Jungle et Pirates: La Vie d'Un Marchand À Baie-Du-Butin

Chapitre 15

6980 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 23/03/2023 00:28

Des hurlements d’excitation retentirent à divers endroits de la ville. Les guerriers revenus d’Outreterre criaient leur faim de violence, frappaient sur leurs armures et leurs boucliers avec leurs armes, faisaient sortir de leurs bouches de puissants sifflements pour sonner la chasse, imitaient des hurlements de loup.



-       Et si on allait dès maintenant au premier entrepôt ? suggéra Mauzzag, dont le sang commençait à se glacer.



Ils descendirent de leur toit et arrivèrent en quelques minutes devant le premier bâtiment. Les cogneurs qui le gardaient d’ordinaire avaient en effet disparu. Oruk s’occupa de la porte. Lors de ses précédents cambriolages, il devait toujours attendre qu’un voleur plus discret crochète la serrure.


Mais aujourd’hui, c’était l’Hiver Rouge. Nul besoin de rester discret. Oruk martela la porte de toutes ses forces avec une arme contondante, et fit sauter le verrou. Ils entrèrent, allumèrent des torches et fouillèrent les lieux. Cela leur prit deux bonnes heures.



-       Rien ! ragea Mauzzag en donnant un coup de pied dans une table.



Trois hommes armés entrèrent dans l’entrepôt. Ils étaient encapuchonnés et vêtus de noir.



-       Allez les gars, commanda le plus grand des trois, retrouvez-moi cette poudre ! Ils nous l’ont saisie hier seulement, elle doit forcément être là.


-       Chef, il y a des gens !


-       Ha ? Bon, eh bien je crois qu’on va avoir notre premier combat de la soirée ! À l’attaque !



Ils dégainèrent leurs glaives et se ruèrent sur eux. Otilia sortit ses deux dagues, Oruk brandit son marteau, Mauzzag plongea sous une table. La jeune elfe fit une roulade pour esquiver le premier coup de glaive du loubard qui l’attaquait, se releva d’un bond et planta une lame dans son bras en donnant un coup de pied dans le ventre d’un autre.


Oruk engagea un duel avec le chef des brigands, sans réussir à prendre l’avantage. Otilia retira sa dague du bras du premier assaillant, et fit pleuvoir sur le deuxième une nuée de coups rapides et précis. Elle réussit à lui faire une entaille aux côtes qui le fit tomber. Puis elle se retourna pour aller aider Oruk tandis que les deux premiers bandits s’enfuyaient en rampant.


À deux, ils prirent vite l’avantage. Otilia le transperça de sa dague tandis que le marteau d’Oruk lui écrasa le visage. Avant de s’effondrer définitivement au sol, il reçut un petit vase sur le bout du crâne.



-       Je l’ai eu ! cria Mauzzag. Vous avez vu ? Ce vase, c’est moi qui l’ai lancé ! J’ai servi à quelque chose dans le combat !


-       Hmm… Comment dire… Allez, on va dire que oui, lui offrit Otilia.


-       Maintenant, il va falloir sortir et aller jusqu’au prochain entrepôt, dit Oruk. Les choses vont se corser. Tiens, Mauzzag, j’ai une petite arbalète à une main avec seize carreaux. Essaie au moins de faire semblant…



Ils sortirent et se déplacèrent dehors en empruntant les petites rues et en rasant les murs. Ils étaient dans la partie haute de la ville, loin du centre et du port. L’essentiel des combats se déroulaient là-bas. On entendait au loin des bruits de bataille, des sorts, des tirs de tromblon, des cris de guerre…


Le deuxième entrepôt était presque vide. Lorsqu’ils en sortirent, il était déjà plus de trois heures du matin. Ils se dirigèrent vers le troisième, qui était également le dernier. Il était à une heure de marche, et nécessitait de descendre légèrement vers le centre.


Sur le chemin, un gobelin cagoulé surgit de nulle part et se plaça devant eux. Il avait un petit couteau dans chaque main.



-       Donnez-moi vos bourses.



Otilia le regarda. Ses vêtements étaient simples. Une petite combinaison noire et une cagoule. Pas d’équipement magique, pas d’arme enchantée. Il n’y avait aucune chance qu’il soit allé en Outreterre. Ce n’était qu’une petite frappe de Baie-Du-Butin, un caïd gobelin sans intérêt.



-       Comme tu veux, petit gobelin, soupira-t-elle d’un air méprisant. Nous sommes trois contre un. Allons-y.



Mauzzag pointa son arbalète de façon menaçante. Le gobelin encagoulé les regarda un par un. Puis, sans un mot, il disparut dans la nuit.



-       Voilà une affaire rondement menée ! plaisanta Mauzzag d’un air fier. Vous avez vu, j’ai pointé mon arbalète directement sur sa sale face ! Ça a dû jouer.


-       Ton arbalète est vide, dit Otilia. Tu as oublié d’armer un carreau.


-       Ah ? Au temps pour moi, alors…



En approchant du dernier entrepôt, l’inquiétude de Mauzzag augmenta. Si ses marchandises n’y étaient pas… Quelle serait la prochaine étape ? Vendre à la sauvette ses derniers objets pirates, à un prix minable, puis faire faillite et tout perdre ? Sa maison, sa femme, sa fille, puis se coucher sur le port et attendre la mort ?


Sa seule chance, c’était de retrouver ce petit portrait au fusain pour le vendre à l’héritier des poissonneries Jorris Père et Fils. Inutile d’avoir un emplacement pour cela, il irait directement dans une de ses poissonneries, demanderait comment parler à monsieur Jorris, lui montrerait le portrait de son ancêtre, et tout serait réglé.


Mais s’il ne trouvait pas ce portrait, c’était la fin. Il n’avait pas d’autre plan.



-       On a un nouveau problème, annonça Oruk.



En plein milieu du chemin de terre qu’ils longeaient, une humanoïde attendait. Elle les entendit et se tourna vers eux. C’était une elfe de sang. On pouvait deviner à son regard qu’elle serait sans pitié.


Otilia se précipita sur elle. Cette-dernière esquiva le coup de dague en se téléportant deux mètres plus loin.



-       De la téléportation… C’est donc une mage, dit Otilia. Ne la laissons pas rester à distance !



Oruk courut vers elle en brandissant son marteau, mais reçut un éclair de givre qui le projeta au sol. L’elfe de sang enchaîna avec un sort qui couvrit Otilia d’une couche de neige verglacée, frigorifiant son corps et ralentissant ses mouvements.


Mauzzag, lui, avait cette fois-ci pensé à placer un carreau sur son arbalète. Petit et tapis dans l’ombre, la mage ne l’avait pas vu. Il tira et le carreau se planta dans sa hanche. Elle grogna de douleur, se tourna vers lui et fit un mouvement avec ses mains.


Mauzzag recula. C’était mauvais signe. Il n’est jamais bon qu’un mage fasse des mouvements avec ses mains. On ne sait jamais ce qui va en sortir.


Il ne comprit pas ce qui se passa par la suite. Ses pensées s’effacèrent, tous ses souvenirs disparurent. Sa vue diminua considérablement, il n’était plus capable de réfléchir, il avait simplement la sensation de marcher à quatre pattes.


La seule chose qu’il ressentait, c’était la faim. Une faim d’herbe. Il marchait en regardant le sol pour en trouver. Son esprit n’était plus capable de se projeter au-delà de ce que ses yeux voyaient, ne pouvait plus concevoir que les quelques centimètres de sol qu’il observait pour y trouver un brin d’herbe. Rien d’autre n’avait d’importance, rien d’autre n’existait.


Il eut envie d’ouvrir la bouche. Un bêlement en sortit. Puis il rebaissa la tête pour chercher de l’herbe. C’était tout ce qui comptait dans sa vie, tout ce qu’il désirait, rien d’autre ne l’intéressait. N’y aurait-il pas un peu d’herbe derrière cette poutre ? Et près de cette pierre ?


Soudain, il reprit ses esprits. Il était allongé au sol, sa tête tournait.



-       Qu’est-ce qui m’est arrivé ?


-       Tu as été transformé en mouton, répondit Otilia. Un coup classique des mages.



Il regarda ses mains. Elles étaient normales. De petites mains vertes de gobelin, avec des ongles crochus. Il se dépêcha de vérifier le reste de son corps. Tout était bien là. Otilia grelottait. Encore couverte de givre, elle se frottait vigoureusement pour se réchauffer.



-       Elle a bien failli nous avoir, continua Otilia. Mais nous l’avons mise en fuite. Ah, je m’en veux de ne pas avoir réussi à l’achever…



Oruk avait l’air mal en point. Assis par terre, il épongeait le sang d’une blessure au crâne. Des éclats de glace l’avaient frappé à plusieurs endroits.



-       Ça va aller ? s’enquit Mauzzag.


-       Oui. Je suis solide. Je suis un orc. Mon père a transporté le drapeau ennemi au Goulet des Chanteguerres avec deux flèches plantées dans les côtes. Et il l’a ramené au camp. Je dois lui faire honneur.



Ils atteignirent le dernier entrepôt et le fouillèrent une bonne heure. Mauzzag retourna toutes les tables, renversa les objets et racla chaque recoin. Mais ses marchandises n’étaient pas là.


Elles avaient donc été détruites. Zwawi avait admis une petite chance qu’elles soient dans un entrepôt de saisie, et une bien plus probable qu’elles aient été détruites ou jetées à la mer. Tous les entrepôts avaient été fouillés. Il n’y avait plus d’espoir.


Ce serait donc la faillite. Mauzzag ne voyait aucune autre conclusion. Enfin, s’il arrivait à survivre aux prochaines heures. On venait de dépasser six heures du matin, l’Hiver Rouge était loin d’être terminé.


Il sortit de l’entrepôt, sans un mot, les bras ballants, abattu. Sa tristesse était communicative. Otilia chercha un mot de réconfort, mais n’en trouva pas. Elle ne voyait pas, elle non plus, comment il pourrait éviter la ruine.


Dehors, un individu les repéra. Il s’avança vers eux en esquissant un sourire malsain. Il s’agissait encore d’un mage. Mais son équipement en tissu magique indiquait qu’il était bien plus puissant et dangereux que la précédente. Comme il s’approchait, on put remarquer que la chair de son visage était en décomposition. C’était un mort-vivant. Lorsque ces créatures sortaient des clairières maudites de Tirisfal d’où elles étaient originaires, c’était bien souvent pour tuer.


Il trouvait là un groupe en fort mauvais état. Le cœur n’était pas au combat, Mauzzag avait jeté son arbalète un peu plus tôt sous l’effet de la colère, et Oruk, bien que se forçant à rester stoïque, souffrait méchamment de sa blessure au crâne. La situation s’annonçait délicate.


En un instant, Otilia fut changée en mouton et se précipita sur le bord du chemin pour engloutir les trèfles et chardons qui poussaient là. Les pieds d’Oruk furent emprisonnés dans un cercle de glace qui l’immobilisa. Le mage s’approcha de Mauzzag.


Ce-dernier n’essaya pas de lutter. À quoi bon ? Pourquoi s’accrocher à la vie ? Pour avoir la joie de voir sa femme le quitter et sa maison saisie ? Puisque que ce mort-vivant comptait absolument l’emporter avec lui de l’autre côté de la vie, autant le laisser faire. Il baissa la tête et attendit.


Le mage entama l’un de ses très redoutés mouvements de mains. Mais à cet instant, le mort-vivant fut frappé par une petite boule de feu. Il se retourna : elle avait été lancée par un diablotin. Ce genre de créatures ne pouvaient être invoquées que par un démoniste. Il s’en trouvait justement un, et il avait accouru pour venir en aide au groupe.

C’était un gnome. Sa petite taille ne l’empêcha pas d’envoyer un sort qui propulsa le mort-vivant au sol.



-       Allons bon, dit le gnome après avoir regardé autour de lui, n’est-ce pas ce bon vieux Mauzzag que je vois là ?



Celui dont on venait de prononcer le nom leva la tête, éberlué. Il connaissait cette voix. Son ami gnome se trouvait juste devant lui.



-       C’est bien toi ? balbutia-t-il.


-       C’est bien moi ! Je vois que vous avez engagé le combat avec un mage. Ce n’est pas raisonnable. Laissez-moi faire. Comme disait mon oncle : seule la magie peut vaincre la magie !



Le mort-vivant s’était justement relevé. Des échanges de sorts fusèrent. Les sortilèges qui affectaient Oruk et Otilia s’estompèrent, ils se joignirent au combat, et bientôt le mort-vivant tomba définitivement à terre.



-       Sacré combat ! s’exclama Otilia. Puis-je savoir qui vous êtes ?


-       Je n’ai pas fini ! répondit le gnome en s’approchant du cadavre. Je dois vérifier s’il est bien mort. Enfin, il l’était déjà, mais… Vous voyez ce que je veux dire.

Le gnome observa le corps et conclut que la magie noire qui l’avait tirée de la mort une première fois était bel et bien dissipée.


-       Je te présente Oruk et Otilia, dit Mauzzag. De nouveaux amis à moi.


-       Enchanté. Je m’appelle Pendar.



Mauzzag le bombarda de questions. Où était-il passé tout ce temps ? Pourquoi n’avait-il donné aucune nouvelle ? Pendar s’excusa et raconta son périple en Outreterre. Otilia buvait ses paroles. Elle éprouvait quelques regrets à avoir quitté si tôt ce nouveau monde.



-       Je n’ai écrit que deux fois à ma famille, si tu veux tout savoir. C’est dire. Je me déplaçais bien trop souvent. Je frôlais la mort chaque semaine. Et toute cette beauté autour de moi… Ça vous fait oublier le vieux monde ! Ah, si tu pouvais voir Nagrand… Ou Raz-de-Néant…


-       Bon, coupa Otilia, je vois à la position de la lune qu’il est déjà sept heures, et je dois me mettre à la recherche de Krus Kiskuss.


-       C’est un nom de gobelin, ça, remarqua Pendar. J’en ai vu plusieurs dans le centre. Ils ont tous de nombreux gardes du corps.



Ils se dirigèrent donc vers le centre. Otilia lui fit en chemin un résumé de leurs aventures récentes. Ils croisaient çà et là des bandes de brigands qui s’attaquaient aux maisons. L’une d’elle parut familière à Mauzzag.



-       C’est la maison de Kebok ! s’écria-t-il soudain. Il faut faire quelque chose !



Les bandits avaient scié une petite ouverture dans le mur, et le dernier membre de la bande venait de s’y engouffrer. Otilia se précipita dans le trou, suivie de Pendar.

Le salon était vide, des bruits émanaient de l’étage. Le petit groupe emprunta l’escalier.



-       Tu vas nous dire où sont tes bijoux, oui ? ragea une voix venant de la chambre.



Otilia ouvrit la porte d’un violent coup de pied. Les cambrioleurs étaient quatre, tous armés. Sans réfléchir, elle fonça dans le tas.


Elle n’eut cependant le temps de n’en tuer qu’un seul. Pendar annihila les trois autres en un rien de temps. Ses sortilèges étaient impressionnants.



-       Eh bien, heureusement que personne n’a accepté ton offre d’hébergement, plaisanta Mauzzag. Il n’y a pas d’endroit plus sûr dans toute la ville, que tu disais !



Kebok rit de bon cœur, il était trop content de les voir pour se vexer. Il en profita pour leur offrir de quoi boire et manger, et pansa la plaie d’Oruk à l’aide de bandages d’excellente qualité. Le soleil se levait déjà. Comme le craignait Mauzzag, la fatigue et le sommeil commençaient à peser sérieusement.


Par chance, Pendar avait quelques potions d’endurance. Ils n’étaient pas les seuls à avoir fait une pause. De nombreux groupes s’étaient arrêtés une heure ou deux dans un coin pour se restaurer et prendre des potions contre la fatigue. Maintenant que le soleil se levait, les hostilités allaient reprendre.


Alors qu’ils se préparaient à ressortir, Otilia alla à la fenêtre. Elle vit sur un toit proche un gobelin entouré de gardes du corps.



-       C’est Krus Kiskuss ! rugit-elle. Allons-y !



Ils sortirent précipitamment. Krus Kiskuss et sa troupe regardaient vers le port, et ne les virent pas arriver.



-       Ça y est, les combats reprennent ! s’enthousiasma Krus depuis son toit. Ah, quel spectacle, soupira-t-il à ses gardes. Regardez-les s’étriper ! Ah, regardez là-bas, encore un groupe qui surgit de nulle part pour passer à l’attaque ! On dirait des paladins… J’ai assisté à plusieurs combats organisés dans l’arène des Gurubashi, mais je n’ai jamais rien vu de tel. Quel Hiver Rouge… Zwawi nous a gâtés, cette année.


-       Tant mieux si tu profites du spectacle, car c’est le dernier que tu verras ! tonna Otilia, qui venait de se hisser sur le toit.



Elle avait couru si vite que le reste du groupe était encore loin derrière. Elle était pour l’instant seule devant une bonne dizaine de gobelins armés.



-       Toi, encore ? s’étrangla Krus. Tu as survécu à l’attaque sur le camp de la Kapitalrisk ? Tu es coriace. Si tu étais restée en Outreterre, tu serais devenue une sacrée guerrière. Plutôt que venir t’amuser à nuire aux activités du Cartel… À quoi pensais-tu donc en attaquant ces convois entre Gadgetzan et le Port Gentepression ? Tu pensais qu’on ne finirait pas par te capturer ?


-       En toute honnêteté, oui, je le pensais. Et j’avais l’intention de continuer. J’aurais dû rester là-bas. J’avais un petit campement caché entre les rochers, j’étais bien installée. Venir à Baie-Du-Butin était une erreur, je le reconnais.


-       Et elle va te coûter cher ! Allez, vous autres !



Alors qu’ils s’avançaient vers elle, une boule de feu gigantesque s’abattit sur le toit. On ne savait pas d’où elle venait, probablement un sort perdu qui avait raté sa cible. Les tuiles volèrent en éclats, formant un trou béant à travers lequel tout le monde tomba.


Pendar arriva quelques secondes plus tard sur ce qui restait du toit. À travers le trou, il vit plus bas les dix gobelins allongés de manière désordonnée dans ce qui semblait être la chambre de la maison, bien qu’il soit difficile de reconnaître la nature de la pièce tant elle était couverte de gravats.


Encore sous le choc, étouffés par la poussière, les gardes du corps se levaient péniblement en toussant abondamment. Pendar en profita pour lancer ses sortilèges de démoniste. Depuis sa position de hauteur, il en élimina plusieurs avec facilité.


Oruk arriva également. Brandissant son marteau, il sauta sans réfléchir dans le trou en poussant un cri de guerre retentissant. Un bruit sourd et puissant émana du rez-de-chaussée. La porte d’entrée venait de voler en éclats.



-       Allez, les gars, il y a du grabuge dans cette maison, allons participer ! raisonna une voix grave qui devait appartenir à un troll. Ils sont à l’étage !


-       L’escalier est là ! Pour la Horde ! dit une autre voix.



Krus Kiskuss quitta la chambre en catastrophe, suivi de quelques gardes, et voulut quitter la maison par le rez-de-chaussée. Le groupe de trolls qui venait d’enfoncer la porte les intercepta dans l’escalier.


Les propriétaires de la maison avaient quitté la ville deux semaines auparavant. Ce fut une sage décision, car ils se seraient dans le cas inverse trouvés dans une situation bien fâcheuse, et auraient vu un spectacle fort inhabituel dans leur foyer d’ordinaire paisible. Une elfe et un orc distribuaient des coups de dagues et de marteau à des gobelins dans la chambre, des gobelins martelaient les jambes de trolls dans l’escalier, des murs explosaient sous l’effet des sorts de Pendar, un petit diablotin invoqué par ce-dernier se promenait d’un étage à l’autre pour frapper au hasard…


Krus Kiskuss arriva finalement à s’échapper et franchit ce qu’il restait de la porte d’entrée. Les trolls le poursuivirent. À l’étage, il ne restait aucun gobelin en vie. Otilia frottait ses vêtements pour faire tomber la poussière. Elle regarda la rue par un trou dans le mur. Impossible de voir par où Krus s’était enfui.


Mauzzag se hissa à son tour sur le toit et rejoignit Pendar. Il vit le trou, la poussière, les gravats et les cadavres de gardes du corps gobelins.



-       J’ai raté quelque chose ?



Otilia et Oruk les rejoignirent en haut. De là, ils virent l’ampleur de la violence qui avait envahi les rues. Des coups de feu retentissaient, des humains en armure de plaques fonçaient bouclier en avant vers des orcs torse nu qui beuglaient en faisant tournoyer leurs haches, on se battait sur les pontons, les places, près de la taverne du Loup de Mer, sur la rade du port…



-       Tu ne m’as jamais dit d’où venait ton différend avec Krus Kiskuss, demanda soudain Mauzzag à Otilila.


-       Ah, c’est vrai. J’ai passé plusieurs mois à attaquer des caravanes d’armes et de munitions qui partaient de Gadgetzan pour embarquer au Port Gentepression en direction de Baie-Du-Butin.


-       Tu as quitté Outreterre pour faire ça ?


-       Oui. Nous étions si nombreux, dans la Péninsule des Flammes Infernales… Tous les aventuriers s’y étaient précipités. Il n’y avait plus personne en Azeroth. La Kapitalrisk en a profité. Elle ravageait de plus en plus les sols, et voulait même s’implanter dans la forêt sacrée d’Orneval pour couper du bois. J’ai voulu rentrer pour m’occuper d’eux. Je me sentais inutile en Outreterre.


-       Mais il  y a déjà une organisation qui lutte contre eux, non ? Les druides, là, ceux qui nous ont sauvés l’autre jour…


-       Tous leurs meilleurs druides étaient partis en Outreterre. Ils manquaient d’effectifs. Et, de fil en aiguille, je me suis retrouvée à lutter contre le Cartel Gentepression. Ils ne valent pas mieux que la Kapitalrisk. Puis je me suis rendue à Baie-Du-Butin pour leur nuire de plus près, et ils m’ont capturée. Dès le premier jour. Quelle honte…



Ils furent interrompus par des cris. Quelqu’un cavalait dans les rues en vociférant.



-       Des fauves ! Des fauves par dizaines !



Le contremaître Cozzle avait profité de la nuit pour disposer ses cages devant l’entrée de Baie-Du-Butin, une par une, et venait de les ouvrir. Affamés depuis deux jours, les félins se répandirent aux quatre coins de la ville. Des tigres et des panthères galopaient vers le centre, guidés par les bruits des combats.


Il y en avait plus d’une soixantaine. La faim les rendait suffisamment téméraires pour attaquer n’importe qui, les coups de feu ne les faisaient pas fuir. Les fauves arrivèrent au centre-ville et se ruèrent sur tout ce qu’ils y trouvèrent. Les panthères, qui étaient excellentes grimpeuses, escaladèrent les bâtiments pour aller tailler en pièces ceux qui se réfugiaient sur les toits


Le groupe d’Otilia fut rapidement concerné et dut faire face à deux de ces redoutables fauves au pelage noir. Il fallut réagir vite. La première panthère fut abattue à temps, mais la seconde se jeta sur la jeune elfe et la fit tomber du toit.


L’arrivée des bêtes sauvages avait véritablement plongé la ville dans le chaos. La faim qui tordait leurs entrailles leur donnait une énergie terrifiante, elles semblaient à peine sentir la douleur. Guerriers et paladins n’étaient pour elles que du gibier et elles envoyaient sans trembler griffes et crocs à l’assaut de leurs armures. De nombreux belligérants furent déchiquetés.


La touche finale à ce décor apocalyptique arriva bientôt : un gorille d’une taille titanesque surgit de nulle part et grimpa au sommet de l’Ancienne Capitainerie. Perché là, sur le bâtiment le plus haut de Baie-Du-Butin, il martela sa poitrine de ses bras musclés et poussa un rugissement magistral.


La ville entière semblait conquise par la jungle.


Allongée au sol, Otilia luttait péniblement avec ses dagues pour retenir les crocs de la panthère noire loin de son visage. Les lames étaient coincées entre les dents de la bête, et la jeune elfe poussait de toutes ses forces pour éloigner sa tête. Mais le cou et les épaules du fauve étaient plus musclés que les bras d’Otilia, et elle se rapprochait. De chaudes gouttes de bave tombaient déjà sur son visage.


Un guerrier tauren qui passait par là frappa subitement le félin. Il est connu que les taurens sont grands, mais celui-là dépassait bien les trois mètres. Ce n’était pas une hache ni un marteau qu’il tenait dans les mains, mais un tronc d’arbre arraché. La panthère fut assommée, et le tauren s’en alla.


Otilia essaya de se lever, mais n’y parvint pas. Les griffes du félin avaient entaillé sa jambe, son épaule et ses hanches. Elle perdait du sang et se sentait faible. Mauzzag courut vers elle en boitant.



-       Otilia ! Tu es en vie !


-       Où sont les autres ?


-       Je ne sais pas… Après la panthère noire, nous avons été attaqués par des mages et des chamans… J’ai réussi à m’échapper… Le groupe est totalement séparé. Ah, ma jambe… J’ai mal…



Une secousse terrible fit soudain trembler le sol. C’était comme si une météorite s’était écrasée à quelques mètres. Le bruit avait blessé les tympans de Mauzzag, ses oreilles s’étaient mises à siffler.


Le gorille avait quitté son toit et venait d’atterrir près d’eux. Une tigresse un peu trop enhardie par la faim se jeta sur lui, et une lutte fort déséquilibrée commença.



-       Par tous les diables, il est monstrueux ! s’exclama un humain qui se trouvait dans les parages.


-       Fuyez ! paniqua un autre. Gare au gorille !



Tout le monde se précipite hors d’atteinte du singe en lutte. En un clin d’oeil, la rue se vide, le gorille étrangle le fauve et se met à chercher d’autres victimes.

Mauzzag et Otilia avançaient péniblement, l’une en rampant, l’autre en boitant. Voyant que tous deux se dérobent, le quadrumane accéléra. L’elfe et le gobelin se jetèrent in extremis dans une charrette remplie de foin.



-       Nous sommes perdus… se lamenta Mauzzag.


-       Chut !


-       À quoi bon ? On ne sème pas quelqu’un en se cachant dans une charrette de foin ! Qui serait assez bête pour perdre la trace d’un individu qu’il vient de voir sauter dans du foin ?



En effet le singe les avait vus, et renversa la charrette d’un revers de main. Alors qu’il s’apprêtait à broyer ses victimes, un coup de feu retentit et une balle heurta sa mâchoire.

Un chasseur tauren se tenait là, seul dans la rue désertée, prêt à affronter le primate géant. Il tenait un tromblon dont la bouche fumait encore, et dévisageait froidement l’anthropoïde, comme le fait tout trappeur avec sa cible, sans la moindre peur.


C’était Torkhal. Il avait passé la première partie de l’Hiver Rouge à tuer çà et là, tapis dans l’ombre, choisissant ses cibles plus ou moins au hasard. Mais l’arrivée des créatures de la jungle avait tout changé. Son instinct de chasseur reprenait le dessus. Il ne pouvait voir une bête sauvage en liberté sans la prendre en chasse. C’était au-dessus de ses forces.


Le gorille se précipita sur lui en grognant furieusement. Torkhal plongea sur le côté pour esquiver la charge du géant tout en tirant une seconde balle qui atteignit sa tempe. Pour cela, il avait dû se retourner en plein vol et viser en une fraction de seconde. Le mouvement était époustouflant.


Tout le combat fut du même acabit. Mauzzag et Otilia observaient la scène, éberlués. Voir ce tauren affronter seul ce monstre simiesque, cette montagne de muscles à la force cyclopéenne, était tout simplement magnifique.


Après une lutte épique, Torkhal réussit à abattre le gorille.



-       Vous l’avez échappé belle ! lança-t-il joyeusement à Mauzzag et Otilia. Heureusement que je passais par là. Je crois que j’ai abattu là l’un de mes plus beaux gibiers. Vous avez vu le combat ?


-       C’était grandiose, répondit Otilia avec la plus grande sincérité.


-       Ne me flattez pas ! Mais j’avoue que je suis fier de moi. Vous êtes les seuls témoins, dommage…


-       Nous en parlerons à tout le monde ! s’empressa d’ajouter Mauzzag. Mais, pour cela, il faudrait que nous survivions… Si vous pouviez nous donner un petit coup de main… On pourrait former un groupe…


-       Ah, c’est tentant, mais il y a encore plein de fauves à chasser, et je suis plus efficace seul. Je ne sais pas qui a eu l’idée de les lâcher en ville, mais c’est un génie ! À plus tard, peut-être.



Torkhal partit en sifflotant. Mauzzag et Otilia étaient toujours blessés. La jeune elfe, qui n’avait pas eu le temps de panser ses blessures, se sentait de plus en plus faible. Des pas légers de félin sur leur gauche attirèrent leur attention : une panthère approchait.


Le désespoir s’empara d’eux. Ils n’étaient en état ni de se battre ni de fuir. La panthère marcha vers eux, puis changea de forme pour devenir un elfe de la nuit. C’était un druide.



-       Druifite ! reconnut Otilia.


-       Serais-je sur le point de vous sauver une seconde fois ? plaisanta-t-il. Je crois que vous avez bien besoin de quelques sorts de soin.


-       Qu’est-ce qui vous amène ici ? demanda Otilia tandis que ses blessures guérissaient par magie. Ne me dites pas que vous venez participer à l’Hiver Rouge !


-       Nous avons remarqué que la Kapitalrisk capturait des animaux ces dernières semaines. Nous ne savions pas pourquoi. Voici la réponse… Nous allons essayer d’apaiser les bêtes et de les ramener dans la jungle.


-       Si vous vous retransformez en fauve, prenez garde à Torkhal ! prévint Mauzzag.


Remise sur pieds, Otilia se remit à la recherche de Krus Kiskuss. Mauzzag, pour ne pas rester seul, la suivit. Il avait toujours sa petite arbalète, bien qu’il ne s’en soit jusqu’à présent que peu servi.


Il se moquait bien de Krus Kiskuss, désormais. Si Otilia le retrouvait, elle le tuerait. Et après ? Il ne récupèrerait ni son emplacement, ni ses marchandises. L’option la plus raisonnable était probablement de quitter Baie-Du-Butin, mais toutes les autres villes gobelines étaient dominées par le Cartel. Cabestan, Gadgetzan, Port Gentrepression... Il valait mieux les éviter. Aucune ville de l’Alliance n’acceptait les gobelins.


Il restait les villes de la Horde. Et encore… Il serait très mal accueilli à Lune d’Argent ou Pitons-du-Tonnerre. Quant à Fossoyeuse, il ne voulait même pas en entendre parler. Cette ville était maudite. Alors, peut-être Orgrimmar. C’était la capitale, elle était plus cosmopolite. Il y avait peut-être un espoir là-bas…


Maintenant que Pendar était rentré, ils pourraient s’associer à nouveau. À moins que les produits gnomes soient interdits dans les villes de la Horde… C’était à redouter. En particulier des objets d’ingénierie si reconnaissables, qui démontreraient à tous le génie et le raffinement de leurs ennemis gnomes. Il y avait de grandes chances pour qu’ils soient saisis par les services de douane d’Orgrimmar.


Que faire alors ? Et si Zwawi prenait le contrôle du Cartel après l’Hiver Rouge… Peut-être qu’il se souviendrait de Mauzzag ? Peut-être qu’il serait protégé et qu’il pourrait à nouveau commercer à Baie-Du-Butin … Enfin, à condition qu’il survive. Ainsi que Pendar.


Il fut brutalement tiré de ses pensées par deux humains en armures qui couraient vers eux.



-       Au port ! crièrent-ils. Deux navires pirates s’approchent du port ! Ils vont débarquer !



L’Amiral Firallon, qui ne voulait pas d’un débarquement discret, était ravi de voir qu’il avait été repéré de loin. Il voulait que son arrivée soit tonitruante. Partout dans les rues, on arrêtait de s’affronter pour se précipiter au port.


Quand ils furent suffisamment proches de l’appontement, les flibustiers jetèrent l’ancre, déployèrent les passerelles et se lancèrent à l’assaut de Baie-Du-Butin. Pistolets et espingoles firent parler la poudre et ouvrirent le feu de tous côtés, une salve de canon fut même tirée sur la ville, pour le simple plaisir de voir les boulets briser les murs et les toits des maisons.


Arrivés sur le port, les pirates, galvanisés et surexcités, se ruèrent sur les aventuriers et les loubards qui s’y entretuaient. Ils frappaient au sabre et au glaive avec tant de férocité qu’on en arrivait à se demander, entre les fauves et les forbans, qui était les plus bestiaux.


Les aventuriers délaissèrent les rues et accoururent au port. Ce-dernier concentrait désormais la quasi-totalité des combats. La mêlée qui s’y déroula fut effroyable. Hommes, elfes, trolls, orcs et pirates s’étripaient sans merci, interrompus çà et là par l’attaque d’un tigre ou d’une panthère.


Otilia était au premier rang. Elle affrontait seule deux pirates, et jouait habilement avec ses dagues pour les tenir en respect. L’un d’eux lui lança son sabre au visage. Il fit heureusement un grand geste pour armer son lancer, ce qui permit à la jeune elfe d’anticiper l’action et de se baisser. Elle se précipita sur lui et lui transperça la poitrine.


Pendar était arrivé parmi les derniers. Il invoqua d’abord un diablotin, qui se fit écraser par le sabot d’un tauren, puis une succube, qui donna quelques coups de fouet dans le tas avant d’être transpercée par les balles d’un mousqueton, et enfin une espèce de créature quadrupède repoussante, qui ressemblait à un chien démoniaque, et qui usa de son apparence horrifique pour désemparer ses adversaires.


Pendar abattit un pirate à l’aide de l’un de ses sorts, et en prépara un deuxième qu’il prévoyait de lancer sur un forban qui tirait au mousqueton depuis l’appontement. Mais il dut l’interrompre et se jeter au sol pour esquiver la charge d’un tigre. Oruk accourut et brisa la mâchoire du félin avec son marteau.


Torkhal, comme tout tireur qui se respecte, restait à l’arrière pour viser à sa guise. Il s’était donné un défi assez divertissant : il s’interdisait de toucher le moindre humanoïde. Cela le forçait à redoubler de concentration, étant donné que les fauves s’étaient jetés en plein cœur de la mêlée pour lacérer tout ce qu’ils trouvaient.


Il guettait au travers de son viseur, un œil fermé, repérait un félin, le suivait dans le désordre des combats, se retenait au dernier moment d’appuyer sur la gâchette quand celui-ci passait derrière un bipède, avant de finalement tirer. Toucher sa cible dans ces conditions difficiles lui procurait une immense satisfaction.


Mauzzag se cachait derrière un débris de mur. Il avait sorti son arbalète mais n’osait pas tirer. Il se rendit compte que Torkhal n’était qu’à quelques mètres de lui. Il voulut sortir de sa cachette pour le rejoindre, mais une boule de feu passa juste au-dessus de sa tête et explosa deux mètres plus loin. Il se plaqua au sol et attendit.


Mise en difficulté par un pirate et un troll de Baie-Du-Butin, Otilia recula et sortit de la mêlée. Elle profita de ce répit pour regarder autour d’elle. Un gobelin était assis sur le toit d’une petite maison qui donnait une vue imprenable sur le port. C’était Krus Kiskuss. Il voulait apparemment continuer de profiter du spectacle.


« Cette fois-ci, tu ne m’échapperas pas, pensa Otilia. »


Elle rangea ses dagues et courut vers la maison, sous les yeux du pirate et du troll. Voyant leur adversaire commun disparaître, ils échangèrent un regard, puis se jetèrent l’un sur l’autre pour s’étriper.


Elle escalada la maisonnée en trois mouvements. Krus la laissa approcher, et ne prit la fuite qu’une fois qu’elle fut sur le toit. Il n’était décidément pas malin. Il descendit du toit par le côté opposé. Elle le suivit sans peine, et une fois au sol un filet s’abattit sur elle. Deux gardes du corps étaient postés en embuscade.



-       Te voilà prise ! exulta Krus Kiskuss ! Tu fanfaronnes moins ! Tu ne pensais tout de même pas que j’allais laisser quelqu’un d’autre te tuer ?


-       Un vulgaire filet de pêche ? condescendit Otilia. C’est tout ce que tu as trouvé ? Et il ne te reste que deux gardes du corps ?


-       C’est largement suffisant. Allez, exécutez-moi cette gourgandine.



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