Un monde de glace
La dernière chose dont Brotar se rappela avant de sombrer dans les ténèbres fut le froid mordant de la lame qui lui transperçait l'épaule.
Dés lors, ce fut un cycle sans fin de ténèbres et de froid mordant lui transperçant le corps de part en part, se succédant et se répétant inlassablement.
L'orc n'eut aucune idée de combien de temps durait ce manége tortueux ni de l'endroit où il subissait de tels tourments. De ce qu'il en savait, il se noyait dans le néant durant ce qui semblait être une éternité, tant il avait perdu toute notion d'espace et de temps.
Puis les ténèbres commencèrent à se dissiper sans qu'il ne fut frappé d'un froid mordant. En fait, à mesure qu'il reprenait ses esprits, il réalisa qu'il ne ressentait plus aucune chaleur, pas même de son propre corps. Comme si elle s'était évaporé.
Il eût également la sensation de ne plus pouvoir bouger. Pour cause, ses bras et ses jambes étaient attachés à des chaînes aussi dures que l'acier et froide que la banquise.
À mesure qu'il retrouvait la vue, il se vit suspendu par les dites chaînes à mi hauteur dans une salle sombre et froide, aux murs noirs et striés, tranchants, sans armes et à demi-nue sabs son armure.
Son loup Croc-sanglant gisait à ses pieds, également enchainé.
La mémoire lui revint soudain. La crevasse. Le chevalier de la mort. Les goules. Sa monture abattue par son ennemi. La sensation glaciale de la lame runique transperçant son corps de part en part.
Brotar fut alors envahi d'une rage brûlante, le genre de rage qui animait tout orc qui se respecte (selon lui) et le poussait tout réduire à feu et à sang, à semer la mort et la destruction. Car en cet instant, il n'eut qu'une envie : qui que ce chevalier de la mort était, Brotar allait le faire payer pour ce qu'il avait subir à lui et à sa monture.
Cependant, ni sa rage ni sa force ne suffirent à briser les chaînes qui le retenaient et le suspendaient au dessus du sol. Elles étaient tendus au maximum, si bien qu'elles l'empêchaient de bouger ou même de tirer dessus n'était-ce qu'un tout petit peu. Autant jouer au bras de fer avec un golem de pierre.
Et la patience n'était pas le point fort de l'orc. Pas plus que la réflexion. Il avait toujours pour habitude d'agir et de poser des questions après... pour peu qu'il en eût jamais poser.
A force de tirer en vain sur ses chaînes, la fatigue commençait à le gagner. Sa rage persistait mais ne fut plus aussi ardente qu'auparavant — elle était pour ainsi tiédie par la froideur de son propre corps.
— Cela ne sert à rien d'insister, intervint soudain une voix qui lui fut familière. Ces chaînes ne peuvent être défaites que par la volonté du maître de ses lieux.
Brotar vit alors le chevalier de la mort qui l'avait amené dans cette situation, s'avancer d'un pas lent vers son prisonnier le regard triomphant.
— Toi ! pesta l'orc dont la rafe bouillait de nouveau. Qu'est-ce que tu m'as fait subir ? Qu'est-ce que tu nous a fait subir ?
— Je pensais avoir été clair, l'autre jour, lui répondit nonchalamment Troustan. Je me suis promis de t'infliger ce que tu nous a fais subir à moi et les hommes en Kalimdor. Et crois moi, jusqu'à présent, je n'ai rempli qu'à moitié cette promesse.
— Où sommes nous, par ma hache ? demanda Brotar impatient.
— Tu ne l'as donc pas encore compris ? lui répondit le chevalier de la mort. Tu es dans la noble demeure de mon maître, la Citadelle de la Couronne de Glace.
— La Citadelle de... ? Non, ne le dis pas que...
— Et oui, mon ami à peau verte, t'es dans la demeure du Roi Liche en personne. Et grâce à qui je suis toujours de ce monde malgré qu'on m'ait laissé pour mort.
N'importe qui en dehors de Brotar serait dans tous ses états à l'idée de se faire prisonnier de l'être le plus maléfique en ce monde. Mais Brotar n'était pas comme ça. Selon lui, un orc ne connaissait de la peur que celle qu'il inspirait, jamais celle qu'il subissait. Et il y voyait plus une gloire personnelle, rien que d'y penser d'être le premier guerrier de la Horde à y fouler le pied et que ses compagnons d'armes doivent tous etre verts de jalousie. Du moins... ce qu'il se rappela qu'il y était prisonnier et que ses pieds étaient loins du sol.
— Oh, et c'est justement lui qui m'envoie, reprit Troustan. Vois-tu, il te propose un marché.
— Et si je ne veux pas l'entendre ? questionna l'orc sur un ton de défi.
— Je crains que tu n'aies pas vraiment le choix, lui répondit le chevalier de la mort. Ou tu écoutes ce que j'ai à te dire où tu resteras enchainé dans cette salle jusqu'à ce que t'y succombes.
— J'y survivrai ! J'ai une volonté de fer !
— Ah vraiment ? Au cas où tu ne l'aurais toujours pas compris, ni ta force ni ta rage ni ta "volonté de fer" ne pourront te sauver en ces lieux. Ici seul compte la volonté du Roi Liche. Et tant que tu ne te décides pas de l'honorer, je ne pourrais rien pour toi.
— Ah ouais ? Ben attends que la Horde prennent d'assaut votre citadelle, le libère et qu'on vous botte lu cul à toi et ton Roi Liche.
— Oh ! Tu n'ais donc pas au courant ? Aurais-je omis de t'en informer ?
— De quoi tu parles ?
— Figure toi que pas plus tard qu'hier, ta précieuse Horde a tenté de prendre notre citadelle d'assaut. Et s'ils avaient réussi, nous ne tiendrons pas cette discussion à l'heure qui l'est.
— Tu mens ! La Horde est il imbattable ! Ils ont forcément réussi, c'est obligé ! Au moins, ils ont percé une brèche ou quelque chose...
— Je crains que la vérité en soit autrement. Même avec l'aide de l'Alliance, tes chers frères d'armes se sont écrasés sur nos murs tel une vague s'écrasant sur des rochers ?
— Ils se sont alliés à l'Alliance ? Tu parles d'un déshonneur !
— Ah mais ce n'est pas tout ! Non seulement la tentative d'assaut de tes frères d'armes a lamentablement échoué, non seulement leur improbable collaboration avec l'Alliance s'est révélé inefficace mais à l'heure où je te parle, ta précieuse Horde est plus divisée que jamais. Car vois tu, la cause de ce cuisant échec ne provient ni de l'Alliance ni du Fléau mais bien au sein même de la Horde pour laquelle tu as tant juré de combattre.
— Comment ?
— Pour te la faire courte, hier au Portail du Courroux, tes frères d'armes ont ete poignardé dans le dos par ceux qui s'étaient rangé sous leur bannière.
— Rah ! Tout ça, c'est la faute de Thrall ! Je l'ai toujours dit, c'est une erreur de nommer chef de guerre un orc élevé par des humains, en plus de venir du clan le plus lâche de la Horde ! Et voilà ce qui arrive ! Avec sa politique de pacifisme et d'intégrer tout et n'importe quoi...
— Et je devrais préciser qu'en prenant tout cela en compte, tu ne risques pas d'être secouru de si tôt par tes compagnons. Le temps qu'ils résolvent ce problème, nous aurons considérablement renforcé nos défenses. Comme quoi ce coup du sort nous sera peut-être plus bénéfique qu'autre choses en fin de compte.
" Le fait est que personne ne te sauvera, quelle que soit l'issue de cette guerre. Ton sort est scellé dès l'instant où l'on t'a enchainé dans cette salle. Ton corps se transforme. Le ressens tu ? Tu ne ressens plus aucune châleur. Et bientôt tu ne ressentira plus rien du tout. Tu seras même plus considéré comme vivant.
Ainsi c'était ce qui était en train d'arriver au corps de Brotar. Ce pourquoi il avait si anormalement froid de l'intérieur. On était progressivement en train de le transformer en mort-vivant.
Pour autant, il refusait de se laisser gagner par la peur qui pourtant le guettait. Il avait tant entendu de légendes sur des guerriers orcs sortis vainqueur d'une expérience où ils avaient été entre la vie et la mort, notamment celle de Grommash où il fut attaché à un arbre mort en plein désert à la merci d'un seigneur de guerre ogre qui le narguait. Une situation forte similaire à celle de Brotar en cet instant. Il n'aurait donc plus qu'à prendre exemple.
— Tu crois me faire peur ? clama-t-il en tombant le torse. Je n'ai pas peur de la mort et je peux supporter la souffrance aussi longtemps que nécessaire ! J'ai été élève et entrainé ainsi ! Et au pire, je mourrais en tenant tête a mes tortionnaires !
— Sauf que personne en dehors de ses murs ne sait ce que tu as, es en train ou va bientôt enduré, lui répondit Troustan. Et que le sort que je te réserve n'a rien de glorieux. À moins que tu n'écoutes la proposition que j'ai a te transmettre.
— Bon, allez, dis moi ce que veut me proposer ton maître ! s'impatienta Brotar. Crache le morceau, qu'on en finisse !
L'orc refusait de l'admettre mais à mesure que le chevalier de la mort lui faisait état de la situation, il se sentait envahi par un sentiment qu'il avait toujours fui comme la peste : un sentiment d'impuissance, la certitude qu'il était dans une mauvaise passe et que rien ne pouvait l'en sortir, pas même avec toute la meilleure volonté du même monde.
Un sourire sadique de dessina sur le visage de Troustan quand il reprit :
— Tu peux déjà estimer heureux que tes exploits "héroïques", que je qualifierai plutôt de meurtriers, soient parvenus jusqu'à nos oreilles et aient suffit à susciter l'intérêt de mon maître. Si ça ne tenait qu'à moi, je te garderai ici et continuerai à te torturer comme je m'étais me promis jusqu'à ce que tu le supplies de mettre fin à tes souffrances... ou que tu sois devenu insensible à la douleur qu'on peut te considérer comme étant deja mort. Mais le Roi Liche a d'autres projets pour toi ?
— Qui est ?
— Il veut que tu rejoignes ces rangs. En tant que chevalier de mort, tout comme moi. Que tu mettes ta forces et tes armes au service du Fléau. C'est la seule condition pour qu'on te libérer de tes chaines. Tu conserveras ainsi ta force et ton maniement des armes. Nous nous chargerons de te rendre plus résistant que le commun des mortels. Mieux, nous pourrons décupler ta puissance. Et tu pourras également récupéré ta monture. Elle sera juste... moins vivante qu'avant.
— Mmh... Ça a l'air intéressant mais j'imagine qu'il y a une contrepartie...
— Il y en a une en effet. Normalement, tout chevalier de la mort qui intègre nos rangs doivent prêter allégeance au Roi Liche et se soumettre à sa volonté. Mais je me suis arrangé avec mon maître pour... disons... "assouplir" cette condition. De manière a ce que tu n'es pas à lui rendre des comptes. En clair, tu peux d'ores et déjà te considérer privilégié.
— D'accord mais ... Ça inclut que je dois me battre... contre la Horde ?
— Je crois qu'au vu des circonstances, il est temps de faire une croix sur ta précieuse Horde. Elle n'est plus que l'ombre de ce qu'elle était jadis. Même en unissant ses forces avec l'Alliance, qui n'a pas su empêcher la chute de Lordaeron, elle est faible et inefficace. Contrairement au Fléau qui est plus puissante que jamais. Et ne va pas me faire croire qu'être du côté des vainqueurs ne t'intéresses pas plus que ça. Que tu peux te contenter des côtes des perdants par "loyauté". On sait tous les deux que pour toi, et ceux de ton espèce, l'échec est synonyme de déshonneur.
— Ok, tu marques un point. De toutes façons, ils n'auraient jamais dû prendre un Loup-de-Givre comme chef de guerre. N'importe quel clan sauf ces lâches de Loups-de-givre.
— Heureux de voir que nous sommes sur la même longueur d'ondes ! Même si ça le fait du mal de le reconnaître...
— Mais qu'est ce que j'y gagnerai à trahir les miens pour servir le Roi Liche ?
— Ce que tu désires les plus au monde, voyons ! Ce que la Horde t'as toujours promis sans jamais te l'accorder. A savoir devenir le guerrier ultime. Celui qui fait trembler ses plus fervents adversaires à la simple mention de son nom et dont personne n'ose contester ni la puissance ni l'autorité. Le genre de guerrier libéré de la peur, qui ne craint ni la mort ni la souffrance ni même l'échec, car avec lui la victoire est assuré et que la Mort est de son côté.
"Imagine ceci : là où au sein de ta Horde tu n'étais qu'un guerrier orc remplaçable, au sein du Fléau, tu seras la mort et la peur personnifiées.
— Oh, si tu savais comme je tuerais pour une telle renommée.
— Dois-je comprendre que tu es d'accord ?
— Si c'est le seul moyen de me libérer de ces chaînes et pouvoir te casser la gueule, alors qu'il soit ainsi.
— Tu acceptes donc de renier ton allégeance envers ta Horde et de servir le Fléau en conséquence ?
— Je pourrais sévir la Légion Ardente s'ils peuvent faire de moi le guerrier ultime. Alors fais de moi donc le guerrier ultime !
— Si j'avais su que c'était aussi facile de te convaincre...
Troustan dégaina son épée et s'en servir pour adouber l'orc :
— Au nom du Roi Liche, moi Troustan Hautvent, je te fais don de la cruauté, à toi Brotar fils de Brotar, et je t'octroie l'immortalité afin que tu deviennes le héraut d'un nouvel âge, un âge de ténèbres, l'âge du Fléau.
Aussitôt que le chevalier de la mort eut fini ses mots, les chaînes de Brotar se resserrent et leur laisser tomber sur le sol glacial.
Les chaînes libèrèrent également son loup, encore trop faible pour bouger.
— C'est tout ? demanda-t-il en se laissant les poignées. Plutôt sommaire, comme rituel ! M'enfin, je vais enfin pouvoir te refaire le portrait !
— Essaie donc ! le défia le chevalier de la mort.
Brotar n'attendit qu'on lui restitua ses rôles ni son armure et tenta de cogner Troustan avec un crochet.
" Non !"
La voix du chevalier de la mort, sans qu'il eût à bouger les lèvres, retentit dans l'orc, comme s'il lui parlait à l'intérieur de son crâne, et suffit à arrêter son geste.
Brotar ne se laissa pas intimider pour autant et tenta un autre coup de poing.
Un nouveau "non" retentit dans son crâne et stoppa son geste, le poing a seulement deux centimètres du visage de Troustan.
C'était incompréhensible. L'orc voulait de toute son âme cogner et faire souffrir son geôlier, mais son corps s'y refusait, obéissant automatiquement à la voix du chevalier de la mort résonnant dans sa tête. Et à mesure qu'il persistait, la voix se faisait plus intense.
"Frappe toi même !" lui ordonna soudain la voix.
Et sans que Brotar ne comprit pourquoi ni comment, il parvint à se cogner lui-même, avec autant de force que s'il voulait tabasser quelqu'un d'autres.
Troustan lui ordonna mentalement de se frapper à nouveau et Brotar ne put s'empêcher de se rouer de coups sous le regard sadique et riant du chevalier de la mort.
— Qu'est-ce que... Qu'est-ce-que c'est ce maléfice ? demanda l'orc à bout de patience.
— L'arrangement que j'ai passé avec le Roi Liche, lui répondit Troustan.
— Tu m'as dit que je n'aurais pas à obéir à qui que ce soit ! protesta l'orc.
— Faux ! J'ai dit que je le suis arrangé pour "assouplir" cette condition, rectifia ke chevalier de la mort. Tu n'auras peut-être pas à obéir directement au Roi Liche, mais par contre tu devras m'obéir au doigt et à l'œil.
— Sale traitre ! Ce n'était pas ce qui était convenu.
De rage, Brotar voulut frapper le chevalier de la mort de toutes ses forces, mais le contrôle mental que celui-ci exerçait sur lui l'en empêcha.
— Tu peux d'ores et déjà me considérer comme ton nouveau maître, clama alors Troustan.
Brotar eut alors de faire appel à son loup afin de pouvoir attaquer son bourreau. Il appela alors Croc-sanglant et l'ordonna d'attaquer. Le loup se releva et commença a charger... mais à la grande consternation de l'orc, s'arrêta net aux pieds du chevalier de la mort, l'échine courbée, les oreilles rabattues et la queue entre les jambes, tel un chien apeuré.
— Ah oui, j'oubliais, ça s'applique également à ta monture, s'empressa de préciser Troustan. Il reste ton animal, soumis à tes ordres. Mais comme toi, il doit se plier aux ordres de tes supérieurs.
Brotar comprit alors trop tard dans quel bourbier lui et son loup s'étaient retrouvés après avoir accepté le pacte du chevalier de la mort. Ayant naïvement cru que cela le tirerait d'un mauvais pas, il était seulement tomber de mal en pis.
Dégouté, il ne put que lâcher un effroyable cri de rage qui résonna dans toute la Citadelle, jusqu'au trône de glace où le Roi Liche se remettait doucement de ses blessures suite à la récente attaque au Portail du Courroux.