Un monde de glace

Chapitre 26 : Retour à Dalaran

6021 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 04/05/2024 19:19

La pierre de foyer téléporta Gahahli, son Sabre-de-nuit et Batël juste devant la porte des appartements de Harrina. Tant et si bien qu'ils n'eurent qu'à frapper la porte et la pousser.

Ils trouvèrent alors en entrant dans le salon le reste de groupe, tous assis autour d'une table, devant une tasse de thé déjà vidée et visiblement en pleine réunion, avec Harrina dont le dragonnet, baptisé Braise, ne cessait de voleter à travers la pièce.

— Ha, vous voilà enfin ! s'exclama Baelbo dont la voix trahissait l'impatience. Alors, Lili, tu as vu ce que tu voulais voir ?

— Bien plus qu'il n'en fallait, répondit amèrement l'elfe de la nuit lessivée.

— Il ne vous ai rien arrivé de fâcheux, j'espère ? leur demanda Ouladre.

— Rien, aucun incident, lui répondit le nain. Ça a été pratiquement qu'une promenade de santé. Et vous ? Vous faisiez quoi ?

— Nous étions en train de faire le point avant de passer à l'action, répondit sobrement Bartelo.

— Bien ! commenta le nain qui se joignit au meeting tandis qu'Harrina prépara le thé pour les deux derniers arrivants, estimant que cela ne pouvait leur faire que du bien suite aux récents événements.

Gahahli quant à elle, dont le moral était décidément trop bas pour se réjouir d'une telle réunion, se contenta de s'installer sur un pouf, suivant la conversation à distance. Son ouïe était suffisamment fine pour entendre une mouche voler dans l'autre pièce, la distance de la réunion ne fut pas un problème pour elle.

Jakua quant à lui s'en va jouer avec le dragonnet. Ils furent de ce fait les deux seuls êtres dans la pièce à montrer de l'insouciance.

— Alors, quelles sont les nouvelles ? demanda le nain une fois installé.

— Pas très encourageantes, pour ne pas dire catastrophiques, lui répondit le gnome défaitiste.

— Avec ce qui s'est passé au Portail du Courroux, nos effectifs ont considérablement chuté, expliqua le draeneï. Parmi ceux qui en ont échappé, beaucoup souffrent encore de stress post-traumatique.

— Et comme on pouvait s'en douter, le Fléau a renforcé ses défenses pendant qu'on réglait leur comptes aux Réprouvés, poursuivit Bartelo toujours aussi vindicatif. Ils ont scellé le Portail depuis cet incident. Ça risque donc d'être un peu compliqué d'entrer dans la Couronne de Glace.

— Et maintenant que le roi Varian à relancer les hostilités avec la Horde, nos chances de gagner cette croisade sont plus faibles que jamais, commenta amèrement Harrina tandis qu'elle servait le thé. Franchement, ils n'apprendront jamais la leçon ?

La jeune magicienne reçut alors des regards désapprobateur de la part du nain et du paladin qui visiblement n'apprécient qu'on critiquât Varian et sa politique anti-Horde. Le gnome et le draeneï quant à eux se contentèrent de détourner le regard. Gahahli quant à elle la soutenait en silence. Après ce qui s'est passé au Portail du Courroux et à Fossoyeuse une guerre ouverte entre l'Alliance et la Horde semblait inopportun sachant qu'elles étaient toutes deux déjà en guerre contre le Roi Liche. Ils auraient pu attendre d'en avoir fini avec le Fléau avant de déterrer la hache de guerre. Même la jeune elfe de la nuit qui gardait des ressentiments vis a vis de la Horde, notamment des orcs et plus récemment des Réprouvés, savait que c'était une mauvais idée de leur déclarer la guerre dans de tels circonstances et ne pouvait que les mener à la catastrophe.

Cependant, elle en voulait davantage aux Réprouvés d'avoir a ce point envenimer la situation juste au moment où l'Alliance et la Horde approchait de la victoire, où ils avaient convaincu le Roi Liche de sortir de sa tanière. Si le but de leur trahison était d'une faire d'une pierre de coups, ils n'avaient qu'à attendre la fin de la bataille et lancer leur Peste sur les vainqueurs, songea-t-elle. Elle surprit alors de raisonner ainsi comme un traître et craignit alors que les souvenirs d'Arthas n'eurent déteint sur son raisonnement.

Il n'en demeurait pas moins que même dans le camp des Réprouvés, leur action avait fait plus de tort qu'autre chose et d'aucun qualifierait ça de stupidité. Ce qui agaçait la jeune elfe de la nuit pourtant réputée pour n'en faire qu'à sa tête.

— Bon, si je comprends bien, nous ne sommes pas revenu à la case départ, en conclut Batël. La situation est pire que quand cette croisade a commencé.

— Il a donc été convenu de trouver des renforts, reprit la magicienne. Il n'y a que ça qui puisse accroître nos chances de réussites, aussi minimes soient elles.

— Ça ne devrait pas être difficile à trouver, commenta le gnome avec une pointe d'ironie. Puisque le Roi Liche a déclaré la guerre aux vivants...

— Et pourquoi demander de l'aide aux dragons au Temple du Repos de Ver, suggéra Gahahli d'une amertume inhabituelle. Ils ont ete plutôt efficaces pour contrer les Réprouvés et leurs Peste, avec leur puissance de feu. Et puis ils doivent mieux connaître le terrain que nous. Ils pourraient en venir facilement a bout du Fléau...

— Ce serait une idée, lui répondit Harrina. Mais...

— Mais quoi ? s'impatienta l'elfe de la nuit.

— Ils maintiennent que ce combat est le nôtres, qu'ils n'ont pas à s'immiscer dans les affaires des mortels. Ce sont leurs mots, pas les miens.

— "Les affaires des mortels", mais qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre ! s'indigna l'elfe de la nuit. Ça ne les a pas empêché d'intervenir au Portail du Courroux !

— D'après eux, c'était un cas urgence...

— Et l'invasion du Fléau, ça n'en est pas ? s'indigna de plus bel l'elfe qui en renversa de rage sa tasse de thé. Ça ne les affecte pas un minimum que le Fléau cherche à annihiler toute vie dans ce monde ? Monde dont ils prétendent en être les protecteurs ? Mes fesses, ouais ! (Elle jura en elfique)

Le coup de gueule de Gahahli venait de jeter un froid sur le meeting improvisé. Ce n'était certes pas la première fois que l'elfe de la nuit manifestait aussi ouvertement son indignation mais elle ne s'était jamais exprimé avec autant de véhémence. À l'entendre, elle tenait les dragons pour responsables de ce qui s'était passé au Portail du Courroux ainsi que du sort de son père, malgré leur intervention salvatrice.

L'elfe de la nuit se reprit quand elle entendit la dragonnet émettre un cri apeuré, vraisemblablement intimidé par les vociférations de l'elfe et s'en va se réfugier sous la robe de sa maitresse.

Même Jakua qui jouait encore avec le dragonnet deux minutes plus tôt fixait sa "partenaire de chasse" d'un regard accusateur.

— Je... Je suis désolée, tenta-t-elle de s'excuser honteuse. Je ne voulais pas... Les mots ont dépassé ma pensée...

— C'est bon, ça ira, l'interrompit Harrina occupée à rassurer son dragonnet intimidé. Tu n'as pas à te justifier.

D'un claquement de doigt, la magicienne fit léviter la tasse que l'elfe avait renversé dans sa colère et laver le thé étalé au sol avec un chiffon.

— De toutes façons, compte tenu des circonstances, il nous faut des renforts qui soient assurément fidèles à l'Alliance, intervint Bartelo pour revenir au sujet. Il est donc exclu de nous faire appel aux races qui veulent maintenir leur neutralité.

— On peut par conséquent exclure les roharts, aussi sympas soient-ils ajouta Baelbo. De plus, ce sont moins des guerriers que des pécheurs et ce n'est pas la pêche qui nous fera gagner contre les morts-vivants.

— Quant à ceux qui sont hostiles autant à la Horde à l'Alliance, la question se devrait pas se poser, ajouta Ouladre.

— Alors peut-être que vous devrez vous en remettre aux Givre-Nés, suggéra Harrina.

— Qui ça ? demanda le reste du groupe.

— Les Givre-Nés, des nains de givres locaux, leur expliqua la magicienne. Ils vivent dans les Pics Foudroyés, tout au nord d'ici. On sait encore peut de choses à leur sujet mais à l'heure où je vous parle, ils sont en train de se lier d'amitié avec Brann Barbe-de-Bronze et sa Ligue des Explorateurs.

— Des "nains de givres" ? répéta Batël intrigué. Il faut que je fasse leur connaissance. Et s'ils sont deja copains avec Brann et sa Ligue, c'est qu'il ne doit pas ya voir de danger.

— Ce serait une bonne nouvelle ! commenta le draeneï.Y aurait-il d'autres races susceptibles de se joindre à notre cause ?

— Et bien... On a également noté la présence de gnomes mécaniques dans le champs de geyser de la Toundra Boréenne, répondit la magicienne. Mais est-ce qu'ils voudront se joindre à notre cause, c'est moins sûr...

— Par ma moustache, des mécagnomes ! s'exclama Baelbo la tête dans les mains visiblement moins enthousiaste.

— Quelque chose ne va pas ? demanda le draeneï.

— J'ai entendu des choses à leur sujet, s'expliqua le gnome. Comme quoi, à l'origine, nous les gnomes étions tous des êtres mécaniques faits de rouages avant de muter en être de chair et de sang. Personnellement, je ne voulais pas y croire, que ce n'était que des légendes comme quand on raconte que les premiers humains sont fait d'argiles ou une bêtise dans le genre. Mais la présence de mécagnomes semblent me prouver le contraire.

— Et bien ce sera l'occasion de renouer avec tes racines, non ? lui suggéra le nain.

— Si j'accordais le moindre importance à mes "racines", je n'aurais pas quitter Gnomeregan pour étudier la magie à Dalaran, lui rétorqua amèrement le gnome. Et vous parlerez non pas à un mage mais un ingénieur gnome comme il en pullule là d'où je viens.

— Bon ben essaie au moins d'établir le lien avec ces "méca-gnomes" et leur proposer de se joindre à l'Alliance pour lutter contre le Roi Liche et accessoirement la Horde, lui ordonna le nain. Pour ma part, je tiens à rendre visite à mes cousins de givre.

— Je viens avec vous, maître Batël ! se proposa le jeune paladin.

— Et moi je vais accompagner maître Baelbo chez les gnomes mécaniques ! se proposa à son tour le draeneï.

— C'est bien beau tout ça mais ça ne résout toujours le problème de comment pénétrer la Couronne de Glace, s'empressa de rappeler Harrina. Et j'ose espérer qu'aucun de vous n'aura l'idée de frapper ou de sonner à leur porte pour que les morts-vivants vous ouvrent.

— On trouvera un moyen, la rassura le nain. Si l'expérience nous a appris quelque chose ce que même dans la plus imprenable des forteresses, il y a toujours une faille. Suffit juste de la trouver et de l'exploiter.

— J'espère que cette fois on aura pas à passer à nouveau par les égouts, protesta Baelbo. C'est que ça me coûte cher en teinturerie.

Gahahli ne put s'empêcher de rouler des yeux en écoutant son ami gnome se plaindre de devoir passer chez le teinturier pour faire laver ses robes quand bien même le sort d'Azeroth était en jeu.

— Donc voilà qui est réglé, conclut Bartelo. Et toi, Lili, avec qui tu pars ? Batël et moi pour voir les nains de givres ? Ou avec Bilbo et Ouladre voir les gnomes mécaniques ?

Tout le monde attendit la réponse de l'elfe de la nuit mais elle ne répondit pas. Au vu des circonstances, ça lui était égal de suivre l'un ou l'autre des groupes qu'elle pourrait tirer à pile ou face. En fait, ça lui était égal de partir se battre. Le drame du Portail du Courroux, la disparition de son père, la bataille de Fossoyeuse, tous ces événements encore récents lui avait minée le morale et toute motivation. Et c'était sans parler des incessantes visions des crimes passés d'Arthas, toutes plus accablantes les unes que les autres qui n'arrangeaient en rien son moral. Ni son estomac.

— Alors ? insista Baelbo.

— Je... Je ne sais pas, répondit Gahahli incertaine. Je ne sais plus. Je ne sais plus du tout quoi faire.

— Comment ça "tu ne sais plus quoi faire" ? insista le gnome de plus bel.

— Je... Je ne suis pas sûre de pouvoir vous accompagner.

La réponse de l'elfe jeta un nouveau froid sur le groupe. Pour certains ce fut l'incompréhension. Mais pour Baelbo, ce fut l'indignation.

— Alors ça, c'est la meilleure ! cria le gnome. D'abord madame insiste pour qu'on parte combattre le Roi Liche et son Fléau mort-vivant et maintenant qu'on est en pleine situation de crise, tu nous lâches ?

— Je suis désolée, tenta de répondre l'elfe d'une petite voix.

— Baelbo, sois compréhensif ! intervint Harrina prenant la défense de l'elfe. Elle en train de traverser une mauvaise passe. Laisse lui le temps de s'en remettre.

— Parce que nous on s'amuse peut-être ? rétorqua le gnome. À se le geler et risquer nos orteils dans ce continent plus glacial que Dun Morogh ? À combattre des morts-vivants et autres monstruosités qui soit dit en passant ont déjà réduit un néant un voire deux royaumes ? À voir nos frères d'armes mourir sur le champ de bataille comme des moins que rien ? À mettre autant d'effort et subir des sacrifices dans cette croisade pour qu'on se retrouve à la casse départ ?

— C'est vrai ça ! approuva Bartelo. Nous aussi on eu un moment difficile rien qu'au Portail du Courroux. Ce n'est pas une raison pour tout laisser tomber ! On n'est pas des lâches !

— ÇA SUFFIT, LES GARS ! intervint Batël. Il est clair que notre amie ici présente n'est pas en état de poursuivre le combat. Je suis donc d'avis qu'on lui laisse le temps de se remettre de ses émotions. Elle n'aura qu'à nous rejoindre quand elle aura repris du poil de la bête.

— Je partage son avis, approuva Ouladre. Un guerrier qui n'a pas le moral ne peut être que moins efficace sur le terrain qu'une arme défectueuse.

En temps normal, Gahahli aurait objecté à ce qu'on la laissât sur le banc de touche, elle qui ne supportait pas l'idée de se sentir inutile tandis que ces compagnons risquaient leur vie à sa place. Mais il fallait se faire une raison. Elle même reconnaissait ne pas être en état de reprendre le combat. Le moral dans les chaussettes, elle ne ferait que gêner ses compagnons sur le terrain. Et cela, elle détestant tout autant si ce n'était plus que d'être mise à l'écart.

— Ça me navre de vous infliger ça mais je crois que c'est mieux ainsi, dit-elle plus désolée que jamais.

— C'est bon, chérie, la rassura Harrina. Tu peux même rester ici si t'as besoin de repos, j'ai une chambre d'ami à disposition.

— De mieux en mieux ! s'indigna Baelbo de plus bel. Pendant qu'on part se geler les orteils à nouveau, madame se fait traitée comme une princesse parce qu'elle a des états d'âmes ! Et ben en attendant, nous ne sommes pas des mauviettes, nous ! On va reprendre le combat là où on l'a laissé et ce sera tant pis pour la madame !


Voyant ses compagnons quitter le salon d'Harrina, Gahahli sentit son cœur se déchirer. Ce n'était certes pas la première fois qu'elle fut mise en retrait ou laissée sur la touche, le sentiment d'abandon ne lui était pas moins insupportable. Pour autant, elle ne pouvait leur en vouloir étant donné que ce fut sa décision de rester en retrait. Elle en voulait pourtant à Baelbo de ne pas lui avoir témoigné plus de soutien ni de compassion, de la traiter avec autant de froideur et de sarcasme alors qu'elle avait le moral dans les chaussettes, lui qui avait toujours été son ami le plus proche et le plus intime (après Bathris) depuis leur rencontre dans les Paluns. Elle avait conscience que lui-même n'éprouvait aucun plaisir ni dans cette guerre contre le Roi Liche ni dans ce continent aussi froid que la Mort en personne, mais ce n'était pas une raison de se comporter de la sorte. Elle même ne se serait jamais permise d'être aussi irrespectueuse si un de ses amis était dans sa situation.

Il n'en demeurait pas moins qu'elle était de nouveau séparée de son groupe et avec pour seul compagnie son fidèle Sabre-de-nuit, Harrina la maîtresse de maison et son dragonnet de compagnie.

— Alors, ça va, ma grande ? lui demanda chaleureusement la magicienne. T'encaisses le coup ?

Au moins, cela faisait une personne qui la traitait avec un minimum de douceur et de compréhension.

— Je dois dire que j'ai connu des jours meilleurs, lui répondit sobrement l'elfe.

— Je m'en doute, rétorqua la magicienne. Écoute, si t'as besoin de parler, n'hésite pas. Je sais prêter une oreille attentive.

Il était vrai que ces derniers temps, Gahahli avait gardait tant de choses pour elle qu'elle saturait de l'intérieur. Vider son sac, ne fut-ce qu'un peu, à quelqu'un d'attentionné ne pouvait lui faire de mal.

— Je... J'aurais tant aimé que ça s'arrange entre nous... Entre mon père et moi... avant que... ça ne se produise, finit-elle par confier en balbutiant, les larmes commençant à inonder ses yeux.

— Je sais bien, mon cœur, tenta de la rassurer Harrina. Et je pense que lui-même aurait été d'accord.

— Ça n'a pas été facile pour lui non plus, j'imagine ?... Je veux dire, notre dernière dispute...

— Non, ça ne l'a pas été, c'est vrai... Mais il a fini par surmonter, je t'assure... Du moins à son rythme...

— Le pire c'est que... Je ne peux m'empêcher de penser... ce qui lui est arrivé... c'est ma faute...

La jeune elfe de la nuit ne put retenir davantage ses larmes et finit par éclater en sanglot devant son hôte.

— Allons, comment peux-tu penser une chose pareille ? tenta de la calmer la magicienne. On sait toutes les deux qui est responsable de ce qui s'est passé dans cette grotte...

— Je n'aurais jamais dû l'embarquer dans mes aventures, se lamenta l'elfe la voix brisée par ses sanglots. Je n'aurais jamais dû fuguer.. Je n'aurais jamais dû prendre ce fichu bateau... J'aurais dû l'obéir et rester à Teldrassil il y a deux ans... Rien de tout ça ne se serait produit si j'avais fait ce qu'il m'a dit...

— Non, écoute, Lili, je ne peux pas te laisser dire une chose pareille. Pas après ce que toi et tes compagnons avaient accompli ses deux dernières années...

— Mais c'est vrai ! C'est à cause de moi... Si je ne m'étais pas enfui, il ne serait pas parti à ma recherche et aucun de nous n'aurait croisé la route de... qui-tu-sais.

— Avec des si on mettrait Hurlevent en bouteille, ma petite ! Et puis je pense au contraire que tu lui a rendu service en lui désobéissant !

— Comment ça ?

— Oh, il te le dira mieux que moi... pour peu que je retrouve ses notes...

— Quelles notes ?

— Je dois t'avouer quelque chose, peu de temps avant que le Fléau ne lance sa nouvelle invasion, j'avais suggérer à ton père d'écrire ce qu'il comptait te dire pour vous réconcilier. Et je suis convaincu qu'il s'y est mis... du moins avant votre arrivé. Car depuis, je ne l'ai plus jamais revu sur ses notes... Et depuis qu'il... nous a quitté, j'ai beau fouillé la maison, pas moyen de mettre la main dessus. Va savoir ce qu'il en a fait.

— Alors je ne saurais jamais ce qu'il voulait me dire avant de... ?

— Ne désespère pas, je suis certaine qu'il les a simplement mis en sûreté. Reste à savoir où. En tout cas, je reste convaincue que ta désobéissance l'a plus rendu service qu'autre chose. Que cela lui a permis d'explorer de nouveaux horizons dans tous les sens du terme et même... rendu goût à la vie.

— Je lui aurais... rendu goût à la vie ?

— J'en suis même certaine. Autrement, il n'aurait fait ce qu'il a fait dans cette grotte. Certainement une chose qu'il le différenciait de... celui qui fus jadis mon père. D'ailleurs à ce sujet, je peux t'assurer que je cautionne en rien ni ses actions ni ses intentions, que pour moi, il était déjà mort quand Lordaeron est tombé. Et même de son vivant, ce n'était pas vraiment un père chaleureux, affectueux ou même un bon vivant. Et au risque de passer pour quelqu'un avec un cœur de pierre, sa disparition ne m'affecte pas autant que celle de ton père. Au moins grâce à lui, on peut être sûre toutes les deux que cet homme ne fera plus jamais de mal à personne. Et tu peux être fière d'avoir eu un père aussi altruiste et courageux. Et je suis convaincue que lui-même serait fière de ce que tu es devenue et de ce que t'as accomplis entretemps.

— C'est gentil mais... J'aurais tant aimé les entendre de sa propre bouche... Ou au moins lire ses fameuses notes.

— Je ne désespère pas, je les trouverai tôt ou tard. En attendant, je crois que t'as besoin de sommeil, à en juger par les cernes que tu as sous les yeux.

Il était vrai que Gahahli n'avait pas fermé l'œil depuis la disparition de son père, trop marquée encore par les récents événements. Et aussi par peur d'être à nouveau affligée des souvenirs des crimes d'Arthas. Cela aussi avait dû dépeindre sur son moral et sa motivation. Un peu de repos ne pouvait que lui faire du bien. D'autant qu'elle avait moitié moins peur des souvenirs d'Arthas, jugeant qu'elle avait déjà vu le pire de ce qu'il avait commis après Quel'thalas.

— La chambre est juste là et toute prête ! lui indiqua Harrina. Si t'as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas.

L'elfe se massa le ventre, se sentant encore barbouillée par les récents événements et les émotions qu'elle avait dû intérioriser tout ce temps.

— Un pot de chambre, je crois que ça suffira ! répondit-elle.


La chambre d'ami était relativement douillet comparé aux auberge et aux dortoirs de caserne où Gahahli et ses compagnons avaient l'habitude de se reposer entre ses deux aventures. Même sa maisonette à Teldrassil où elle n'avait pas mis les pieds depuis belle lurette — et commençait à lui manquer cruellement depuis que son père n'était plus de ce monde, étant la dernière chose qui la rattachait à ce dernier — avait l'air d'un taudis en comparaison. Elle comportait un lit baldaquin avec un vrai matelas moelleux comme il fallait ainsi que de des draps et des oreillers propres, d'une table de chevet où était posé un magnifique chandelier, une bassine d'eau ornée de runes ainsi qu'un pot de chambre beaucoup trop stylisé pour son utilisation — mais serait pas moins utile pour la jeune elfe, le tout installé sur un tapis bien douillet pour les pieds.

L'elfe de la nuit n'attendit pas que son hôte lui prépara ni diner ni tisane qu'elle s'était débarrassée de tout son équipement et ses vêtements pour se glisser sous les draps. Elle n'avait pas faim de toute façons. Seul Jakua lui tenait compagnie et s'en vint se blottir au pied de son lit. Blottie en position fœtale sous les draps, elle attendit d'être gagnée par le sommeil qu'elle espérait lui être réparateur. Ses pensées étaient toujours concentrés sur son père désormais plus de ce monde et ses propres amis qui commençaient à la délaisser. Et son amant dont elle n'avait toujours aucune nouvelle. Des larmes supplémentaires coulèrent doucement le long de ses joues.

Petit à petit, elle sentit le sommeil la gagner, bercée par les ronflements de son Sabre-de-nuit déjà assoupi. Seuls les sons du félin parvenaient à l'apaiser.

Elle espéra qu'elle ne serait pas à nouveau importunée dans son sommeil par ses horribles visions.


Elle se trompa.


À la tête de son armée mort-vivante plus puissante que jamais depuis qu'elle avait marché sur la cité des elfes, la liche Kel'thuzad pour le seconder, elle se tenait aux portes de Dalaran, sur le point d'assiéger la cité des mages.

Elle avait pour mission de mettre la main sur un certain artéfact, le grimoire de l'ancien Gardien d'Azeroth, Medivh, afin de lancer la seconde phase du plan de "ses maîtres". Ce livre était détenu et farouchement gardé à Dalaran par l'archimage Antonidas et ses confrères du Kirin Tor. D'où sa présence et celle de toute son armée aux portes de la ville.

— Mages du Kirin Tor ! commanda-t-elle en direction des dites portes. Moi, Arthas, premier chevalier de la mort du Roi Liche, je vous demande d'ouvrir vos portes et de capituler devant la puissance du Fléau.

À sa demande, les portes s'ouvrirent et Antonidas se présenta devant elle dans sa robe violette, escorté de deux gardes.

— Salutation, prince Arthas, dit le mage sans âge en caressant avec nonchalance sa fière barbe blanche qui lui descendait jusqu'à la taille. Comment se porte votre père ?

Il était en train de le provoquer.

— Seigneur Antonidas, inutile d'être aussi désobligeant, répondit-elle le plus apathiquement.

C'était comme si l'évocation du meurtre de son père — SON meurtre, commis sans aucune justification — ne lui faisait ni chaud ni froid. Pas plus que tous les meurtres qui avaient suivi.

— Nous attendions votre venue, Arthas, lui prévint toutefois Antonidas. Mes camarades et moi-même avions érigé une aura protectrice qui détruira tous les morts-vivants qui la traverseront.

L'archimage leva son bâton et rendit visible l'aura en question, enveloppant toute la cité telle une bulle et s'érigeant à tout juste un mètre d'elle de sa monture squelettique.

D'un signe de tête, elle ordonna à une de ses goules, un de ses démons des cryptes et une des ses Abominations de traverser l'aura magique pour tester. Les trois unités lui obéirent sans poser de question comme à leur habitudes... et furent intégralement désintégrées au contact de la barrière qui demeura intacte.

Elle fulmina face à cette obstacle de taille.

— Votre magie insignifiante ne m'arrêtera pas, Antonidas ! clama-t-elle revancharde.

— Retirez vos troupes, ou nous serons obligés de déployer toutes nos forces contre vous ! lui avertit Antonidas avant de se téléporter avec ses gardes à l'intérieur de sa citadelle. Faîtes votre choix, chevalier de la mort !

Elle ne se laissa pas décourager pour autant. Kel'thuzad eut tôt fait de lui révéler qu'il avait détecté les mages qui maintenaient l'aura. En les trouvant et en les tuant, l'aura allait s'affaiblir jusqu'à s'effondrer complètement.

Elle prit alors avec elle les membres non-mort-vivants de son armée, à savoir les nécromanciens et les cultistes du Culte des Damnées pour pénétrer la cité avec force, suivi de Kel'thuzad dont la magie imprégnée dans le Puits du Soleil l'immunisait contre celle du Kirin Tor.

Ils vinrent vite à bout du premier archimage, parvenant ainsi à fragiliser l'aura protectrice et permettant à certains morts-vivants de pénétrer la cité. Afin de grossir leurs rangs et d'ainsi d'équilibrer les forces, en plus relever les victimes en mort-vivants avec la nécromancie, ils libérèrent par la même occasion des créatures, notamment des golems de guerre, retenues au Fort Pourpre, la prison magique de Dalaran.

Bientôt ce fut au tour du second archimage de tomber, puis d'Antonidas retranché dans la Citadelle Pourpre, le siège du Kirin Tor. Submergé par le nombre grandissant de ses assaillants, le vieil archimage et chef du Kirin Tor finit par tombé à son tour, laissant ainsi sa ville à la merci du Fléau... et le livre tant convoité de Medivh à portée de main.

— Je souffre même de vous regarder, Arthas, se lamenta Antonidas agonisant.

— Je serais heureux de mettre fin à vos tourments, vieil homme, rétorqua-t-elle implacablement en achevant le vieux mage. Je vous ai dit que votre magie ne pourrait m'arrêter. (Elle se tourna vers Kel'thuzad) Le grimoire est à vous, liche. Prenons le et partons avant que les mages survivants ne se regroupent pour leur contre-offensive.

Kel'thuzad se fit pas prier et s'empara dudit grimoire.


Une heure plus tard, son armée avait déserté Dalaran et s'était regroupé sur une colonne qui surplombait la cité.

Kel'thuzad avait soigneusement étudié le livre de Medivh pour préparer son rituel d'invocation tandis que leurs subordonnés s'étaient chargé de prépare le cercle d'invocation selon les instructions de la liche.

— Sa connaissance des démons est stupéfiante, commenta Kel'thuzad. Je soupçonne qu'il était bien plus puissant que quiconque ne l'aurait jamais été.

Le démon Tichondrius, chargé de veiller au bon déroulement des opérations, apparut soudain et vint mettre son grain de sel :

— Pas assez pour échapper à la mort, c'est certain. Il va sans dire que nous terminons aujourd'hui le travail qu'il a commencé. Que l'invocation commence !

La liche ne se fit à nouveau pas prié et entra dans le cercle d'invocation, commençant ainsi son rituel.

Au même moment — et comme elle l'avait redouté lors de leur victoire à Dalaran, le Kirin Tor vint de lancer une contre-offensive avec les mages survivants et plusieurs renforts de l'Alliance. Et ils étaient suffisamment nombreuses pour frapper l'armée mort-vivante qui venait de mettre à sac la cité des mages et interrompre la liche dans son rituel d'invocation. S'ils gagnaient, tous leurs efforts, tous ces sacrifices et ces tueries auront été vains.

— Défendez Kel'thuzad à tout prix ! ordonna-t-elle à ses subalternes. L'invocation ne doit pas être interrompue !

Le combat opposant le Fléau au Kirin Tor reprit alors à l'extérieur de Dalaran, plus violente que jamais.

Malgré les efforts des forces mort-vivantes, le Kirin Tor gagnait dangereusement du terrain quand le ciel s'assombrit et prit un ton rouge, signe que la barrière entre le monde des démons et celui des mortels était en train de tomber. Bientôt des gangrechiens et des Infernaux firent leur apparitions sur le cercle d'invocations de Kel'thuzad et vinrent se joindre au Fléau pour repousser les forces du Kirin Tor.

La bataille tourna en faveur du Fléau — ou plutôt de la Légion Ardente pour qui avait servi les récentes attaques sur Lordaeron, Quel'thalas et Dalaran, pour qui le Fléau avait pour mission de préparer le terrain avant de lancer la vraie invasion, celle qui plongera Azeroth dans les flammes et le chaos.

Puis enfin, Kel'thuzad parvint à la fin de son rituel. Son cercle s'illumina d'un vert fluorescent.

— Venez, seigneur Archimonde ! clama la liche en quittant le cercle brillant. Entrez dans ce monde et laissez nous savourer votre pouvoir !

Des flammes verdâtres jaillirent aussitôt du cercle jusqu'au ciel rougeoyant avant de faire place à un démon colossale au regard implacable et aussi incandescent que les flammes qui venaient de le faire apparaître, le seigneur Archimonde en question.

— Tremblez et perdez espoir, mortels ! clama le démon qui foula le sol d'Azeroth de ses sabots fendus. Votre monde touche à sa fin ! (il se tourna vers son invocateurs) Vous avez bien travaillé, petite liche. Mon plan a parafaitement fonctionné.

— Seigneur Archimonde, toutes les préparations sont faites, intervint le démon Tichondrius.

— Très bien, Tichondrius, complimenta Archimonde. Maintenant que le Roi Liche ne m'est plus d'utilité, vous autres Seigneurs de l'Effroi allaient commander le Fléau.

— Il en sera fait selon vos désirs, seigneur Archimonde, le remercia obséquieusement Tichondrius.

— Je lancerai bientôt l'invasion, reprit le seigneur démon. Mais d'abord, je vais faire un exemple de ces pathétiques magiciens... en réduisant leur cité en cendres et l'effacer de l'histoire.

Le démon Archimonde entama alors un nouveau rituel, marmonnant un discours en langage démoniaque, dessinant un cercle magique sur le sol d'où il reproduit la cité de Dalaran en contrebas avant de la démolir tel un enfant écrasant les pâtés de sable qu'il avait lui même réalisé, provoquant ainsi la destruction de Dalaran qui depuis la colline s'effondre tel un château de cartes.

Elle se contenta d'observer la scène, frustrée de s'être fait retiré le commandement des troupes après tout ce qu'elle avait fait pour ces démons ingrats, ces monstres qu'elle servait depuis qu'elle s'était faite chevalier de la mort et condamné son propre royaume.

— C'est une plaisanterie ? pesta-t-elle rageusement. Que va-t-il advenir de nous ?

— Soyez patient, jeune chevalier de la mort, la rassura Kel'thuzad. Le Roi LIche l'avait également prédit. Vous avez probablement encore un rôle à jouer dans son grand dessein.


Ce fut alors sur la vision de la destruction totale de Dalaran que Gahahli se réveilla, à nouveau en sueurs, le souffle coupée et tellement nauséeuse qu'elle s'empressa de se saisir du pot du chambre pour dégobiller.

À son grand soulagement, elle était toujours dans une chambre de Dalaran reconstruite entretemps et flottant dès lors dans les cieux du Norfendre, à quelque pas de la sinistre demeure de celui qui en avait causé la destruction quelques années auparavant.

Cela lui fit un drôle d'effet de se voir causer un carnage dans une ville qu'elle occupait en ce moment même et d'assister à sa destruction sachant que ça s'était produit dans le passé.

Et dire que Baelbo avait été aux premières loges quand c'était arrivé, qu'il avait vu son ancien maître périr des mains d'Arthas et vu la cité qui l'avait recueilli s'effondrer en claquement de doigt. Pas étonnant qu'il était aussi amère de se retrouver dans cette guerre qui ne faisait que de lui rappeler de cruels souvenirs.

Mais ce souvenir en particulier fut une révélation choc pour Gahahli.

Depuis le début, la Peste dans Lordaeron, l'expédition d'Arthas au Norfendre et sa descente aux enfers, les massacre des elfes à Quel'thalas et enfin la destruction de Dalaran, tout ça n'avait nul autre but que servir à l'invasion de la Légion Ardente. Cette même invasion qui avait engendré celle de Kalimdor, la corruption des orcs et surtout, le massacre des elfes de la nuit et la quasi-destruction d'Orneval, sa forêt natale. Sans parler de la disparition de sa mère encore enceinte d'un potentiel petit frère ou petite sœur. Et tout ça alors que le Roi Liche, encore à l'époque une entité dissociée d'Arthas nourrissait d'autres projets que de servir la Légion.

En d'autres termes, toutes ces souffrances que Gahahli et ses semblables avaient enduré à cette époque, les pertes aussi tragiques qu'inutiles qu'ils avaient subi, elle les devait... Non, ils les devaient à Arthas et au Roi Liche qui avaient délibérément ouvert les portes de l'enfer quand ils pouvaient asservir le monde sans l'aide des démons, juste pour leur propres comptes.

Et pour cela, ils allaient le payer.

Ou plutôt, il allait le payer.

Dire qu'au commencement de cette croisade, on avait demandé à la jeune elfe quel intérêt elle ou ses semblables avaient à s'y joindre, vu qu'ils n'avaient pas encore intégré ni même connu l'Alliance quand Arthas avait commis de tels atrocités, prétextant que ce n'était pas sa guerre ni celle des elfes de la nuit.

Mais pour Gahahli, après ce qu'elle venait de voir, il était évident que c'était aussi sa guerre que pour n'importe quel rescapé de Lordaeron, de Quel'thalas ou de Dalaran.

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