La voix de l'ombre - Livre III : Au-delà des brumes

Chapitre 31 : Les premiers jours du procès

5596 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a 7 mois

Chapitre 31 : Les premiers jours du procès.



Le Temple du Tigre blanc n'avait jamais connu pareille effervescence. Chaque dirigeant de la Horde et de l'Alliance avait été convié à se rendre au Temple pour répondre à l'appel des Astres. Il fallait donc également compter sur leur escorte, dont la taille avait vite envahi les lieux.

D'autres personnalités d'Azeroth aussi avaient été sollicitées, et le sujet de cette convocation était le sort de Garrosh Hurlenfer.


Ignorant tout de la demande des Astres, les hôtes furent invités à se rendre au Temple qui avait été réaménagé pour l'occasion. La vaste pièce comptait à présent plusieurs rangs de gradins disposés de part et d'autre, et les places avaient été attribuées selon la faction. Ainsi, les représentants de la Horde et de l'Alliance étaient séparés par les personnalités neutres, et ce pour éviter toute confrontation, voire toute tentative d'affrontement.

De chaque côté des gradins, une table et des chaises avaient été disposées, puis, sur une estrade aménagée face à l'assemblée, un siège plus élaboré et décoré.


Pour cette rencontre, chaque convive était guidé vers une place libre sur laquelle il pouvait s'installer. Des Pandashans s'occupaient de les accueillir, et de gérer le flux d'invités de façon à ce qu'aucun dirigeant de la Horde ne croise ceux de l'Alliance.

Et alors que tous étaient installés, le maître de cérémonie, le chef des Pandashans Taran Zhu, fit son entrée.


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Accoudée sur le balcon enneigé des parties communes du Temple, Keera méditait. Elle avait accepté de se rendre au Temple du Tigre blanc sur demande de Xuen, mais ne souhaitait pas se montrer à la réunion pour l'annonce qui allait être faite à l'ensemble des représentants d'Azeroth. Et bien que les personnalités neutres, catégorie à laquelle elle appartenait, avaient également été conviées, elle refusait d'y assister.

Elle attendrait donc que l'audience se termine pour connaître la décision des Astres quant au sort qu'ils réservaient à Garrosh.


  • Tu aurais dû m'accompagner, Keera, fit Chen Brune d'Orage. Il s'agit tout de même d'un rassemblement historique ! Te rends-tu compte ?
  • C'est que je ne suis pas très à l'aise avec ces auditoires publics, avoua Keera. Et je ne vois pas bien le rôle que je pourrais y jouer.
  • Tu as tort, fit une voix derrière eux. Cette procédure inédite concerne l'ensemble des habitants d'Azeroth, et tu y as ta place, dit Taran Zhu. Tu as bien connu Hurlenfer.
  • Très peu pour moi, ajouta la princesse. Je ne tiens pas à m'immiscer dans les affaires politiques.
  • Mais tu seras bien obligée de répondre à l'appel si tu es convoquée par l'une des deux parties qui vont animer le procès.


Devant la mine incrédule de Keera, Taran Zhu poursuivit :

  • Comment ? Tu ne lui as rien expliqué Chen ?
  • Je n'en ai pas encore eu l'occasion, s'excusa presque le maître brasseur.
  • Enfin, si tu avais daigné te présenter tout-à l'heure...
  • Dis-moi ? le coupa Keera.
  • Eh bien, Garrosh va être jugé pour l'ensemble des charges qui pèsent sur lui, et elles sont nombreuses. Il sera représenté par un Défenseur, issu de la Horde, que ses dirigeants ont choisi, et qui devra argumenter en faveur d'une peine moins lourde. Il sera l'homologue de l'Accusateur, issu et choisi par l'Alliance, qui portera les accusations et intercédera en faveur d'une condamnation.
  • Un beau spectacle en perspective, se moqua presque Keera. Varian a dû se proposer comme Accusateur j'imagine ?
  • Oui, ce que Vol'jin a refusé, expliqua Taran Zhu. Ce sera donc Tyrande Murmevent qui jouera ce rôle.
  • Je vois. Et qui aura la lourde tâche de défendre Garrosh ? demanda la princesse, quelque peu inquiète.
  • Ce sera Baine Sabots-de-Sang.


Keera ne put s'empêcher de plaindre ce pauvre Baine. Alors que Garrosh avait tué son père en Mag'kora, il se retrouvait à devoir le défendre.

Quel sort cruel. Le plus doux et loyal de tous les représentants de la Horde se retrouvait à devoir représenter l'assassin de son père, et de tant d'autres. Et face à lui, Tyrande ne ferait aucune concession, assurément, et emploierait tous les moyens pour incriminer Garrosh.


L'exposé de la procédure n'était cependant pas terminé.

  • Chacune des parties bénéficiera de temps impartis pour présenter leurs preuves, ainsi que des témoins qui pourront s'exprimer, continua Taran Zhu.


Voilà ce que redoutait Keera. Elle ne souhaitait pas être convoquée comme témoin. Elle se demanda également de quelle façon les preuves seraient présentées.

  • Le vol draconique de bronze a apporté sa contribution à cette procédure, et nous prête les propriétés d'un artefact qu'il a créé : la Vision du Temps.
  • La Vison du Temps ? répéta Keera. Un objet qui voit à travers le temps ?
  • C'est presque ça, acquiesça le Pandashan. Il nous sera possible de remonter le temps et d'apercevoir en image des événements passés. Une preuve inaliénable et inaltérable.


Voilà qui était très déroutant. Revoir des épisodes du passé allait évidemment perturber l'assemblée. Si tant est que les scènes présentées resteraient décentes.


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Le jour suivant serait le premier jour du jugement de Garrosh Hurlenfer. Chacun était attendu au Temple le matin, afin d'assister à cette procédure inédite. Et tandis qu'il était encore tôt, Anduin s'était rendu au Temple avant son père et les autres dirigeants de l'Alliance.


  • Vous m'étonnez, Anduin. Je pensais qu'entre tous, vous seriez le seul à imaginer un repentir de Garrosh.
  • C'est que je connais certaines personnes qui pensent cela impossible, Irion. Mais je crois sincèrement qu'il pourrait changer.


Les deux princes conversaient sur l'un des balcons du Temple principal. Anduin se tenait debout appuyé contre la balustrade, tandis qu'Irion était assis dessus, adossé contre le socle.


  • Mais ne me prenez pas pour un naïf, Irion, reprit Anduin devant l'air moqueur du prince noir. Je ne suis pas sûr que les visions qui seront proposées émeuvent Garrosh, mais il y a bien quelque chose qui le touchera.
  • Qui sait, émit Irion, pensif. Après tout, l'heure est aux spéculations, et je...


Le jeune dragon esquiva de justesse un coup de poing qui fissura le mur contre lequel il se tenait.

Anduin n'avait pas vu le coup arriver, mais s'était instinctivement reculé. Il fut choqué de voir qui avait intenté à la vie de son ami, car s'il avait réceptionné ce coup, il y aurait sûrement laissé la vie.


  • Keera !? Mais qu'est-ce que...
  • Ne te mêle pas de cela Anduin, fit la princesse sur un ton qu'il ne lui connaissait pas.


Ce regard dur ne lui était pas familier. Il commençait à comprendre l'effroi qu'elle pouvait inspirer durant un combat. Et après coup, il se dit qu'elle devait avoir une bonne raison pour agir ainsi. C'était en tout cas ce qu'il espérait.

Irion, qui s'était élancé sur le côté, était à présent à hauteur d'Anduin, et essayait de remettre son turban qui s'était défait, dévoilant sa chevelure noire courte et hirsute.


  • Keera, fit-il presque musicalement. Cela faisait longtemps. J'imagine que nous avons à discuter.
  • Tu imagines bien, Irion, fit-elle, le regard noir. Et je suis curieuse de savoir comment tu vas te tirer d'affaire.
  • Sachez avant toute chose que je ne vous veux aucun mal, Keera. Et que nous avons le même but.
  • Cela, j'en doute, avoua-t-elle.
  • Croyez-moi, je ne suis pas votre ennemi. Et je comptais vous sortir de l'arbre.
  • Ah oui ? Avant ou après que le kypari ait ponctionné toute mon énergie vitale, et me laisse sans vie ?
  • Keera, ce n'est pas un dragon corrompu, intercéda Anduin, qui ne comprenait rien de cette histoire d'arbre.
  • Tu devrais surveiller tes fréquentations, Anduin, émit une voix derrière Keera.


Jaina Portvaillant et Vereesa Coursevent étaient apparues. Anduin leur jeta un regard contrarié. Il savait bien ce que pensait Jaina, qu'il considérait comme sa tante. Elle n'aimait pas qu'il fraie avec un dragon noir, tout comme son père. Mais il ne laisserait personne choisir ses amitiés.

Quelque peu dans l'incompréhension, Keera demanda :


  • Ce n'est pas de moi dont vous parlez, j'espère ?
  • Non, rassurez-vous, fit Jaina, en jetant en regard sombre à Irion. Je ne vous crois pas capable de faire de mal à Anduin, contrairement à ce... cet individu.
  • Je ne suis encore qu'un dragonnet, la reprit le prince noir sur le ton de la plaisanterie. Et je ne veux aucun mal à Anduin.
  • Vos desseins nous sont encore inconnus, tout comme votre degré de corruption, reprit Jaina. Et jusqu'à preuve du contraire, nous resterons méfiants à votre égard. Un point sur lequel je suis sûre que Keera nous rejoint.
  • Pardonnez-moi, mais je suis obligée de vous contredire, dit la princesse.
  • Comment ? Vous ne désapprouvez pas qu'Anduin puisse fréquenter un dragon noir ?
  • Ne fréquentez-vous pas un dragon, dame Jaina ? se risqua Irion sur un ton ironique, ce qui lui valut un regard des plus noirs de la part de l'Archimage.
  • Je ne me défie pas d'Irion pour ce qu'il est, rectifia Keera. Je me défie de lui car, tout comme vous, je ne connais pas ses intentions.
  • Mais enfin, vous avez combattu Aile-de-Mort, qui vous a retenue pendant des mois. Vous êtes bien placée pour savoir ce dont ils sont capables ! s'écria-t-elle, déçue de n'avoir pas trouvé une alliée dans ses déclarations.
  • Oui, et le Destructeur était corrompu, acquiesça la princesse. Mais je suis aussi bien placée pour savoir qu'Irion ne l'est pas.


Totalement abasourdie, Jaina ne sut quoi répondre. Anduin, en revanche, se retenait de ne pas sauter au cou de Keera. Bien qu'il émît aussi quelques réserves à l'encontre de son jeune ami, il le pensait incapable de lui faire du mal.

Contrariée par cet échange, et ne souhaitant pas s'appesantir sur le sujet, Jaina conclut :


  • Bien, nous verrons si le temps confirme vos dires, Keera. En espérant que ce jour-là, il ne soit pas trop tard.


Puis elle s'éloigna, accompagnée de Vereesa, dont la mine acariâtre laissait entrevoir une colère sourde, dirigée contre tout ce qui pouvait lui rappeler ce qu'elle avait perdu.

Tous trois les observèrent s'éloigner, tandis que Keera reprit :


  • Jaina a tant perdu, tant souffert. Mais elle a tort de te juger pour ce que tu es, fit-elle en se tournant vers Irion.
  • Je vous sais gré de votre sincérité Keera, et de votre tolérance, répondit le jeune dragon avec prudence.
  • Nous n'en avons pas terminé, Irion ! Et ne va pas croire que tu as ma confiance, rappela sévèrement Keera.
  • Keera, puis-je vous poser une question ?
  • Que veux-tu savoir Irion ?
  • Êtes-vous retournée auprès du kypari en question ?
  • Pourquoi y serais-je retournée ? demanda-t-elle, septique.
  • Vous devriez y retourner, ne serait-ce que par curiosité, fit le dragon qui pivota pour s'éloigner. Et, s'il vous plaît, ne doutez jamais de votre magie bienveillante envers Azeroth, ajouta-t-il, un léger sourire aux lèvres.


Le prince noir se recula de quelques pas, et prit sa forme de dragonnet en un instant. Keera et Anduin le regardèrent prendre son envol et s'éloigner vers le sommet du Temple du tigre blanc.


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Cette première journée du procès avait débuté sur un témoignage poignant de Velen, mais néanmoins bien mené par Tyrande, qui s'était attelée à dresser un portrait sinistre des orcs, malgré la compassion sincère dont le prophète avait tenté de faire preuve.


  • Elle ne l'a pas laissé s'exprimer, cracha Aggra qui tenait le petit Durak dans ses bras.
  • Qu'elle condamne ainsi tout un peuple pour les actions d'une partie seulement, je trouve cela...
  • Indigne ? Déplacé ? la reprit Aggra. Tiens ma sœur, prends-le, je vais faire un tour pour calmer mes nerfs, fit-elle en tentant son enfant à Keera.


Thrall et elle la regardèrent partir en fulminant. Ils restèrent donc assis sur un petit talus qui bordait le Repos du Vent de l'Est, l'un des camps de la Horde au Sommet de Kun-Lai que Vol'jin avait repris aux kor'krons après son investiture.


  • Elle s'est contenue toute une journée, fit l'orc. Un exploit, si tu veux mon avis.
  • Je la comprends, dit Keera qui souriait au petit orc qui plongeait son regard bleu dans le sien. Comment Tyrande a-t-elle pu faire un tel amalgame ? Et Baine n'a rien dit ?
  • Il a essayé, mais elle a expliqué que la bataille de Telmor que mon père et Orgrim ont menée contre les draeneï était un point nécessaire pour comprendre le mode de pensée orc.
  • J'espère qu'elle réservera autre chose à l'assemblée que des tueries, si elle veut être complète dans sa présentation des orcs, s'indigna Keera.
  • Ce dont je doute, avoua Thrall qui regardait Durak attraper le visage de Keera. Baine va devoir compenser par des témoignages et des visions bien choisis.


Thrall avait raison. Si Baine voulait rattraper les dégâts causés par Tyrande, il allait devoir proposer des visions plus avantageuses.

  • Mais comment Tyrande sait-elle quoi montrer ? l'interrogea Keera.
  • Elle est conseillée par Chromie, la dragonne de bronze. Et Baine reçoit l'aide de Kairoz, un autre dragon de bronze qui a enquêté sur les mystères de l’Île du Temps figé.
  • Je vois. Et chacun présente ses preuves sans que l'autre n'intervienne, c'est bien cela ?
  • Non, en fait, chacun peut protester et argumenter contre ce que l'autre s'apprête à présenter. Mais les arguments de la grande prêtresse sont convaincants.
  • Et il est aisé de démontrer la férocité des orcs, surtout lors d'une bataille, ajouta Keera.
  • Je ne donne pas cher de notre peau si Tyrande continue de ne montrer que les mauvais côtés de notre histoire, s'offusqua l'ancien Chef de guerre. Le témoignage de Kor'jus, qui travaille à la Faille de l'Ombre, n'a pas non plus aidé. Seul Varok a pu évoquer l'honneur d'un Mak'gora auquel tout orc peut prétendre, et dont l'issu représenterait la justice, quel que soit celui qui le gagne.
  • Alors ne sois pas si inquiet, et garde tes forces pour la prochaine génération, fit-elle en brandissant Durak qui rit fort tandis que Thrall les regardait.


Cette scène était à la fois réconfortante et empreinte de mélancolie. Keera semblait si heureuse de tenir un si petit être. Et rien dans le regard de Durak ne dépeignait l'étonnement que le commun éprouvait devant l'apparence étrange et singulière de la princesse. Seuls l'éclat de sa joie et l'innocence de son cœur d'enfant transparaissaient comme le reflet de son âme.

Assurément, Durak serait choyé et éduqué dans le respect de l'autre et des coutumes ancestrales d'un peuple bien plus attaché à l'honneur et à la Terre qu'un seul orc ne saurait bafouer à lui seul.


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Le second jour du procès avait présenté une particularité. Ce fut Anduin qui s'assit sur le siège du témoin, et les réponses qu'il apporta firent regretter Tyrande de l'avoir convoqué. Le sens de l'équité et de la justice du jeune prince, qui avait pourtant souffert de la colère de Hurlenfer, avaient pris au dépourvu la grande prêtresse qui dut se résigner. Car il avait argué que Garrosh pouvait changer, comme son propre père avait changé.


Mais ce fut au terme de ce matin ensoleillé que le jeune prince s'était vu offert une étrange proposition.


Keera se promenait le long de la terrasse du temple d'entraînement lorsqu'elle entendit plusieurs voix, dont celle de Varian, qui aboyaient en sortant du Temple principal où se tenait le procès. Elle vit Anduin sortir à sa suite, puis Tyrande, Baine, et pour finir Taran Zhu.

Elle vit Varian fulminer tandis qu'il s'éloignait à grands pas des lieux. Elle se promit alors d'aller à sa rencontre après s'être enquit de ce qu'il se passait.


Le chef des Pandashans aperçut Keera qui les observait de loin, et la rejoignit, dépité.

  • Que se passe-t-il ? demanda-t-elle, inquiète. J'ai rarement vu Varian aussi furieux.
  • Et on ne peut l'en blâmer, je t'assure. Bien qu'il m'ait hurlé dans les oreilles après s'en être pris à Baine, et aussi à Tyrande, puisqu'elle était là aussi, après tout.
  • Pourquoi est-il aussi en colère après vous ?
  • Eh bien, il semblerait que le discours du jeune prince ait fait mouche, au point que Garrosh demande à s'entretenir avec lui. Il aurait demandé à Baine de le rencontrer, et Baine en a fait part à Varian après avoir obtenu mon accord. Si nous acceptons sa requête, Hurlenfer acceptera de prendre la parole à la fin de son procès. Ce qui, je le reconnais, servirait grandement à faire justice. Car jusqu'à présent, Hurlenfer n'a fait que présenter une mine impassible d'une indifférence honteuse.
  • Je le reconnais bien là, se moqua Keera. En revanche, je suis surprise qu'il veuille discuter avec Anduin. Qu'a-t-il dit pour que Garrosh ait soudainement envie de lui parler ?
  • Oh, il a juste argumenté en faveur d'un changement, car tout est voué à évoluer. Même Garrosh, selon lui.
  • Je vois, cela doit l'intriguer, songea la princesse. Il ne doit pas comprendre que quelqu'un à qui il aie fait du mal puisse penser cela de lui. Autrement, je ne vois pas pour quelle autre raison il voudrait rencontrer Anduin.


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Anduin avait été amené jusque la geôle de Garrosh. Leur entretien n'allait sûrement pas tarder à s'achever, et Keera avait décidé de l'attendre.

Elle se trouvait au bord d'une butte couverte de neige qui menait au lac en contre-bas. Cela lui rappelait la fois où elle y avait glissé, tirant Varian qui tomba également, et précipitant les événements entre eux.


Le soleil donnait au nord, ce qui fit qu'une ombre la recouvrit presque entièrement.

  • Enfin un visage qu'il me plaît de retrouver, souffla Varian qui se positionna à sa hauteur.
  • Un visage sur lequel tu ne poses pourtant pas les yeux, releva Keera.
  • Si tu savais, fit-il en la dévisageant de son regard soucieux.
  • Je sais, affirma-t-elle.


Le roi la regarda avec stupeur, puis se détendit. Évidemment qu'elle savait.

  • Tu attends Anduin, n'est-ce pas ? sourit-elle. Ne sois pas inquiet, il ne craint rien.
  • À part entendre des choses qu'il ne devrait pas entendre, maugréa Varian. Des insultes, des grossièretés, un pamphlet sur la petitesse de...
  • Si c'était le cas, c'est toi que Garrosh aurait demandé à rencontrer, se moqua Keera.
  • Tu prends cela à la légère, mais je suis réellement inquiet, fit-il en fronçant les sourcils.
  • Je sais Varian, mais tu verras, aies confiance en ton fils.


Le roi de Hurlevent donnait l'impression de scruter l'horizon, mais ses pensées étaient ailleurs.

  • Pourquoi n'es-tu pas présente au procès ? Je pensais t'y voir, assise dans les rangs des personnalités neutres. Et tu as bien connu Garrosh.
  • Comme tu le sais, je ne veux pas prendre part à la politique entre l'Alliance et la Horde. Et Garrosh me croit morte.
  • Pourquoi fronces-tu les sourcils ? Est-ce mal qu'il te croit morte ?
  • Je ne sais pas, c'est juste une impression étrange, expliqua-t-elle. Comme la sensation que c'est mieux ainsi.


Varian se racla la gorge.

  • Encore une de tes intuitions, j'imagine, fit-il en se tournant vers elle. Si c'est ce que tu ressens, c'est aussi bien. Ce procès met les nerfs à rude épreuve. Et certaines visions du passé sont éprouvantes.
  • Oui, Thrall m'expliquait que Tyrande n'hésitait pas à montrer les orcs sous leur meilleur jour, fit-elle en grimaçant.
  • C'est qu'ils ont un passé plutôt chargé. Elle n'avait que l'embarras du choix.
  • Je ne peux te contredire, avoua Keera bien malgré elle.
  • Quant à Baine, il est plutôt éloquent pour quelqu'un qui défend l'assassin de son père, pesta Varian.
  • Le pauvre, je le plains de tout cœur, fit la princesse avec empathie. Et ne le juge pas trop sévèrement Varian, il fait ce qu'on attend de lui. Il honorera toujours ses devoirs, quoi que cela puisse lui coûter.
  • Même ses amitiés ? Qu'en sera-t-il lorsqu'il devra interroger Thrall qui a donné les pleins pouvoirs à Garrosh ?
  • Thrall a été convoqué ?
  • Il le sera certainement, lui plus que tout autre, pensa Varian.
  • Tu dis vrai, songea tout haut Keera. Il le sera.


Varian l'examina. De toute évidence, elle le sera aussi. Ceux qui avaient approché le Chef de guerre déchu étaient soit morts, soit portés disparus. Les survivants se comptaient sur les doigts d'une main, et elle en faisait partie.

La loi pandarène avait été exposée le premier jour du procès. Elle stipulait entre-autre que toute personne convoquée par l'Accusateur et le Défenseur devait obligatoirement se présenter en tant que témoin officiel devant l'assemblée. Tout manquement à cette obligation de paraître entraînait l'arrestation de la personne, qui serait détenue au sein même du Temple.

Mais devant le visage éprouvé de Keera, Varian n'eut pas le cœur de le lui rappeler.


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Les jours suivants avaient confirmé les suppositions de Varian. Thrall et Vol'jin avaient été convoqués par Tyrande en faveur de la condamnation de Garrosh. Et assurément, Baine s'était montré particulièrement convaincant dans son rôle de Défenseur lorsque ce fut à son tour de les interroger.


  • M'a pas épargné le bougre. Quand je pense qu'on était unanime pour que ce soit lui qui défende Garrosh.
  • Vous souhaitiez que Garrosh soit défendu avec sérieux et honneur, c'est donc le cas, sourit Keera.
  • Ouais, mais je sais pas si oser sous-entendre que j'ai cherché à me faire ouvrir la gorge, c'est de l'honneur. Baine, il donne l'impression que l'accusé, c'est toi, lorsqu'il t'interroge.


Vol'jin s'était retiré à Rosée-de -Miel, la base principale de la Horde à la Forêt de Jade. Tous deux s'entretenaient à propos des événements des derniers jours, assis sur un muret de pierres près de l'entrée du village.


  • Et ça a été pire pour Thrall ! Il l'a cuisiné comme un lapin bouilli à qui on enfonce la tête sous l'eau dans sa marmite.
  • Oui, cela a dû être très dur pour lui, consentit Keera. Je ne suis pas sûre qu'il ait réellement assumé sa décision de nommer Garrosh Chef de guerre.
  • Et Baine a parfaitement su exploiter la faille, ajouta Vol'jin. Il lui a presque fait dire que ça avait été une erreur. Et il a argumenté à coup de vision.
  • J'imagine combien cela a dû l'affecter, souligna-t-elle. Ce n'est pas dans la nature de Baine d'offenser ses amis, ni même une personne inconnue.
  • Mais il a quand même montré une vision de Cairne ! De son propre père se disputant avec Thrall qui voulait mettre Hurlenfer au pouvoir ! J'étais choqué, ouais !
  • Eh bien, Garrosh n'a pas fini de tourmenter les autres, même indirectement. J'irai voir Baine après t'avoir quitté.
  • Tu peux pas, non, fit le troll. Le Défenseur il a pas le droit de parler avec nous autres, qu'il pourrait décider de convoquer. Tyrande a droit au même traitement.


Cette information lui parut si cruelle. Alors que Baine devait souffrir de devoir soutenir Garrosh, il ne pouvait même pas se ressourcer auprès de ses amis. Fort heureusement, Vol'jin lui expliqua qu'il rentrait aux Pitons du Tonnerre chaque jour par un portail que les pandarens maintenaient ouvert pour lui. Cela devait l'aider à libérer son esprit de cette procédure éprouvante.


  • Cette histoire de visions, c'est pas bon tout ça, reprit Vol'jin. Faut voir parfois les gens qui crient, se lèvent, et veulent en venir aux mains ! Taran Zhu, il a dû faire expulser ceux qui se montraient pas respectueux pour les faire enfermer jusqu'à la fin du procès. Il rigole pas lui.
  • Il fait régner l'ordre, comme tout maître de cérémonie. Mais il est vrai que ce rôle lui sied parfaitement bien, avoua Keera, amusée.
  • N'empêche, ça remue de voir le passé, et les séquences qu'ils choisissent avec les dragons de bronze, elles sont pas innocentes.


Keera fut heureuse de voir arriver Saja, qui se posa près d'elle. Toujours méfiant à l'égard d'étrangers, il gratifia Vol'jin d'un grognement sourd, et posa sa tête sur les genoux de la princesse. Le Chef de guerre les observait, et savait très bien ce qui traversait son amie.


  • Tu fais la morte, mais tu pourras pas t'esquiver si t'es convoquée, tu le sais. Et je vois pas pourquoi tu te cacherais de nous tous, ni de Hurlenfer. Sauf si t'as des choses pas nettes à cacher, suspecta Vol'jin.
  • Qui n'a rien à cacher ? se dédouana-t-elle sans grande conviction. Tant que nos secrets ne peuvent blesser les autres, ils peuvent être gardés.


Vol'jin dut admettre qu'elle avait raison. Il se demanda cependant ce qu'elle pouvait bien cacher.


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Tyrande se rembrunit. L'ovale parfait de son visage d'ordinaire si beau et illuminé était contrarié par sa mâchoire serrée. Le pandaren qui avait remis sa convocation à son prochain témoin revenait à nouveau bredouille. La convocation ne souffrait pourtant d'aucun refus.

Or il s'agissait d'un témoin capital, qui réunissait à lui seul un tel panel de possibilités de réponses à ses questions qu'elle enrageait de le savoir si imperméable à son appel. Sans compter que cette personne avait été le témoin privilégié de la chute décadente de Garrosh vers la perfidie et la mégalomanie.


Elle allait devoir en informer Taran Zhu, car ce témoin ne pouvait se dérober à ses devoirs plus longtemps.

  • Vos traits sont tirés, grande prêtresse, se soucia Chromie qui se tenait aux côtés de Tyrande pour préparer le prochain témoignage.
  • Pardonnez-moi, Chromie. Je repense à ce témoin qui m'échappe. Il s'agit de mon témoin principal, et une bonne partie de mon réquisitoire repose sur son témoignage.
  • Ne vous faites pas de soucis, Tyrande. Chaque personne convoquée doit se présenter au procès. C'est la loi. Vous devriez avertir Taran Zhu de ce contretemps.
  • C'est bien ce que je compte faire, assura Tyrande. Mais en attendant, connaissez-vous une personne encore vivante qui puisse attester de ce qu'Alextrasza a enduré lorsque la Horde l'a forcée à produire des enfants pour son compte ?


Tyrande Murmevent ne prenait aucun plaisir à devoir chercher des épisodes du passé qui blesseraient ses témoins. Tout comme son homologue, elle faisait de son mieux pour honorer ses fonctions d'Accusatrice, et ce quelques soient les sacrifices auxquels elle devrait consentir.


  • Comptez-vous également entendre le maître brasseur Chen Brune d'Orage, Tyrande ?
  • C'est une nécessité, fit l'elfe de la nuit. Chen est l'unique pandaren à avoir participé à la fondation d'Orgrimmar. Il a connu Grommash Hurlenfer, et pourra m'aider à le dépeindre comme un père qui aurait honte des actes et des choix de son fils ! Et il est encore en vie.
  • En effet, peu de gens peuvent encore témoigner de cela, concéda Chromie. Vous pensez à tout Tyrande. Garrosh ne résistera pas à cela.


Il ne résisterait pas non plus à un témoignage de son témoin clé qui allait devoir plier devant ses responsabilités. Il le fallait !


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De nombreux retournements de situations avaient marqué les jours suivants. Après avoir invoqué la présence de la Lieuse-de-vie Alextrasza, dont le récit déchirant toucha chacune des personnes présentes, excepté Garrosh qui se murait derrière un masque impassible, Tyrande eut une grave décision à prendre. Car on l'informa de l'existence d'un témoin qui pourrait compromettre à la fois Baine, et l'un des dirigeants de l'Alliance.


La grande prêtresse eut tout de même la décence d'en informer Baine, qui accepta de bonne foi d'être exposé, arguant qu'il était de la responsabilité de chacun de participer à ce procès, quel que soit son niveau d'implication.

C'est alors que Tyrande convoqua Perith Sabot-tempête, le longue-foulée de Baine qui avait demandé son concours à Jaina Portvaillant pour reconquérir les Pitons du Tonnerre que Magatha Totem-sinistre avait annexé par la force et la perfidie.

Les révélations de Perith mirent également Baine en cause, car il avoua à contrecœur que son chef avait informé Jaina de l'attaque de la Horde sur Theramore, en remerciement pour l'avoir aidé. Elle avait alors pu organiser ses défenses, et solliciter l'aide de Varian qui lui envoya ses meilleurs généraux.


Cette information provoqua non seulement l'indignation de l'assemblée, dont certains membres avaient été évacués, mais surtout la colère du roi Varian, que la trahison affectait particulièrement. Car, outre le fait que Jaina ait entreprit des pourparlers avec un dirigeant de la Horde sans l'en informer, et qu'elle l'avait aidé au moyen de fonds monétaires, son propre fils avait assisté à cette rencontre, et cédé son arme légendaire à Baine pour lui témoigner son soutien.


Une fois la session terminée, Varian avait retenu Jaina afin de lui faire part du fond de sa pensée.

  • Comment avez-vous pu ? Et sans m'en avertir !


L'Archimage regardait le roi avec froideur, tandis qu'il exprimait sa colère à travers une diatribe cinglante.

Elle le laissa alors terminer, car elle savait que rien ne pouvait le calmer, hormis laisser passer l'orage.


Ce n'est qu'une fois le roi fatigué de son monologue que Jaina se lança :

  • Varian, ce que j'ai fait, je l'ai fait car Baine, tout comme son père, s'était toujours montré honorable. Et cela a permis de sauver les civils de Theramore, je vous le rappelle. Si Baine ne m'avait pas prévenue de l'attaque qui se préparait, ils seraient tous morts.
  • C'est bien le seul point sur lequel nous sommes d'accord, Jaina, fit Varian entre ses dents. Quand je pense que vous avez mêlé Anduin à tout ceci...
  • Père, Jaina n'y est pour rien. Je m'étais téléporté depuis Forgefer, elle ne pouvait le prévoir.
  • Tu dis vrai, fils, mais tu aurais pu m'en parler, toi aussi !
  • Il est vrai que vous êtes connu pour votre caractère facile et complaisant, rétorqua Jaina.


Anduin ferma les yeux. L'attitude dédaigneuse de Jaina n'aidait en rien dans cette situation. Elle aussi avait été compromise, et le contrecoup s'en faisait encore sentir. Mais elle semblait provoquer son père, pourtant connu pour ses réactions agressives et bornées.


Et les effets ne se firent pas attendre.


  • Prenez garde, Jaina, la prévint Varian. Votre arrogance divise, au point que même vos proches pourraient vous tourner le dos, fit-il en regardant Kalec s'éloigner par-dessus son épaule.


Jaina lui lança un regard dur, et s'éloigna à son tour.


Anduin se positionna près de son père, et dit :

  • Elle souffre encore, père. Et elle a raison lorsqu'elle dit que sans Baine, il y aurait eu plus de victimes à Theramore.
  • Je sais, fils. Mais vous auriez dû m'en parler. L'apprendre comme cela, à la face même des chefs de la Horde, pourrait leur faire penser que nous nous défions les uns des autres au sein même de l'Alliance. Cela pourrait être perçu comme une faiblesse.
  • Un jour, peut-être, pourrez-vous considérer la Horde comme un vrai allié. Si un jour la paix règne.
  • Et ce jour n'est pas encore là, affirma le roi. Mais crois-moi, Anduin, quand je dis que j'aspire à une entente entre nous tous.


Anduin ne put réprimer un léger sourire. En effet, son père était sur le chemin de l'abnégation et de la tolérance. Et la paix allait demander davantage d'efforts, si tant est que ce procès ne creuserait pas de fossé dans les ententes déjà existantes et parfois fragiles.


Jaina avait été entendue le jour suivant, revivant la chute de Theramore lors d'une vision des plus réalistes, devant une assistance choquée. Puis, après que Baine l'eut interrogée, elle comprit combien elle avait laissé sa haine la dominer, et ce que cela allait lui coûter. Le tauren, à travers ses questions, lui fit prendre conscience de l'amalgame dont elle s'était rendue coupable, et retourna auprès de son amant, le dragon bleu Kalecgos, qui ne supportait plus de voir celle qu'il aimait rongée par son ressentiment et son aigreur.


Elle avait réalisé que la Horde n'était pas Garrosh, et qu'il fallait dissocier les personnes qui la composaient. Elle se souvint alors qu'elle soutenait vivement cette assertion par le passé, et qu'il était temps de l'appliquer à nouveau.

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