. Elle savait pertinemment ce que Grom aurait pensé des actions de son fils. Et Tyrande lui donnait l'occasion de l'exprimer.
Elle posa les yeux sur Garrosh, qui semblait impatient de connaître les dires de son père.
- Grom disait que c'était leur façon de se battre, de manière déloyale et sans honneur, qui les amena à se terrer dans des trous et à se cacher. Garrosh aussi a fini sous terre, dans un bunker qu'il avait construit sous Orgrimmar. Grommash disait aussi que seuls les idiots répétaient les mêmes erreurs en espérant une issue différente. Donc non, je ne pense pas que Grom aurait approuvé les choix de son fils.
Le visage de Garrosh se ferma à nouveau, et Tyrande, satisfaite, annonça :
- Je vous remercie, Keera. Le témoin est à vous, Défenseur.