Un monde de glace
Au même moment, au Donjon de Garde-Hiver, on célébrait également le retour triomphal des aventuriers de l'Alliance autour d'un banquet en compagnie de leurs confrères, dans la caserne de la forteresse.
La fête battait son plein et l'ambiance y fut plus conviviale que du côté de la Horde. Les tables débordaient de mets locaux à base de poissons, de viandes de caribou et de phoques, de patates douces, de lait de chèvres, de thé au miel et bien évidemment d'alcool importés de Dalaran, de Theramore et des Royaumes de l'Est.
Au milieu de la soirée, Batël leva sa choppe de bière :
— Un toast à notre récente victoire. Aujourd'hui mes frères, un autre des plus redoutables agents du Fléau est tombé. Kel'thuzad et Anub'arak désormais hors course, le Roi Liche n'aura qu'à bien se tenir. Pour cause, privé de deux de ses plus fidèles lieutenants, ses jours sont comptés.
" Je voudrais également lever ma chope en mémoire de toutes les victimes du Fléau et du Roi Liche. Des gens de la famille, d'anciens frères d'armes que nous avons perdus, qui nous ont été pris par ce félon d'Arthas et dont nous luttons aujourd'hui pour venger leur mort.
" À ce propos, pas plus tard qu'aujourd'hui, dans les profondeurs d'Azjol-Nerub, mes compagnons d'armes et moi même sommes tombés par hasard sur les dépouilles de troupes restant de l'expédition de Muradin. Parmi lesquelles reposaient un de mes fils dont je me suis permis de récupérer le marteau que voici. Et je jure sur ce marteau que justice sera rendu à toutes les victimes du Roi Liche. À eux !
Toute l'assemblée imita son geste avant de se rincer le gosier avec le contenu de leur chope avant de retourner allègrement à leur victuailles.
Seule Gahahli ne touchait pas à ses plats. Si ce n'était pour le laisser à son Sabre-de-nuit qui ne voudrait pas son plaisir.
Elle demeurait troublée par ce qui s'était passé dans la caverne où elle avait trouvé le cœur de glace, l'étrange petit garçon qu'elle seule pouvait voir et entendre ainsi que la sombre présence qu'elle avait ressenti.
En cet instant, elle se savait hors de danger — du moins pour l'instant — consciente que la présence avait renonçait à sa traque mais représentait toujours une menace.
Sa main ne lui faisait plus mal et ne présentait aucune anomalie depuis qu'elle avait quittée la grotte avec son groupe. Mais elle gardait encore le souvenir de la douleur qu'elle avait ressenti en touchant le cœur.
Et puis il y avait ce petit garçon que personne d'autre qu'elle ne pouvait ni voir ni entendre, qui n'avait vraisemblablement pas d'existence physique et qui pourtant paraissait pourtant réel aux yeux de l'elfe de la nuit. Qui pouvait-il bien être ? Et qu'est ce qui pouvait le liait au cœur de glace ou à la sombre présence ?
Sans parler de ses mots qui continuaient de la hanter.
"'Il' sait que vous l'avez touché. 'Il' vous trouvera et vous tuera pour ça. 'Il' vous tuera tous..."
Même qu'elle avait atteint le donjon avec son groupe, elle avait à nouveau entendu sa voix :
"Vous 'lui' avez échappé de justesse, mais restez sur vos gardes. 'Il' sera à nouveau à votre recherche. Et 'il' vous trouvera, ce n'est qu'une question de temps."
Elle ressentait la désagréable impression d'avoir non seulement commis une bêtise une fois de plus mais que cela mettait également en danger son groupe, voire l'Alliance toute entière.
— Tu ne manges pas, Lili ? lui demanda soudain Bartelo, arrachant ainsi l'elfe de ses pensées.
— Allez quoi, c'est la fête ! tenta de l'encourager Baelbo. Il fait en profiter ! Surtout qu'on est à l'honneur !
— C'est gentil mais... Je n'ai pas très faim, répondit Gahahli évasive.
— Quelque chose ne va pas, la chère enfant ? demanda Ouladre préoccupé.
— C'est qu'on t'a connu plus... bon vivant, fit remarquer Batël sceptique.
— Ça va, c'est juste que... Je me sens un peu nauséeuse ce soir, se défendit l'elfe de la nuit. De combattre ces morts-vivants a longueur de temps.
— On combat les mêmes morts-vivants et on n'a pas ce problème, rétorqua le paladin également sceptique.
— Si vous vous sentez si mal, peut-être faudrait-il que je vous ausculté, suggéra le draeneï. Je pourrais même appliquer un sort de soin contre les mots de ventres...
— Pas la peine ! s'empressa de l'interrompre l'elfe. Ça devrait passer. Il faut juste que je m'allonge. C'est ça ! Je vais le retirer et vous laisser à vos festivités pendant que je m'allonge...
Ainsi elle quitta la table et quitta le réfectoire plus gênée que jamais devant les regards inquiets et sceptiques de ses compagnons d'armes, se dirigeant vers les dortoirs. Son Sabre-de-nuit, le ventre plein de nourriture que sa "partenaire" n'a pas daigné toucher, ne tarda pas à la suivre.
Une fois qu'elle fut sortie de la salle, le gnome fit aussitôt part de ses inquiétudes :
— Là, j'en suis convaincu, elle nous couve quelque chose ! Je ne sais de quoi il s'agit mais l'un de nous finira par le découvrir.
— Moi je vous dis qu'elle doit en pincer pour quelqu'un et qu'elle n'ose pas l'avouer, affirma le paladin. Croyez-moi, j'en sais quelque chose. C'est soit ça, soit c'est carrément une déconvenue amoureuse.
Dans le dortoir avec pour seul compagnie un Jakua en pleine digestion, Gahahli s'allongea sur son lit de camp, le plus spartiate qu'elle ait connut.
Elle avait pris soin de se déchausser avant de s'allonger mais dormait toute habillée. Ce qui était loin d'être superflu sur ce continent où on pouvait si aisément attraper la mort si on ne s'habillait pas assez chaudement. C'était dans ces circonstances qu'elle regrettait Teldrassil ou Orneval, de vivre parmi ses semblables où l'on pouvait être légèrement vêtu sans que cela ne choque qui que ce soit ni risquer d'attraper une maladie.
Distraite par le brouhaha provenant du réfectoire et ses pensées qui continuaient de se bousculer dans sa tête , elle peinait à trouver le sommeil et se contenta de fixer le plafond d'un air absent. Elle avait beau maintenir une respirations lente et régulière et chasser ses pensées négatives pour se concentrer sur quelque chose de plus positif (que ce fut le temps passé avec ses amis, une possible réconciliation avec son père ou bien son amant dont elle n'avait plus eu de nouvelles depuis son départ pour le Norfendre) rien n'y fit. Ses pensées obscures liées à sa mésaventure dans la caverne l'obsédaient toujours et l'empêchaient de trouver le sommeil.
Elle demeura des heures immobile et silencieuse sur son lit de camp à attendre que le marchand de sable fasse son travail.
Vêtue d'une lourde armure étincelante à cape bleu et armée de guerre orné des armoiries de son royaume, elle arpentait les bois de Lordaeron complètement désemparée.
Depuis quelques temps, son royaume, dont elle devrait prendre un jour les rênes, était en proie à une épidémie sans précédent, infectant le grain et tout ceux qui la consommaient.
Avec l'aide de la jeune et brillante mage Jaina Portvaillant, elle avait mené l'enquête pour identifier et éradiquer la source de cette épidémie, ce qui les avaient amené au village d'Andorhal où elle croisa la route du l'âge déchu Kel'thuzad, reconverti au nécromancien servant le Culte des Damnées visant à purger ses terres de toute vies.
En unissant ses forces avec celle de Jaina, elle parvint à venir à bout du nécromancien et le réduire au silence, mais comprit trop tard que Kel'thuzad n'était qu'un pion dans cette entreprise mortifère, que les vrais effets de cette épidémie n'étaient pas seulement de tuer les habitants de Lordaeron mais de les transformer en morts-vivants et que ce n'était que le début. Ce fut à Âtreval qu'elle l'apprit à ces dépens, impuissante, en voyant tout un village de paysans changés en armée de zombies déchaînés.
Pour ne rien arranger, peu de temps après avoir survécu à cet assaut, elle fut contactée par un étrange individu sans âge et encapuchonné qui lui expliqua que le seul moyen de sauver son peuple était de quitter ces terres condamnées de toutes façons et de prendre la mer vers l'ouest. Mais elle s'y refusa, arguant que sa place était à Lordaeron et nulle part ailleurs, qu'elle défendrait sa patrie jusqu'au bout, peu importe ce que lui prédisait ce prétendu prophète. Et même les sages de paroles de Jaina, qui la suivait et la soutenait tout du long, ne pouvaient lui faire changer d'avis.
Elle se rendait à à la cité portuaire de Stratholme, l'une des villes les plus importantes de Lordaeron après sa capitale, où elle avait des raisons de penser qu'elle pourrait être la prochaine cible de cette Peste mort-vivante. Elle fut rejointe par Jaina ainsi que par les chevaliers de la Main d'Argent, ses frères d'armes, guidés par son mentor et supérieur respecté, le paladin Uther le Porteur de Lumière dont les cheveux châtains et la barbe fournie commençaient à blanchir.
— Ravi que vous ayez réussi à nous rejoindre, Uther, se réjouissait-elle.
Elle parlait avec une voix d'homme.
— Surveillez votre langage, mon garçon, lui répondait sévèrement Uther. Vous êtes peut-être le prince mais en tant que paladin, je suis toujours votre supérieur.
— Je risquerai pas de l'oublier, répondait-elle avec amertume. Écoutez, Uther, il y a quelque chose que vous devez savoir à propos du Fléau...
Elle n'avait pas eu pas le temps de terminer sa phrase qu'elle avait constaté avec effarement que l'entrée de la ville était jonché de caisses de grains en provenance d'Andhoral. Toutes étaient déjà ouvertes et vidées de leur contenu. Et elles empestaient encore la mort.
— Nous arrivons trop tard, s'affolait-elle. Les habitants ont été infectés ! ... Ils ont peut-être l'air normal pour le moment mais d'ici peu ils vont se transformer en mort-vivants !
— Quoi ?
Elle ne pouvait que partager le désarroi de son supérieur. Et ayant été témoin des effets de cette maudite Peste à Andorhal et à Âtreval, elle ne pouvait laisser faire. Cela marquerait la fin irrémédiable de Lordaeron. Et il n'y aurait plus assez de forces armées pour endiguer ce fléau. Elle dût alors se résoudre à la plus dures des solutions, elle qui s'était juré de protéger et servir son royaume et ses habitants, elle qui avait fait serment de justice, de protection et de compassion.
— Toute la ville doit être purgé.
— Comment pouvez-vous prendre une telle décision ? s'indignait Uther. Il y a sûrement une autre solution !
En temps normal, elle aurait aimé être de l'avis de son mentor, si sage et respectable. Mais lui n'avait pas vu comme elle les ravages que causaient cette Peste et ses pestiférés. Et c'était le seul moyen d'endiguer efficacement ce fléau, en le tuant dans l'œuf. D'autant que le temps leur manquait cruellement.
— Bon sang, Uther ! s'impatientait-elle. En tant que futur roi, je vous ordonne de purger cette ville.
— Vous n'êtes pas encore mon roi, mon garçon, répondait sèchement Uther avec un regard de défi. Et même si vous l'étiez, je ne vous obéirais pas.
— Dois-je donc vous considérer comme un traître ? demandait-elle, exaspérée par l'entêtement et l'insubordination de son maître.
— Un traître ? s'offusquait Uther. Vous avez perdu l'esprit, ... ?
— Vraiment ? ... Seigneur Uther, par la grâce de mon droit de succession et le pouvoir de ma couronne, je vous relève de votre commandement et interdis à vos paladins de me servir.
Choquée et effarée par son attitude, Jaina tentait d'intervenir et de la raisonner :
— ... , vous ne pouvez pas...
— Trop tard ! l'interrompait-elle sèchement, ne pouvant supporter davantage qu'on discutait ses ordres. Ceux d'entre vous qui veulent sauver cette terre, suivez-moi ! Les autres, disparaissez de ma vue !
— Vous venez de franchir un cap très dangereux, l'avertissait Uther tandis qu'il tournait les talents avec sa cohorte.
Tous les chevaliers de la Main d'Argent emboîtait le pas du Porteur de Lumière.
Puis son cœur se brisait en voyant Jaina les suivre.
— Jaina ?
— Je suis désolées, ... , répondait cette dernière les yeux au bord des larmes. Je ne peux vous regarder faire ça.
Il ne lui restait désormais plus que des fantassins et des cavaliers qui avaient prêté serment à la couronne de Lordaeron. Fort heureusement, ils étaient juste suffisamment nombreux pour exécuter la tâche qu'elle s'apprêtait à les confier.
Cela ne l'empêchait pas de se sentir abandonnée et trahie par ceux qui comptaient le plus pour elle. Par Uther qu'elle avait toujours considérée comme un second père et par Jaina avec qui elle partageait une certaine affection. Et pourtant, en son for intérieur, elle ne pouvait qu'à moitié les blâmer pour leur décision. Elle même n'aurait jamais rien toléré de telle en temps normal. Elle s'y serait même opposé et aurait cherché à punir l'instigateur. Mais les temps avaient changé et elle n'y pouvait rien y faire. Tant et si bien qu'elle leur en voulait plus pour l'avoir tourné le dos sans lui proposer de meilleure solution, l'obligeant à exécuter à elle seule cette horrible tâche.
Suivie de ses fidèles soldats, le marteau à la peau, elle se résolvait à entrer dans Stratholme et lancer sa purge malgré tout, quoi que cela lui en coûtait.
Ils traversaient alors la porte principale et débouchaient sur la Place du Roi où les résidents en apparence normale vaquaient à leurs occupation dans l'insouciance, ignorant qu'ils étaient pestiférés et d'ores et déjà condamnés.
— Père, pardonnez moi pour ce que je dois faire, murmurait-elle.
Elle s'approchait d'un pas fermé vers un des citoyens qui venait de remarquer sa présence.
— Prince ... ? Que nous vaut cet honneur... ? Hé, mais que se passe-t-il ?
— Je viens vous aider à mourrir proprement.
Sans crier gare, elle assénait un violent coup de marteau dans le visage du pauvre citoyens, répandant sa cervelle sur le sol pavé et suscitant l'effroi et la terreur parmi les autres citoyens.
— Les hommes du roi nous attaquent ! criait-on. Sauve qui peut !
Elle ordonnait ainsi l'épuration de Stratholme, envoyant ses soldats aux quatre coins de la ville éliminer tout ce qu'ils y trouvaient, hommes, femmes, vieillards, pestiférés ou non, jusque dans leur maison.
Un massacre sans nom ni précédent auquel elle participait également.
Chaque mort lui déchirait un peu plus l'âme, songeant que ces victimes la respectaient et croyaient en elle, qu'elle était un symbole d'espoir pour ces pauvres gens qu'elle massacrant sans ménagement.
D'autant que les supplications de ses victimes n'arrangeait en rien les choses.
— Qu'est ce que nous nous avons fait ?
— Vous êtes supposé être notre prince ! Le défenseur de Lordaeron !
— Pitié, votre seigneurie !
Elle se répétait qu'elle faisait pour sauver son royaume, qu'il ne s'agissait que d'un mal nécessaire, un sacrifice pour le plus grand bien. Mais cela ne suffisait à calmer la souffrance qu'elle s'infligeait.
Elle en voulait davantage à Uther et Jaina pour leur inaction, de l'avoir laisser commettre de tels exactions et s'infliger de tels souffrances, l'amenant à supporter à elle-toute seule la peine d'avoir dû sacrifié ses propres sujets.
Ses hommes et elle avait peine fini de purger la place que le ciel s'assombrissait et qu'un démon ailé, aux longues cornes et aux sabots fendus apparaissait sur le toit d'un des bâtiments, toisant du regard les soldats.
— Je vous attendais, jeune prince, disait le démon d'un air supérieur et sadique. Je suis Mal'Ganis. Et comme vous avez pu le constater, cette population m'appartient désormais.
Le démon levait une main griffu vers un point éloigné de la ville et la serrait colle s'il pressait quelque chose d'invisible. Des cris inhumains se faisaient alors entendre depuis l'autre bout de la ville. C'était les résidents restants qui subissaient les effets de la Peste et se transformaient en morts-vivants, désormais esclaves de la volonté de Mal'Ganis.
— Je vais transformer cette cité maisonnée par maisonnée, jusqu'à ce que la flamme de la vie y soit éteinte... pour toujours.
— Je ne le permettrais pas, jurait-elle avec hargne. Je préfère tuer moi-même ces gens que de les laisser devenir vis esclaves dans la mort.
Et la purge reprenait de plus bel. Cette fois, en plus de civils potentiellement pestiférés, ils devaient faire face à ceux changés en goules et zombies déchainés, qui sous l'influence du démon n'avaient pour mot d'ordre que de tuer tout ce qui était sur leur chemin, ce qui était vivant. Et les habitants de Stratholme, déjà terrifiés par les exactions de leur prince, se retrouvèrent pris entre deux feux.
Cela n'affectait en rien sa décision. Mieux valait pour elle d'exécuter elle-même ses propres sujets d'une mort rapide que de les condamner à une mort douloureuse et atroce dans les griffes des morts-vivants ou les laisser devenir l'un d'entre eux.
Et chaque mort la brisait davantage de l'intérieur. Même lorsqu'elle tuait les morts-vivants, se rappelant que quelques minutes plus tôt, ils comptaient encore parmi ses plus loyaux sujets.
Si seulement ils n'avaient pas consommé le grain d'Andorhal ou ne l'avaient importé. Si seulement Kel'thuzad ne l'avait pas empoisonné.
Tout cela était de la faute de Mal'Ganis, se disait-elle tout en perpétrant sa purge. C'était lui qui avait condamné ces pauvres gens, pas elle. Et tôt ou tard, elle ferait payer au démon son crime.
Le combat fut rude mais ayant au préalable empêcher des résidents de grossir le rang des morts-vivants, elle et ses hommes parvinrent finalement à en venir à bout, dans la sueur et le sang. À la fin de la journée, de ce qui plus tôt était encore une ville prospère et vivante, il n'en restait plus qu'une ville fantôme en proie aux flammes, aux rues pavés de cadavres des habitants, morts-vivants ou non.
Elle se retrouvait désormais seule face à démon qui malgré la défaite ne bronchait pas pour autant. Il semblait même satisfait de ce qu'elle venait d'accomplir. Comme si on voulant à tout prix lui mettre les bâtons dans les roues, elle n'avait fait que lui mâcher le travail.
Mais elle n'allait pas le laisser s'en tirer aussi facilement.
— Nous allons en finir tout de suite, jurait-elle en serrant rageusement son marteau. Rien que vous et moi.
— Vous avez le verbe haut, le nargua Mal'Ganis imperturbable. Malheureusement pour vous, ce n'est pas du tout la fin.
Le démon disparut dans un nuage de fumée noire sans lui laisser le temps de charger. Mais elle continuait d'entendre sa voix désincarnée :
— Votre épreuve commence à peine, jeune prince. Rassemblez vos forces et retrouvez moi dans les terres arctiques du Norfendre. Où aura lieu l'engagement décisif.
— Soyez maudit, Mal'Ganis ! pestait-elle folle de rage. Si je le dois, je vous pourchasserai jusqu'au confin de la terre ! Vous m'entendez ? JUSQU'AU CONFINS DE LA TERRE !
Gahahli se réveilla en sursaut, en sueurs, tremblante de tout son corps, les joues inondées de larmes, le souffle coupée et le cœur lui martelant la poitrine.
En plus de ça, elle fut prise d'une irrépressible envie de vomir et se saisit rapidement d'un pot de chambre.
Elle se rendit compte un peu tard qu'elle n'était plus seule dans le dortoir. La salle regorgeait d'aventuriers — ses compagnons d'armes entre autres et d'autre qu'elle ne connaissait ni d'Adam ni d'Ève — tous plongés dans les bras de Morphée.
Heureusement pour elle, tous étaient si profondément endormi qu'aucun ne fut dérangé par ses vomissements, excepté Jakua soucieux de la santé de sa "partenaire".
La jeune elfe de la nuit ne s'était pas rendu compte qu'elle s'était endormie au moment de faire ce... rêve. Elle qui jusqu'alors luttait désespérément contre l'insomnie.
Elle avait à plusieurs occasions fait des cauchemars dans lesquels elle revivait l'attaque des démons et des orcs corrompus sur son village et sa forêt natale, voyait ses proches se faire décimer ou était confrontés à d'autres forces obscures et maléfiques dont elle ignorait la nature.
Mais cette fois c'était différent. C'était trop authentique et réelle pour n'être qu'un simple cauchemar.
C'était plutôt comme si ça s'était vraiment passé. Comme un souvenir. Comme si elle avait vraiment et délibérément ordonné la purge d'une ville pour empêcher ses habitants de devenir des morts-vivants. Et elle en tremblait encore, à l'idée d'avoir pu vivre une telle ignominie et commettre de tel atrocité, même pour le "plus grand bien".
Sauf qu'elle était certaine de n'avoir jamais rien fait ni vécu de tel. Comme elle était certaine de n'avoir jamais porté d'armure aussi lourde ni utilisé de marteau aussi imposant, chétif comme elle était. Elle était également certaine de n'avoir jamais connu d'Uther, ni servi la Main d'Argent ou Lordaeron en tant que paladin ni eu de sentiments aussi intime à l'égard de Dame Portvaillant ni eu quelconque titre de noblesse ou de commandement. Quant à la seule fois où elle était passé par Stratholme, ce fut très récemment, la cité était déjà en ruine et la forêt qui l'entourait — ressemblant à s'y méprendre à la forêt d'Elwynn dans ce souvenir — avait déjà une toute autre figure.
Ce souvenir n'était clairement pas le sien. Pas plus que les sentiments, les émotions, les croyances, les convictions et les regrets qu'elle y avait ressenti.
C'étaient ceux d'un autre.
Ceux d'Arthas Menethil.