Jungle et Pirates: La Vie d'Un Marchand À Baie-Du-Butin

Chapitre 2

4520 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 02/03/2023 03:41

Mauzzag se leva tôt le lendemain. Il faisait déjà lourd et chaud. Il traversa la ville encore vide, l’estomac noué. Ce serait sa dernière expédition. Il resterait à l’arrière, ne prendrait aucun risque. Il tenait en main droite un gros sac à butin pour s’assurer de ramasser le plus d’objets possible.


Baie-Du-Butin s’étendait aussi bien à l’horizontale qu’à la verticale. La baie qui séparait les rochers de la mer était relativement petite, aussi avait-il fallu trouver de la place en allant vers les hauteurs. D’innombrables ponts et passerelles en bois montaient et se chevauchaient dans toutes les directions.


Mauzzag s’arrêta un instant devant l’Ancienne Capitainerie. C’était le plus grand bâtiment de la ville. Il dominait notamment les autres par sa haute tour, au sommet de laquelle trônait la cloche d’alarme. Il y avait bien longtemps qu’elle n’avait pas servi.


Puis il se dirigea vers la sortie. Un grand tunnel avait été creusé dans la roche pour relier la ville avec l’extérieur. C’était le seul moyen de quitter Baie-Du-Butin par voie terrestre, ce qui permettait un contrôle efficace des flux de personnes.


Quatre individus l’attendaient dehors.



-       Le voilà ! Je vous l’avais dit !



Kebok lui adressa un signe de la main. Un troll et deux frères orcs l’entouraient. Le troll tenait la bride d’un imposant raptor émeraude qui lui servait de monture.



-       Les deux gobelins, vous montez avec moi, dit-il. Il y a des petites poignées sur la selle arrière, tenez-vous bien. Les raptors sont parfois impulsifs.

Ils s’exécutèrent tandis que les deux orcs enfourchèrent leur loup des bois respectif. Le plus jeune s’appelait Oruk. C’était sa première expédition dans la jungle, et il était aussi nerveux que Mauzzag.



Ils se mirent en route vers le Nord. Kebok plaisantait joyeusement pour égayer le voyage, mais cela n’avait aucun effet sur l’humeur et l’inquiétude de Mauzzag.



-       L’avantage avec cette histoire d’Outreterre, continua Kebok, c’est qu’il n’y a plus beaucoup d’aventuriers dans la jungle. La concurrence est partie, on a les ruines pour nous seuls. On a beaucoup plus de chance de trouver des objets de valeur. Cela fera du bien à ton étal, Mauzzag !


-       Il est où, ton étal ? demanda le troll.


-       Dans le troisième passage marchand vers l’Est après l’Ancienne Capitainerie, près de la grande cascade.


-       Ah, oui, je vois où c’est. Il y a quelques boutiques sympathiques là-bas. Dans le temps, il y avait un marchand d’objets gnomes. Ses produits étaient incroyables ! Mais ça a été remplacé par une espèce de braderie avec du bric à brac sans intérêt. Dommage. Et toi, tu vends quoi ?


-       Hm, eh bien… Des choses et d’autres… Un peu de tout… grommela Mauzzag en fronçant les sourcils.


-       Oui, je me souviens du vendeur d’objets gnomes ! intervint Oruk. Je passais souvent devant pour le voir faire voler ses petites machines. J’adorais ça ! Qu’est-ce qui lui est arrivé ? J’ai entendu des rumeurs, mais j’ignore ce qu’il en est réellement.


-       Je ne sais pas, répondit le troll. J’ai entendu des rumeurs, moi aussi… Il paraît qu’il a fait faillite, qu’il a perdu la raison, et qu’il erre sans but dans les rues la nuit en ne sachant même plus qui il est.



Mauzzag fronça encore les sourcils et serra les poings. Quelle espèce de sac à vin avait bien pu inventer des ragots pareils ?



-       Enfin, c’est ce que j’ai entendu, continua le troll. Mais je n’en sais rien. Il faut se méfier des rumeurs. Et de toute façon, cela ne nous regarde pas.


-       Tout à fait, approuva Oruk, cela ne nous regarde pas. Nous ne sommes pas là pour colporter les commérages des uns et des autres. Il paraît qu’il se nourrit de trognons de pomme et qu’il marche à quatre pattes dans la ville en se prenant pour un sanglier. Mais, encore une fois, cela ne nous…


-       Eh bien, si cela ne nous regarde pas, on pourrait peut-être arrêter d’en parler ? glissa sèchement Mauzzag en essayant de contenir sa colère.



Kebok faisait des efforts considérables pour ne pas éclater de rire. Il essaya de changer de sujet pour lui sauver la mise :



-       Sacrés gnomes, ils sont épatants ! Vous avez entendu parler du Tram des Profondeurs ? Je vous avoue que j’ai du mal à croire qu’une telle chose existe vraiment…


-       Et toi, Kebok, qu’est-ce que tu vends, déjà ? demanda le troll. Tu exportes toujours vers les îles des Mers du Sud ?


-       Des crocs de tigre, en principe. Mais les approvisionnements sont de plus en plus difficiles. Depuis que les aventuriers sont partis en Outreterre, mes fournisseurs se font rares. Plus personne ne s’aventure dans la jungle.



Après plusieurs heures de marche, le moment que redoutait Mauzzag arriva : il fallut quitter la route. Les ruines se trouvaient toujours au cœur de la jungle, on ne pouvait jamais les atteindre en restant sur le chemin principal.


Les compagnons descendirent de leurs montures et s’engouffrèrent dans les hautes herbes en les tenant par la bride. Le frère d’Oruk était chasseur de profession, et guida le petit groupe en évitant les prédateurs.


Ils progressèrent prudemment à travers les ronces et les lianes. Les singes hurlaient au-dessus de leurs têtes en sautant de branches en branches. Le groupe monta sur une petite colline couverte de fougères qui donnait vue sur un temple en ruines. Le toit et le sol avaient totalement disparu, seuls persistaient les murs et quelques piliers.


Mais les lieux étaient occupés. Des dizaines de trolls s’afféraient dans les ruines. Ils avaient construit des baraquements en bois à l’extérieur du temple.



-       Pas de chance, dit Mauzzag. Nous arrivons trop tard. Il ne reste plus qu’à rentrer.


-       Certainement pas, répondit Kebok. Je savais que le site était occupé. Tu confirmes que ce sont des Casse-Crâne ? demanda-t-il en se tournant vers son ami troll.


-       Je confirme. Ils sont particulièrement brutaux. S’ils nous voient, ils nous attaqueront sans réfléchir.


-       Alors, c’est réglé, on rentre, n’est-ce pas ? s’inquiéta Mauzzag.


-       Non, on ne rentre pas, s’agaça Kebok. Tu veux continuer à vendre tes breloques ? Il y a des statuettes qui valent une fortune dans ces ruines. Tu ne risques rien, tu vas rester ici pour monter la garde pendant qu’on descendra. On se partagera le butin.


-       Les Casse-Crâne vont rentrer dans leurs baraquements dans une vingtaine de minutes, reprit le troll. Je connais leur fonctionnement par cœur. Les ruines seront sans surveillance.


-       Bien. Quelles sont les précautions à prendre ?


-       Ils ont installé des cloches d’alerte sur le site. Ne vous en faites pas, ce ne sont pas de très bons ingénieurs, leur système est grossier. Les cordes sont faciles à repérer, il suffit de les enjamber, et les cloches ne s’activeront pas.


-       Bon. Autre chose ?


-       Oui. Quand les Casse-Crâne sont à l’intérieur, les tigres et les panthères ont tendance à s’approcher des ruines. N’attirez pas leur attention. Ah, et si vous voyez une motte de terre, éloignez-vous-en ! Il peut s’agir d’une fourmilière. Croyez-moi, vous n’avez pas envie de réveiller les fourmis carnivores de Strangleronce.


-       Bon, résuma Kebok. Enjamber les cordes reliées aux cloches d’alerte, ne pas se faire repérer par les fauves, et éviter les fourmilières. On devrait y arriver. Tout le monde est prêt ?



Le groupe acquiesça. Ils attachèrent les montures à un arbre, attendirent que les Casse-Crâne rejoignent leurs baraquements et se mirent prudemment en route. Mauzzag, bien content de rester sur sa colline, se cacha dans les fougères, sortit le petit sifflet en bois qu’il devait utiliser en cas de danger et regarda Kebok et ses trois compères s’éloigner. Ils arrivèrent rapidement sur place.


Ils commencèrent à scruter l’endroit. Quelques vases et statuettes furent ramassés et fourrés dans des sacs. Des inscriptions mystérieuses étaient gravées dans la pierre des murs et des piliers. Kebok sortit de sa besace une massette et un ciseau à pierre pour en extraire des morceaux.  


Oruk était particulièrement anxieux. C’était sa première expédition. Il se savait parfois maladroit, et craignait de faire une bêtise.


« Attention aux cloches, attention aux tigres… » répétait-il intérieurement. « Il est hors de question que je fasse tout rater. Si quelqu’un commet une erreur, ce ne sera pas moi ».


Il se déplaçait très lentement, avec de larges mouvements de jambe.


« Ce n’est pas si dur, se dit-il. Hop, un coup d’œil au sol pour éviter les cordes, un coup d’œil vers les hautes herbes pour voir s’il n’y a pas une saleté de panthère qui s’approche… Je m’en sors bien. Ma première expédition est une réussite ».


Une boîte en bois fermée par un grillage attira son attention. C’était vraisemblablement un garde-manger, plusieurs morceaux de viande séchée y étaient conservés. Comme il avait une petite faim, l’orc s’approcha, sortit un petit couteau, découpa le grillage et s’empara d’un morceau de viande. Il s’éloigna ensuite en mâchouillant discrètement.

Un peu plus tard, Kebok, en contournant un pilier fendu en deux, entendit des bruits de mâchoires. Il suivit le bruit et arriva près du garde-manger. Ce qu’il vit le pétrifia. Un tigre était en train de manger les derniers morceaux de viande.


Ce devait être un chasseur expérimenté, car personne ne l’avait entendu venir. Il avait dû se faufiler entre les hautes herbes, suivre l’odeur de la viande et se servir à travers le trou dans le grillage.


Le fauve mâchait vigoureusement sans regarder autour de lui. Kebok recula prudemment en tenant son sac d’objets ramassés. Il osait à peine respirer. Comme il ne regardait pas derrière lui, il trébucha sur une racine. N’ayant rien pour s’accrocher à proximité, il s’affala bruyamment.


Le tigre se retourna vers lui. Kebok se leva et prit la fuite en laissant son sac à terre.



-       Un tigre ! dit-t-il aux autres. Il faut décamper ! On retourne sur la colline !



Les trois autres compères détalèrent avec leurs sacs à moitié remplis. Kebok avait bien dosé le volume de sa voix, il avait parlé assez fort pour être entendu de ses camarades sans pour autant atteindre les tympans des trolls Casse-Crâne à l’intérieur de leurs baraquements.


Oruk fonça droit vers la colline. Il ne pensait qu’à sauver sa peau – et accessoirement son sac – et oublia de regarder où il mettait les pieds. Il ne se passa, comme on s’en doute, que très peu de temps avant qu’il ne trébuche sur une corde.


La cloche résonna. Les portes des baraquements s’ouvrirent et des dizaines de trolls en sortirent. Armés de lances et de gourdins, montrant leurs dents tranchantes et pointant vers l’avant les défenses en ivoire qui leur sortaient des mâchoires, ils étaient terrifiants.



-       Des intrus ! criant l’un d’entre eux. Massacrez-les !



Ils foncèrent vers les ruines en hurlant de colère, la bave aux lèvres et les poings levés. Oruk se leva précipitamment et ramassa maladroitement son sac, renversant tout son contenu sur le sol. Il eut la folie de vouloir récupérer quelques statuettes, mais abandonna très vite en voyant les Casse-Crâne enjamber le premier muret du temple en ruines.

Il déguerpit en courant de toutes ses forces, contournant les piliers, roulant sous les arches effondrées, sautant par-dessus les grandes statues qui gisaient au sol. Il voyait Kebok courir, loin devant lui, et atteindre le début de la colline. Il était hors de danger.


Oruk continua sa course pour le rejoindre, mais une main saisit sa jambe et le fit chuter.



-       Je te tiens, ordure ! grinça une voix de troll. Je vais te trifouiller les entrailles avec mon hachoir, tu me diras si tu aimes ça !



Oruk, qui aspirait à devenir guerrier, se débattit furieusement et réussit à saisir la main de son assaillant pour l’empêcher d’approcher la lame de son hachoir.



-       Vermicelle ! grogna le troll. Tu le prends comme ça ? Les amis, venez ici ! J’en tiens un ! Égorgez-le !


-       On arrive ! raisonnèrent des voix grasses.



À cet instant, un fauve bondit sur le troll. C’était une tigresse de Strangleronce. Ces redoutables chasseresses ne reculaient devant aucune proie. En voyant le troll se jeter à terre pour attraper Oruk, elle avait dû croire qu’il s’était blessé.


Oruk se libéra de son emprise et se releva. Cinq autres Casse-Crânes arrivèrent. Voyant la scène, trois se jetèrent sur la tigresse et deux se lancèrent à la poursuite d’Oruk.



-       Reviens-là, misérable ! criaient-ils.



Oruk courait plus vite qu’eux et commença à les distancer. Il repéra un trou dans le mur en ruines qu’il longeait, plongea dedans et se retrouva de l’autre côté. Il vit alors son frère en bien mauvaise posture, coincé dans un cul-de-sac, nez à nez avec une panthère.


Il avait encore son sac dans les mains, mais il l’utilisa pour parer un coup de griffe qui déchira le tissu. Les statuettes tombèrent dans les herbes.


« Encore un sac en moins, pensa Oruk. Je n’ai plus le mien, j’ai vu Kebok courir les mains vides sur la colline, celui-là est déchiré… Ah, misère ! Il n’y en a plus que le troll qui peut sauver l’expédition ».


Les deux Casse-Crâne qui étaient à ses trousses arrivèrent.



-       Le voilà ! Et il y a un deuxième orc !


-       Mais il y a aussi une panthère ! Qui est-ce qu’on tue en premier ?


-       La panthère. Elle est plus dangereuse.


-       Mais eux, ils sont armés. On devrait les tuer d’abord.


-       Je te dis que la panthère est plus dangereuse !



Oruk profita de cet instant de cacophonie pour reculer en réfléchissant. Il sentit alors son pied s’enfoncer dans de la terre molle. Il se retourna et compris qu’il venait de faire une énorme bêtise.



-       Les amis, intervint-il, je suis désolé de vous interrompre dans votre débat passionnant, mais je crois que nous avons tous un problème.



Tous se retournèrent. Oruk avait le pied dans une grande motte de terre, dont la forme particulière remplissait d’horreur tous ceux qui connaissaient la jungle. C’était une fourmilière.



-       Il a réveillé les fourmis ! cria l’un des Casse-Crâne. Fuyez !



Oruk dégagea sa jambe et détala en compagnie de son frère. En quelques secondes, le sol se couvrit de milliers de fourmis carnivores. Elles faisaient environ la taille d’un orteil humain, ce qui n’était guère intimidant comparé aux autres créatures de Strangleronce, mais leur nombre et leur voracité les rendaient dévastatrices.


Elles recouvrirent bientôt la totalité du paysage qui avoisinait la fourmilière. Combien pouvaient-elles être ? Des dizaines, probablement des centaines de milliers. Elles jaillissaient à flots infinis comme des torrents de lave éjectés d’un volcan. La terre, les herbes, les branches, les fougères, tout disparut sous une marée impitoyable d’arthropodes affamés.


Quelques chenilles avaient eu l’idée de venir mâchouiller des feuilles bien tendres dans le coin. On devine aisément quel fut leur triste sort. Happées par la nuée, déchiquetées par les mandibules qui se plantaient de toutes parts dans leur chair, en quelques secondes elles cessèrent d’exister.


Poussés par une faim hurlante, les insectes carnassiers continuèrent leur avancée et se répandirent dans les ruines, qui furent bientôt entièrement recouvertes. C’était une vision d’horreur. Les belles couleurs de ce paysage avaient disparu ; le vert des feuilles, le blanc des vieilles pierres, le jaune et le rouge des oiseaux exotiques, tout cela n’était plus. On ne voyait désormais qu’une infâme bouillie marronnasse et grouillante qui dévorait tout sur son passage.


Oruk et son frère avaient réussi à rejoindre la colline. Kebok et Mauzzag les y attendaient.



-       Où sont vos sacs ? demanda Kebok, paniqué.


-       Perdus ! répondit Oruk. Comme le tiens, visiblement…


-       On s’en moque, dit Mauzzag. Tous sur les montures, on fiche le camp !


-       Non, on attend le cinquième membre du groupe ! Peut-être qu’il a encore son sac. Si on repart maintenant, on sera venus pour rien ! Un seul sac de statuette, cela vaut déjà beaucoup d’argent.



Ils virent justement deux trolls surgir des hautes herbes et courir dans leur direction. L’un d’eux était leur compère, tenant un sac bien rempli à la main, et l’autre était un Casse-Crâne. Il était probable qu’au départ, le second ait poursuivi le premier, mais à présent ils fuyaient tous les deux pour échapper aux impitoyables cohortes de fourmis légionnaires.


La colline s’était vidée de sa faune. Gorilles, serpents, loups, tigres, panthères, raptors, tous s’étaient inclinés devant le prédateur le plus redoutable de la jungle.

Les fourmis carnivores se rapprochaient de leurs proies. C’était un spectacle terrifiant. Les deux malheureux continuaient leur pénible course à travers les ronces et les racines, et montraient des signes de fatigue. Derrière eux, l’essaim monstrueux hurlait sa faim, écrasant tout devant lui, transformant le sol en un océan noir de cartilage, d’antennes et de mandibules.


Le Casse-Crâne fut soudain victime de l’un des accidents les plus fréquents à Strangleronce : il trébucha sur une racine. Ce n’était d’ordinaire qu’un vulgaire désagrément, mais dans le cas présent, il comprit tout de suite que cela signifiait sa mort.


Les fourmis les plus rapides se précipitèrent sur lui. Il sentit des centaines de petites pattes parcourir ses jambes et y planter leurs mandibules. Elles attaquaient partout, s’infiltraient sous ses vêtements, dans ses bottes, et remontaient vers son torse. Il essaya de les chasser avec ses mains ; elles s’y accrochèrent et recouvrirent ses bras pour ensuite atteindre son visage. Comme il hurlait de douleur, elles en profitèrent pour s’engouffrer dans sa bouche. C’en était fini de lui.

Bientôt ses cris s’éteignirent pour laisser place au bruit assourdissant de la nuée, une espèce d’horrible cliquetis gras provoqué par les milliers de petits corps articulés qui bougeaient et s’entrechoquaient.


Le cinquième membre du groupe, qui avait retrouvé des forces, arriva auprès de ses compères prêts à partir, se jeta sur son raptor et l’attrapa in extrémis tandis que celui-ci commençait à courir. Il se hissa dessus, tremblant de sueur. Le groupe était sauvé.


Après une longue fuite, ils s’arrêtèrent pour reprendre leurs esprits.



-       Eh bien, mes amis, quelle histoire ! dit Kebok pour essayer de remonter le moral de sa troupe. Heureusement que tu étais là, dit-il en se tournant vers le troll, tu es le seul à avoir gardé ton sac ! Allez, ouvre-le, montre-nous ce que tu as !



Le troll s’exécuta. Il défit le nœud et tira sur la ficelle. Tout le monde se pencha. Quand le sac s’ouvrit, ils découvrirent avec horreur qu’il était plein de fourmis. Comme la nuée l’avait frôlé plusieurs fois, certaines s’étaient accrochées au sac et avaient percé des petits trous pour entrer à l’intérieur, où elles tournaient visiblement en rond.


Encore traumatisés par les événements, tous les compères se levèrent, se jetèrent sur leur monture et partirent au galop. Ce n’est que sur l’insistance de Kebok qu’ils firent demi-tour pour récupérer les statuettes, en espérant que les fourmis soient parties.


Il n’y avait en effet plus de fourmis, mais deux humains étaient en train de tout ramasser.



-       Hé, vous ! hurla Oruk. Dégagez !



Les humains prirent la fuite et disparurent dans les hautes herbes avec leur butin. Il ne restait rien. Le groupe essaya en vain de les poursuivre. Puis, dépité, il se mit en route vers Baie-Du-Butin. En passant devant un petit camp de chasseurs dans lequel stationnaient des marchands, Oruk voulut s’arrêter.



-       Ce n’est pas une bonne idée, dit Kebok. Ce camp n’appartient à aucune faction.


-       Où est le problème ?


-       Le problème, c’est que des membres de la Horde comme de l’Alliance peuvent venir ici. Et contrairement à Baie-Du-Butin, il n’y a pas de garde. Tu sais ce que cela veut dire…


-       Je vais juste acheter une gourde, je meurs de soif.



Il descendit de sa monture et s’étira un peu. Il s’écarta du groupe sans se méfier. Caché dans les hautes herbes, un elfe de la nuit l’observait. Ce mystérieux individu vouait une haine sans faille aux membres de la Horde, et passait des journées entières à rôder à travers Strangleronce pour les trouver et les attaquer par surprise.



-       Tu devrais revenir, Oruk, persista Kebok. C’est dangereux.



L’orc ne l’écouta pas et chercha sa bourse dans son gilet pour acheter une gourde. L’elfe de la nuit se rapprochait furtivement, les jambes pliées, tenant une dague dans chaque main. Sa discrétion, perfectionnée par la profession qu’il exerçait, était épatante. C’était en effet un voleur aguerri qui vivait de larcins et de cambriolage, et il avait l’habitude de se déplacer sans se faire repérer.


Soudain, il attaqua. Ses deux dagues s’abattirent violemment sur leur victime. L’une frappa sa nuque avec la poignée, l’autre son épaule avec la lame. Par bonheur, Oruk portait de petites épaulettes en cuir dur pour rehausser son gilet et accentuer sa carrure, qui absorbèrent la pointe.



-       À l’aide ! crièrent les autres.



Oruk, étourdi par le coup sur sa nuque, resta immobile quelques secondes. Le voleur vit que son attaque à l’épaule avait échoué et déplaça sa lame vers le bas pour lui lacérer le dos. Mais les épaulettes d’Oruk étaient cerclées de bords arrondis et la dague s’y bloqua.


À ce moment, un immense tauren qui avait entendu l’appel se jeta sur le voleur. Ils engagèrent un violent combat tandis qu’Oruk était récupéré par ses compères, hissé sur son loup et emmené loin du camp de chasseurs.



-       On a suffisamment perdu notre temps, dit Mauzzag. Cette fois-ci, on rentre.



Sur le chemin, Oruk reprit ses esprits. Il fut durement sermonné par son frère. En sortant de son gilet l’épaulette qui lui avait sauvé la vie, il remarqua la trace de la lame qui descendait jusqu’au petit rebord où elle s’était bloquée.



-       Cet elfe aurait pu te découper en morceaux ! Tu as vraiment de la chance de respirer encore ! asséna son frère pour conclure son sermon.


-       C’est vrai, admit Oruk. Heureusement que j’ai des rebords à mes épaulettes.



Ils entrèrent finalement dans Baie-Du-Butin, les mains vides, épuisés, la mine défaite. Mauzzag descendit du raptor et rentra chez lui.


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