Jungle et Pirates: La Vie d'Un Marchand À Baie-Du-Butin

Chapitre 16

2875 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 29/03/2023 03:28

Un carreau d’arbalète se logea subitement dans le dos du premier garde du corps qui s’avança vers elle. La voix de Mauzzag retentit.



-       Ça y est ! J’en ai vraiment eu un, cette fois ! Ce n’était pas si difficile… Et il me reste quelques munitions pour le deuxième garde !



Celui dont il était question mit son bouclier en avant et para le carreau d’arbalète. Il chargea Mauzzag pendant qu’Otilia tranchait ses liens. Krus Kiskuss prit de nouveau la fuite. La jeune elfe hésita à le poursuivre en laissant Mauzzag se débrouiller avec le garde. Mais elle savait que cela signifierait probablement la mort de celui qui venait pourtant de lui permettre d’y échapper. Elle se dépêcha de voler à sa rescousse et le dernier garde fut tué. Puis elle se lança à la poursuite de Krus.


Il ne fut guère difficile de le rattraper. Il faut dire, et sans mauvais jeu de mots, qu’entre les jambes d’une elfe et celles d’un gobelin, la différence est de taille.


Otilia arriva à sa hauteur, se jeta en avant et lui saisit la jambe. Cependant, dans sa fureur vengeresse, elle n’avait prêté attention à aucun bruit autour d’elle, et n’avait donc pas remarqué les pas précipités qui la suivaient. Lorsque sa main se referma sur la cheville de Krus, une autre fit de même sur la sienne.



-       Je te tiens ! jubila la voix grasse de l’Amiral Firallon. Je te cherchais dans la mêlée, mais on n’y voyait pas à une lieue ! Heureusement, tu m’as facilité la tâche en escaladant cette maison.



Otilia lui envoya un joli coup de botte au visage qui lui fit lâcher prise. Krus Kiskuss eut une idée légèrement différente mais tout aussi efficace ; il griffa de ses ongles crochus de gobelin la main qui le tenait. Il se leva et reprit sa course.



-       Maudit, je t’aurai ! grogna Otilia en le suivant.



On assista a alors à une scène pour le moins originale, où le poursuivant était poursuivi tout en continuant de poursuivre. C’était comme voir un loup chasser un renard chassant un lièvre.


Krus Kiskuss arriva devant l’Ancienne Capitainerie et se glissa dans un petit trou du mur extérieur. Il était trop étroit pour Otilia, qui dut s’arrêter et fut rattrapée par Firallon. Ils croisèrent le fer quelques instants, mais le pirate fut vite rejoint par trois larrons.



-       On est là, capitaine ! dit Jack la Rascasse.



Œil-de-Fer et Jo la Tremblote étaient avec lui.



-       Je crois bien que c’est la fin pour toi, ricana Firallon. Avouons-le, quatre contre un, ce n’est guère courageux… Mais je m’en moque. Je vais te faire la peau, même si les conditions sont peu honorables.


-       Ne soyez pas si dur avec vous-même, dit une voix derrière eux. Selon mes calculs, nous sommes quatre contre quatre.



Les forbans se retournèrent. Pendar, Oruk et Mauzzag se tenaient face à eux. Le combat continua donc de manière plus équilibrée. Dans la cacophonie, un sortilège lancé par Pendar se perdit et vint frapper le mur, ouvrant un trou suffisamment grand pour Otilia.


Elle s’éclipsa alors et entra dans l’Ancienne Capitainerie. Il était triste de voir cet intérieur si vide, lui qui d’ordinaire grouillait de vie. Une porte dérobée était entr’ouverte et donnait sur un escalier en colimaçon.


Otilia monta les marches pendant un long moment. Elle arriva au dernier étage, où commençait l’escalier de la tour. Comme elle ne trouva pas le gobelin autour d’elle, elle en conclut qu’il était monté, et le suivit.


Arrivée en haut, elle vit Krus près de la grande cloche d’alarme. Il était seul, plus rien ne semblait pouvoir l’empêcher d’accomplit sa vengeance.



-       Eh bien, nous touchons à la conclusion ! déclara Otilia. Tu préfères l’égorgement ou l’éventrement ?


-       Attends, supplia Krus, tu ne vas pas abattre un gobelin désarmé !


-       Bien sûr que si. Tu ne penses tout de même pas que je vais laisser filer cette chance.


-       Ah, tu n’as donc aucune pitié ! Mais si tu m’exécute ainsi, sans me laisser la moindre chance, tu ne vaux pas mieux que l’Amiral Firallon !


-       N’essaie pas de m’avoir ainsi. Tu trouves que Firallon est sans pitié ? C’est pourtant bien toi, il me semble, qui m’a livrée à lui.


-       Je ne t’ai jamais demandé de t’en prendre au Cartel ! C’est toi qui a commencé à libérer nos esclaves gladiateurs à Gadgetzan, à piller nos caravanes d’armes et d’armures… Les combats de gladiateurs dans la grande cage de Gadgetzan sont une institution et une tradition. Tu n’as pas seulement attaqué notre commerce, tu as aussi privé le peuple de son divertissement favori. Des femmes et des enfants innocents pouvaient plus regarder les jeux… Penses-tu donc au peuple ?


-       Tentes-tu sérieusement de m’attendrir avec ça ? Espèce de serpent… Cela a assez duré. Je vais t’exécuter.



Elle s’approcha de krus. Il se plaqua contre la cloche, puis fit une dernière tentative.



-       Eh bien vas-y, tue-moi ! Après m’avoir traqué, poursuivi, acculé, moi qui n’ai pas d’arme et dont les jambes ne peuvent rivaliser avec les tiennes, fais-donc ! Ce sera un acte assurément honorable. Je crois bien que tu étais dans mon cas il y a quelques minutes, en bas, quand Firallon et ses hommes t’ont encerclée à quatre contre un. Alors vas-y, fais ce qu’ils n’ont pas réussi à faire, abats ta cible sans défense.



Otilia hésita. Elle l’avait en effet poursuivi dans les rues et s’apprêtait à l’abattre sans lui laisser la moindre chance. Un observateur extérieur aurait bien du mal à la différencier de Firallon…


« Au diable l’observateur ! se dit-elle. Il ne sait pas tout ce qu’il s’est passé, tout ce qu’il a fait. Je ne dois pas trembler. Je dois abattre ce porc. »

Mais elle hésitait toujours. Tout en restant plaqué contre la cloche, Krus se déplaça en coulissant le long de la surface circulaire. Puis, quand il fut en position favorable, il poussa violemment la cloche pour qu’elle heurte la tête d’Otilia. En raison de la force limitée du gobelin, le choc ne fut pas très violent, mais suffisant pour l’étourdir quelques instants.


Sa vue se brouilla. Elle vit une forme rouge surgir de l’escalier. C’était l’Amiral Firallon.



-       Allez, crève-la ! aboya Krus. Dépêche-toi !


-       Change de ton, le gobelin, répondit calmement Firallon en armant son espingole. Je suis le pirate le plus réputé des mers, et je peux t’étriper toi aussi si l’envie me prend.

Otilia se mit en garde. Sa tête lui faisait mal et un sifflement écorchait ses oreilles. Elle ne vit pas le coup venir : Firallon lui tira dans la jambe.


-       Voilà pour que tu ne t’échappes pas. De toute façon, c’était ma dernière balle.


-       Allez, tue-la ! s’impatienta Kiskuss.


-       Je t’ai dit de te calmer, Krus. Je n’ai pas besoin de tes encouragements.


-       Ah, pardon. Ce n’est pas comme je te l’avais livrée il y a quelques mois pour qu’elle t’échappe aussitôt. Heureusement que tu es le pirate le plus réputé des mers.


-       Qu’est-ce que tu oses insinuer, vieux rat de cale ?


-        J’aurais pu la tuer moi-même, tu sais. J’ai voulu te l’offrir pour que tu t’amuses un peu, te faire un cadeau. Et ce, en plus de tous les services que je te rends. Tu es bien content d’avoir une taupe au Cartel ! Tu sais ce que je risque si on l’apprend ? La Voile Sanglante est l’ennemi numéro un ici. Je serais mis à mort dans la journée.


-       Et quoi ? Tu veux des félicitations ? Je te paie pour ces services. Tu ne craches pas sur l’or que je te fais livrer, à ma connaissance. Et sache qu’en cherchant une taupe au Cartel, je me suis donné beaucoup de mal pour trouver le membre le plus vil et le plus cupide, celui qui pourrait trahir sans vergogne et tout déballer pour quelques fichues pièces d’or. J’ai tout de suite vu à ta sale trogne vicieuse que tu étais celui qu’il me fallait. C’est tout ce que j’ai à dire.



Otilia rampait pour s’éloigner d’eux, mais ses forces l’abandonnaient. Elle perdait du sang, n’arrivait pas à se lever et n’avait rien pour panser sa plaie. L’Amiral Firallon conservait régulièrement un œil sur elle. Il ne la laisserait pas profiter de la dispute pour s’échapper.



-       Il vous a traité d’incapable, dit-elle à Firallon. La Kapitalrisk m’a capturée pour me livrer à lui, et il s’est abondamment moqué de vous.



Le capitaine pirate la regarda en fronçant les sourcils.



-       Elle ment ! protesta Krus.


-       Il a dit que vous aviez peur des dauphins, continua-t-elle. Moi, je déteste la mer, alors je vous comprends. Mais lui, je peux vous dire que cela l’a fait rire. Il s’est gaussé pendant de longues minutes en disant qu’il vous trouvait pathétique.


-       Tais-toi, maudite affabulatrice ! s’emporta Krus. Ne l’écoute pas, il est évident qu’elle…


-       Ses amis de la Kapitalrisk se sont joints à la moquerie. Krus leur répétait qu’il ne comprenait pas comment on pouvait se prétendre marin en ayant peur des dauphins. Il en a fait des gorges chaudes.


-       Ah, parsambleu, c’en est trop ! explosa Firallon en saisissant Krus Kiskuss par le col. Je vais t’arracher les tripes, sale fils de pendu !


-       Non, attends ! C’est… C’est évidemment un mensonge… Elle veut profiter de la discorde pour s’enfuir !


-       Le coup des dauphins, elle n’a pas pu l’inventer !


-       Mais… Tu as besoin de moi ! Je suis ta taupe au Cartel !


-       J’en trouverai une autre.



Puis, d’un seul coup, le pirate transperça Krus Kiskuss de son sabre. Il souleva son corps et le jeta dans le vide.



-       À ton tour, ma belle, dit-il en se tournant vers Otilia. Ne crois pas que je vais t’oublier. Ah, cela me rappelle notre duel sur la frégate ! La plus haute tour de la ville, cela vaut bien la hune d’un navire. La vue y est tout aussi belle. Tu as de la chance de mourir dans un tel décor.



La jeune elfe avait rampé vers les escaliers, mais n’avait pas eu le temps de l’atteindre. De toute façon, le pirate l’aurait rattrapée. Elle n’avait aucun moyen de s’échapper, et comprenait que ses chances de survie étaient minces.


Elle se leva en se tenant à la rambarde pour pallier sa jambe blessée. Il ne lui restait qu’un seul bras pour se défendre.



-       Je dois dire que tu m’épates, déclara le chef de la Voile Sanglante. Tu te bats jusqu’au bout. Tu as même réussi à me faire tuer Krus à ta place ! Admirable. Tu ferais une pirate exceptionnelle.


-       La seule chose qui dépasse la cruauté et la cupidité d’un pirate, c’est son orgueil, récita Otilia. À la moindre insulte, il est envahi par la rage et oublie tout ce qu’il avait en tête pour faire rendre gorge à son contempteur. Je me suis souvenu de cette phrase, je l’ai appliquée, et cela a fonctionné.


-       Je la connais… Elle ne vient pas d’un roman ? Si… de Meldazor l’Explorateur, je crois bien.


-       Vous connaissez les œuvres de Meldazor ?


-       Bien sûr ! Il se trouve même que je l’ai connu lui, il y a longtemps, quand j’étais jeune marin… Il s’était engagé dans notre équipage pour quelques traversées, il voulait découvrir la navigation afin d’écrire son premier roman.


-       Vous avez connu Meldazor en personne ?


-       Tout à fait. Avant de devenir pirate, j’étais dans la marine marchande. J’étais quartier-maître à bord d’un navire de la Compagnie du Kalimdor Oriental. Notre armateur s’était fait un temps corsaire, c’est là que j’ai appris les différentes techniques de traque d’un bateau et d’abordage. Ensuite, j’ai décidé de me mettre à mon compte, pour ainsi dire. Ah, que de souvenirs…



Firallon resta un moment rêveur. Puis il secoua la tête pour reprendre ses esprits.



-       Bon, où en étais-je. Ah, oui, devais te tuer. Alors sois gentille, pose cette dague et laisse-toi faire, car il n’y a aucune chance que tu… Ah, sabre de bois ! Quelle est cette nouvelle diablerie ?



Il se précipita sur la rambarde pour regarder vers le port. Otilia l’imita en boitillant. Six ou sept bateaux aux couleurs de Hurlevent avaient accosté.



-       Mille sabords ! Je ne les ai pas entendus ! Depuis quand sont-ils là ?


-       Vous devriez vous enfuir, dit Otilia. Je ne sais pas qui commande cette flotte, mais j’ai cru comprendre que tous les commandants étaient capables de vous reconnaître. C’est que votre apparence est célèbre. Vous êtes le pirate le plus réputé des mers.


-       Je doute qu’ils nous aient remarqués. Ils sont occupés à se battre.


-       Nous sommes au sommet de la plus haute tour de la ville. Nous sommes visibles depuis la mer. Et ils ont des longues-vues.



Firallon sentit le danger et voulut tuer Otilia le plus vite possible. Il fondit sur elle et l’assaillit de coups de sabres. Elle se défendit avec acharnement, tantôt avec une dague en se tenant à la rampe de l’autre main, tantôt avec deux dagues en se mettant à cloche-pied. Elle livra probablement là son plus beau combat. En difficulté, constamment sur la défensive, elle déjoua tous les assauts du pirate.


Des hommes en armure surgirent de l’escalier. Ils arboraient le tabard bleu roi de Hurlevent, et encerclèrent le bandit des mers.



-       C’est fini, Firallon, fit le commandant Beaurandal. Nous sommes trente-cinq, plus une dizaine d’archers en bas. J’ai environ deux mille hommes sur le port. Tous les tiens se sont rendus. L’Hiver Rouge est terminé.



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