La voix de l'ombre - Livre II : Le destin du monde
Chapitre 28 : L’héritage du vol noir.
Passer d'un portail à l'autre était si pratique. Keera n'eut qu'à repasser le portail du Mont Hyjal vers Orgrimmar pour trouver celui qui menait aux Hautes-terres du Crépuscule. Elle se retrouva alors au Port Gueule-de-dragon, tout à l'est des Hautes-terres, et n'aurait plus qu'à demander qu'on lui prête une wyverne pour rejoindre la Redoute de Vermillon.
- Halte ! Votre nom ? demanda un orc posté près du portail.
- Je suis Keera, je ne suis que de passage.
- Je ne vous connais pas. Eh ! Kovnuk ! La chef est là ?
- Pourquoi ? Elle lui veut quoi ? demanda Kovnuk qui s'approcha de Keera et hocha la tête pour la désigner.
- Je ne lui veux rien, j'ai juste besoin...
- On t'connait pas, c'est la chef qui décide...
- Je ne voudrais pas avoir à utiliser mon arme, coupa Keera en langue orque commune. Mais je le ferai avec plaisir si vous me barrez la route !
Les deux orcs étaient stupéfaits. Comment cette étrangère ressemblant à une elfe pouvait aussi bien maîtriser leur langue ? Ils se tinrent alors prêts à dégainer lorsqu'une voix aboya derrière eux :
- Je sais qui tu es, Keera Marteau-du-destin. Que nous veux-tu ? demanda une orque qui s'avança vers elle de son pas sûr, tandis que les deux autres orcs comprirent pourquoi elle parlait leur langue.
- Juste une wyverne pour traverser le territoire, répondit Keera les yeux plissés vers l'orque coiffée d'une crête et dont le visage dur et peu avenant allait de pair avec la voix rauque.
- Je suis Zaela, chef du clan Gueule-de-dragon, fit l'orque. Et si j'en crois ce qu'on raconte, tu n'as pas prêté allégeance à la Horde, ajouta-t-elle l'air mauvais.
- En effet, acquiesça la princesse sans se laisser intimider le moins du monde. Je ne suis les ordres de personne, et je dispose de laisser-passer pour emprunter les portails d'Orgrimmar.
Zaela la toisa. De toute évidence, elle luttait contre son envie de défier cette impudente. Mais elle connaissait sa réputation, ainsi que ses liens avec le Chef de guerre.
- Tant que tu seras accueillie en hôte à Orgrimmar, je ne t'empêcherai pas de passer, dit l'orque d'un ton prudent qui sonnait tout de même comme un avertissement. Adresse-toi à Gorthul, il te confiera une monture, fit-elle en montrant le maître de vol de la tête.
Keera lui adressa un hochement de tête, puis rejoignit l'orc désigné. Elle savait les orcs peu sensibles à la politesse, et se montrer obséquieuse envers cette chef de clan pour la remercier serait pris pour une marque de faiblesse. Elle ressentait la méfiance, voire l'hostilité de l'orque, qui semblait obéir davantage par égard pour son Chef de guerre que par courtoisie pour une amie de la Horde.
Mais ce manque d'égard n'avait aucune importance pour Keera, qui prit les rênes de la wyverne que Gorthul lui proposa, et s'envola vers l'ouest et la Redoute des dragons rouges.
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La Redoute vermillon était toujours aussi belle et colorée. Quelques sentinelles survolaient encore la zone, mais plus aucun drake du crépuscule n'attaquait depuis la fin du Cataclysme.
Les lieux étaient de nouveaux sûrs, bien que l’œuf de dragon noir qui y avait été caché fut dérobé au nez du vol rouge.
Keera fut immédiatement accueillie par Aquinastrasz, le dragon rouge en charge des montures. Elle demanda alors si Tederastrasz était à la Redoute.
- Keera ! Nous ne vous attendions pas ! C'est un honneur, fit Tederic en marchant à pas de courses, puis en s'inclinant légèrement.
- Tederic, l'honneur est pour moi, répondit Keera qui lui rendit son geste. Je vois que la Redoute a été sécurisée depuis la fin du Cataclysme.
- En effet, confirma le dragon rouge sous les traits d'un haut-elfe. Bien que la poursuite de l’œuf de dragon noir se soit soldée par de nombreuses morts.
- Racontez-moi, Tederic, demanda Keera.
Tederic l'invita à le suivre, puis à s'asseoir à ses côtés sur un rocher près de l'arbre immense situé au centre de la Redoute. Le dragon aimait ce coin d'où il pouvait observer le contre-bas de la vallée.
- Mostrasz s'est lancé à la poursuite de l’œuf que des assassins avaient dérobé, commença le dragon rouge. Il les a suivis jusqu'au manoir de Ravenholdt.
- Oui, aux Contreforts de Hautebrande, confirma la princesse.
- C'est bien cela, le repaire caché des assassins les plus talentueux d'Azeroth. C'est là que l’œuf a éclos.
- Je vois. Et ils comptent utiliser le dragonnet à leurs fins, suspecta Keera.
- En fait, c'est plutôt l'inverse qui s'est produit, la contredit Tederic.
- Pardon ?
- Eh bien, il s'avère que je jeune dragonnet s'est éveillé avec une telle sagesse et une telle force qu'il semble avoir pleinement pris conscience de ses facultés et des horreurs de son vol.
- Mais comment cela est-il possible ? demanda la princesse. Quel âge a-t-il ? Quelques mois tout au plus ?
- Tout à fait, et, pardonnez-moi, mais vous ignorez tant de choses à propos des dragons.
- Je vous crois, et ne vous en excusez pas pour mon ignorance Tederic, dit Keera.
- Eh bien, sachez que nous grandissons rapidement, et parfois grâce à des moyens ou des reliques magiques. Et il apparaît que le jeune Irion, car c'est son nom, s'est mis en tête d'anéantir le vol noir.
- Comment ? Mais, il est seul et encore très jeune !
- Mais les dragons noirs sont réputés pour leur intelligence et leur force. Selon nos sources, Irion a recruté ses agents directement auprès de ses anciens geôliers, les fameux assassins de Ravenholdt. Il les aurait lancés contre des dragons noirs dont il a eu connaissance de l'existence.
- Mais pourquoi souhaite-t-il leur mort ? Il s'agit de son vol ! s'étonna Keera.
- En effet, mais d'après le message qu'il a adressé au vol rouge, il semble affirmer ne pas être comme son père, en l'occurrence Aile-de-Mort. Il annonce également vouloir vivre libre, et que ceci sera son seul et dernier avertissement.
Keera eut un léger sourire. Elle avait ardemment souhaité qu'il en soit ainsi, et que le dragonnet prenne son envol vers la liberté. S'il se montrait effectivement intègre et qu'il n'avait pas été touché par la corruption de son vol, il se pouvait qu'il devienne un défenseur d'Azeroth des plus redoutables.
Cependant, Tederic paraissait contrarié.
- Il semble avoir disparu depuis peu, poursuivit le dragon rouge. Après avoir assassiné plusieurs dragons noirs. Et le message qu'il nous a adressé n'est pas des plus rassurants.
- Ne vous tourmentez pas pour son message, le rassura Keera. Il a dû apprendre que vous le déteniez encore dans l’œuf, et a su que vous le garderiez prisonnier.
- Je le confirme, s'indigna Tederic. Il a tué Morstrasz, et qui sait si d'autres parmi nous suivrons.
Effectivement, ceci était une possibilité. En revanche, Irion ne pouvait ignorer qu'il devait sa purification au vol rouge.
- A t-il essayé de vous attaquer ? demanda Keera. Ou de s'en prendre à un autre vol.
- Pas à notre connaissance, avoua Tederic.
- Pourquoi a-t-il tué Morstrasz s'il ne cherche qu'à anéantir son propre vol ?
- Mon frère a jugé préférable de mettre un terme à cette potentielle menace, avoua le dragon rouge. Il a attaqué Ravenholdt et a essayé de le tuer.
- Je ne suis pas sûre d'être d'accord avec son initiative, concéda la princesse. Son message était pourtant clair, pourquoi ne pas l'avoir respecté ?
- Si vous saviez ce que le vol noir a fait aux autres vols après sa corruption, vous auriez certainement fait ce choix vous aussi, s'offusqua Tederic.
- Je ne voulais pas vous froisser, reprit Keera. Je tente seulement de comprendre.
- Je ne vous tiens pas rigueur de votre volonté de connaître la vérité, la rassura le dragon. Sachez juste qu'il nous est difficile de lui faire confiance aveuglément.
Elle le croyait volontiers. Ayant elle-même eu affaire aux dragons noirs, elle ne pouvait que l'admettre. Cependant, Irion avait droit à sa chance.
Keera quitta la Redoute après plusieurs jours à s'enquérir des nouvelles du vol rouge qui s'éparpillait à travers Azeroth afin d'aider au mieux sa guérison.
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Keera s'attarda quelques jours aux Hautes-terres du Crépuscule. Une grande partie de ces terres avaient été ravagées par le culte du Marteau du crépuscule durant le Cataclysme. Le Cercle terrestre tentait de refermer la Brèche Dévorante formée au centre de la contrée, mais le panorama qu'offrait les lieux demeurait dévasté.
Durant son expédition, la princesse découvrit le Goulet sanglant, l'un des camps des orcs Gueule-de-dragon. Elle n'eut pas de mal à y pénétrer, et l'aurait presque préféré. L'endroit était sinistre, et l'atmosphère très pesante. Plusieurs cadavres de dragons noirs auxquels on avait coupé les ailes jonchaient le sol, si l'on pouvait considérer des corps aussi abîmés et profanés comme de réels cadavres. Plusieurs têtes de dragons étaient exposées sur des piques au niveau de l'entrée sud du camp, lorsqu'au centre étaient accrochés deux corps de dragons pendus par la gueule.
Et plus Keera s'enfonçait dans le camp, plus elle réalisait les atrocités commises sur les dragons.
Elle ne portait pourtant pas le vol noir dans son cœur, mais de là à dégrader à ce point leurs corps. Même leur peau écailleuse avait été dépecée et utilisée pour recouvrir la clôture de bois tout autour du camp et servait pour bâcher les toits.
Devant ce spectacle navrant, Keera ne cachait pas son dégoût.
- Tu as été torturée par ces dragons, et tu t'indignes de ce que nous leur faisons, émit une voix éraillée derrière elle.
C'était Zaela, leur chef. Keera pivota pour lui lancer un regard noir.
- Comment sais-tu cela ?
- Tout ce qui a trait aux dragons m'intéresse. Mais il est vrai que j'affectionne particulièrement de les dépecer vivants, avoua l'orque sans aucun scrupule.
- Sache que je ne cautionne pas ce que vous faites ici, dit la princesse en fronçant les sourcils. Les dragons noirs sont corrompus, mais cela ne justifie pas que vous les charcutiez ainsi !
- Que tu le cautionnes ou non n'a aucune importance, princesse, fit Zaela en crachant littéralement le dernier mot. Nos pratiques ne regardent que nous. Et tant qu'elles servent la Horde et le Chef de guerre, nous avons carte blanche.
Keera réprima une envie de lui envoyer un violent coup de pied dans les dents. Mais elle venait de se quereller avec Garrosh quelques jours auparavant, elle n'allait pas se mettre toute la Horde à dos. Cependant, elle pouvait toujours s'exprimer librement, d'autant que l'intonation utilisée sur l'expression « Chef de guerre » n'était pas anodine :
- Évidemment, si cela sert la Horde et le Chef de guerre, reprit Keera. Je ne voudrais pas que tu déçoives Garrosh, fit-elle dans la provocation.
- La soumission des dragons avait déjà servi lors de la Seconde Guerre, lorsqu'Orgrim Marteau-du-destin a autorisé Nekros des Gueule-de-dragon à domestiquer les rejetons de la Lieuse-de-vie, sourit sournoisement l'orque.
Keera ne put refréner un froncement de sourcils digne d'un gronn. L'orque avait un aplomb qui frôlait l'insolence, et ne lui plaisait pas du tout. Elle n'avait pourtant pas tort, Orgrim avait bien laissé les Gueule-de-dragon chevaucher des dragons rouges soumis pour attaquer Quel'Thanas ainsi que la flotte de Kul'Tiras durant la Seconde Guerre.
À ces mots, Keera s'avança lentement vers Zaela, un sourire dangereusement mauvais inscrit sur son visage. Elle ne pouvait décemment pas laisser cette orque croire qu'elle pouvait se montrer irrespectueuse plus longtemps.
- Je ne doute pas que ta loyauté envers ton Chef de guerre t'apportera de la gloire, Zaela. Et peut-être même un certain succès, ajouta Keera d'un ton moqueur. En revanche, je doute que tu réussisses à monter un dragon une fois les deux jambes arrachées. Après tout, on ne sait jamais ce dont une personne légèrement contrariée est capable.
Zaela la toisa et resta silencieuse. Cette menace à peine voilée n'était pas à prendre à la légère venant de la princesse. Elle présentait une aura puissante si palpable que l'orque en eut des frissons. Zaela comprenait à présent l'admiration que son Chef de guerre avait montrée lorsqu'elle l'avait entendu parler de cette fille, après la chute d'Aile-de-Mort.
Consciente de son impuissance face à Keera, mais aussi de son rôle de chef devant ses guerriers, Zaela soutint son regard un moment avant de s'éloigner après avoir pouffé.