Jungle et Pirates: La Vie d'Un Marchand À Baie-Du-Butin

Chapitre 3

3148 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 02/03/2023 03:54

Le lendemain, il fallut bien ouvrir le magasin. Mauzzag se rendit à son emplacement, ouvrit la tente qui enveloppait son étal, glissa sa clé dans les coffres et en sortit sa marchandise. Une nouvelle journée commençait, comme les précédentes. Encore une journée à ne rien vendre. Une journée à attendre, à chasser les moustiques pour s’occuper.


Au bout d’une heure, il vit son jeune assistant arriver en courant.


« Pauvre Zgwirg, pensa-t-il, je ne pourrai bientôt plus le payer ».



-       Patron, j’ai une bonne nouvelle ! Un navire marchand vient d’arriver, j’ai vu les matelots décharger les caisses, je crois bien qu’il y a des objets d’Outreterre !

Mauzzag sauta de son tabouret.


-       Vraiment ? J’y vais tout de suite, garde la boutique !



Il cavala à travers Baie-Du-Butin, traversa les ponts, enjamba les cageots de poissons et les filets de pêche laissés à sécher au soleil, contourna l’Ancienne Capitainerie et fonça vers le port.


La chaleur de la matinée n’était pas encore trop forte, mais Mauzzag arriva tout de même en sueur sur le grand ponton d’arrimage. Les marchands venaient récupérer leurs produits fraîchement livrés, ouvraient les caisses, vérifiaient leur contenu avant de les charger dans de grandes brouettes ou des petits charriots.


Mauzzag fit un tour rapide pour repérer les produits. D’autres commerçants faisaient de même, il était fréquent d’acheter des marchandises à leur récepteur avant-même que ce dernier n’ait le temps de les emmener dans son magasin. On voyait partout des gens négocier, sortir leurs bourses, marchander, certaines caisses étaient vendues avant même d’avoir été déchargées du bateau.


Notre commerçant malheureux sentit venir sa chance quand il entendit prononcer le mot Outreterre sur sa gauche. Il se retourna et vit un gobelin vider sa caisse avec ses assistants.



-       Permettez que je jette un œil, cher confrère ? s’empressa de demander Mauzzag.


-       Je vous en prie ! Mais si vous voulez acheter, faites vite. Quand tout ça arrivera dans mon magasin, cela partira en un rien de temps.



Il fouilla et trouva quelques feuillets particulièrement intéressants. C’était un récit du célèbre Meldazor l’Explorateur, infatigable aventurier qui avait entreprit de visiter chaque recoin du monde connu. Bien qu’étant tauren, il avait réussi à entrer dans toutes les capitale de l’Alliance. S’il avait été repéré, il aurait immédiatement été exécuté.


Azeroth était son terrain de jeu, mais il avait fini par en faire le tour. Alors il était parti en Outreterre. On pouvait voir le titre sur la première page :



Faune et Flore de Nagrand, le pays où les cascades viennent du ciel



Mauzzag le feuilleta, lu quelques passages et admira les croquis dessinés par l’explorateur. il regarda à nouveau dans la caisse et sortit un autre manuscrit du même auteur qui lui donnait tout autant envie :



De l’ombre des bas quartiers à la splendeur de la grande terrasse : Shattrath, une ville lumière à deux visages



Deux autres récits de Meldazor se trouvaient dans la caisse, l’un décrivait l’ambiance torturée de la Péninsule des Flammes Infernales, l’autre s’engouffrait dans les obscures cryptes d’Auchindoun, un complexe mortuaire situé dans la forêt de Terokkar. Mauzzag voulait tous les acheter, mais il tomba sur quelque chose d’encore mieux.


Il avait entre les mains un tableau du pays de Nagrand. Il n’avait jamais rien vu d’aussi beau. Ces prairies verdoyantes, ces arbres aux formes arrondies qui semblaient venir tout droit d’un conte féérique, ces étendues d’eau paisible…


Lui qui n’avait jamais connu que Strangleronce, il avait l’habitude de voir en la nature une ennemie. Les feuilles de la jungle ne servaient qu’à dissimuler des prédateurs, on risquait une piqûre mortelle à chaque fois que l’on posait la main quelque part. Tout ce qui se trouvait sur la terre était dangereux, et l’on n’était guère mieux servi si l’on s’aventurait sur l’eau : le fleuve était infesté de piranhas et d’alligators, la mer de pirates. 


Mais dans ce tableau, c’était l’inverse. Tout était calme. La nature semblait paisible, amicale. Et que dire de ces rochers volants perchés dans le ciel, d’où sortaient mystérieusement ces cascades magnifiques ? Tout était si beau, si harmonieux. Ce paysage l’emplissait d’une paix intérieure inconnue.

Mauzzag voulut l’acheter. Il devait l’acheter. Le prix fut élevé et il dut renoncer à acquérir quoi que ce soit d’autre. Comme son magasin ne générait plus de revenu, il paya avec ses réserves personnelles.


Après cet achat, il n’avait désormais plus que de quoi tenir un mois. Passé ce délai, si rien ne changeait, il devrait quitter sa maison. C’était un pari risqué. Il faudrait vendre le tableau deux à trois fois plus cher que son prix d’achat. En le présentant bien, c’était faisable.


Arrivé à son étal, il le plaça bien en évidence.



-       Messieurs-dames, venez donc voir ce qui vient d’arriver d’Outreterre ! cria-t-il.



Plusieurs passants s’arrêtèrent. Les habitants de Baie-Du-Butin n’entendaient parler de l’Outreterre que par voie orale, notamment via les crieurs privés. Ils avaient tous entendu des descriptions de ces lieux étranges, de ces paysages qui n’existaient nulle part ailleurs, mais n’en avaient pour la plupart jamais vu la moindre image.


Ils se laissèrent donc charmer par le tableau de Mauzzag, qui le présentait avec un entrain communicatif. Il utilisait les quelques lignes qu’il avait lues du manuscrit de Meldazor pour leur décrire les animaux merveilleux qui vivaient à Nagrand, attirait leur attention sur les cascades qui tombaient du ciel, et n’hésitait pas à inventer des histoires pour garder leur attention.



-       Et savez-vous qui a peint ce tableau ? C’est Meldazor l’Explorateur lui-même ! improvisa-t-il avec aussi peu de preuves que de vergogne.


-       Incroyable ! s’exclama un humain. Il sait peindre aussi ?


-       Il paraît qu’il s’est introduit dans Hurlevent à la nage en passant par la mer puis en s’infiltrant dans les canaux ! dit un troll admiratif. Un tauren en plein Hurelvent, vous vous rendez compte ? Quel aplomb ! Quel génie !



Un attroupement se forma devant son étal. C’était la première fois depuis des années. Personne n’acheta le tableau car le prix annoncé par Mauzzag était extrêmement élevé, mais le commerçant ne s’en inquiéta pas.


« Si j’ai le même attroupement demain, et si les gens parlent autour d’eux, dans quelques jours ce tableau pourrait acquérir une petite réputation, se dit-il. Avec un peu de chance, ce n’est pas trois, mais quatre ou cinq fois plus cher que je pourrai le revendre. »


Vers la fin de la journée, les passants commencèrent à rentrer chez eux et l’attroupement s’estompa. Un gobelin passa par là et s’arrêta. Il regarda le tableau un long moment en restant silencieux.



-       C’est un beau tableau, dit-il finalement. Vous pouvez me le donner ?


-       Vous le donner ? Eh, bien… Oui, bien sûr. Pour la modique somme de…


-       Non, coupa le gobelin, me le donner pour de vrai. J’aimerais l’avoir gratuitement.



Mauzzag crut avoir mal entendu. Mais le gobelin n’avait pas l’air de plaisanter.



-       Eh bien, dit Mauzzag, nous allons avoir un problème. Ce tableau vaut cher. Si vous voulez l’avoir, il faut le payer. Si vous avez un petit budget, je peux vous proposer à la place ce joli portrait au fusain. Il a été réalisé pas un artiste de grande renommée.


-       Je n’en veux pas. Il est laid. Regardez-moi cette tête, on dirait un crapaud. Je veux le tableau de Nagrand. Je vous demande une fois de plus de me le donner. Gratuitement.


-       Dans ce cas… je vous demande de foutre le camp. Rapidement.



Le gobelin regarda Mauzzag droit dans les yeux pendant deux longues minutes, et dit :



-       Très bien. Si c’est ainsi… je vous dis au revoir.



Il détourna les talons et s’en alla.



-       Abruti, siffla Mauzzag quand le gobelin fut trop loin pour l’entendre. Pour qui il se prend ? Gratuitement… C’est ma paluche dans ta truffe que tu vas avoir gratuitement.



Au moment de fermer son magasin et de rentrer, il prit son tableau avec lui. Il ne voulait pas risquer de le laisser là. Il fit une pause à mi-chemin pour le regarder. Le paysage était toujours aussi beau.


Sur le chemin entre son magasin et sa maison, deux passants reconnurent le tableau. Mauzzag n’avait pas compté le nombre de personnes qui s’étaient arrêtées devant son étal dans la journée, mais si le tableau en était au point où il était reconnu dans la rue, c’était bon signe.


À ce rythme, le tableau serait vendu rapidement, et lui rapporterait une somme considérable. Il aurait alors de quoi tenir des mois, peut-être même un an, de quoi trouver une solution. De quoi acheter d’autres objets d’Outreterre, qui eux aussi se vendraient très bien.


La chance semblait enfin tourner. Le poids qui pesait quotidiennement sur la poitrine de Mauzzag se fit soudain plus clément. L’air, d’habitude si lourd, sembla plus léger. Et, pour la première fois depuis longtemps, il sourit.


Le lendemain, le tableau eut à nouveau un certain succès. Mauzzag présentait son tableau avec autant de passion que la veille, le charme opérait toujours. Quelqu’un finirait bien par l’acheter. Il voyait déjà un couple de gobelins discuter en ouvrant leur bourse pour compter leur argent.


À ce moment, trois gobelins en armes dispersèrent la foule. C’était des cogneurs de Baie-Du-Butin, embauchés par les autorités pour assurer les fonctions de maintien de l’ordre.



-       C’est bien lui, dit le chef de la brigade. Monsieur, nous avons été chargés de saisir ce tableau


-       Que… Comment ? bégaya Mauzzag.


-       On nous a signalé que ce tableau avait été volé. Nous allons donc le prendre et le rendre à son propriétaire.


-       J’espère que c’est une blague ! Je l’ai acheté hier au port ! Vous pouvez demander au marchand qui me l’a… hé, arrêtez !



Il saisit le bras du cogneur qui s’emparait du tableau. Immédiatement, les deux autres se jetèrent sur lui et le maîtrisèrent. L’un le tenait et l’autre le menaçait de son gourdin. Les passants observaient la scène en commentant.



-       Alors, ce tableau n’était pas à lui ?


-       Pour une fois qu’il avait quelque chose d’intéressant sur son étal, il fallait qu’il soit volé ! Qu’il est pathétique, ce Mauzzag…



Les cogneurs repartirent avec le tableau, les badauds se dispersèrent. Mauzzag, qui avait reçu un coup aux côtes, resta un temps au sol avant de se relever péniblement. Il regarda son étal. Plus de tableau. Il resta immobile un long moment, éperdu, puis s’effondra.


Cela ne pouvait être vrai. C’était une mauvaise plaisanterie. Les choses étaient sur le point de s’améliorer…


Alors qu’il sentait le désespoir menacer de l’envahir, il se ressaisit brusquement. Non, ce devait être une erreur. Il fallait aller voir les autorités immédiatement. Il laissa son étal à Zgwirg et courut au poste de brigade le plus proche.


Il y fut accueilli assez froidement. Le cogneur qui était de garde l’écouta d’une oreille et ne sembla guère convaincu.



-       Mais enfin, insista Mauzzag, je vous dis qu’il suffit d’aller voir le marchand qui me l’a vendu !


-       Et vous savez où il est ?


-       Eh bien… je n’ai pas pensé à lui demander où se trouvait son magasin… Mais il ne doit pas être très loin. Je sais déjà qu’il n’est pas dans l’Ancienne Capitainerie, je la connais par cœur, je l’aurais reconnu. Il doit être vers…


-       Écoutez, je n’ai pas le temps pour cela. Si vous le retrouvez, amenez-le, sinon je ne peux rien pour vous. On ne m’a de toute façon apporté aucun tableau à la réserve. Je ne sais pas où il est. Maintenant, sortez.


Comme Mauzzag protestait, il fut mis dehors de force. Alors qu’il réfléchissait pour savoir où chercher ce marchand, un humain vint lui parler. Il se trouvait au poste de brigade au moment au Mauzzag était entré.



-       Monsieur, je dois vous parler. J’ai entendu une partie de votre récit avant de sortir. Je dois vous mettre en garde. Vous avez mentionné un gobelin venu hier à votre magasin…


-       Celui qui voulait mon tableau gratuitement ? Oui. Vous pensez comme moi qu’il a quelque chose à voir là-dedans ?


-       J’en suis même sûr. Quand vous avez décrit son aspect physique, un détail m’a frappé. Vous avez mentionné une tunique rouge, avec au centre un cercle blanc et des motifs qui ressemblaient à des pièces. C’est l’emblème de la famille Kiskuss.


-       La famille quoi ?


-       Comment cela, la famille quoi ? Vous n’avez jamais entendu parler de Krus Kiskuss ? C’est l’un des cadres du Cartel Gentepression. Vous ne reverrez jamais votre tableau. Oubliez-le. C’est la meilleure chose à faire.


-       Krus Kiskuss ? Oui, maintenant que vous le dites, ce nom me dit quelque chose. Mais le gobelin que j’ai vu hier était jeune. Bien trop pour être membre du Cartel.


-       Ho, mais ce n’est pas Krus que vous avez vu hier. Il ne sort jamais sans une ribambelle de gardes du corps. C’était sûrement l’un de ses fils. Il a dû demander à son père d’envoyer des cogneurs s’emparer du tableau pour le lui apporter. Le quatrième fils est particulièrement capricieux, ce genre de choses lui ressemble bien.


-       Et qui êtes-vous pour connaître si bien ces choses-là ?


-       Je suis l’un de leurs domestiques, je travaille dans leurs cuisines. Sous-chef commis aux sauces, pour être précis. Si seulement vous pouviez goûter ma sauce ail-moutarde à l’estragon de Mulgore, c’est une merveille pour accompagner les rognons de gorille !



Mauzzag réfléchit. Il avait une ville entière à fouiller pour trouver le marchand qui lui avait vendu le tableau. Cela pourrait prendre des jours, des semaines…



-       Dites-moi, reprit-il finalement, si vous travaillez dans leur cuisine, vous connaissez leur adresse ?


-       Hmm ? Eh bien oui, je la connais. Pourquoi ?


-       Il est hors de question que je renonce à mon tableau. Je vais aller les voir et exiger qu’ils me le rendent.


-       Vous plaisantez ? s’étrangla l’humain. Vous ne savez visiblement pas à qui vous avez affaires. Pas plus tard qu’hier, Krus Kiskuss a réglé à sa manière un différend qu’il avait avec une elfe de la nuit. Otilia, qu’elle s’appelait. Elle a été enlevée en sortant de son auberge, puis… livrée aux pirates. Oui, vous avez bien entendu ! Aux pirates de la Voile Sanglante ! Je n’ose imaginer ce qu’ils vont lui faire.


-       Dans mon cas, il ne s’agit que d’un simple tableau. Ils n’iront pas jusque-là. Qu’est-ce que cette pauvre toile peut bien représenter pour eux ? Ils peuvent bien me la rendre, tout de même.


-       Je vous dis que ce n’est pas une bonne idée. Cette Otilia était une vraie guerrière, elle est allée se battre en Outreterre. Et regardez ce qu’il a fait d’elle… Alors vous, vous ne risquez pas de l’impressionner. De toute façon, je ne vous donnerai pas leur adresse. C’est pour votre bien.


-       Ah, vraiment ? Mais dites-moi, ne devez-vous pas bientôt vous rendre en cuisine pour commencer à préparer le diner ? Soit vous me donnez l’adresse, sois je vous suis jusqu’à chez eux.


-       Mais pourquoi voulez-vous à ce point… oh, et puis c’est votre problème, après tout. Je vais vous donner l’adresse, mais je vous le dis, faites attention à chaque mot que vous prononcerez devant Krus Kiskuss…


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