Jungle et Pirates: La Vie d'Un Marchand À Baie-Du-Butin

Chapitre 7

3204 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 04/03/2023 18:11

Dans sa cabine richement décorée, l’Amiral Firallon enrageait. Cette garce lui avait échappé. Personne n’était censé échapper à l’Amiral Firallon. Il était le plus terrible des pirates, le cauchemar des bateaux marchands affrétés par le Cartel Gentepression entre Kalimdor et les Royaumes de l’Est. Son portrait était affiché sur les ports de Cabestan et de Baie-Du-Butin, il était l’ennemi public numéro un.


Et une simple elfe lui avait échappé. Une petite aventurière de rien du tout, une drôlesse. Elle lui avait filé entre les doigts, comme ça, en profitant simplement de l’obscurité de la nuit tombante. Lui, le bandit le plus réputé des mers, n’avait rien pu faire. Quelle honte…


On dit souvent que la mer est traîtresse, et c’est vrai, mais on oublie souvent le ciel. Il vous envoie des vents contraires qui changent de direction sans prévenir, il se couvre et s’éclaircit de manière incompréhensible, il devient subitement tout noir et vous empêche de chasser votre cible…


Quelqu’un toqua. Jack la Rascasse, le pirate édenté qui avait été neutralisé par Otilia, entra avec deux personnes.



-       Ah, te voilà. Alors, que s’est-il passé ?


-       Hé bien… C’est arrivé tellement vite… Elle m’est tombée dessus, subitement. Elle m’a assommé en un rien de temps. J’ai honte, capitaine…



Bien qu’il aimât être connu du grand public à travers le titre d’amiral, Firallon préférait que son équipage l’appelle capitaine.



-       Espèce de bon à rien, siffla-t-il.


-       De toute façon, elle est sûrement morte, capitaine ! se défendit Jack.


-       Oui, il a raison, reprit l’un des moussaillons qui l’accompagnaient. Le vent l’a probablement emmenée vers le large. Je suis sûr qu’elle nourrit les poissons à l’heure qu’il est.



Firallon leur tourna le dos et regarda la grande carte maritime fixée au mur de sa cabine.



-       Je ne pense pas. Le vent venait du Sud. Le courant l’a ramenée vers Baie-Du-Butin.


-       Venait-il vraiment du Sud ? demanda le pirate édenté. Il faisait nuit, on était fatigué, on n’a pas vraiment fait attention…



L’Amiral ne répondit pas et les congédia. À quoi bon discuter avec ces nigauds ? Ils n’y connaissent rien. C’était des bois-sans-soif incompétents. Ils n’étaient bons qu’à ingurgiter du rhum jusqu’à oublier leur propre prénom, puis à chanter et danser sur le pont, ronds comme des boudins, avant de s’effondrer.


 Mais lui, l’Amiral Firallon, savait ce qu’il disait. Le vent venait du Sud, il l’avait senti. Il avait ramené l’elfe vers Baie-Du-Butin, c’était une certitude. Firallon avait navigué toute sa vie, il savait reconnaître en un clin d’œil l’origine du vent. Tout comme l’agneau ne trompe pas le loup des bois, le vent ne trompe pas le loup de mer.


Il sortit de sa cabine et alla retrouver son équipage. Il sélectionna trois personnes et les chargea de s’infiltrer à Baie-Du-Butin pour la retrouver. Son second, un orc redoutable que l’on appelait Œil-de-Fer, fut désigné chef de l’opération. C’était un gars solide en qui on pouvait avoir confiance. Jack la Rascasse, qui voulait se rattraper, insista pour faire partie de l’expédition. On compléta le groupe avec Jo la Tremblote.


Les trois hommes attendirent que le soir approche, prirent une petite barque et ramèrent vers le port de Baie-Du-Butin.


*


Mauzzag se réveilla. La journée et la soirée de la veille avaient été pour le moins riches en émotions, et il lui fallut quelques instants pour se les remémorer.


Il ne s’était jamais passé autant de choses en sa vie en si peu de temps. Le matin, les cogneurs de Baie-Du-Butin avaient débarqué dans son magasin, vers midi il se retrouvait à toquer à la porte d’un des dirigeants du Cartel, l’après-midi les cogneurs lui enlevaient tout son étal, le soir il rencontrait Otilia et se retrouvait au milieu d’une bagarre générale à la taverne du Loup de Mer.  Tout cela en moins de vingt-quatre heures.


Puis, il y avait eu ce mystérieux gobelin. Celui qui était allé les voir après la bagarre. Il leur avait assuré pouvoir leur livrer Krus Kiskuss comme sur un plateau. Il leur avait donné rendez-vous chez lui pour en discuter. Pour montrer sa bonne foi, il leur avait donné à tous les deux une petite bourse. Otilia avait ainsi pu se payer une chambre à l’auberge, Mauzzag était rentré chez lui et s’était écrasé sur son lit.


Il se leva et ouvrit les volets. Il faisait grand jour. Il y avait bien longtemps qu’il ne s’était pas levé aussi tard. Se femme entra dans la chambre.



-       Ah, ça y est, il est réveillé ! lança-t-elle d’un air mauvais. Tu as bien dormi, j’espère ? Je peux savoir où tu étais hier ? Monsieur ne rentre pas de la soirée, ne laisse aucune nouvelle, et reparaît au beau milieu de la nuit ! Tu as une explication ?


-       Ah ? Hm... Eh bien… Je me baladais dans le…


-       Tes vêtements puent la bière ! Tu es allé te saouler à la taverne ! Une bagarre générale a éclaté au Loup de Mer hier soir. On ne parle que de ça en ville. Ne me dis pas que tu y étais ?


-       Alors, figure-toi que… C’est une histoire assez étonnante, car…


-       Et ton magasin ? Il est midi passé ! Nous n’avons plus un sou, notre garde-manger est vide, et au lieu d’aller gagner sa vie, monsieur dépense nos dernières pièces de cuivre pour aller boire et se battre à la taverne ! Ah, misère, pourquoi ai-je épousé un tel bon à rien ? Je pensais que tu étais le gobelin de ma vie…



Mauzzag encaissa le coup et lui raconta tout. Elle se laissa tomber sur le lit, désespérée.



-       Mais, encore une fois, reprit Mauzzag en essayant de rester positif, ce type m’a donné une bourse qui nous permettra de tenir plusieurs semaines.


-       Et ton ami gnome parti en Outreterre, dit sa femme après avoir repris ses esprits. Celui qui te servait d’intermédiaire pour avoir ces produits incroyables qui se vendaient comme des petits pains. Il ne donne toujours pas de nouvelles ?


-       Non, toujours pas.


-       J’ai entendu dire qu’Illidan était mort. Les aventuriers n’ont donc plus rien à faire en Outreterre, n’est-ce pas ? Ils vont certainement rentrer. S’il est encore vivant, il t’écrira sûrement.


-       S’il est encore vivant, oui…



Mauzzag s’habilla, mangea un morceau de poisson séché et sortit. Il devait retrouver Otilia à la taverne du Loup De Mer pour décider s’ils iraient au rendez-vous proposé par le mystérieux gobelin de la veille.


Sa femme avait raison. Tous les aventuriers allaient quitter Outreterre et rentrer en Azeroth. Son ami en ferait peut-être partie. Cela changerait tout. Son magasin pourrait redevenir l’un des plus prisés de la ville, il pourrait à nouveau offrir à sa fille les beignets de crabe aux épices douces dont elle raffolait, tout pourrait redevenir comme avant… Il y avait de l’espoir !


Mais pour cela, il fallait que son ami revienne. Et pour l’instant, aucune nouvelle.


Partout dans la rue, les gens parlaient de la bagarre de la veille.



-       Quand je pense que j’ai loupé ça ! déplorait un orc qui dépassa Mauzzag avec ses amis.


-       Il paraît qu’ils ont fait un lancer de gobelins, dit un autre orc. J’ai lancé un bon nombre de gnomes dans ma vie, mais des gobelins, jamais. J’aimerais bien essayer.

Mauzzag fronça les sourcils, et continua en faisant mine de n’avoir rien entendu.



Arrivé devant le Loup De Mer, il s’arrêta pour l’admirer. C’était, selon lui, le plus beau bâtiment de Baie-Du-Butin. Sa particularité venait du fait que l’avant d’un voilier avait été hissé et encastré dans l’ossature du bâtiment. Ainsi, au niveau du premier étage, une majestueuse coque de navire à la voile dressée faisait face aux passants et surplombait l’entrée de la taverne.


Il entra. La salle du rez-de-chaussée était sans-dessus-dessous. Une bonne dizaine de personnes s’affairaient à redresser les tables, ramasser les bouteilles brisées, éponger la bière renversée. Mauzzag reconnut plusieurs visages : ils avaient presque tous participé à la bagarre de la veille.


En effet, après une bagarre de taverne, une coutume facultative consistait à retourner sur place le lendemain pour aider le tavernier à ranger. Comme on s’en doute, l’écrasante majorité des concernés étaient plutôt occupés à dormir, décuver ou se remettre de leurs blessures, mais on pouvait malgré tout compter à chaque fois sur une bonne dizaine de personnes.


Il croisa un tauren qui semblait vaguement familier. Ce-dernier le vit, sourit largement et se dirigea vers lui.



-       Je te reconnais, toi ! fit le tauren d’une voix puissante et joyeuse. Tu es mon projectile d’hier ! J’ai gagné le compétition grâce à toi, sacré petit gaillard ! Sans rancune, hein ?


En disant ces mots, il lança une tape amicale si puissante qu’elle fit vaciller Mauzzag. Il aurait voulu se jeter sur lui et l’étrangler, mais que pouvait-il faire ? Il lui arrivait à peine à la cuisse.


-       Hmm… Non, non, sans rancune… grommela-t-il avec mauvaise humeur.

-       À la bonne heure ! Ah, cela faisait longtemps que je n’avais pas cassé autant de mâchoires ! Je te paierai une bière un de ces quatre !


Otilia, qui venait de quitter sa chambre à l’étage, descendit l’escalier et arriva au rez-de-chaussée. En la voyant, plusieurs personnes s’arrêtèrent de ranger.


-       Hé, mais c’est celle qui est à l’origine de la bagarre ! s’exclama un troll.


Tout le monde l’avait vu combattre, beaucoup avait été impressionnés par son jeu de jambe et son habileté. Plusieurs personnes vinrent lui serrer la main avec respect. Puis elle les quitta et rejoint Mauzzag. Ils discutèrent un peu et décidèrent rapidement d’aller au rendez-vous proposé par l’inconnu de la veille.


Il eut lieu le soir-même. Le mystérieux gobelin, qui répondait au nom de Gwizz, les accueillit avec un grand sourire dans une petite maison située près de l’Ancienne Capitainerie.



-       Abordons tout de suite le sujet qui nous intéresse, dit-il après quelques amabilités. Vous en avez après Krus Kiskuss, et je peux vous conduire à lui.


-       Je sais déjà où il habite, l’interrompit Mauzzag.


-       Chez lui, il est entouré de tous ses gardes. Je peux faire en sorte qu’il soit sans défense devant vous.


-       Ça m’intéresse, dit Otilia en caressant sa dague. Dis-nous tout.


-       Je travaille pour une organisation qui fait affaires avec lui, reprit Gwizz. Il vient souvent négocier avec nous sur le lieu de nos activités, près du lac Nazfériti. C’est donc en-dehors de Baie-Du-Butin. Loin de chez lui, peu défendu, il sera à votre merci.


-       Intéressant, admit Otilia. Mais si vous faites affaires ensemble, pourquoi nous aider à nous en prendre à lui ?



Gwizz prit le temps de réfléchir.



-       Pour faire court, vous devez savoir que les dirigeants du Cartel sont loin d’être unis et solidaires. Ils s’opposent les uns aux autres, se trahissent, se font des coups tordus… Disons que l’un d’eux a décidé de se débarrasser de Kiskuss et de devenir notre unique partenaire commercial. Pour que personne ne le soupçonne, nous avons convenu avec lui que nous le ferions disparaître la prochaine fois qu’il se rendrait chez nous pour négociations.


-       Et vous êtes où, déjà ? demanda Mauzzag.


-       Au bord du lac Nazfériti. Le scénario est simple : Krus Kiskuss quitte Baie-Du-Butin pour affaires. Pour atteindre notre camp, il faut traverser une partie de la jungle. C’est un lieu dangereux. En ne le voyant pas rentrer, les gens se diront qu’il lui est arrivé malheur en chemin. Un tigre, une panthère, des trolls Casse-Crâne… Même si la route qui traverse la jungle est censée être plutôt sûre, il y a régulièrement des accidents.



Otilia et Mauzzag réfléchirent.



-       Mettons-nous d’accord, dit Otilia. Nous parlons bien de le tuer, n’est-ce pas ? Car c’est ce que j’ai l’intention de faire.


-       Pas si vite, intervint Mauzzag, je dois d’abord découvrir où sont mes marchandises. En particulier un petit portrait dessiné au fusain, j’y tiens beaucoup.


-       Je le ferai parler, assura-t-elle. En insistant bien, il crachera le morceau.


-       Il s’agit bien de le tuer, confirma Gwizz.



Otilia aimait ce qu’elle entendait, mais se méfiait de cet inconnu. Mauzzag, quant à lui, se souvenait de sa dernière mésaventure et détestait l’idée de partir à nouveau dans la jungle, même en restant sur la route principale.



-       Je vous sens hésitants, reprit Gwizz. Allons, prenez-donc un verre, laissez-moi vous convaincre. J’ai une bouteille de rhum explosif, goûtez-moi ça ! Je vous préviens, il est un peu fort. C’est une vraie boisson de marins !



Il servit trois verres et but le sien d’abord. Les deux autres le suivirent. Mauzzag manqua d’en recracher la moitié. Il n’avait jamais rien bu d’aussi fort. Le rhum brûla son palais et lui fit monter les larmes aux yeux. Otilia, qui voulait faire bonne figure, retint sa respiration et se força à tout avaler. Elle toussa abondamment, puis se redressa comme si de rien n’était.



-       Faut reconnaître, hum… dit-elle en retenant un nouveau spasme de toux, que c’est plutôt une boisson pour personnes robustes.


-       J’ai connu une femme tauren qui en prenait au petit-déjeuner, dit Gwizz.


-       Je lui trouve un goût de pomme…


-       Y’en a.



Chacun se resservit, et l’ambiance se fit plus amicale. Otilia et Mauzzag se sentirent plus à l’aise avec cet inconnu, et décidèrent de lui faire confiance. Ils eurent une semaine pour préparer leur départ vers le lac Nazfériti, pendant laquelle Otilia se procura une deuxième dague.


Elle alla tous les soirs au port s’entraîner. Elle faisait des mouvements dans les airs, ramassait de temps en temps une corde qui traînait, l’attachait à des poutres et la tranchait en imaginant à sa place la gorge de Krus Kiskuss. Chaque fois qu’elle regardait son reflet dans la mer, elle voyait son oreille gauche coupée et sa haine augmentait.


Le jour du départ arriva. Gwizz leur avait donné rendez-vous au port, en disant que ce serait plus rapide de partir par la mer et de remonter le fleuve de Strangleronce jusqu’au lac Nazfériti. Il les accueillit sur un petit bateau à voile, dont l’équipage ne dépassait pas dix personnes. C’était tous des gobelins. Mauzzag et Otilia montèrent à bord.


L’équipage leva l’ancre, vira à tribord et se mit à longer la côte vers l’embouchure du fleuve qui traversait la jungle. Otilia, qui détestait toujours autant la mer, s’enferma dans la petite cale du bateau. Elle fut d’humeur massacrante tout du long de la traversée, Mauzzag prit soin de ne pas lui adresser la parole.


Cependant, lorsqu’un matelot annonça que le fleuve était en vue, elle sortit. Elle vint se placer sur l’avant du pont et regarda au loin. Mauzzag, assis à côté, mâchonnait un bout de pain rassis fourni par l’équipage.



-       Regarde, lui dit Otilia, on distingue bien l’embouchure. On peut voir qu’il s’agit d’un estuaire. Tu connais les trois types d’embouchures d’un fleuve, n’est-ce pas ? Il y a l’estuaire, le delta et la lagune.



Mauzzag s’arrêta de mâcher et la regarda avec des yeux écarquillés.



-       Impressionnant, dit-il. Comment sais-tu tout cela ? Je croyais que tu détestais la mer…


-       C’est précisément pour ça que j’aime les embouchures : c’est là que s’arrête la mer et que commence le continent. C’est également l’endroit où je descends, en général.

Le bateau s’engouffra dans le fleuve. Le courant était fort, ce qui leur permit d’avancer vite. Le timonier maniait la barre avec habileté, évitait les rochers et les îlots, et atteignit le lac Nazfériti en fin d’après-midi.



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