Un monde de glace
À mesure qu'elle s'enfonçait dans les Maleterres à cheval avec ses compagnons d'armes, Gahahli ne pouvait que ressentir combien ses terres étaient malades, contaminées et gangrenées par un mal indescriptible. Pour cause, elle avait déjà ressenti quelque chose de similaire à Sombrivage, la côte forestière non loin de là où elle habitait et qui avait partiellement souffert du passage des démons... ainsi que de l'influence d'un mal encore plus ancien.
Mais ici, c'était plus puissant. C'était la présence de la mort qu'elle ressentait. Et ce n'étant pas tant dû à la présence des morts-vivants qui hantaient habituellement les villages fantômes, fermes abandonnées et autres bâtiments délabrés ni celles des animaux pestiférés qui erraient dans les bois dans l'attente que l'on mît fin à leur supplice. Elle pouvait le ressentir jusque dans la végétation, dans l'herbe, les fougères et les arbres malades. Et dans l'air saturé d'une brume grise et fumeuse qui n'avait rien de naturel.
Et plus ils s'enfoncèrent vers l'Est, plus l'influence du Fléau y était présente. Tant et si bien qu'une fois traversée la rivière séparant la région en deux, ils n'y virent plus que des étendues de terres marrons et malades, des arbres morts et une brume orange qui n'avait rien de naturel et polluait l'air.
En bonne amoureuse de la nature qu'elle était, Gahali eut haut-le-cœur à la vue de ces terres désolées, gangrenées et ravagées par la mort. Elle peinait à croire que ces terres furent autrefois fertiles et accueillantes, qu'elles avaient hébergé l'ancien royaume de Lordaeron qui avait ainsi pu prospérer durant des siècles, en témoignaient les nombreuses fermes et villages laissés à l'abandon que le groupe avait dû traversé à toute hâte, sans parler des tours de guets en ruines. Et il était clair pour elle que cela était l'œuvre du Mal incarné.
— Qu'est ce qui a bien pu arrivé à ces terres, par Elune ? demanda-t-elle le souffle coupé.
— Tu n'es donc pas au courant ? demanda Baelbo avec qui l'elfe de la nuit partageait sa monture (et n'était clairement pas à l'aise à cheval).
— Je n'étais pas là, je te rappelle, lui répondit l'elfe. Et Ouladre non plus d'ailleurs.
Elle jeta un rapide coup d'œil au draeneï qui semblait aussi décontenancé et horrifié qu'elle.
— Je te raconterai bien dans les détails comment Lordaeron est tombé mais je crains que le temps nous manque, dit le gnome. Tout ce que je peux te dire, c'est que dans cette région que tout a commencé... avec la Peste mort-vivante, qui a contaminé le grain et transformé quiconque l'avait consommé en zombie.
— Par Elune...
— Et ce n'était que le début. Je te raconterai le reste plus tard si on s'en sort.
Guidé par Tirion Fordring et ses hommes, le groupe ne rencontra aucun problème sur la route, malgré le fait qu'ils étaient en territoire ennemis. Selon Turion, les villages habituellement hantés par les morts-vivants avaient probablement étaient vidés quand le Fléau avait démarré sa nouvelle invasion. De ce fait, les quelques ennemis qu'il croisaient n'étaient que des zombies facile à tuer et trop lents pour réagir ou atteindre les chevaux.
Le trajet se déroula donc sans accroc... jusqu'à ce qu'ils atteignirent la Croisée de Corin où un chevalier de la Main d'Argent en alerte vint à la rencontre de Tirion.
— Seigneur Frodring ! La Chapelle de l'Espoir... est assiégé !
— Que dis-tu ? demanda Tirion incrédule.
— Les morts-vivants d'Archérus... Ils nous encerclent... Moi seul et pu m'en échapper...
— Les rats ! Ils ont tout calculé ! pesta Tirion. Et je le suis fait avoir comme un bleu !
— Et ce n'est pas tout, monseigneur ! s'empressa d'ajouter le chevalier-messager. Darion Morgraine dirige l'assaut...
— "Darion Morgraine", dis tu ? répéta Tirion pensif. De mieux en mieux... !
— Quelqu'un pourrait me dire ce que cela signifie ? demanda Gahahli aussi perplexe qu'impatiente.
— Ça signifie, dame elfe, que j'ai un "léger" contretemps, répondit Tirion d'un ton grave. Désolé, aventuriers, mais il faudra que vous continuez sans nous. Si mes hommes et moi-même ne partons pas dans l'instant pour la Chapelle, nous risquons de perdre notre unique bastion dans ces terres maudites.
"Partez vers le nord, comme si vous vous rendiez à Stratholme, jusqu'à ce que vous atteignez Pestebois. Vous y trouverez le ziggourat qui vous permettra d'atteindre votre nécropole. Faîtes vite ! Le sort d'Azeroth dépend de vous ! Que la Lumière soit avec nous !
Sur ces mots, Tirion s'en alla au triple galop vers l'Est, suivi du messager, laissant les aventuriers en plan.
— Voilà qui est très encourageant ! ironisa Batël.
— C'est toujours la même chose ! protesta Baelbo. Pour nous demander de l'aide et sauver le monde, il y a du monde, mais pour NOUS aider et aller au bout de la mission, il n'y a plus personne ! Toujours occupé ailleurs !
— Dites donc, vous avancez au lieu de rouspéter ! les interpella Bathris qui avait déjà pris la route pour le nord. Nous avons une invasion de morts-vivants à arrêter, je vous rappelle !
Gahahli ne se la fit pas dire de fois et malgré les protestations du gnome, elle secoua les rênes de sa monture qui partit au galop suivre l'elfe de sang à travers les Maleterres.
Ils arrivèrent finalement à l'orée d'une forêt forte inhabituelle dans laquelle les arbres morts avaient fait place à des champignons géants, pour la plupart à l'apparence vénéneuse et d'où jaillissait du gaz marron, potentiellement toxique.
Pestebois.
— Tiens, ça me rappelle le marécage de Zangar, commenta Ouladre faisant référence à un marais de son monde d'origine où poussait également des champignons aussi grand que des arbres.
— Et dire qu'avant c'était une des forêts les plus verdoyantes et luxuriantes de Loardaeron, maugréa Bathris l'air grave.
— Laissons là les chevaux et allons chercher ce portail ! ordonna Batël qui descendit du sien. Je doute fort qu'ils voudront d'aller plus loin. Et couvrez vous le visage quand vous entrerez dans cette... zone. Faudrait pas respirer du gaz toxique.
Tous descendirent de leur monture et se servirent de leur cape pour se couvrir la bouche et le nez. Gahahli aida Baelbo à descendre du cheval, handicapé par ses petites jambes.
— Décidément, l'équitation, ce n'est pas fait pour moi, grommela le gnome.
Puis ils laissèrent les chevaux rebrousser chemin avant de s'aventurer avec prudence dans Pestebois, où même le sol était spongieux et couvert de moisissure, comme s'il marchaient sur un champignon géant.
Étrangement, ils ne croisèrent pas plus d' ennemis disposés à les attaquer que sur le chemins, uniquement des goules et des Abominations déjà tuées. Et fraîchement.
— Vous ne trouvez pas que c'est un peu trop facile ? demanda Ouladre soupçonneux.
— Si ! répondit le nain pensif en inspectant les cadavres. Beaucoup trop facile, même ! J'ai l'impression que quelqu'un nous a devancé.
Sur le chemin, ils trouvèrent d'horribles bâtiments couverts de piques, vraisemblablement construit par les morts-vivants, dans lesquels avaient été découpés et suspendus à des chaînes des restes de créatures vivantes. On aurait des abattoirs.
— Ce sont des bien abattoirs, expliqua Baelbo. Les abattoirs du Fléau. C'est là qu'ils construisent leurs Abominations, ainsi que les chariots à viandes qui leur servent d'armes de siège.
Ils y trouvèrent également des autels sur lesquels étaient en train de bouillir des chaudrons desquels sortaient une vapeur de la même couleur que les gaz émis par les champignons. Sans doute le Fléau s'en servait pour répandre sa Peste. Ou dieu savait quel autre poison.
Ils trouvèrent bien quelques ziggourats, sorte de petits temples ornées de têtes de mort et de pattes d'araignées levées vers le ciel, mais aucun n'avait de portail actif. Le Fléau devait certainement limiter les accès à ces nécropoles pour éviter de se faire envahir à son tour.
En s'aventurant au nord, jusqu'au bord d'une fosse partiellement asséchée qui devait servir de douve, Gahahli vit les remparts de ce qui devait être une cité en ruines et dont l'entrée lui rappela fortement Hurlevent, la capitale de l'Alliance.
— Quel est donc cet... endroit ? demanda-t-elle la gorge serrée.
— La cité portuaire de Stratholme, lui répondit le gnome. La seconde plus grande ville du royaume de Loardaeron, autrefois. Ah, quel malheur s'est abattu sur cette si belle cité !
— La Peste mort-vivante ? supposa l'elfe de la nuit.
— Pire que ça ! vint répondre Bathris. Un prince qui a sombré dans la folie et a jugé bon de tout brûler et de tout massacrer sans distinction pour endiguer ce fléau.
Le gnome lança un regard sévère à l'elfe de sang, lui reprochant des les avoir surpris et de s'être ainsi immiscé dans la conversation.
— Et... qui était ce prince ? se risqua demander l'elfe de la nuit.
— Hé ! Les gars ! les interpella Bartelo. Je crois avoir trouvé le portail !
Tout le monde accourra vers la position du jeune paladin qui se tenait devant l'entrée d'un des ziggourats juché sur une colline.
— T'en es sûr ? demanda le nain qui accourait du mieux qu'il pouvait avec sa jambe artificielle.
— Si ce n'est pas celui-là, alors je ne vois pas ce que ça pourrait être d'autre, répondit le jeune paladin en désignant l'entrée du ziggourat.
Au centre de l'intérieur de la bâtisse se tenait une dalle circulaire verte et lumineuse. Cela avait tout l'air d'un portail de téléportation.
— Qu'attendons nous pour l'emprunter ? demanda le jeune paladin enhardi.
— Pas si vite ! répondit Batël. Tout ça est trop facile ! C'est peut-être un piège !
— Vous n'avez pas entendu ce que le seigneur Fordring a dit ! s'impatienta Bathris. Le sort d'Azeroth est entre nos mains ! Nous ne ferons que perdre un temps précieux à tergiverser !
— Et si jamais c'était un piège et qu'on tombait tous dedans, comment compte tu sauver Azeroth, gros malin ? répliqua la nain.
— Dans ce cas je passe le premier ! se décida l'elfe de de sang. Comme ça on sera fixer.
À peine avait-il fait un pas à l'intérieur du ziggourat, son épée à la main, que Baelbo s'interposa :
— Pas si vite ! Si c'est pour t'attribuer tout le mérite, vaut mieux que ce soit quelqu'un de NOTRE groupe qui passe le premier !
— Alors décidez-vous ! s'impatienta de plus bel l'elfe de sang. On a assez perdu de temps comme ça !
— La précipitation ne nous mènera nulle part ! prêcha Ouladre avec dédain.
Face à ce débat stérile qui n'en finissait pas sur qui devait passer le premier, s'il fallait prendre le portail ou non, Gahahli roula des yeux et décida toute seule de passer la première, son Sabre-de-nuit sur ses talons.
"Ah, les hommes !" pesta-t-elle intérieurement.
Elle avait déjà activé le portail, simplement en marchant dessus, quand le reste du groupe se rendit compte qu'elle venait de se jeter à l'eau.
Elle se retrouva aussitôt avec son Sabre-de-nuit dans une pièce circulaire et faiblement éclairé qui était pourvu de quatre sorties formant un carrefour.
Elle n'eut cependant ni le temps d'attendre que ses compagnons d'armes la rejoignît ni de se décider quelle direction prendre pour se rendre compte qu'elle n'était pas seule.
— Tiens, mais quelle bonne surprise ! entendit-elle soudain derrière elle.
Cette voix âpre la fit sursauter et en se retournant, elle reconnût instantanément Morpsev, le mort-vivant Réprouvé démoniste auquel elle et son groupe avait déjà été confronté par le passé. Même Jakua reconnut l'individu encapuchonné et ne tarda pas à lui montrer les crocs.
Le mort-vivant n'était pas seul non plus. Outre ses serviteurs démons composés d'un diablotin, d'un marcheur du Vide, d'une succube, d'un gangrechien (que Jakua fixait d'un mauvais œil), et d'un gangregarde armé d'une lourde hache — tout ce dont la jeune elfe de la nuit avait en horreur — il avait à ses côtés un sorcier-docteur troll en tenue tribal et à la coiffure ébouriffée ainsi qu'une elfe de sang encapuchonnée, drapée d'une longue cape noire et armée de deux épées jumelles. Gahahli était sûre de les avoir croisé mais elle ne saurait dire où et quand.
Elle eut à peine le temps de réagir à leur présence qu'elle fut aussitôt rejoint par Bathris et Baelbo en train de se disputer (encore) pour se décider qui devait passer le premier et qui eux aussi s'étonnèrent de la présence des trois intrus de la Horde. Gahahli remarqua que les deux elfes de sang eut un mouvement de recul quand leur regard se croisèrent. Ils devaient certainement se connaître.
Bientôt ce fut le reste du groupe qui se matérialisa dans la salle et qui fut surpris par la présence de Morpsev et de ses sbires. Bartelo quant à lui fut davantage frappé par la présence de l'elfe de sang voleuse.
— Que diable fais-tu ici ? l'interrogea durement Batël à l'intention du Réprouvé.
— La même chose que vous, semble-t-il, répondit obséquieusement l'intéressé.
— Ah ouais ? rétorqua Baelbo sceptique. Qui nous dit que ce n'est pas vous qui avait pris le contrôle de cette nécropole pour...
— Imbécile ! l'interrompit sèchement l'elfe de sang en tenue de voleuse. Nous venions à peine d'arriver en ces lieux quand l'elfe de la nuit a fait son apparition !
— Vous veniez à peine d'arriver ? répéta Gahahli perplexe. Mais on était devant le portail depuis un moment. Comment avait vous pu... ?
— Nous avions pris le portail les premiers, pardi ! lui répondit le sorcier troll. Juste avant vous !
— Mais personne ne vous a vu le prendre, demanda Bathris sceptique.
— Bah si ! intervint Bartelo. Moi je les ai vu ! C'est comme ça que j'ai su que c'était le portail...
— Et tu ne pouvais pas nous le dire plus tôt ? s'indigna le gnome.
— Ça suffit ! Un peu de silence ! ordonna Morpsev en tapant du sol son bâton.
— On est censé être discrets mais avec le raffut que vous faîtes, vous allez nous faire repérer à coup sûr, se plaignit l'elfe de sang voleuse.
— Qu'est-ce que ça peut faire ? rétorqua le nain imperturbable. Nous sommes là pour casser du mort-vivant ! Qu'ils y viennent et qu'on en finisse !
— Inconscients ! l'invectiva le Réprouvé. Vous ignorez donc qui est le maître de ces lieux ?
Comme pour répondre à sa question ou leur souhaiter la bienvenue, une voix d'outre-tombe résonna depuis les murs du bâtiment et pris tout le monde de court :
"Le Kirin Tor m'a chassé, exilé, condamné à errer dans les steppes gelées du Norfendre."
— Qui sait ? demanda Ouladre en proie à la panique.
— Le maître de ces lieux, j'imagine, répondit Morpsev avec sarcasme.
— Et pour qu'il s'adresse à nous de cette façon, c'est sûr qu'il nous a repéré, se plaignit le troll.
"Mais je n'étais pas seul " reprit la voix désincarnée. "Pas tout à fait".
— Cette voix... Je crois que je la reconnais, chuchota Baelbo mal à l'aise.
Le Réprouvé lui fit signe de se taire.
" La voix du Roi Liche qui fut dès lors mon ultime compagne m'a guidé vers mon destin. D'étranges créatures de cauchemar m'attendaient devant l'entrée de cette nécropole. J'ai senti mon sang devenir aussi froid que la Couronne de Glace.
" À l'intérieur, j'ai assisté à des actes horribles, à l'étalage d'un pouvoir immense que l'on me proposait. La terreur m'a fait fuir... mais pas bien loin. Trop vite, mon choix était fait.
" J'ai compris trop tard que pareil pouvoir... avait un prix. Un prix que le reste du monde va payé. Car je suis de retour. "
Les aventuriers de l'Alliance furent de plus en plus désemparés et perplexes par les propos de cette voix désincarnée.
— Mais de quoi il parle ? s'impatienta Gahahli.
— Et qui est cet individu ? demanda Ouladre avec insistance.
— Réfléchissez, pauvre fous ! les réprimanda Morpsev. Un ancien archimage du Kirin Tor... banni pour s'être intéressé de trop près à la magie noire... revenu du Norfendre à Lordaeron en tant que nécromancien pour y semer la Peste... exécuté pour ses crimes... puis revenu d'entre les morts par le même damné qui a mis fin à ses jours... (il tourna son regard vers les deux elfes de sang) au prix d'un royaume tout entier... et qui depuis règne en maître sur les terres qu'il a contaminé... depuis la nécropole où nous sommes tous réunis en cet instant précis...
Le gnome qui semblait avoir déjà compris à qui le Réprouvé faisait référence blêmit d'effroi :
— Non... Non ! Ne me dîtes pas que...
Comme pour confirmer ses craintes et les propos du Réprouvé, la voix désincarnée reprit avec méchanceté :
"Je suis Kel'Thuzad. Et votre audace sera votre perte."