Un monde de glace

Chapitre 22 : De lourdes pertes

3030 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 15/01/2024 01:16

Au milieu des cadavres des soldats carbonisés par le feu des dragons, cherchant en vain de potentiels survivants, les aventuriers contemplèrent l'hécatombe avec tristesse et désarroi.

Ils étaient tous encore sous le choc de l'attaque surprise et mortifère de Putrescin et de ses sbires, même après que le danger fut écarté.

Un pareil spectacle rappelait douloureusement pour certains de tristes souvenirs. Notamment Gahahli qui avait l'impression de revivre la fois où des démons et des orcs corrompus avait réduit son village et sa forêt natale a feu et à sang, se sentant envahir d'un sentiment d'impuissance et de révolte. Ainsi que d'une envie de vomir qu'elle réprima de toutes ses forces.

Hormis cette envie de régurgitations, ses compagnons d'armes tout comme leur homologues de la Horde amèrement partageaient ce sentiment. Ils se retrouvaient ainsi unis dans la détresse et l'indignation.

Aux pieds des aventuriers, les cadavres encore fumants se confondaient. Vivants, morts-vivants, humains, orcs, nains, elfes, trolls.

— Ils n'ont épargnés personne, ces salauds ! pesta Walkyro qui tâta du sabot avec dégoût ce qui fut un guerrier Réprouvé combattant pour la Horde. Pas même leurs semblables.

— C'était donc de ça que tu voulais nous prévenir, frangin ? demanda froidement Turakh. Si je peux encore t'appeler ainsi...

— J'en ai bien peur, avoua Baorekh. Et sache que je serais toujours ton frère quoi qu'il...

— Après ça ? s'énerva le chasseur troll. Tu savais ce qui allait se passer ! Tu savais ce que les Réprouvés avaient en tête ! Tu n'as rien fait pour les en empêcher ! T'y as même contribué ! Et t'as attendu le dernier moment pour nous informer !

— J'en avais l'intention, je te le jure ! tenta de se justifier le sorcier troll. Seulement... Pas avant que je découvre ce que Morpsev et Putrescin avaient vraiment en tête.

Walkyro tenta de calmer les frères trolls dans leur dispute mais il ne put que répéter "Les gars... " pour au final tomber dans l'oreille d'un sourd.

— Mais le pire c'est que tu les as aidé ! s'indigna de plus bel Turakh. Tous ces mois que tu consacrais exclusivement avec le macchabée, c'était pour en venir à ce résultat. Ce que nous venons de voir... t'y as participé !

— Je peux t'assurer que c'était malgré moi ! se défendit Baorekh. Et ils m'avaient assurer qu'ils ne ciblaient que nos ennemis avec cette Nouvelle Peste, pas les nôtres.

— Et t'y as cru ? lui rétorqua le chasseur troll. Toi ! Qui a toujours été le plus sage et le plus intelligent de nous deux ! Là, je me demande ce que ça fait de moi...

— Les gars, tenta d'intervenir Walkyro une énième fois.

— Où est mon fils ? demanda impatiemment une vieille voix d'orc, interrompant ainsi la dispute.


Les aventuriers de la Horde reconnurent le Haut Seigneur Varok Saurcroc, juché sur son loup de guerre, qui à en juger par le souffle haletant de sa monture était venu aussitôt qu'il avait appris qu'un drame s'était produit là où son fils menait l'assaut.

D'un geste timide, ils désignèrent l'endroit où Dranosh avait péri au vieux seigneur orc.

Celui-ci descendit de sa monture et passa devant les aventuriers de l'Alliance, restant sur leur gardes, avant de tomber à genoux devant la dépouille de son fils encore fumant qu'il prit délicatement dans ses bras.

— Dans notre langue, son nom signifiait le "Cœur de Draenor", confessa Varok la voix brisée par le chagrin. J'avais fait une promesse à sa mère avant qu'elle ne meure, que je traverserais la Porte des Ténèbres seul, qu'importe que je vive ou meurt dans cette guerre insensée, du moment que mon fils soit en sécurité et à l'abri de la corruption de la Légion. ... J'ai échoué... J'aurais dû mener cet assaut...

En observant le vieil orc pleurant son fils qu'il serrait dans ses bras, Gahahli se surprit à éprouver de la compassion et de la sympathie à son égard. Elle qui n'avait jamais porté les orcs dans son cœur et n'y voyait en eux que des brutes sanguinaires et insensibles depuis qu'ils avaient saccagé sa forêt natale. Ce fut la première fois qu'elle voyait un orc sous un angle différent, non comme un monstre cruel et assoiffé de sang mais comme un être sensible et vulnérable, capable d'émotions et de sentiments et qui en cet instant pleurait son fils.

Elle ne fut pas la seule à observer Varok avec une compassion et une sympathie jamais soupçonnées. Batël, qui méprisait les orcs tout autant pour les avoir combattu depuis des lustres et y avoir laissé une jambe au cours d'une de ses batailles, s'était surprenamment reconnu dans ce vieil orc pour avoir vécu un drame similaire.

Walkyro s'approcha timidement du vieil orc et chercha longuement ses mots, pour vraisemblablement le réconforter avant de finalement prendre la parole :

— Je... Je ne sais pas si ça peut vous... vous rassurer mais... Sachez qu'il est mort avant que les Réprouvés ne nous bombardent de leur Peste.

— Dois-je comprendre que le Roi Liche l'a tué ? suggéra Varok. Ou un de ses sbires sans cervelles ?

— Oui... Non... C'était bel et bien le Roi Liche, balbutia le jeune tauren. Dranosh, il... Il s'est battu avec honneur. Il est mort en héros.

— C'est tout ce que j'avais besoin de savoir, le remercia le vieil orc qui quitta le champ de bataille en transportant la dépouille de son fils. Mon fils aura droit à des funérailles digne de nos plus grand héros, sur la terre de nos ancêtres. Quant au Roi Liche... Son heure viendra tôt ou tard. En attendant, le chef de guerre Thrall doit être informé au plus vite de cette monstrueuse trahison. Et je vous suggère à vous, aventuriers de l'Alliance, d'en faire autant avec vos dirigeants.

— Nul besoin de nous en prier, Saurcroc, lui rétorqua Batël avec un certain respect.


— Nous venons de retrouver le seigneur Fordragon ! prévint soudain Ouladre. Ou du moins... ce qu'il en reste.

— De tout son attirail, son bouclier s'en est le mieux sorti, dit Baelbo qui faisait léviter ledit bouclier avec sa magie. Et il est encore brûlant ! Impossible de le prendre à mains nues pour le moment.

Sur le bouclier encore chauffé à blanc par le feu des dragons, on pouvait distinguer les armoiries des différents peuples composant l'Alliance : en gros le lion de Hurlevent pour les humains, entouré du marteau de Forgefer pour les nains, de la lune de Darnassus pour les elfes de la nuit et l'engrenage de Gnomeregan pour les gnomes. Il n'y manquait qu'un glyphe de draeneï représentant l'Exodar pour compléter mais le bouclier en lui-même n'en demeurait pas moins le symbole même de l'Alliance.

— C'est parfait ! dit le nain. Nous le présenterons au roi Varian pour témoigner du drame auquel nous venons d'assister.

— Bolvar... Je savais que j'aurais dû être sur le front, à ses côtés, se lamenta Bartelo contemplant la dépouille calciné du vieux paladin.

— Tu aurais été à ses côtés, t'aurais trouvé la mort, tout comme lui ! le réprimanda Batël.

— Et après ? rétorqua le jeune paladin. Ça aurait pu m'épargner une telle peine. D'abord mes parents, puis mon mentor Troustan et maintenant...

Prise de sympathie pour le jeune paladin, Gahahli s'empressa de le prendre dans ses bras pour le réconforter. Ce fut la première fois depuis qu'elle avait fait la connaissance de Bartelo qu'elle eût avec lui un contact aussi physique, pour qui elle avait éprouvé une attirance avant de realiser qu'elle ne lui intéressait pas. Et l'ironie était de la situation était qu'elle même avait fini par se désintéresser pour sortir en secret avec un autre paladin aux oreilles pointues.


Ce petit moment d'intimité ne dura pas cependant car à son tour, Sonulia arriva en trombe et essoufflée sur le champ de bataille, comme si elle venait de courir un marathon.

— Oh, mes aïeux ! doit-elle entre deux souffles. Vous êtes vivants... Quelle chance...

— Dis donc, cet elfe de sang, elle n'était pas avec toi et le macchabée ? interrogea Turakh à son frère.

— Si mais t'inquiètes, lui répondit Baorekh. Elle est de notre côté. Sans elle, je n'aurais jamais pu...

— Ce n'est pas le moment de bailler aux corneilles ! l'interrompit Sonulia après avoir repris son souffle. Walkyro ! Ton grand-père est parti affronté Morpsev !

— Que dis-tu ? l'interrogea le jeune tauren inquiet. Où ça ?

— À sa planque, répondit l'elfe de sang. Là où il a entreposé un stock de Peste.

L'annonce de Sonulia jeta un froid sur tout le groupe, puis tout le monde dévisagea Baorekh d'un œil tantôt suspect et tantôt incrédule.

— Mais ne me regardez pas comme ça ! se défendit le sorcier troll. J'ignorais qu'il avait une planque.

— Et pourtant, tu savais qu'il préparaient une Nouvelle Peste aussi toxique pour les vivants que pour les morts-vivants, lui reprocha son frère. Ça ne t'a pas empêché de les aider.

— Ça suffit, vous deux ! les interrompit Walkyro a bout de patience. Mon grand-père court un grave danger en ce moment ! Où se trouve cette planque ?

— Dans une grotte cachée dans les montagnes, à l'Est d'ici, lui répondit Sonulia.

"Une grotte dans les montagnes à l'Est". Cela sonnait familier à Gahahli. Elle eut un pressentiment mais espéra se tromper.

Ni une ni deux, Walkyro prit la direction vers l'Est au pas de course, les deux trolls sur ses talons. Si Turakh semblait pété à en découdre, Baorekh tentait plutôt de les dissuader d'affronter le démoniste.

— Il faut qu'on aille l'aider ! insista le jeune tauren. Il n'est pas question de le laisser affronter ce dément seul.

— Il n'est pas seul, si ça peut te rassurer, s'empressa d'ajouter Sonulia. Il est avec cet elfe druide à la crinière bleue.

"Elfe druide à la crinière bleue". En entendant ces mots, le sang de l'elfe de la nuit se glaça. Elle craignit le pire.

Elle devait cependant en avoir le cœur net.

— Cet elfe druide... avait-il par hasard... Une oreille à moitié arraché ? demanda-t-elle à l'elfe de la nuit tout en redoutant la réponse.

Sonulia, prise au dépourvue, considéra la jeune elfe de la nuit interdit puis finit par opiner de la tête d'un air désolé.

Exactement ce que Gahahli craignait.

— Suivons les ! s'écria-t-elle. Mon père est en danger !


Les aventuriers de la Horde et de l'Alliance courrurent donc à perdre haleine à travers la Désolation des Dragons jusqu'à atteindre les montagnes du Nord-est.

Comme Gahahli le redoutait, elle reconnut le chemin menant à la grotte designee par l'elfe de sang. La même grotte où le destin d'un certain prince avait ete scellé.

"Deuillegivre".

Mais le pire restait à venir.

Des dragons du Vol Rouge — probablement les mêmes qui avaient mis Putrescin et ses sbires en déroute avant de nettoyer le champ de bataille avec leur feu — s'étaient rassemblés à l'entrée de la grotte, elle-même obstruée par des plantes grimpantes aussi épaisses que des arbres.

Le groupe reconnut Harrina dans tous ses états en train de s'entretenir avec une dame dont les immense cornes, les yeux d'ambres ainsi que la tenue trop légère pour un climat aussi enneigé et glacial trahissait sa nature draconique.

Il s'agissait ni plus ni moins que d'Alextrasza, la Lieuse de Vie et Reine des Dragons.

Lorsqu'elle vit le groupe arriver, la jeune magicienne se figea de surprise avant de s'exclamer :

— Oh louée soit la Lumière, vous êtes tous vivants ! Comment avez vous... ?

— Où est mon père, Harrina ? demanda Gahahli la tendue comme jamais.

— Et mon grand-père ? demanda à son tour Walkyro.

— Tous dans la grotte, répondit Harrina d'un air désolé. Avec mon père. Et des litres de Pestes. J'ai tenté d'intervenir mais... Fyrvas a bloqué l'accès avec ses plantes grimpantes et ils y sont tous les trois enfermés. Je... J'ai peur que... le pire ne se soit produit.

Aux paroles de la jeune magicienne, imaginant son père, la seule famille qui lui restait, pris au piège dans une grotte avec un mort-vivant démoniaque et une substance la plus toxique qui fut, Gahahli eut la sensation que le sol était en train de se dérober sous ses pieds. Son estomac se contractait tel un hérisson en boule. Son cœur s'emballait tel un cheval en furie. Elle qui pensait avoir échapper de justesse au pire avec ses compagnons au Portail du Courroux, voilà que le cauchemar continuait.

— On peut encore les sauver ! suggéra le jeune tauren qui tentait de garder espoir. Il faut essayer... Ils sont peut-être encore vivants...

— Je crains que ce ne soit trop tard, l'interrompit un des dragons. Regardez les plantes !

À son plus grand effroi, le groupe vit alors les plantes se desséchés a vue d'œil, libérant des filets de gaz verdâtres qu'elles avaient vraisemblablement contenu tout ce temps avant d'y succomber.

Le sentiment d'angoisse de la jeune elfe de la nuit s'intensifia. Jamais ce sentiment n'avait atteint un tel paroxysme en elle depuis la disparition de sa mère. Pourtant, même si les signes étaient sans équivoques, elle refusait d'y croire.

La simple idée de son père mort lui était insupportable.

An'da ? s'écria-t-elle en appelant son père d'une vois tremblante. An'da ! AN'DA !!!

— Elle ne doit pas approcher la grotte ! prévint Alextrasza. Retenez-la !

Harrina, Baelbo, Bartelo et même le Sabre-de-nuit se ruèrent sur Gahahli et l'agrippèrent pour l'empêcher de s'approcher davantage de la grotte au risque de respirer les effluves et d'en subir à son tour les effets mortelles. La jeune elfe de la nuit continuait de s'égosiller a appeler désespérément son père jusqu'à son déchirer la voix, luttant en vain contre l'étreinte de ses compagnons qui la serrèrent aussi fort qu'ils ressentaient sa peine.

De son côté, Walkyro résigné s'était contenté de tomber sur ses genoux, frappant le sol d'un poing rageur. Seuls Turakh et son raptor s'en allèrent le réconforter, l'un serrant le tauren dans ses bras, l'autre frottant sa tête de lézard contre lui.

— Il n'y a donc rien qu'on puisse faire ? demanda Harrina.

— Hélas non, lui répondit la reine des dragons. Quoi qu'il se soit produit dans cette grotte, leur sort a ete scellé des l'instant où ils ont déversé cette infâme substance. Il ne nous reste plus qu'une chose à faire.


Gahahli, désormais orpheline pour de bon, lâcha un cri déchirant de détresse et de désespoir tandis la reine des dragons se tourna vers ses sujets et leur fit signe de tout brûler comme ils l'avaient fait au Portail du courroux.

Tentant d'épargner à la jeune elfe de la nuit en pleurs un aussi triste spectacle, Harrina la serra de manière à l'empêcher de voir la grotte se faire consumer de l'intérieur. Cela n'empêcha malheureusement pas la jeune elfe de la nuit de sentir la chaleur émanant de la grotte ni d'entendre au loin les cadavres, dont celui de son père, être consumés par le feu des dragons.

Harrina la laissa pleurer toutes les larmes de son corps sur son épaule sans pour autant retenir ses larmes.

Puis l'improbable se produit quand Walkyro se détacha de son groupe pour venir enlacer de ses bras musclés et poilus les deux jeunes femmes, pourtant censées être ses ennemies, avec lesquelles elle partageaient leur peine.

Dans cette étreinte, le jeune tauren emit une prière en langage tauren, priant la Terre-Mère pour que l'esprit de son grand-père la rejoignît, porté par le vent et que l'herbe du Mulgore murmurât son nom.

Gahahli en fit de même pour son père, priant Elune pour que son âme s'élevât et se joignît aux étoiles qui constellaient le ciel. Incapable d'émettre le moindre des mots avec ses sanglots, que ce fût en elfique ou en langue commune, elle ne pouvait que prier dans sa tête.

Le reste du groupe se contenta d'observer la scène silencieusement et baisser la tête en signe de recueillement. Même le Sabre-de-nuit et le raptor émirent un à l'unisson un rugissement plaintif en hommage au vieux tauren et à l'elfe druide qui avaient donné leur propre vie pour contrecarrer les plans mortifères de Morpsev, sauvant à eux deux plus de vies qu'aucun des aventuriers ici présents n'en auraient sauvés jusqu'à présent.

— La bonne nouvelle c'est qu'on aura plus à se soucier de Morpsev, tenta de relativiser Baorekh passé la minute de recueillement.

— Certainement pas grave à toi, lui rétorqua amèrement Turakh.

Le sorcier troll n'osa répondre quoi que ce fût pour sa défense.

De son côté, Sonulia observa au loin et silencieusement la crémation improvisée et les aventuriers en plein recueillement unis dans la douleur et le chagrin malgré leurs différences. Cinq ans auparavant, elle aurait tout donné pour qu'elle et son peuple bénéficiât d'autant d'empathie. En cet instant, elle se sentit rongée d'un sentiment de culpabilité, autant pour avoir participé malgré elle à la création de cette horrible Peste que pour avoir envoyer à leur mort deux héros qui lui avaient sauvé la vie quelques heures plus tôt.


Ce jour devant à la base marquer une victoire imminente et décisive de la Horde et de l'Alliance sur Fléau, en plus de ne s'avérer qu'être un coup d'épée dans l'eau, se finit alors dans les larmes.

La guerre contre le Roi Liche venait ainsi de prendre un tournant aussi malencontreux qu'inattendu.

Laisser un commentaire ?