Jungle et Pirates: La Vie d'Un Marchand À Baie-Du-Butin

Chapitre 17

Chapitre final

2755 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 02/04/2023 02:57

Soutenue par l’épaule de deux solides paladins du roi, Otilia descendait les escaliers de l’Ancienne Capitainerie. Elle avait réussi. Elle avait eu sa vengeance, elle avait survécu à l’Hiver Rouge. Et pourtant, le seul sentiment qui l’envahissait était l’inquiétude.


Qu’était-il arrivé à Pendar, Oruk et Mauzzag ? Firallon s’était-il dérobé à eux pour monter sur la tour, ou les avait-il tués ? Elle se souvenait avoir vu du sang sur sa veste…

Elle ralentit le pas. Elle craignait ce qu’elle allait découvrir en bas. La descente fut pénible, mais elle finit par arriver au rez-de-chaussée. Les paladins la portèrent jusqu’à l’entrée, dont la porte avait été défoncée. Elle les lâcha subitement et avança à cloche-pied à la recherche de ses compagnons.


Oruk était assis par terre et pansait ses blessures. Il était amoché, mais en vie. Elle eut un peu plus de mal à repérer Pendar mais il était bien là, à l’autre bout de la rue, et discutait avec des soldats de Hurlevent.


Il manquait Mauzzag. Il n’était nulle part autour d’elle. Au sol, plusieurs corps étaient allongés. Celui de Jack la Rascasse était le plus visible. Les bars étendus, les yeux vides, le ventre ouvert. Jo la Tremblote gisait à côté, à moitié carbonisé. Aucune trace d’Œil-de-Fer. Otilia sautilla sur son unique jambe opérationnelle pendant quelques mètres pour atteindre le cadavre d’une panthère. Il semblait y avoir quelque chose derrière.


Elle poussa la panthère et son cœur se serra. Un petit corps vert était allongé, immobile, avec une arbalète tachée de sang dans la main.

Otilia s’assit par terre. Elle n’osa pas vérifier son pouls. Elle avait peu d’amis, et essayait de ne jamais s’attacher, et pourtant la tristesse l’envahit. Elle voulut se consoler en pensant à Krus Kiskuss. Il était mort. Elle avait gagné. Sa vengeance était accomplie. Elle se le répéta encore et encore, sans ressentir une seule once de joie ni de soulagement.


« Fais un effort, se dit-elle. Cette ordure de Kiskuss a payé. Visualise-le mort, écrasé sur le sol, comme une sale vipère que l’on pulvérise d’un coup de pied. Tu as gagné. »

Cela n’eut aucun effet. La vue du corps de Mauzzag lui enlevait toute satisfaction. Il serait exagéré de dire qu’elle s’était attachée à ce gobelin, mais tout de même… elle aurait aimé qu’il puisse retrouver son étal, reprendre son commerce, remonter la pente. Peut-être lui aurait-elle acheté une chose ou deux.


Le commandant Beaurandal sortit de l’Ancienne Capitainerie, entouré de dix gaillards qui entouraient l’Amiral Firallon. Ce-dernier avançait, les mains ligotées, en regardant droit devant lui.



-       Qu’est-ce que vous allez faire de lui ? demanda Otilia.


-       Nous allons l’amener à Hurlevent. Une jolie potence l’attend. Il sera exécuté en public.


-       Est-ce prudent de le garder en vie jusqu’à Hurlevent ? Et s’il s’échappait ?


-       Nous allons essayer de faire en sorte que cela n’arrive pas. Cette engeance de pendu doit payer pour ses crimes.



Il poussa le pirate pour lui indiquer de recommencer à marcher.



-       Ah, enfin ! fit la voix de Pendar. Ce n’est pas trop tôt. Venez, il est là. Il est encore en vie, pour l’instant. Il faut se dépêcher.

Deux soldats se précipitèrent vers Mauzzag, le mirent sur un brancard et l’emportèrent.


-       Tu es sûr qu’il est en vie ? demanda fébrilement Otilia.


-       Oui. Mais je ne sais pas s’ils arriveront à le soigner. Les druides du Cercle cénarien sont repartis dans la jungle avec les animaux survivants, et je ne crois pas que les soldats de Hurlevent aient un prêtre avec eux. Sans soins magiques, il ne s’en sortira pas.


-       Et les potions ? Tu n’as pas des potions de soin ?


-       Plus aucune. Et ne compte pas sur les aventuriers restants pour partager les leurs. Ils ont déjà suffisamment de blessures à soigner.

Torkhal, qui passait par là, entendit la conversation. Il s’approcha d’eux tranquillement. Il n’avait pas une goutte de sang sur lui. Ni éraflure, Ni écorchure, rien.


-       J’ai des potions, moi, proposa-t-il. Et je n’en ai pas besoin. Il faut dire que mes adversaires ont une fâcheuse tendance à mourir avant d’arriver jusqu’à moi. C’est une habitude chez eux. Il s’agit bien du gobelin qui a assisté à mon exploit contre le gorille ?


-       Oui ! s’exclama Otilia. C’est lui ! Et… Et il a une bien meilleure mémoire que moi. Moi, j’oublie tout, et je décris mal les choses. Lui, il pourrait raconter votre haut fait à tout le monde, et de manière précise ! Enfin, s’il survit. Et il faut faire vite.


-       Alors, pas de temps à perdre ! fit Torkhal en se lançant à la poursuite du brancard.



Dans sa petite chambre, Mauzzag attendait. Il souffrait trop pour se mettre debout, et restait donc allongé. Torkhal n’avait que des potions de soins légers, ce qui fut suffisant pour lui sauver la vie, mais ses blessures restaient lourdes. Il avait été transporté dans une petite auberge improvisée en hôpital. On lui avait annoncé qu’au moins trois semaines de convalescence seraient nécessaires.


Il n’avait pas vu la fin de l’Hiver Rouge. Il se souvenait d’avoir manqué de peu le visage de Firallon avec son dernier carreau d’arbalète. Puis, plus rien. Il ne savait pas ce qui l’avait mis dans cet état.


Les jours passèrent. Il ne reçut la visite de personne, en dehors de quelques guérisseurs peu bavards. Au bout de deux semaines, il arrivait à se lever sans trop souffrir. Il réussit à obtenir des guérisseurs quelques informations sur le monde extérieur.


Les deux mille hommes du commandant Beaurandal avaient levé l’ancre et mis les voiles vers Hurelvent. Ils avaient emporté l’Amiral Firallon et les survivants pirates pour les amener au gibet. Krus Kiskuss n’était pas le seul dirigeant du Cartel à avoir trouvé la mort. Deux autres avaient péri lors de l’Hiver Rouge, dans des conditions inconnues. Zwawi était devenu le nouveau bras droit du Cartel.



-       Personne n’est venu me voir aujourd’hui ? demandait chaque jour Mauzzag au guérisseur qui lui apportait son repas. Un gnome ? Une elfe ? Ma femme et ma fille ?


-       Non, personne, répondait systématiquement le guérisseur.


-       Je ne peux vraiment pas sortir faire un tour ? Juste une heure…


-       Vous êtes trop faible. Vous tomberiez dans les pommes. Il faudrait partir à votre recherche, vous porter ici… La consigne veut que vous ne sortiez pas.



Mauzzag n’insistait pas. Les jours passèrent encore. Pour obtenir plus de nouvelles du monde extérieur, Mauzzag allait se coller à sa porte pour écouter les guérisseurs discuter entre eux.



-       Apparemment, ils ont retrouvé Arthas, dit un jour le guérisseur principal. Il serait caché quelque part dans le grand Nord. Comment s’appelle ce continent, déjà ? Norfendre, je crois. Tous les aventuriers vont partir là-bas.


-       Ah, les aventuriers vont encore partir ? répondit un assistant guérisseur.



Le temps passa, et une inquiétude apparut dans l’esprit de Mauzzag. Et si Pendar partait en Norfendre ? Ils n’avaient pas eu le temps de parler affaires. Il fallait absolument le convaincre de rester.



-       Je dois vraiment sortir une journée… tenta-t-il à nouveau en voyant son guérisseur. Il faut que j’aille voir quelqu’un.


-       Pas avant la fin de la convalescence. Il ne reste que quelques jours.



Lorsque ces-derniers furent enfin écoulés, Mauzzag se prépara à sortir.



-       Quelqu’un vous attend dehors ! lui dit le guérisseur.



Le gobelin se dépêcha de sortir. Otilia l’attendait.



-       Tu es en vie ! s’exclama-t-il !


-       En effet, répondit-elle en souriant. Et j’ai plein de choses à t’annoncer. Suis-moi.



Ils marchèrent jusqu’au port. Sur l’appontement principal, un bateau de transport était amarré. Elle monta à bord et lui fit signe de la suivre.



-       Pourquoi veux-tu que je monte ? demanda-t-il. J’aimerais plutôt rentrer chez moi et me reposer.


-       Non, non, viens, tu verras.



Il s’exécuta. L’équipage les salua, Otilia entra dans une cabine privée. Plusieurs caisses y étaient entreposées.



-       Ce sont mes affaires ! s’exclama Mauzzag. Les assiettes en terre cuite de ma cuisine, mon vieux livre de recettes, mes draps, les jouets de ma fille… Que font-ils ici ?


-       Tu pars pour Hurlevent. Ta famille t’y attend.


-       Comment ça ? Pourquoi là-bas ? Les gobelins ne sont pas acceptés à Hurlevent !


-       Le commandant Beaurandal vous a obtenu une exception. Ta femme et ta fille ont embarqué sur son navire, tu étais encore inconscient quand ils ont levé l'ancre. Tiens, regarde derrière cette caisse. Il y a quelque chose qui te fera plaisir.


-       Mon… Mon tableau de Nagrand ! Celui que Krus Kiskuss a fait saisir ! Comment l’as-tu trouvé ?


-       Quand le Cartel a appris la mort de Kiskuss, Zwawi a hérité de ses fonctions. Il a fait fouiller sa maison. Il nous a autorisé à venir prendre certaines choses, pour nous remercier. Je me suis souvenu de ton tableau, tu me l’avais décrit en détails. Je l’ai pris.


-       C’est gentil. Mais il ne suffira pas à me sortir de la misère. Je peux le vendre à un bon prix, mais cela ne me donnera que du répit.


-        Attends un peu, le meilleur arrive. On a retrouvé tes marchandises. Elles n’étaient ni chez Krus, ni dans un entrepôt de saisie, mais simplement dans une arrière-salle du poste principal des cogneurs. Ils les avaient jetées là, dans un coin, et les avaient oubliées.


-       Vous les avez retrouvées ? C’est fantastique ! Et… Est-ce qu’il y avait un petit portrait au fusain ?


-       Celui qui ressemble à un crapaud ? Oh oui, il y était. Avant d’embarquer pour Hurlevent, ta femme est allée le vendre à l’héritier des poissonneries Jorris Pères et Fils. Voici le résultat.



Elle montra du doigt un petit coffret. Mauzzag l’ouvrit. Ses yeux s’illuminèrent.



-       Tant que ça ?


-       Oui.


-       Mais alors… Je suis riche ?


-       Je n’irais pas jusque-là, mais tu as de quoi te bâtir un nouveau commerce et prospérer largement. Et ce n’est pas tout. Quand tu arriveras à Hurlevent, toi et ta famille partirez pour Nagrand.


-       Comment ?


-       Le commandant Beaurandal s’est occupé de tout. Il a déjà payé le voyage. Ta femme lui a dit à quel point ce tableau t’avait donné envie d’y aller. À Hurlevent, un mage vous téléportera à Shattrath, et une petite carriole vous y attendra pour vous mener à Nagrand. Vous pourrez y rester quelques mois, et puis tu iras où tu voudras. Baie-Du-Butin, Gadgetzan, Orgrimmar…


-       Et qu’est-ce que tu vas faire, toi ?


-       Je vais en Norfendre. Pendar m’y attend déjà. Tout le monde y va, et cette fois-ci j’ai bien l’intention de faire partie de l’aventure jusqu’au bout. Les premières descriptions du continent glacé sont déjà sorties. Je viens de recevoir la première partie du nouveau récit d’exploration de Meldazor. Regarde.

Elle alla ouvrir un petit caisson posé près du mur et en sortit quelques feuillets. Mauzzag lut le titre :



Survivre dans le froid de la toundra : ethnologie des Kalu’aks, le peuple des banquises


 

Le bateau leva l’ancre et prit le large. Mauzzag et Otilia montèrent sur le pont et marchèrent jusqu’à l’avant du navire.



-       Et Oruk ? demanda Mauzzag quand ils furent sur la proue.


-       Il va bien. Je crois qu’il a prévu une nouvelle expédition dans la jungle avec Kebok.


-       J’espère qu’il fera attention aux fourmis, cette fois. Pendar s’est tiré de l’Hiver Rouge sans blessure ?


-       Oui. Ah, et au fait, il t’a laissé l’adresse d’un de ses amis gnomes. Tu peux le contacter de sa part pour affaires. Enfin, tu n’en as plus vraiment besoin, avec le pactole que tu as.


-       Ah, intéressant ! Je ne manquerai pas de lui écrire. Je remarque une fois de plus que tu n’as pas l’air d’avoir le mal de mer.


-       En effet. Je crois que cela a disparu pour de bon. Depuis dix ans, je répète inlassablement que je hais la mer. Pendant l’Hiver Rouge, je l’ai encore dit à Firallon… et pour la première fois, je ne le pensais pas.



Elle s’avança et s’appuya sur la rambarde pour avoir une meilleure vue vers l’horizon.



-       Tu avais raison, ajouta-t-elle après un long moment. L’horizon, depuis un bateau, c’est ce qu’il y a de plus beau. J’ai hâte d’arriver en Norfendre, mais je profiterai de chaque instant du voyage.


-       Quand tu reviendras couverte de gloire, n’hésite pas à faire un tour dans ma boutique. Et si tu m’apportes quelques objets du grand Nord pour enrichir mon étal, ce ne sera pas de refus…



Ils continuèrent à discuter ainsi, bercés par les vagues et le cri des mouettes, appuyés sur la rambarde en admirant les flots qui poussaient tranquillement le navire vers l’avant, tandis que disparaissaient à l’arrière les formes lointaines de Baie-Du-Butin.

 



FIN




Auteur: Pierre-Yves TALLEC




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