La voix de l'ombre - Livre III : Au-delà des brumes
Chapitre 24 : Rien ne va plus.
Le message était des plus inquiétants. Et les craintes de Taran Zhu n'étaient pas à prendre à la légère. Les mantides, dont le cycle offensif avait déjà pris de l'avance, commençaient à se regrouper au nord des Steppes de Tanglong, derrière l’Échine du Serpent. Les Portes du soleil couchant étaient défendues par les gardiens des murailles pandashans, mais ce nouvel élan inquiétait Taran Zhu au point de la solliciter.
Mais le pire était encore la trouvaille de Garrosh au sein même du Val : il avait réussi à mettre la main sur le Cœur d'Y'Shaarj, un Dieu très Ancien dont l'organe avait été caché sous le Val et protégé durant des millénaires. Nul doute que Hurlenfer allait chercher à en faire une arme.
Le temps pressait, et Keera devait reprendre la route vers la Pandarie, au détriment de la rébellion Sombrelance qui gagnait du terrain, et dont les alliés commençaient à se regrouper à Tranchecolline.
Baine Sabot-de-Sang et ses braves venaient en effet de rejoindre les rangs de la révolte, tandis que Lor'themar Theron et Sylvanas Coursevent avaient promis leur soutien, et arriveraient par la Grande Mer.
La princesse fit le point avec Vol'jin avant de prendre la route :
- Je suis vraiment désolée, mais Taran Zhu n'envoie pas ce genre de message sans une bonne raison, expliqua-t-elle.
- Tu fais ce que t'as à faire, Keera. J'ai pas à te juger pour ça. Tu nous as déjà donné un rude coup de main. Et compte sur mes trolls pour prendre soin de ton ami nain, la rassura-t-il.
- Je te remercie, pour tout, fit Keera. Je vous rejoindrais dès que je le pourrai.
- Va, et t'inquiète pas pour nous, sourit le troll qui fut rejoint par Baine. Grâce à ta lettre, et au worgen qu'a servi de messager avec Varian, on devrait pouvoir rallier l'Alliance.
- Ah, tu nous quitte, fit le tauren de sa voix grave mais toujours étrangement douce pour un être aussi imposant.
- Oui, je dois rejoindre les Pandashans au Val au plus vite. Une nouvelle invasion de mantides menace, et il se peut que j'arrive trop tard.
- Prends le zeppelin à Cabestan, et dis à Gazleu que tu viens de ma part, ajouta Baine. Il te fera un prix, et en temps de guerre, ce n'est pas négligeable.
- Merci Baine, et merci à tous de veiller sur le corps d'Hermand.
Keera se hâta de monter une wyverne qu'elle éperonna en direction du sud-ouest et de Cabestan.
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De retour à Hurlevent, le roi Varian Wrynn préparait l'invasion de Durotar. Avec la rébellion Sombrelance qui avançait vers les portes d'Orgrimmar, il convenait de confirmer la coalition avec Vol'jin et de planifier le départ de la flotte pour Kalimdor.
Bien que toujours dans la réserve concernant la confiance à accorder au troll, Varian jugeait qu'il était de bonne foi. Les événements récents le confirmait, tout comme le crédit que Keera lui concédait.
D'après les rapports envoyés par les gardes de son fils, qui se promenait sur une île où le temps semblait s'être arrêté, Anduin enquêtait sur les mystères qui entouraient ce fameux archipel. Varian le savait bien entouré, à une exception près : un jeune dragon noir, connu sous le nom d'Irion, et avec qui il s'était lié d'amitié. Une entente récente que le roi ne voyait pas d'un bon œil, car il restait difficile de concevoir qu'un dragon noir puisse se montrer bienveillant et intègre.
Mais dans sa dernière missive, Anduin lui assurait que bien que leurs points de vue divergeaient sur de nombreux sujets, Irion et lui pouvaient converser librement et échanger intelligemment. Le jeune prince lui avoua également que, pour la première fois, il avait l'impression de s'être fait un ami de son âge. Si tant est que deux ans pour un dragon correspondaient à une quinzaine d'année pour un humain.
Le gilnéen qui avait permis la liaison avec Vol'jin, le worgen Rainer, s'apprêtait à retourner en Kalimdor auprès du chef des trolls Sombrelance pour confirmer que l'Alliance arriverait par la Grande Mer, et que la flotte pourra débarquer sur la Baie de Lamepoing, sous réserve qu'elle soit sécurisée par les rebelles.
- Rainer, vous remettez cette réponse à Vol'jin, puis vous rejoindrez Jaina Portvaillant au Val. Vous l'aiderez à organiser le départ de l'Alliance au Sanctuaire des Sept Étoiles.
- Bien, votre Majesté, acquiesça Rainer qui pivota pour regagner la salle des portails.
Malgré tous ces préparatifs, Varian était conscient qu'il ne pouvait réunir plus qu'une flotte pour prendre Orgrimmar. Une bonne partie de son armée demeurait en Pandarie, et une autre stationnerait ici afin de défendre Hurlevent. Il comptait donc sur les rebelles pour leur préparer le terrain, ainsi que les elfes de la nuit menés par Tyrande depuis Orneval.
Il entreprit d'écrire à son fils pour lui demander de le rejoindre et de prendre part à l'assaut final à ses côtés, afin d'en apprendre encore davantage sur les rouages du commandement, ainsi que les décisions qu'un roi était amené à prendre en temps de guerre. Car, aux yeux de Varian, il était indispensable de connaître le fonctionnement d'une guerre, et la vivre restait encore le meilleur des apprentissages.
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Dès que Keera posa le pied sur les Steppes de Tanglong, elle appela Saja et avança vers la Garnison des Pandashans en attendant qu'il la trouve. Après de touchantes retrouvailles, ils partirent pour l'est en direction de l’Échine du Serpent, et à mesure qu'ils approchaient, Keera se sentait oppressée. La douleur que lui avait laissée la bombe de mana à Theramore survenait encore, rarement et moins lancinante qu'au début. Cependant, ce nouveau mal-être était bien dû à quelque chose.
Là ! Taran Zhu avait raison. Les mantides passaient l’Échine par dizaine. Quelque chose dans le Val les attirait. Et les défenseurs de la muraille étaient submergés par leur nombre.
Keera se posa sur l’Échine, après un voyage des plus rapides dans les airs, et invoqua le tonnerre qui foudroya cinq insectoïdes en plein vol. Elle recommença, puis poursuivit jusqu'aux Portes du Soleil couchant.
Mais les mantides affluaient, essaims après essaims. Keera courut vers un Pandashan, et demanda :
- Depuis combien de temps arrivent-ils en si grand nombre ?
- Depuis deux jours, répondit le gardien de la muraille.
- Et où est maître Zhu ?
- Au Val, près des excavations de la Horde. Il veut empêcher que les orcs n'utilisent le cœur du Dieu malin.
- Je vois, tenez bon ici, j'essaierai de revenir vous aider.
Elle sauta donc sur le dos de Saja qui savait où l'emmener. Ils survolaient la Route de Jin Yang lorsque Keera fut prise d'une douleur à la poitrine. Saja se posa, et la princesse descendit de son dos. Elle serra sa poitrine, et se recroquevilla de douleur. Azeroth. Quelque chose détruisait la Terre.
Keera se cramponna à son compagnon pour se redresser, et vit au loin les énergies des Sha se propager jusqu'au Lac Blanc Pétale. Elle aperçut également les deux statues mogus qui encadraient la Marche de l'Empereur se briser partiellement, produisant une secousse et le bruit assourdissant de la pierre qui s'écrasait au sol.
Mais que pouvait-il bien se passer ? Garrosh avait-il déchaîné le pouvoir du Cœur d'Y'Shaarj ? Car même l'apparition d'un Sha ne pouvait détériorer à ce point le paysage et s'attaquer à la Terre.
Elle marcha dans cette direction, mais écouta Saja qui l'invitait à le monter pour rendre le trajet plus supportable. Car elle se tordait de douleur. Elle attrapa l'encolure du serpent-nuage, mais une énergie l'attira en arrière, telle une main invisible dont elle ne pouvait se défaire. Elle atterrit à quelques pas, et se retrouva nez à nez avec un groupe de mantides. L'un d'eux l'immobilisa dans les airs, tandis qu'un autre lança un envoûtement à Saja qui les chargeait, le forçant à se retourner et fuir au loin.
Ces mantides n'étaient pas comme les autres. Plus grands, l'armure plus élaborée, ils étaient tous différents.
Alors que Keera était maintenue au-dessus du sol, elle entendit l'un de ses assaillants lui parler dans une sorte de sifflement incompréhensible :
- Je suis Korven le Premier, et les usurpateurs n'ont pas réussi à détruire entièrement le Dieu Très Ancien à sept têtes qui nous appelle à nouveau, siffla-t-il. Et toi, créature ancienne qui a ignoré notre appel, tu vas soigner nos kyparis corrompus.
Le Parangon leva les mains, et Keera sentit un matériau froid recouvrir ses pieds, puis ses jambes, jusqu'à ce qu'elle soit totalement prise dans la résine. Figée dans l'ambre, Keera ne percevait plus rien de l'extérieur.
Elle était à présent à la merci des Parangons Klaxxi qui la savaient capable de faire revivre leurs arbres sacrés.
- L'Enfant sacré ! L'Enfant sacré !
- Douce Enfant de la Terre, tu seras dûment utilisée, et alors, le Dieu Très Ancien refaçonnera le monde pour les mantides, fit Skeer le Cherche-sang.
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- Zhu ! Mon vieil ami !
Le chroniqueur Cho avait assisté, comme bon nombre de chroniqueurs du Val, à la corruption de la contrée lorsque le chef orc Garrosh Hurlenfer avait baigné le Cœur d'Y'Shaarj dans les eaux sacrées du Val.
Il avait vu le duel entre Hurlenfer et Taran Zhu qui avait précédé la catastrophe. Le seigneur des Pandashans avait tenté de dissuader Garrosh d'utiliser le Cœur, car il ne pourrait maîtriser une telle puissance malveillante et destructrice. L'orc s'était gaussé, arguant que les pandarens n'avaient fait qu'étouffer leurs émotions, alors qu'une telle puissance ne devait pas être contenue, mais déchaînée.
Dans l'intervalle, et alors que Garrosh rejoignait Orgrimmar pour s'y retrancher et attendre que ses ennemis viennent l'affronter, le dernier Sha apparut. Réveillé par la seule arrogance de Hurlenfer, le Sha de l'orgueil se matérialisa dans le caveau où avait reposé le Cœur, et hantait à présent les lieux, prêt à barrer la route de tous ceux qui oseront y pénétrer.
Dorénavant, devant le Palais Mogu'shan, jaillissaient les énergies corrompues et ténébreuses du Dieu très Ancien, dont l'influence se propagea tout autour, transformant la flore en végétation ombreuse et tordue. La faune, quant à elle, muta en vestiges et émanations d'orgueil, laissant sur leur passage des traces noires et visqueuses.
Cho avait donc rejoint son ami au plus vite.
- Zhu, il faut soigner ta plaie au ventre.
- Arf, fit le chef des Pandashans en se relevant péniblement. Foutue hache ! C'est qu'il m'a éventré l'animal !
- Ne parle pas, un tisse-brume arrive et va refermer ta plaie.
- J'y compte bien, parce qu'il va falloir avancer, dit Taran Zhu.
- Comment ? Tu comptes poursuivre le chef orc ?
- Et comment ! Nous devons l'arrêter au plus vite ! J'ai missionné Keera, (le pandaren toussa), elle doit aider les Pandashans à arrêter les mantides qui affluent anormalement ici. Elle nous rejoindra ensuite.
- Keera est vivante ? s'exclama Cho.
- Peuh ! Penses-tu ! Elle a été secourue par les trolls Sombrelance, et les a aidés dans leur rébellion. Mais à présent qu'ils sont nombreux, elle peut nous rejoindre ici.
- Zhu ! fit le chroniqueur en tirant sur le bras de son ami.
- Hum ? Qu'est-ce que tu... fit Taran Zhu qui suivit le regard de Cho.
Au loin, un groupe de mantides transportait une énorme pierre dans les airs. De l'ambre. Et elle renfermait...
- Keera !
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Voilà donc à quoi ressemblait l'organe d'un Dieu très Ancien. De la taille d'un kodo, le Cœur d'Y'Shaarj était maintenu en suspension dans la nouvelle salle du trône de Garrosh par un attirail de fer qui l'englobait partiellement. L'organe battait encore, indépendamment de toute autre volonté que la sienne, et pouvait déverser son essence soit par magie, invoquée par les chamans sombres, soit de son propre chef. Et lorsque Garrosh entreprit de choisir un de ses guerriers qui recevrait ce « don », c'est tout naturellement que Malkorok s'avança et dit :
- J'ai foi en votre quête, Chef de guerre. Et je veux être le premier à vous prouver ma loyauté en acceptant d'accueillir la puissance du Dieu très Ancien.
Garrosh pouvait s'enorgueillir de compter des orcs aussi fidèles et dévoués dans ses rangs. Malkorok avait été un tel soutien et d'une telle dévotion, et ce depuis le premier jour. Et, bien qu'aucun des guerriers ayant reçu les pouvoirs déclenchés par la Cloche Divine n'y avaient survécu, son bras-droit n'hésita même pas une seconde pour se proposer.
Le Chef de guerre s'avança donc vers lui, et l'agrippa par les épaules.
- Tu m'as bien servi depuis des années. Tu mérites l'honneur d'être le premier.
Les yeux brillants de fierté et de reconnaissance, l'orc Rochenoire s'approcha de l'énorme Cœur en suspens, et ferma les yeux. Il pouvait percevoir et entendre les énergies qui émettaient une sorte de bouillonnement. L'organe dégageait une odeur de sang mélangé au souffre.
Il sentit alors une goutte lui tomber sur l'épaule, puis sur le crâne. Le liquide étrange le fit frissonner, lui caressant le visage pour ensuite pénétrer sa peau. Puis, un jet d'énergie se déversa sur lui, qui tint bon et se cambra en arrière. Il fut soulevé au-dessus du sol, et se laissa envahir par l'essence de l'entité.
Un flot d'émotions le traversa : peur, colère, doute, haine, mais surtout violence. Il entendit des murmures, qui alimentaient sa rage, et gonfla ses muscles. Son corps enfla, et ses membres grandirent au point de briser son armure. La souffrance de la métamorphose était telle qu'il rugit et se tortilla de douleur. Mais il l'accueillit comme un don, et tenta de l'apprivoiser pour faire honneur à son Chef de guerre.
La scène fit frémir plusieurs kor'krons, mais Garrosh observait l'orc Rochenoire avec fierté. Il le voyait lutter pour son but, pour ses desseins. Une telle dévotion devait être récompensée.
Soudain, un grondement de fureur et d'intensité obligea chaque orc présent à se retourner. Dans l'antre d'à côté, les meilleurs chasseurs tentaient d'apprivoiser les bêtes de guerre les plus dangereuses capturées sur l’Île des Géants, au nord de Kun-Lai. Les rares spécimens que les orcs avaient réussi à capturer avaient demandé plusieurs dizaines de tentatives, et autant de morts. Et Thok, un diablosaure des plus féroce et belliqueux, donnait du fil à retordre à ses geôliers.
Le Chef de guerre pivota, et regarda Malkorok redescendre au sol, le corps aussi massif que celui d'un ogre. Des sortes de crocs violets sortaient de ses épaules, de ses bras et de son dos, tels les vestiges de son armure, et ses yeux déterminés se posèrent sur Garrosh.
La corruption du Dieu très Ancien était à l’œuvre. Et l'anéantissement de l'Alliance et des traîtres à la vraie Horde n'était plus qu'une question de temps.