Un monde de glace
Chapitre 10 : Les craintes d'un chaman
3027 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 26/05/2023 00:45
Le Roi Liche était sorti de sa torpeur et avait lancé son invasion depuis tout juste quelques jours et le bilan était déjà très lourd. À commencer par le Norfendre, territoire même du Fléau. En seulement quelques heures, le peu de vie prospérant sur ses terres gelées avaient déjà été décimé.
Heureusement pour la cité des mages de Dalaran et ses résidents, dont Fyrvas et Harrina, celle-ci était inaccessible par la voie terrestre. En effet, la cité flottait depuis sa reconstruction au dessus de la Forêt enclavée de Chants de Cristal, au plein centre du continent. Et de ce fait, on y pouvait y accéder soit par la voie aérienne soit via un cristal de téléportation caché dans la Forêt aux arbres de cristal et gardé par les mages du Kirin Tor. C'était devenu une question de sécurité depuis que le Fléau et la la Légion Ardente avaient ravagé Dalaran et massacré sa population quelques années plus tôt, une assurance de ne pas voir se répéter le sinistre scénario.
Cependant, si le Kirin Tor avaient su renforcé ses défenses depuis sa défaite contre le Fléau, il en était de même pour ledit Fléau qui avait largement eu le temps et le loisir de renforcer ses troupes. Ce n'était donc qu'une questions de temps avant que le Fleau n'y envoyât ses forces aériennes ou ne trouve un moyen d'y accéder même par la voie terrestre. D'autant que la cité flottait à tout juste à un battement d'aile de dragons du glacier servant de bastion au Roi Liche, la Couronne de Glace, qui prenait de plus en plus des airs de forteresse.
Et si le Roi Liche était parvenu à anéantir Dalaran avec la moitié des forces actuelles du Fléau, rien ne l'empêchait de renouveller l'expérience.
Ce pourquoi Fyrvas et Harrina furent dépêchés d'aider le Kirin Tor à sécuriser la cité flottante avant que le Fléau ne lançât sa nouvelle attaque. Et ayant été témoins de la première lors du réveil du Roi Liche, ils n'avaient plus le droit à l'erreur.
À dos de griffon — et ayant dû laissé leur dragonnet adoptif à l'abri dans leur quartiers, ils se rendirent sans plus attendre vers un site de ruines elfiques dont l'énergie encore présente était susceptible de servir les sorciers du Fléau pour créer un portail. Ces ruines étaient situées dans la région Sud-Ouest de la Désolation des Dragons, elle même une vaste région enneigée connu pour être un véritable cimetière de dragons, d'où son appellation, en plus d'en être la plus emblématique avec la Couronne de Glace. Et déjà des nérubiens morts-vivants — les Démons des Cryptes — infestaient cette partie de la région. À peine atterri, le druide et la magicienne n'avaient pas tardé à en repousser quelques uns.
— Cela doit signifier que leur "nid" est dans les parages, supposa Harrina alors qu'ils inspectaient la zone ainsi que les cadavres des ennemis, elle qui avait les araignées en horreur.
— Un "nid" ? répéta Fyrvas incrédule.
— Disons plutôt une cité, voir un royaume entier, précisa la magicienne. J'ai lu quelques part dans les archives de Dalaran qu'avant l'avènement du Roi Liche et du Fléau mort-vivant, avant qu'ils n'en deviennent ses serviteurs, ces monstruosités arachnoïdes avaient formé un vaste empire sous les glaciers du Norfendre. Et l'entrée doit être quelque part, j'en mettrais ma main à couper. Reste encore à le trouver et...
— Elle doit sûrement être déjà en route, lâcha soudain le vieil elfe druide.
— Qui ça ?
— Gahahli, bien sûr ! Avec ce qui vient de se passer, la connaissant, elle a sûrement déjà pris les armes et pris le premier bateau pour aller combattre ce Roi Liche. Peut-être même est-elle déjà sur ces terres gelées. Avec cette bande de bras cassés qui lui servent de compagnons pour l'encourager. Et évidemment, je ne peux rien faire pour l'en dissuader. De toutes façons, quoi que je fasse, impossible de la faire changer d'avis.
— Franchement, t'es pas croyable, Fyrvas Sombrétoile ! se moqua Harrina légèrement exaspérée. On serait en plein milieu d'une bataille à lutter pour survivre et tout ce qui te préoccupe c'est ta fille et ce qu'elle serait en train de faire ou de ne pas faire.
— Il faut bien, se défendit l'elfe druide. C'est ma fille. Rien de plus naturel. Et puis elle est tout ce qui me reste. S'il lui arrivait quelque chose, je ne m'en remettrai jamais. Je ne le le pardonnerai jamais.
— Ça je l'ai compris, lui répondit la magicienne. Tu le dis à chaque fois. Et je pense que tu t'inquiètes trop et que tu la sous-estime trop. Au pire, elle a toujours son tigre et et ses compagnons d'armes pour veiller sur elle... et l'empêcher de faire des bêtises.
— On voit bien que ce n'est pas ta fille ! lui rétorqua Fyrvas. Tu as pourtant dû constaté comme moi à quel point elle ne tient pas en place, qu'elle n'en fait su'à sa tête, qu'elle est inconsciente et a le don de se mettre en danger.
— C'est vrai qu'elle est loin d'être un exemple de discipline et de prudence. Et c'est vrai qu'elle a ce don de se mettre dans le pétrin. Mais au moins ça lui fait de l'expérience. Et c'est peut-être ce qu'il faut pour la tempérer. Alors peut-être que c'est ce qu'il y a de mieux pour elle.
— De quoi ? Qu'elle frôle la mort à chaque seconde ?
— Pas nécessairement. Simplement qu'elle tire quelque chose de toutes ses mésaventures et ses expériences. Qu'à force elle s'endurcisse et s'assagisse. Ce que je veux dire c'est qu'il vaut mieux pour elle qu'elle expérimente la vie et mûrisse en conséquence qu'elle passe sa vie cloîtrée dans sa maison, à l'abri du moindre pépin pour autre n'être préparée à rien du tout quand une invasion de démons ou de morts-vivants s'abatteront sur elle.
— On croirait entendre l'autre vieux tauren.
— Et bien peut-être que t'aurais dû l'écouter un peu plus quand il combattait avec nous en Outreterre. Il est plutôt de bon conseil, tu sais... Pour quelqu'un de la Horde.
— On parle de moi, j'ai l'impression, intervint une troisième voix plutôt familière.
C'était bien Beliah, le vieux et non moins imposant tauren chaman au pelage blanc, les cornes usées, les yeux ternes témoignant d'une légère cécité, vêtus de peaux de bêtes, sortant de derrière une ruine couverte de neige et se déplaçant avec une canne qui se dirigea lentement mais non moins amicalement vers Harrina et Fyrvas, tous deux surpris de leur présence.
Ces derniers l'avaient connu par avoir voyagé et combattu avec eux en Outreterre contre la Légion Ardente.
— Je me disais bien avoir reconnu des voix, dit Beliah d'une humeur plaisantine. Mes yeux ne sont peut-être plus ce qu'ils étaient mais mes vieilles oreilles n'ont pas encore perdu de leur acuité.
Harrina fut la première à serrer le vieux tauren dans ses bras. Elle paraissait tellement menu comparé à l'imposant chaman cornu et velu qui pourrait aisément broyer sa tête d'une seule main. Fyrvas quant à lui resta cordial et se contenta d'un simple salut de la main.
— Ça fait tellement plaisir de vous revoir, dit Harrina. Même si c'est là où on vous y attendait le moins.
— À ce propos, qu'est-ce qui vous amène dans ces contrées glaciales et inhospitalières ?demanda Fyrvas sceptique.
— J'ai repris mon pèlerinage depuis notre retour de l'Outreterre, répondit le vieux tauren. Cela m'a conduit ici, où j'ai eu le plaisir de découvrir une tribu de Taunkas à qui je rend visite dés lors. Ils ont établi un village juste au nord de ses ruines, au pied des chutes d'eaux que vous apercevez là bas. Mais j'aime autant vous prévenir, ils sont moins paisibles et plus farouches que mes semblables.
La magicienne et le druide n'avaient pas tant besoin de l'avertissement de Beliah pour le savoir. Depuis le temps qu'ils arpentaient le Norfendre, il connaissaient l'existence de se peuple cousin des taurens, se distinguant par leur face plus aplati, évoquant le bison. Et en raison de leur environnement, bien qu'étant une race officiellement neutre, ils étaient certainement moins amicaux que les taurens de la Horde.
— Est-ce la vraie raison de votre présence ici ? demanda le druide avec insistance et scepticisme. Parce que l'heure n'est pas vraiment au tourisme et aux visites de courtoisie chez des cousins éloignés.
— On ne peut rien vous cacher à vous, jeune druide, rétorqua le vieux tauren goguenard.
— Alors qu'est-ce qui vous amène ici ? insista Fyrvas. Pour de vrai ?
— La même raison qui l'a conduit à croiser votre route en Outreterre, je le crains, répondit Beliah d'un ton soudain plus grave.
— Vous vous parlez... de vos visions prophétiques ? demanda à son tour Harrina.
— C'est cela, répondit le tauren. Et je crains que ma tâche pour les contrecarrer ne fait que commencer.
— Vous pourriez nous en dire plus sur ces... "visions" ? demanda Fyrvas avec une légère impatience dans la voix. Et sans que ce ne soit par énigme.
— S'il le faut, céda Beliah. Ce que j'ai vu avant de partir traverser la Porte des Ténèbres... est tout simplement apocalyptique. Des morts, de la souffrance, de la haine et de la ruine partout. Autant au sein de la Horde que de l'Alliance. Et même en dehors. Personne ne serait épargné. Mais le plus terrifiant, le plus troublant je dirais même, était que la cause n'était ni la Légion Ardente ni le Fléau mort-vivant. Non. Elle viendrait de l'intérieur même.
— De l'intérieur de quoi ?
— De nos propres rangs ! répondit le tauren. Ceux combattant le Mal que nous affrontons en ce moment même ! L'ennemi serait parmi nous !
— Attendez une minute ! l'interrompit Fyrvas. Par "nous", vous voulez parler de votre Horde ? Ou de l'Alliance et de la Horde !
— Disons un peu de chaque, répondit Beliah.
— Et la cause de cette apocalypse, vous avez pu l'identifier ? demanda Harrina perplexe.
— J'ai vu des visages, répondit le tauren d'un ton grave. Des tas de visages. Mais hélas, il m'est difficile de les reconnaître avec la vue qui baisse.
— Comme c'est pratique ! ironisa Fyrvas.
— Néanmoins, il y a au moins un que j'ai pu identifié... Quand nos routes se sont croisés en Outreterre, s'empressa d'ajouter Beliah
— Et comment avez vous pu l'identifier ? demanda l'elfe druide sceptique. Vous n'avez pas dit à l'instant que vous avez une trop mauvaise vue pour reconnaître un visage ?
— L'instinct, mon ami, répondit sobrement le tauren. L'instinct. Les yeux peuvent se tromper et les visages peuvent n'être que des masques. Mais l'instinct ne se trompe jamais.
— Dites... Au sujet de la personne que vous avez identifié, demanda Harrina don't la voix trahissait une légère angoisse. S'agirait-il... à tout hasard... de mon.... De mon père ?
Le vieux tauren demeura interdit face à la supposition de la jeune magicienne. Comme surprit qu'elle pût ainsi soupçonner son père. Ou bien venait-elle de lettre le doigt sur quelque chose que même Beliah n'osait avouer en sa présence. Difficile à dire tant le tauren s'efforçait de rester impassible.
En tout cas, le vieux tauren prit son temps avant de reprendre la parole et répondre à la question de la magicienne par une autre question :
— Pourquoi soupçonnez vous donc votre propre père ?
— Parce que c'est un mort-vivant Réprouvé doublé d'un démoniste, j'imagine ! s'empressa de répondre Fyrvas à la place de Harrina, non sans afficher son dégoût pour la race mort-vivante.
— Je doute que ce soit une raison suffisante ou même valable, rétorqua le vieux tauren la voix pleine de reproche.
— C'est vrai, ce n'est pas la seule raison, confessa la magicienne. Mon père avait beau être... avoir été un mage respecté à Dalaran de son vivant, mais c'était loin d'être quelqu'un de chaleureux... ou même de très net, maintenant que j'y pense. Rien qu'à la maison, c'était quelqu'un de strict et d'autoritaire, presque tyrannique, avec qui il était impossible de discuter ses décisions ou de placer un mot (elle lança un regard sans équivoque en direction de Fyrvas). Il pouvait se montrer terrifiant si on osait lui tenir tête.
Fyrvas mal à l'aise se risqua de demander :
— Et... C'était avant qu'il ne... ?
— Avant qu'il ne soit devenu un Réprouvé et un démoniste, oui, vint confirmer Harrina. Et je doute que ça l'ait bonifiait, le connaissant. Mais il n'y avait pas que ça. Quand il ne passait pas le plus clair de son temps à nous gronder et nous donner des ordres, il s'enfermait dans son bureau durant des heures. Bureau dont personne, pas même sa propre famille, n'était autorisé à entrer. Ni même voir l'intérieur.
" Je n'ai jamais sur quoi il travaillait dans ce bureau... Ou même ce qu'il y faisait de manière général... À l'époque, je pensais que ça concernait simplement son boulot. Je ne saurais dire si ça a un rapport avec votre affaire. Juste qu'avec le recul, ça le semble louche.
— Cela nous avance pas beaucoup, rouspèta Fyrvas.
— Ce que je veux dire c'est qu'au vue des circonstances et de ses antécédents, cela ne me surprendrait qu'à moitié que mon père soit sur un mauvais coup, précisa la magicienne d'un air maussade. Plus rien en ce monde ne m'étonne, pour dire vrai.
L'attention de Fyrvas se reporta sur une colonne de fumée qui s'élevait depuis les chutes d'eau plus au nord. Les mêmes chutes que le vieux tauren avait décrit un peu plus tôt.
— Hum... Beliah ? se risqua-t-il de demander. Ce ne serait pas le village que vous aviez visité, d'où prévient cette...
— Si ! répondit le tauren soudain en alerte. Je l'ai senti moi aussi. Brule-Glace est attaqué !
Ils se rendirent aussi vite qu'ils pouvaient audit village de Brume-Glace, eteblit sur un îlot au centre d'un lac dans lequel se déversait la cascade. Mais il était déjà trop tard.
Des civils Taunkas de tous âge fuyaient la ville mis à feu et à sang par une horde de nérubiens qui avaient désormais pris le contrôle. La plupart des rescapés transportaient tant bien que mal des guerriers blessés ou entre la vie et la mort, tandis que d'autres gisaient au sol.
Beliah se précipita au secours de ses cousins blessés et apeurés tandis que Fyrvas et Harrina, se devant de garder leur distance avec ces hommes-bisons réputés pour être farouches, ne purent que contempler avec impuissance le triste spectacle qui se tenait devant eux.
À vue de nez, les nérubiens étaient trop nombreux et trop puissants pour être mis en déroute par un elfe druide, une jeune magicienne et un vieux tauren chaman. La plupart pouvaient voler et ressemblaient à un sordide mélange d'araignées et de chauve-souris. D'autres étaient plus imposants et ressemblaient davantage à des scarabées humanoïdes pourvus de crochets tel des mantes religieuses.
Le trio savait à l'avance que même s'ils parvenaient à les chasser du village, d'autres rappliqueront et seront plus féroces et impitoyables que la première vague. Exactement comme le Fléau.
Il leur faudrait combattre le mal à sa source. De ce fait, ils devraient trouver leur "nid" et "couper la tête du serpent", les tuer dans l'œuf si nécessaire.
Mais pour cela, il leur faudrait des renforts. Ils ne purent qu'espéré que les forces de l'Alliance et de la Horde venues combattre le Fléau arriveront à bon port.
Avec prudence, la magicienne et le druide rejoignirent le vieux tauren qui s'entretenait avec vraisemblablement le chef de la tribu Taunka. Celui communiquait en langage tauren — incompréhensible pour l'elfe et la magicienne, primitif selon Beliah — et à en juger par son attitude et le ton de sa voix, il semblait aussi bouleversé que le reste de sa tribu.
— De ce que j'ai pu comprendre, les nérubiens les ont pris par surprise, leur expliqua Beliah qui faisait office de traducteur. Depuis le sol. Les nérubiens avaient creusé des galeries juste sous leur village. C'était finement organisé, ils sont parvenu à éviter l'eau. Et puis ils ont surgi du sol. Les Taunkas ont à peine eu le temps de riposter qu'ils se sont déjà fait décimer.
— Ont-ils un refuge où se rendre ? demanda Harrina inquiète du sort des Taunkas.
— Il y a bien des campements d'autre tribus à l'est qui pourraient accueillir les rescapés, répondit le vieux tauren dans trop d'espoir. À moins qu'ils aient eux aussi été frappés par le Fléau.
— Au moins la bonne nouvelle, on a un moyen d'atteindre leur "nid", dit Harrina soudain emplie de détermination. Oui, les galeries qu'ils ont creusé pour atteindre le village. On peut les utiliser à notre avantage.
— Encore faut-il sécuriser la zone avant de pouvoir y accéder, fit remarquer Fyrvas en observant d'un air pessimiste la Horde de nérubiens qui infestait victorieusement Brume-Glace mis à feu et à sang par leurs soins. Et à nous trois, ce n'est pas encore gagné.
Le chef Taunka se mit à maugréer en langage tauren d'un ton sombre, tremblant de ses poings fermés comme s'il se retenait de frapper quelque chose.
— Il parle du royaume... De l'empire souterrain des nérubiens, expliqua Beliah. "Azjol-Nerub" qu'ils m'appellent... Ainsi que de leur chef... Anub'arak... "Le Roi Traitre".