Un monde de glace
À peine le groupe avait atterri aux portes de la cité de Lordaeron que Gahahli fut à nouveau frappée d'un souvenir d'Arthas. Cela ne s'était pas produit depuis la veille du désastreux assaut au Portail du Courroux.
De nouveau elle se retrouva dans le corps d'Arthas avec toujours la sensation de ne plus être que spectatrice de ses faits et ses gestes, comme si quelque chose d'autre avait pris le contrôle de ce corps.
Les cloches annonçant son retour triomphant du Norfendre sonnaient et retentissaient dans toute la cité tandis qu'elle entra dans la cité, plus resplendissante que jamais maintenant que le mal qui affligeait son royaume avait été "éradiqué".
Accompagnée de deux mystérieux gardes encapuchonnés et armés de hallebarde, elle traversa les portes et la cour d'entrée, se dirigeant vers le donjon tandis qu'on baissât le pont-levis à son approche.
Du haut des remparts de l'allée la guidant vers la salle du trône, la foule l'acclama et lui jeta des pétales de fleurs de sur son passage. On l'acclamait en héros.
S'ils avaient la moindre idée du sort qui allait leur être réservé avec son retour...
Elle en attrapa une de pétales qu'on lui lançait, la frotta distraitement entre ses doigts jusqu'à la voir se décomposer dans sa main avant de la jeter avec dédain et de continuait sa route vers la salle du trône.
Elle poussa les portes avec force et entra d'un pas décidé dans une grande salle circulaire et éclairés aux multiples alcoves. Au fond, assis sur son trône, son pére le roi Terenas l'attendait.
Elle s'agenouilla devant lui tout en présentant Deuillegivre tandis que le vieux roi, visiblement septuagénaire, se leva péniblement de son siège et l'accueilla en tendant chaleureusement ses bras.
— Ah, mon fils ! lui dit le roi. Je savais que vous serez victorieux...
Malgré son accueil chaleureux, elle ne prêta guère attention aux louanges de son vieux père. Car ses paroles étaient couverts par les murmures émanant de l'épée qu'elle seule pouvait entendre et lui soufflait ce qu'elle devait dire et penser.
— Vous n'avez plus à vous sacrifier pour votre peuple, murmurait-elle tandis que son père continuait de la féliciter. Vous n'avez plus à supporter le poids de votre couronne. Je me suis occupé de tout.
Elle se releva, retira la capuche cachant ses cheveux blanc et avança d'un pas décidé vers le trône, Deuillegivre à la main. Elle agrippa son vieux pére d'un main ferme et le força à s'agenouiller devant elle, tandis que ses gardes allaient "s'occuper" des gens présents dans la salle.
— Qu'est ce que... ? Que faites vous mon fils ? demanda le roi déconcerté.
— Je prends la succession, pére.
Ce furent les mots qui sortirent de sa bouche tandis qu'elle leva son épée, la lame pointé sur la poitrine de son pére.
Comprenant ce qu'elle fut sur le point de faire et lisant la terreur dans les yeux du roi Terenas, elle lutta pour tenter de reprendre le contrôle de son corps et l'empêcher de commettre l'irréparable mais en vain. Elle ne pouvait que crier à elle même :
"Qu'est-ce que tu fais ? Non, arrête ! Ne fais pas ça ! Non... NON !!!!!"
Elle venait de planter jusqu'à la garde la lame runique de Deuillegivre dans le cœur de son pére et regardait la vie s'éteindre dans les yeux de ce dernier, le visage figé par l'horreur et l'incompréhension. Puis elle retira l'épée aussi brutalement qu'elle l'avait planté et vit la couronne ensanglanté de son père rouler et se briser sur le sol.
Tandis que le corps du roi Terenas gisait à ses pieds, elle déclara d'une voix forte :
— Ce royaume va tombé et de ses cendres, naîtra un nouvel ordre qui secouera les fondations même de ce monde.
Lorsqu'elle revint à elle, elle se surprit à quatre pattes et le souffle coupé, des larmes coulant le long de ses joues dans la même salle du trône qu'elle était dans le souvenir d'Arthas. Hormis Jakua qui l'observait avec attention depuis un coin de la pièce, elle était seule.
La pièce était identique à ce qu'elle venait de voir, à la différence qu'elle ne fût plus aussi lumineuse que dans le souvenir. Elle était même davantage dans la pénombre. Mais le trône, bien que vacant depuis des lustres était toujours à sa place depuis que le roi Terenas s'en était relevé pour la dernière fois.
Sur le sol, non loin de ses mains, la jeune elfe de la nuit reconnut avec effroi les traces laissées par la couronne de Terenas, les traces de son propre sang.
Elle avait l'estomac plus retournée que d'habitude. Lorsqu'elle était dans le souvenir d'Arthas, elle avait vraiment eu la sensation qu'elle venait d'assassiner son propre père, bien qu'elle sachant pertinemment que son pére était décédé d'une manière complétement différente. Mais le simple souvenir qu'elle venait de perdre son propre père ne fit rien pour arranger le malaise qui l'habitait.
Elle venait d'assister à un acte non seulement de régicide mais surtout de parricide et s'étant déroulé bien qu'elle ne découvrît l'existence de la Horde ou de l'Alliance. Et tout ça pour quoi ? Parce qu'Arthas était tant pressé de monter sur le trône qu'il ne pouvait pas simplement attendre que son père décédât ou lui remît de lui même sa couronne ? Pour le pouvoir ? Et même dans ce cas, pourquoi condamner son propre royaume à la ruine ? Ce même royaume pour lequel il était à sacrifier son âme pour le sauver ?
Non, ça ne tenait pas de debout. Arthas avait peut-être eu recours à des méthodes extrêmes, il ne serait jamais allé jusqu'à prendre son propre royaume en traître. Pas après avoir mis tant d'effort et fait tant de sacrifices pour le sauver. Cela n'avait pas de sens. Quelqu'un ou quelque chose s'était servi de lui et lui avait lavé le cerveau pour qu'il commît une telle atrocité. Gahahli ne voyait pas d'autres explications. Restait à savoir dans quel but ? Et surtout quel intérêt ?
Il y avait encore tant de choses qui échappait à la compréhension de la jeune elfe de la nuit.
— Hé, Lili, tout va bien ?
Elle sursauta tandis qu'elle reconnût la voix de Baelbo et vit le reste du groupe ainsi que Jaina se tenir à l'entrée de la salle — celle là même qu'Arthas avait franchi pour assassiner son propre père — et la fixaient d'un air perplexe.
— On t'a entendu crier à l'extérieur, expliqua Bartelo.
— Nous avions cru que nous étions en train de vous assassiner, ajouta Ouladre.
— Je n'ai rien, ne vous en faites pas, les rassura la jeune elfe en leur mentant à moitié. J'ai juste... J'ai vu... J'ai cru voir un fantôme.
— Ce ne serait pas étonnant quand on sait qui occupe ces lieux, commenta Batël.
— Justement à ce propos, on ne devrait pas s'éterniser ici, intervint Jaina. Pas encore après la scène que nous a fait notre "bon" roi.
Le groupe ne se fit pas prier et quitta les lieux aussi vite qu'ils purent. Gahahli risqua un dernier regard à la salle du trône qu'elle était en train de déserter avant de demande à Jaina :
— Ma dame, c'est bien dans cette salle a... A commis ... ?
— Oui, lui répondit la jeune archimage brusquement, comme si le sujet la contrariait. A ce qu'on raconte.
— Est-ce que... Vous étiez présente quand... ?
— Par la Lumière, non ! répondit Jaina. Et je crois bien que j'ai mieux ainsi. Jamais je n'aurais pu supporter... le voir... commettre un tel acte.
Et pourtant, la jeune elfe de la nuit venait d'y assister il y avait à peine deux minutes.
Le groupe se retrouva à nouveau aux portes des ruines de la cité quand Baelbo déclara :
— Bon, on dit qu'on retournait à Dalaran illico presto alors que tout le monde active sa pierre de foyer.
Chaque membre du groupe sortit sa pierre, à l'exception de Gahahli qui se tenta de tâter le fond de sa sacoche afin de s'assurer qu'elle avait bien la sienne.
— Quelque chose ne va pas, dame Gahahli ? demanda Ouladre ayant remarqué l'air hésitant de l'elfe. T'as pas ta pierre ?
— Si si, je l'ai mais... Vous n'avez qu'à partir devant, je vous rejoindrai plus tard, répondit l'elfe de la nuit.
— De quoi ? s'étonna Bartelo. Mais qu'est-ce que tu vas faire, là ? Qu'est-ce qui te retient ?
Devant les regards insistants et incrédules de ses compagnons, Gahahli eut à peine le courage d'expliquer ses raisons, n'ayant pas encore eu l'occasion de leur expliquer pour ces visions. Elle se contenta alors d'être évasive :
— Et bien je... Comment dire ? Je n'ai pas eu l'occasion d'explorer davantage Lordaeron... Je veux dire, la dernière fois, nous étions dans l'urgence, nous avons traversé ses terres en coup de vent et...
— Non mais Lili, nous sommes en guerre ! intervint le gnome. Tu crois vraiment que c'est l'occasion de faire du tourisme ?
— Je sais que ce n'est pas le bon moment mais... Je tiens tout de même a voir de mes propres yeux les dégâts qu'à causé Arthas avant de devenir le Roi Liche, se justifia l'elfe de la nuit. Puisque nous sommes sur les lieux de ses crimes, autant en profiter avant de retourner au front !
— Ah mais t'en as de bonnes, toi ! s'impatienta Baelbo. D'abord t'insistes pour qu'on s'enrôle dans cette croisade sur le pire continent qui existe sur cette terre et maintenant tu veux inspecter des scènes de crimes qui datent d'environ sept ans ?
— Je ne vous demande pas de m'accompagner, rétorqua Gahahli sur la défensive. Ça n'engage que moi.
Le gnome à bout de patience fut sur le point de répondre quelque chose de cinglant mais fut interrompu par Batël :
— Ça suffit, maintenant ! Gamine, si tu insistes tant, laisse au moins un vieux vétéran de guerre boiteux te servir de garde du corps. Ces terres maudites ont longtemps sous le joug du Fléau depuis la chute de Lordaeron et le sont toujours, alors on est jamais trop prudent.
— Dans ce cas laissez moi vous servir de guide, se proposa à son tour Jaina. J'ai deja arpenté ces terres quand je n'étais qu'une apprentie mage.
— C'est trop aimable à vous, répondit Gahahli touchée par autant d'attention a son égard. Je n'en demandais pas tant pourtant.
— Mais c'est naturel, après ce que vous tous avez fait pour l'Alliance, lui répondit aimablement la jeune archimage. Vous ainsi que... votre père. Toutes mes condoléances à ce sujet.
— Je vous en prie, rétorqua l'elfe gênée.
— Et nous alors ? demanda le gnome toujours a bout de nerf.
— Vous autres, vous faites comme bon vous semble ! répondit le nain avec autorité. On se retrouvera à Dalaran quand... Lili aurait vu ce qu'elle voulait voir.
— C'est promis ! confirma l'elfe de la nuit.
Aprés que le reste du groupe ait activé leur pierre de foyer pour rentrer à Dalaran, non sans afficher leur mécontentement pour certains, le trio improvisé (si on faisait exception du Sabre-de-nuit) composé de Gahahli, Batël et Jaina Portvaillant prirent la route vers l'est, dans les Maleterres. Leur destination, d'après les voix dans la tête de la jeune elfe qui lui en répétait le nom, était la tombe d'Uther le Porteur de Lumière, aux alentours du village d'Andorhal et ne fut pas sans surprendre le nain et la jeune archimage.
Comme il avait ete convenu, Jaina ouvrit la marche, étant la plus familière à ces terres désolées malgré les ravages causés par le Fléau.
Le petit groupe resta sur ses gardes durant la marche, sachant pertinemment que ses terres maudites regorgeaient de morts-vivants, du Fléau ou autre, qui les avaient occupés durant des années. D'autant que Gahahli avait la désagréable impression qu'on les suivait depuis les ruines de la cité.
— 'Faut pas en vouloir à Bilbo, intervint Batël avec sa manie d'écorcher le nom du gnome, arrachant ainsi l'elfe de ses pensées. Il est nerveux à force de combattre des morts-vivants à longueur de temps, particulièrement ceux qui l'ont contraint à abandonner Dalaran et il souhaite en finir au plus vite.
— Mais je ne lui en veux pas, répondit Gahahli un peu sur la défensive, connaissant pertinemment la triste histoire du gnome. J'aurais juste apprécié qu'il se soit montré plus compréhensif.
— Cela étant dit, j'aimerais que tu m'expliques ce qui t'arrive, l'interrompit soudain le nain.
— De... De quoi parles-tu ? demanda l'elfe de la nuit prise au dépourvue.
— Fais pas l'innocente ! insista le nain. Ces derniers temps, t'es de plus en plus distante. Tu te nourris à peine. Tu n'arrêtes pas de dégueuler. T'as le sommeil agité. Tu vois des fantômes... que t'es la seule a voir. Et je ne parle pas de tes petites escapades improvisés, en territoire hostiles qui plus est ou encore de tes... (Il parla a voix basse pour ne pas être entendue de l'archimage) fréquentations que je qualifierai de louches.
La jeune elfe sentit la peur monter en elle, comprenant ce a quoi le nain faisait allusion. Elle rétorqua sur la défensive :
— Je suis en train de traverser une mauvaise passe, en ce moment. Alors s'il-vous-plaît...
— Pas la peine de me mentir ! l'interrompit Batël. Je sais que ça a commencé avant le bordel qu'il y a eu au Portail du Courroux. Alors je voudrais savoir... Aurait-ce un lien avec... ce que tu as trouvé sous Azjol-Nérub ? L'espèce de cristal rouge dans la flotte ?
Gahahli comprit qu'il faisait allusion au cœur de glace et ne put que répondre évasivement :
— Je... Je n'en suis pas encore sûre... Mais c'est bien possible. ... Il me manque encore des pièces au puzzle...
— Et j'imagine que ce sont ces "pièces" que tu recherches en réalité.
L'elfe de la nuit de contenta d'acquiecer silencieusement.
Ils arrivèrent finalement à la ville fantôme (au sens propre comme au figuré)d'Andorhal qui regorgeait encore plus de morts-vivants depuis que les aventuriers l'avaient traversé rapidement pour atteindre Pestebois quand le Fléau avait lancé son invasion.
Du temps d'Arthas, cette ville comptant parmi les plus grandes de Lordaeron étaient réputée pour être la principale distribution agricole de la région. Depuis la chute de Lordaeron, il n'en restait que des maisons abandonnées, délabrées et sinistres que Jaina observait avec tristesse.
D'après la jeune archimage, ce fut dans cette ville que la Peste avait commencé à faire des ravages en empoisonnant le grain qui y était récolte et distribué. Pour cause, l'enquête qu'elle avait à l'époque avec le prince de Lordaeron les avait conduit dans cette bourgade où ils avaient affronté et réduit au silence le nécromancien Kel'thuzad.
Mais ce qui intéressait le groupe ne fut pas tant le village que ce qu'il y avait de l'autre côté, plus au sud. Plus précisément de l'autre côté de la rivière au bord de laquelle Andorhal avait été établi.
Traverser la ville aurait été trop imprudent avec tous les morts-vivants qui y vadrouillaient et le petit groupe avait déjà suffisamment donné lors de la bataille de Fossoyeuse. Ils devaient économiser leur force pour celle qu'ils allaient poursuivre au Norfendre. Ils prirent donc la décision de contourner la ville fantôme. Arrivés à la rivière sud, Jaina créa un chemin de glace à même l'eau, permettant au petit groupe de traverser sans risques.
Ils atteignirent finalement la fameuse tombe d'Uther, un splendide mausolée établi au sommet d'une colline et dans laquelle trônait une statue à l'effigie du paladin mort pour Lordaeron, inspirant le respect à elle toute seule. D'après Jaina, cette terre et ce monument sacrée fut le dernier bastion de la Lumière dans une terre mourante.
Sur le socle de la statue, on pouvait lire gravé sur une plaque :
"Ci-gît Uther le Porteur de Lumière
Fondateur de l'Ordre de la Main d'Argent
Uther a vécu et est mort en défendant le royaume de Lordaeron. Malgré la trahison perpétré par son apprenti le plus apprécié et le plus prometteur, son esprit perdure dans nos cœurs. Tandis que les ombres se rapprochent de ces terres dévastés, il continue de veiller sur nous. Sa lumière et celle de l'humanité. Et aussi longtemps que nous honorons son exemple, celle-ci ne s'éteindra jamais.
— Un anonyme"
Bien que n'ayant jamais connu Uther de son vivant, Gahahli reconnut le vieux paladin d'entre milles en contemplant la statue, grâce aux souvenirs d'Arthas. De ce fait, elle ressentie un curieux pincement au cœur, comme si elle allait se recueillir sur la tombe d'un vieil ami qu'elle aurait seulement connu dans une vie antérieure.
Et puis elle fut frappée par une nouvelle vision.
Chevauchant un cheval squelettique qui fut autrefois le chevalier d'Arthas, elle marchait sur le village d'Andorhal, accompagnée d'une armée de goules et de nécromanciens à ses ordres ainsi que les acolytes du Culte des Damnés qu'elle venait de réformer aprés la chute de Lordaeron.
Elle suivait désormais les instructions du Seigneur de l'Effroi Tichondrius, un démon de la même espèce que Mal'ganis, qui depuis l'assassinat du roi Terenas lui faisait office de porte-parole du Roi Liche.
Elle venait de profaner la tombe de Kel'thuzad, pourtant gardée par ses anciens confrères de l'Ordre de la Main d'Argent, afin de récupérer la dépouille du nécromancien qu'elle avait elle-même réduit au silence quelques mois plus tard. Elle avait désormais pour mission de le ressusciter, tel était la volonté du Roi Liche, son seul et unique maître.
Pour ce faire, elle allait devoir voyager jusqu'à Quel'thalas, au Puits du Soleil dont seule l'énergie peut ramener Kel'thuzad à la vie. Or, la dépouille du nécromancien s'était gravement décomposée, en trop mauvais état pour supporter le voyage jusqu'au royaume des hauts-elfes. Elle allait avoir besoin d'une urne très spéciale pour y placer la dépouille en sécurité en attendant d'atteindre le puits des elfes. Une urne qui selon les dires de Tichondrius, était jalousement gardé par les chevaliers restant de la Main d'Argent.
Traversant le village avec son armée de morts-vivants grandissante a mesure qu'elle faisait des victimes, elle décima implacablement les résidents, sans faire la moindre distinction entre les soldats et les civils ni le moindre remord envers les victimes. Pourtant, en son for intérieur, une petite voix lui suppliait d'arrêter, lui rappelant qu'elle la massacrait ses sujets, les mêmes qu'elle s'était évertuée de défendre du Fléau. Mais la "petite voix" avait beau crier, elle ne l'ignorait royalement. Pire, les vies qu'elle prenait et absorbait via la lame runique de Deuillegivre accroître sa force et sa puissance, la rendant davantage sourde et insensibles aux supplications de la "petite voix".
À la sortie du village, son escouade trouva le campement de la Main d'Argent où l'urne tant convoité était gardé et où se tenait son ancien mentor, Uther.
— Votre père a régné sur cette terre pendant soixante-dix ans et vous l'avez réduit en poussière en seulement quelques jours, lui dit-il à son approche, le ton et le regard accusateurs, la voix tremblante et les yeux larmoyant de rage.
— Vous êtes bien dramatique, Uther, lui répondit-elle avec condescendance. Donnez-moi l'urne et je vous promet une mort rapide.
— L'urne contient les cendres de votre père, Arthas ! vociféra le vieux paladin plus indigné que jamais. Vous comptez les souiller une nouvelle fois avant de laisser pourrir son royaume ?
— J'ignorais ce qu'elle contenait, répondit-elle avec un gloussement d'indifférence. Cela n'a pas d'importance. Je prendrais ce que je suis venu chercher d'une manière ou d'une autre.
S'ensuivit alors une courte mais non moins terrible bataille entre l'armée de goules et les chevaliers restant de l'Ordre de la Main d'Argent pour l'urne royale. Submergé par le nombre d'assaillants, les chevaliers tombèrent l'un après l'autre. Uther fut le dernier encore debout, autant grâce à sa dévotion que la rage qui l'animait. La trahison de son apprenti qu'il devait considérer comme un fils avait dû profondément le briser. Ce fut finalement l'épuisement et le désespoir qui le terrassèrent lorsqu'il tomba à genoux, à la merci de son ancien apprenti.
Elle s'apprêta à lui donner le coup de grâce quand Uther la défia une dernière fois :
— J'espère de tout mon cœur qu'une place spécial vous attendra en enfer, Arthas.
— Nous ne le saurons peut-être jamais, Uther, répondit-elle avec indolence tandis qu'elle égorgeait son ancien mentor. J'ai l'intention de vivre éternellement.
Puis elle s'empara de l'urne pour laquelle elle avait versé tant de sang, ignorant la "petite voix" qui s'indignait des crimes qu'elle venait de commettre, autant envers Uther qu'aux cendres de son père dont elle avait elle-même ôté la vie.
L'urne contenant les restes de Kel'thuzad, son trajet pour Quel'thalas pouvait commencer.
Gahahli revint à elle, en sueurs et le souffle coupé comme à son habitude. Et surtout estomaquée par ce qu'elle venait de voir.
Mais aussi perplexe. Qu'Arthas ait commis des crimes aussi effroyables sans le moindre remord était une chose. Mais qu'il suivait les indications d'un démon de la même espèce que celui qu'il avait traqué au Norfendre et que le Roi Liche lui-même l'avait incité à supprimer dépassait son entendement. D'autant que cela n'avait pas l'air déranger ledit démon d'être de de connivence avec ceux ayant trahi et assassiné un de ses confrères. Et pourquoi ce faisait-il le porte-parole du Roi Liche ? Arthas ne pouvait-il pas entendre la voix de l'entité via Deuillegivre comme l'avait indiqué l'autre démon ? Décidément, plus elle en savait, moins elle comprenait. Tout cela n'avait aucun sens pour elle.
— Vous allez bien ? demanda la voix inquiète de Jaina.
Gahahli se rappela aussitôt qu'elle n'était plus seule, que Batël ainsi que la jeune archimage brusquement avaient dû la voir en transe. Un détail qu'elle avait complétement négligé en acceptant leur compagnie.
— T'as encore vu un fantôme, c'est ça ? lui demanda le nain inquisiteur.
— Je... Oui... On peut dire ça, répondit la jeune elfe évasivement.
Elle dût se contenter de ce demi-mensonge pour le moment, ne sachant comment leur expliquer les visions qu'elle avait des crimes passées d'Arthas.
— Après qu'il ait assassiné Uther, volé la dépouille de Kel'thuzad et profané les cendres de son père, il a bien pris la route pour Quel'thalas, n'est-ce pas ? demanda-t-elle d'un ton faussement dubitatif.
— C'est exact, malheureusement, lui répondit Jaina. Et les pauvres hauts-elfes en ont payé le prix fort.
— Alors c'est là bas que je dois me rendre, confessa Gahahli.
— À Quel'thalas ? s'exclama le nain incrédule. Chez les elfes de sang ? Mais t'es cinglée ou quoi ?
— Vous m'ôtez les mots de la bouche ! intervint une voix familière.
Il s'agissait de Sonulia — que l'elfe de la nuit et le nain ne connaissaient toujours que sous son nom de code, "Belette".
Surpris par l'elfe de sang, Gahahli et Batël sortirent leurs armes tandis que Jaina, craignant de devoir interrompre une nouvelle altercation, prépara ses sorts.
— Hé là, doucement, je ne vous veux aucun mal ! se défendit l'elfe de sang en présentant ses mains grandes ouvertes. Je veux juste... savoir ce que vous mijotez à errer sur ces terres.
Gahahli devina alors que ce devait être cet elfe de sang encapuchonnée qui les avait suivi depuis la cité de Lordaeron et dont elle avait senti la présence tout au long du chemin.
— Quoi que nous fassions, ce ne sont pas tes oignons, finit par répondre sèchement le nain méfiant.
— Ah vraiment ? reprit Sonulia. Je viens pourtant d'entendre "cheveux bleus" à l'instant de se rendre à Quel'thalas. Juste ma terre natale et...
— Je t'assure que je n'ai aucune intention hostile vis a vis de ton peuple, intervint soudain Gahahli. Je dois seulement... voir de mes propres yeux... les dégâts que le Fléau vous a infligé. C'est là la raison de ma... De notre présence sur ces terres.
Sonulia écarquilla les yeux de surprise tant la motivation de l'elfe de la nuit la laissait pantois.
— T'es vraiment sûre de toi, "cheveux bleus" ? lui demanda-t-elle. Parce que je te rappelle qui ni toi ni tes semblables ni aucun de l'Alliance n'êtes les bienvenus, là d'où je viens. Et après la scène que nous a fait votre roi à Fossoyeuse...
— On ne va pas vous causer de problème, insista l'elfe de la nuit. Je veux juste un aperçu et nous nous retirerons par la suite. Vos compatriotes ne sauront rien de notre intrusion.
— Dans ce cas, il vous faudra un guide, en conclut l'elfe de sang fataliste. Et t'as pas intérêt à le faire regretter ma décision.
Ainsi, guidés par Sonulia, ils reprirent la route le royaume des elfes de sang, passant par le même chemin qu'ils avaient pris pour se rendre à Naxxramas. Mais au lieu de suivre la route menant aux ruines de Stratholme, ils prirent celle se dirigeant vers le nord, traversant des vestiges elfiques datant d'avant la fondation de Quel'thalas ainsi que des civilisations Amani, une tribu de trolls des forêts ennemis héréditaires des hauts-elfes.
Le petit groupe n'était qu'un moitié convaincu de se laisser ainsi conduire par une elfe de sang aux allures d'assassin. Gahahli notamment aurait largement préféré la compagnie de Bathris, si seulement il avait été présent. Celle qui lui faisait office ne cessait de lui inspirer des sentiments contradictoires, comme si elle en même temps se fier a elle et se méfier d'elle.
À l'approche de la frontière, Sonulia les fit s'écarter de la route, alléguant qu'ils éviteraient de tomber sur des gardes en pleines patrouilles ainsi et les conduisit jusqu'à un promontoire surmontant une région boisée autrefois connue sous le nom de Forêt des Chants Éternels. Mais depuis le passage du Fléau, cette forêt elfique qui faisait la splendeur de Quel'thalas portait désormais le nom de Terres Fantômes.
— Par ma barbe ! s'exclama Batël abasourdi. J'avais compris que le Fléau n'y était pas allé de main morte mais là... C'était plus beau dont les souvenirs. Je n'imaginais pas...
— Et pourtant ! lui rétorqua amèrement Sonulia.
La région rappela tristement Gangrebois et le Bois de la Pénombre à Gahahli. "Encore une forêt souillée par des forces maléfiques" songea-t-elle.
C'était une forêt sombre qui s'étendait pratiquement jusqu'à l'horizon, aux arbres décrépite et gangrenés des racines à la cime et et où rôdaient les fantômes vengeurs de la terrible invasion qui a dénaturé cette endroit.
En contrebas du promontoire avait été établi Mortholme, un bastion du Fléau qui aurait servi Arthas lors de son invasion.
À l'horizon, plus au nord, là où les arbres semblaient avoir été épargnés par la corruption, on pouvait encore distinguer Lune d'Argent qui, bien que partiellement reconstruite, portait encore les cicatrices de l'invasion.
La plus visible de ces cicatrices étant la tristement célèbre Malebrèche, un large sentier de terre morte et jonchée d'ossements qui partait du bastion mort-vivant pour atteindre le Puits de Soleil plus loin, sur l'île de Quel'danas tout au nord de la région et traversaient de facto Lune d'Argent en son centre. Empreinte aussi terrible indélébile du passage du Fléau.
Son regard se perdait dans le paysage sombre et désolé qu'elle fut à nouveau frappé d'un souvenir d'Arthas ou elle se vit de nouveau dans la peau du chevalier de la mort se tenait au même endroit contemplant une forêt elfique encore intacte et dont la beauté était a couper le souffle.
Mais malgré la beauté de la région, elle pouvait ressentir le besoin d'Arthas d'annihiler cet endroit, de déboiser la forêt et de massacrer tous les elfes se dressant sur son chemin pour atteindre le Puits de Soleil afin de ressusciter Kel'thuzad en y plongeant ses restes.
Elle se vit alors faire prisonnier et torturer un elfe pour qu'il lui daignât lui révéler comment franchir les portes et les barrières magique protégeant le royaume et la cité.
Elle se vit également mener une vive et éprouvant confrontation contre Sylvanas Coursevent, encore à l'époque Forestière générale de Quel'thalas, déterminée à défendre sa patrie contre l'envahisseur. Mais malgré la détermination de la forestière, l'armée d'Arthas gagna du terrain' gagnant en force à mesure qu'elle faisait des victimes, détruisant une à une les barrières magiques jusqu'à marcher sur Lune d'Argent, massacrant au passage des elfes par centaines sans la moindre distinctions et demeurant indifférent aux cris de terreur de ses victimes.
Elle se vit alors faucher Sylvanas lors d'un ultime affrontement et plutôt que de lui accorder le repos éternel, décider de la relever en tant que banshee en représailles des difficultés qu'elle avait causer à Arthas. Puis en marchant sur l'île de Quel'danas, ce fut au tour du roi Anasterian Haut-soleil de succomber à la lame de Deuillegivre en tentant désespérément de défendre le Puits de Soleil. Celui-ci avait échappé de peu au sort de Sylvanas, son corps ayant été récupéré et mis à l'abri par ses acolytes mais son âme demeura prisonnier de la lame runique.
Et enfin, elle se vit marcher sur le Puits de Soleil et infliger le coup de grâce au peuple elfique en y jetant les restes de Kel'thuzad. Les eaux magiques du puits furent irrémédiablement souillées par la magie ténébreuse du nécromancien qui se releva sous la forme de Liche que Gahahli et ses compagnons avaient affronté à Naxxramas.
Elle revint à nouveau à elle, toujours le souffle coupée mais plus estomaquée qu'à l'accoutumée. Elle fut profondément horrifiée par le massacre qu'avait commis Arthas, lui rappelant douloureusement celui de son propre village par Grommash Hurlenfer. Tous ces morts. Toutes ces vies innocentes, volées pour la plupart, brisées pour d'autres. Alors qu'aucune d'entrée elles n'avaient rien demandé ni avait ete responsables des horreurs qui avaient frappés Lordaeron peu de temps auparavant. Et tout ça pour rendre la vie à un sorcier qui avait suffisamment causés de malheurs de son vivant et avait été pour cette raison abattu.
Elle comprenait mieux ce qu'avait enduré Bathris ainsi que son peuple selon les dires de ce dernier. Elle se surprit même à éprouver de la peine pour Sylvanas qui s'était battue avec acharnement pour sa patrie et l'avait payé de sa vie pour au final subir un sort plus terrible que la mort en devenant une âme damnée, condamnée à servir le même être qui lui avait non seulement pris la vie et réduit à néant tout ce pourquoi elle s'était battue, ce pourquoi elle avait dû payer de sa vie.
— Quelqu'un peut m'expliquer ce qu'elle a ? demanda Sonulia incrédule.
— Va savoir ! lui répondit Batël. Peut-être qu'elle a encore vu un fantôme.
— Dans ce cas, elle a du en voir des millions en un coup, suggéra Jaina en contemplant la forêt sombre en contrebas.
— Oui, on peut dire ça, rétorqua Gahahli dans un soupir, toujours affligée par les meurtres d'Arthas.
— Alors, y a-t-il un autre endroit où t'as besoin d'aller où Arthas a commis un massacre ? lui demanda le nain.
— NON ! brusquement précipitamment l'elfe de la nuit, ne pouvant supporter une autre vision d'un massacre d'innocents après ce qu'elle venait de voir. Non, j'en ai assez vu. Rentrons.
— À la bonne heure ! s'exclama le nain. T'as bien ta pierre de foyer ?
Pour toute réponse, l'elfe de la nuit sortit la dite pierre de sa sacoche.
— Quant à moi, je dois retourner à Theramore faire mon rapport, leur informa Jaina également sur le départ. Je vous rejoindrais au Norfendre plus tard pour cette histoire de croisade contre le Roi Liche.
L'elfe de la nuit et le nain se contentèrent d'hocher la tête en guise réponse et activèrent leur pierre de foyer respective. Gahahli prit soin de tenir son Sabre de nuit d'une main pour l'emporter avec elle en attendant que la magie des pierres fît son effet.
— Au fait, "cheveux bleus" ! intervint soudain Sonulia. Je suis... Sincèrement désolée pour ton père.
Gahahli n'eut pas le temps de répondre que la pierre l'avait déjà transporté à Dalaran.