La voix de l'ombre - Livre III : Au-delà des brumes

Chapitre 5 : Une expédition punitive.

Keera avait hésité à se rendre au Temple du Tigre blanc, comme elle en avait décidé avant d'arriver à Binan. Mais si les dires de l'amiral Taylor étaient exacts, elle se devait de s'assurer que rien de plus grave n'arrive à la Forêt de Jade.

Elle survola alors l’Étang des Branchies-d'encre et arriva rapidement à la Forêt de Jade. D'une traite, elle vola vers la Clairière de Pao'don, située à la pointe sud. C'est là que devait se trouver l'amiral Rogers et ses soldats de marine, d'après Taylor.

Keera s'approcha du Poing Garrosh'ar, la tête de pont de la Horde en Pandarie. Elle avait été littéralement assaillie, laissant les bâtiments de guerre enflammés, ainsi que des débris ci et là. Ce qu'elle vit alors l'horrifia : de petites créatures noires et blanches déambulaient un peu partout. La plupart se déplaçait en rampant, la gueule dentelée ouverte, et dont la nuque était hérissée. Aucun doute, il s'agissait de manifestations des Sha.

Kerra se posa à proximité, et s'avança prudemment pour questionner l'un des soldats qui tirait sur ces entités sans grande conviction. Le soldat sursauta légèrement lorsque la princesse l'approcha.

• Qui êtes-vous ? Une elfe de la Horde ? demanda-t-il en la tenant en joue à l'aide de sa carabine.
• Du tout, je suis une informatrice, et je cherche votre commandant.
• Ah, elle est derrière. Je crois qu'elle observe du pont là-bas, fit-il en désignant le pont devant Pao'don.
• Très bien, merci ! dit-elle en regardant dans la direction proposée.

Puis elle s'éloigna et alla retrouver Saja.

L'amiral Rogers se tenait droite et fière devant le succès de l'opération. Il ne restait plus qu'à détruire les petites créatures qui avaient émergé des cadavres et de la faune environnante, et elle frapperait le Donjon des Flèches jumelles, dernière fortification de la Horde.

Le seul point noir de sa mission était qu'elle ne retrouvait pas le prince Anduin. D'après Taylor, il avait refusé de le suivre et voulait explorer la Pandarie seul. Le roi Varian avait pourtant expressément ordonné qu'il soit retrouvé et conduit auprès de lui. Mais le prince demeurait introuvable.

• J'espère que vous êtes fière de vous.

L'amiral pivota brusquement et dégaina son épée. La personne qui se tenait près d'elle et qui avait susurré à son oreille était bien imprudente pour l'avoir approchée aussi près, et surtout bien entraînée. Un agent du SI:7 qu'elle ne connaissait pas ?

• Qui êtes-vous ? l'interrogea-t-elle.

Elle ne pouvait être une espionne de la Horde, sans quoi elle l'aurait tuée sans délai. Cette femme étrange semblait plutôt vouloir discuter.

• Je suis Keera, membre honoraire de rien du tout, fille de « vous ne devinerez jamais », et fervente protectrice de la paix et de l'harmonie que vous êtes en train de compromettre.
• Par les eaux de la Grande Mer ! Vous ! Mais, … (puis l'amiral se repris) Que voulez-vous ? Et que faites-vous ici ?
• La question est « que savez-vous de la Pandarie » ? Les pandarens ne vous ont-ils pas expliqué que vos rixes incessantes avec la Horde allaient réveiller de funestes créatures ? L'équilibre qu'ils préservent depuis des millénaires vous est-il inconnu ?
• Nous entretenons une entente cordiale avec les races locales, et ne cherchons aucunement à provoquer un désastre.
• C'est pourtant ce qui arrive. Vous voyez bien ces entités étranges, là-bas ?
• Et nous les éradiquerons. Mais la Horde n'a pas sa place ici ! Ils souillent tout ce qu'ils touchent ! Ils ont attaqué notre vaisseau amiral !
• La Horde, ou du moins ce qu'il en reste ici, va recevoir le même avertissement que vous.
• Et vous croyez qu'ils vont vous écouter ? Ce sont des bêtes sauvages, des monstres ! Et leur chef est le pire spécimen de leur race !
• Oui, je me rends compte combien Garrosh n'est pas la personnalité la plus populaire du moment, mais vous devez faire cesser ces attaques. Si vous pouviez vous contenter de rassembler vos forces et de repartir, cela aiderait grandement, proposa Keera.
• Je reçois mes ordres du roi Varian, pas d'une étrangère qui ne prête allégeance à personne et qui se mêle de tout. Allez-vous-en !
• Je serais plus conciliante si j'étais vous, fit Keera. Parce que si vous persistez, je risque fort de m'impliquer. Pour une étrangère qui ne prête pas allégeance, je trouve que je m'engage assez promptement, vous ne trouvez pas ?
• Vous n'oserez pas décimer une troupe entière de l'Alliance, se méfia Rogers qui savait combien cette femme était dangereuse.

L'amiral entendit un souffle étrange provenant de sous le pont. Sur ses gardes, elle vit apparaître derrière Keera une tête de ce qu'elle pensait être un dragon, ou plutôt un serpent-nuage comme elle en avait déjà vu. Mais celui-là était noir, et des courants électriques parcouraient son corps. Elle sentit alors la menace qu'il représentait, car il émanait de lui une aura hostile palpable.

Rogers recula légèrement, mais se reprit. Elle ne laissait jamais quiconque entrevoir sa peur.

• Puisque je n'appartiens ni à l'Alliance ni à la Horde, pourquoi ne pas m'occuper moi-même de cette épine dans le pied des panradens ?
• Vous n'oseriez pas...
• Très bien, je vous propose un marché, amiral, dit Keera comme pour la rassurer. Je me rends auprès des survivants de la Horde retranchés plus loin, et je tente d'expliquer la situation à leur commandant à propos des Sha. Ne faites rien avant mon retour, certains d'entre eux sont capables d'entendre et même d'écouter. Puis-je compter sur vous ?
• J'ignore même si je peux compter sur vous, reprit l'amiral Rogers dubitative.
• Eh bien, ceci en sera la preuve.

Keera sauta donc sur le dos de Saja et s'éloigna vers l'ouest pour regagner le Donjon des Flèches jumelles.

Le Donjon était une construction mogu assurément. Et ses pierres sombres et épaisses convenaient parfaitement à l'état d'esprit de la Horde depuis que Garrosh en avait pris la tête.

Cependant, ce qu'elle y vit était déroutant : plusieurs démons avaient été invoqués, lorsque des yeux de démoniste, sorte de sphères gangrenées, se promenaient le long du camp pour surveiller.

Keera se sentit très mal à l'aise, et commença à percevoir les énergies du chaos environnantes. Elle décida qu'elle ne resterait pas plus que nécessaire.

Se doutant que le commandant devait se trouver hors d'atteinte d'une potentielle attaque, elle dirigea Saja vers les hauteurs et parvint à un balcon qui devait mener au haut commandement. Elle interrogea un orc du nom de Dalgan après s'être présentée. Il confirma que leur chef, un certain Ga'trul, se trouvait à l'intérieur de la bâtisse. Très retissant à la laisser approcher son commandant, il était conscient de ne pouvoir l'en empêcher, et la laissa le rejoindre tout en restant sur ses gardes.

Elle se rua donc à l'intérieur, et se retrouva vite face à un orc perturbé qui déambulait et marmonnait de manière compulsive. Plusieurs portes de démons étaient invoquées, ce qui n'était pas de bon augure.

• Grom'ka ! lança la princesse. Je suis Keera, et je viens...
• Partez d'ici ! Les mauvais esprits rongent cet endroit.

Le démoniste ne semblait pas avoir toute sa tête. C'était plutôt lui qu'un mal rongeait.

• Je peux vous aider, dites-moi ce qui vous perturbe ?
• Je dois garder cette place forte, … dernière place forte pour mon chef, disait-il sans même regarder la princesse.
• Très bien, mais savez-vous ce qui se manifeste si vous...
• Les démons seuls peuvent les faire fuir !

L'orc n'écoutait pas. Keera se recula alors, et attendit de voir s'il se calmerait. Elle sentait les énergies gangrenées qui commençaient à l'affaiblir et n'aimait pas cela. S'il s'avérait qu'elle devrait se battre, cela rendrait la confrontation difficile pour elle. Il ne fallait pas qu'elle s'éternise ici.

Que devait-elle faire ? Quel était le mieux pour tous ? Était-elle seulement capable de défendre les pandarens ? L'Alliance et la Horde ?

Le doute commençait à s'insinuer en elle, comme fort d'une volonté propre, s'infiltrant langoureusement et lui caressant les pensées. Non, elle n'en serait pas capable. Elle devait abandonner ses rêves de paix, et devait céder à la peur, au désespoir. Elle n'y arriverait jamais. Jamais !

C'est alors qu'un craquement sourd la sortit de sa torpeur. Elle réalisa qu'elle s'était assise sur une pierre pour laisser son esprit vagabonder. Que s'était-il passé ? Elle pensait qu'elle serait incapable de...

Puis elle vit une horde de soldats attaquer le donjon. Des humains ! L'amiral Rogers ! Combien de temps s'était écoulé ?

Keera se leva et se rua vers l'entrée tandis qu'elle sentit une énergie puissante dans son dos. Lorsqu'elle pivota, elle vit que le démoniste avait pris la forme d'un Sha. Il avait succombé et avait laissé ses émotions négatives l'envahir au point de se transformer complètement.

Keera comprit alors : c'était à la vue de l'amiral qu'il avait succombé. Déjà très perturbé, il ne restait plus que le déclencheur pour laisser les Sha se manifester.

• Pourquoi ? Nous avions un marché ! s'écria Keera qui regardait les soldats de la marine ruer et tuer Ga'trul.
• Nous avons eu vent d'enfants pandarens enlevés par ces orcs et retenus ici. Nous devions agir !
• Regardez ce que vous avez fait ! cria-t-elle en montrant le corps du démoniste du doigt. Voilà où mènent vos conflits incessants !
• Il était trop faible et a cédé. Tous ceux qui ont cédé aux Sha ont été éliminés, annonça l'amiral.
• Tous ? Même vos propres soldats ?
• Tous, confirma l'humaine de son air impitoyable. Je vous ai dit que nous éradiquerons ces monstres, et c'est ce que nous faisons.

Keera était sidérée. Cette femme était plus cruelle qu'un démon.

• Nous devons maîtriser nos émotions pour éviter cela, et éviter d'avoir à tuer sans sommation une fois qu'il est trop tard !
• Et je n'aurais pas hésité à vous tuer si vous aviez laissé ces énergies vous inonder, fit Rogers en faisant référence à son état lorsqu'ils étaient arrivés au donjon.

Elle avait raison. Elle commençait à se laisser aller au désespoir, à la peur. Au doute.

Affligée par cette prise de conscience, Keera n'eut pas le cœur d'invectiver cette femme, et la laissa prendre possession des lieux.

Dégoûtée autant par cette amirale que par sa propre faiblesse, Keera quitta le donjon.

Keera n'en était toujours pas revenue. Elle aurait pu céder au doute, céder à l'influence des Sha. Assurément, ces créatures étaient bien plus puissantes et insidieuses qu'on le lui avait expliqué. Et alors qu'elle pensait avoir trouvé l'équilibre ici, elle s'était emportée contre cette amirale, et plus tôt contre Nazgrim et Taylor. Elle avait cédé à la colère, et elle avait eu la faiblesse de croire qu'elle serait hors d'atteinte de ces manifestations sinistres.

Mais elle ne referait plus la même erreur.

Elle rejoignit Saja, qui percevait en elle une certaine détresse et engouffra son énorme tête contre elle. Keera savait qu'il faisait cela lorsqu'il la savait accablée, comme c'était le cas. Elle lui était si reconnaissante, car il avait contribué à l'aider il y a des années, alors qu'elle tentait de se reconstruire. Il savait l'apaiser, c'est pourquoi elle le laissa l'emmener où il voulait, car il savait ce qui pouvait la réconforter.

La Pandarie regorgeait de lieux apaisants, si bien qu'il la dirigea plus au nord, vers les sommets où les serpent-nuage apprenaient à voler.

En chemin, elle aperçut la statue de Yu'lon brisée et éparpillée au sol, ainsi que la trace du passage du Sha du doute qui était apparu lors de la bataille du Cœur du Serpent.

Mais Saja l'emmenait plus loin encore, et c'est alors que Keera comprit où il la menait. C'était là qu'il avait accepté de l'écouter et de la laisser le chevaucher, après deux jours à rester au sommet de cette flèche de pierre qui surplombait le Présage de l'Empereur, sorte d'imposant mur de pierre prophétique très ancien. Elle y vit inscrites des sortes de peintures représentant des scènes, mais Saja vola jusqu'au sommet et se posa.

La vue était tout simplement magique. Keera s'assit tandis que son compagnon l'enroula de son long corps ondulant et écailleux. Elle savoura ces instants de paix, et entoura la tête de Saja de ses bras pour mieux presser sa tête contre la sienne. Malgré les apparences, ce dragon était très affectueux, et l'emplissait de sérénité. Elle se demanda alors une fois de plus pourquoi les choses ne pouvaient-elles pas être aussi simples ?