Un monde de glace
—Vous n'avez rien gagné du tout, misérables insectes ! maudit la liche sur le point d'être vaincue. Mon maître vient de se réveiller ! Je peux entendre sa voix ! Il vous écrasera tous et vous lui supplierez pour qu'il vous épargne et fasse de vous ses larbins !
— Ah ta gueule ! lui rétorqua l'orc en lui assénant le coup de grâce avec sa hache.
La liche agonisant convulser avant de s'évaporer et ne laissait derrière elle une urne funéraire lui faisant office de phylactère. C'était ainsi que les liches mourraient, au lieu de tomber en morceau comme le ferait un squelette mage ordinaire.
Au fin fond des Souilles de Tranchebauge, sortes de catacombes ancestrales pour un peuple d'hommes-sanglier nommés les hurans, une petit groupe d'aventurier de la Horde composés du guerrier orc au crâne rasé surmonté d'une queue de cheval, d'un chasseur troll à la crête iroquoise, du raptor lui servant à la fois de monture et d'animal de chasse, ainsi que d'un jeune tauren avec une corne cassée, contemplèrent tous la dépouille de leur ennemi.
Ils s'étaient rendu sur les terres ancestrales du peuple huran, terres constituées de forêts de ronces propres au territoire des hurans, situées au sud des Tarides et juste avant le canyon des Milles Pointes, afin d'endiguer la menace de ce peuple primitif d'hommes-cochons hostile à la Horde depuis son arrivée en Kalimdor.
Ils devaient initialement abattre la matriarche qui y régnait en maître et ramener sa tête à Orgrimmar mais il y avait vite senti la présence de morts-vivants dans les catacombes également couvertes de ronces et qui contrôlaient les hurans résidents. Ayant encore le souvenir effroyable de ce dont le Fléau mort-vivant était capable lors de l'invasion de Kalimdor, ils jugèrent par conséquent primordial d'éliminer la menace tant qu'ils étaient dans le coin.
— Et puis cela nous fera une double récompense ! avait assuré Brotar, le guerrier orc.
D'autant que ce même groupe avait survécu au Mont Rochenoire ainsi qu'aux lieux les plus dangereux de l'Outreterre et qu'un détour des les Souilles de Tranchebauge allait être une promenade de santé en comparaison, leur avait assuré l'orc.
— Alors ? On s'en sort pas si mal, hein ? dit Turakh, le chasseur troll, qui faisait mine d'être enthousiaste. Une matriarche huran cinglée et une liche en une journée ! Qui a dit qu'on y arriverait pas à nous quatre ?
— Hum... Toi, lui répondit Brotar. Avant qu'on pénètre ces souterrains et cette forêt de ronces.
— Je suis témoin ! vint confirmer Walkyro, le tauren.
— Et alors ? Tout le monde peut se tromper ! protesta le troll.
— Ça suffit ! l'interrompit l'orc. Walkyro, passe moi le sac de butins ! Je vais y mettre cette urne avec la tête de la matriarche. Et tant que t'y es, viens soigner mes plaies !
— Walkyro fais ceci, Walkyro fais cela... Quand je pense que j'ai rejoint votre groupe pour que vous fassiez de moi un guerrier ou bien un chasseur, rouspèta le tauren qui s'exécuta malgré tout.
— Faut bien que tu te rendes utile si tu veux rester dans notre groupe, lui rétorqua l'orc. Surtout depuis que l'autre troll est parti et que t'as révélé avoir des pouvoirs chamaniques...
— Ben je crois savoir pourquoi Baorekh s'est tiré, protesta le tauren en songeant au sorcier-docteur troll auquel il faisait référence. Quant à mes pouvoirs... J'aurais aimé qu'ils servent à autre choses que pour panser tes plaies et y faire un bisou.
— Vois le bon côté des choses, Walkyro ! tenta de relativiser Turakh. Au moins, t'as une idée de ce que tu feras plus tard.
— Bon, assez perdu de temps ! s'impatienta Brotar. Prenons le butin et sortez d'ici ! Je ne resterai pas une minute de plus parmi ses cadavres et ses morts !
— Encore heureux que Morspev ne soit pas là pour entendre ça ! plaisanta le chasseur troll.
Ils sortirent donc de ce labyrinthe de ronces, loin des cadavres pour la plupart encore frais, avec leurs butins durement gagnés et inspirèrent un bon bol d'air frais une fois de retour à la surface avant de partir pour le nord.
Un loup géant à poil gris attendait les aventuriers à la sortie des souterrains. Il s'agissait de la monture de Brotar, Croc-sanglant, dont il avait fait l'acquisition peu de temps auparavant et s'en servit pour rentrer au bercail sans se fatiguer à travers la savane des Tarides.
Turakh disposait déjà de son raptor, Éventreuse, pour monture et en fit de même.
Walkyro se retrouva seul à être sans monture et contraint de faire tout le trajet à pied. S'il seulement ses compagnons daignaient à lui donner assez d'argent pour qu'il pût se louer un kodo, ses immenses reptiles à tête de rhinocéros que les taurens chassaient ou utilisaient pour le transport.
— Au fait, puisqu'on en parlait à tout-à-l'heure, il ne te manque pas, ton frère ! osa demander Walkyro à Turakh.
— Peut-être un peu... Bah, tu sais ! Je pense qu'on ait suffisamment grands tous les deux pour faire notre vie chacun de notre côté, lui répondit le troll.
— Mais ça ne t'ennuie pas qu'en ce moment il traîne avec le "macchabé" et l'autre blonde ? insista le tauren.
— En quoi c'est un problème ? demanda la troll qui avait toujours du mal à comprendre.
— Ça devrait ! dit Brotar avec un ton assuré. Un sorcier troll avec un mort-vivant et une elfe... Rien que de la mauvaise graine ! Ils ne peuvent qu'avoir une mauvaise influence sur ton frère.
— Vous... Vous croyez ?
— Surtout que le mort-vivant en question est un démoniste, approuva le tauren. Qu'il s'entoure de ses serviteurs démons. Et que l'elfe une assassine, une tueuse à gage !
— Bah... dans leur cas, pas besoin d'être un assassin ou d'invoquer des démons pour être de la mauvaise graine, fit remarquer l'orc. Vivement que le nouveau chef de guerre nous débarrasse de cette racaille !
— Comment ça, "nouveau chef de guerre" ? demanda le troll sceptique.
— Mais enfin, Garrosh Hurlenfer, évidemment ! dit l'orc.
— Le fils de Grommash ? demanda le tauren également sceptique. Celui qu'on a ramené de l'Outreterre ?
— Lui-même !
— Mais il n'est pas encore chef de guerre, que je sache ! fit remarquer Turakh. Thrall l'a seulement pris sous son aile et...
— Justement, Thrall en a fait son apprenti, confirma Brotar. C'est comme s'il l'avait désigné comme son successeur. Le reste n'est plus qu'une question de temps.
— Sauf si Thrall se marie, fonde une famille et choisit son premier rejeton pour successeur, fit remarquer Walkyro.
— Ou qu'il trouve quelqu'un plus digne de le succéder et de diriger la Horde, ajouta Turakh. Genre, quelqu'un comme son bras-droit...
— Varok Saurcroc ? s'exclama Brotar incrédule. Ce vieux croûton ? Impossible, il est plus vieux que Thrall lui-même. Et puis il se ramollit avec le temps...
— Ou bien son fils, Dranosh, reprit le troll. Parce que Garrosh, franchement...
— Un problème avec Garrosh ? demanda l'orc sur la défensive.
— Ben... Comme futur chef de guerre, on ne peut pas dire qu'il nous ait laissé une bonne impression, tenta de s'expliquer le troll. Contrairement à Dranosh.
— Personne n'est parfait, rétorqua Brotar toujours sur la défensive. Et puis dans le pire des cas... Ça peut très facilement s'arranger.
— Comment ça, "ça peut facilement s'arranger" ? demanda le tauren inquiet.
— Un accident est si vite arrivé, dit l'orc avec un sourire mauvais et tapotant sa hache.
— Un "accident" ? répéta le tauren de plus en plus inquiet. Tu ne parles quand même pas de...
— Seul dans le pire des cas, s'empressa de préciser l'orc tout en restant dans un ton calme. À l'extrême rigueur. Vous savez ce qu'on dit ? À situation désespérée, mesures désespérées.
Le troll et le tauren s'échangèrent un regard perplexe, ne revenant pas de ce qu'il venait d'entendre de la bouche de leur compagnon d'arme à peau verte.
Ce n'était pourtant un secret pour personne que Brotar vouait un profond mepris pour son chef de guerre, Thrall, qu'il jugeait trop laxiste pour ne pas dire trop lâche, lui reprochant notamment d'accepter tout et n'importe quoi au sein de sa horde comme des morts-vivants ou des elfes et de toujours attendre que l'ennemi attaque le premier avant d'engager le combat. De l'autre côté, Brotar vouait une admiration (proche de l'obsession d'après ses compagnons d'armes) vis à vis du regretté chef du clan orc Chanteguerre, Grommash Hurlenfer. Pour le jeune orc, Grommash avait toujours été un héros à ses yeux, même dans ses décisions les plus insensés — comme engager le combat sur un coup de tête, au plus mauvais moment et malgré l'interdiction de Thrall ou boire à nouveau et volontairement du sang de démon et pousser ses hommes à en faire de même pour booster leurs forces quitte à se faire esclaves de la Légion Ardente — il restera le Libérateur des orcs et un modèle de guerrier et seigneur de guerre rien que pour sa volonté de fer. Selon Brotar, ça devait être Thrall qui aurait dû périr lors du combat contre le démon Mannoroth et Grommash qui aurait dû être élu chef de guerre après avoir terrassé le démon et libéré son peuple de son influence néfaste.
Et puis, lors d'un séjour prolongé en Outreterre pour combattre à nouveau la Légion Ardente, voilà qu'il faisait la connaissance du fils de son idole et reconnut en lui le seigneur de guerre qu'il admirait tant. De ce fait, il en a vite fait son nouvel idole, quand bien même le dénommé Garrosh avait accompli moins d'exploits "héroïques" que son illustre père et n'avait encore pas sa fameuse "volonté de fer". Ses compagnons d'armes s'en était même moqué, blaguant sur le fait qu'il pourrait épouser le fils de Hurlenfer à force de l'idolâtrer. Mais jamais ils ne s'étaient attendu à l'entendre parler de coup d'état, juste pour placer son idole sur le trône.
— Et moi qui pensait que ton frère subirait une mauvaise influence de la part de l'autre invocateur de démons ou de l'autre tueuse, protesta Walkyro à voix basse.
— Mmmh... Dis moi, ton grand-père ne t'avais mis en garde contre quelqu'un qui serait dans notre groupe ? fit remarquer le Turakh.
— Si seulement il avait pu me préciser lequel, au moins on serait fixé, rouspéta le tauren.
— À ce propos, t'as des nouvelles de ton grand-père depuis notre retour de l'Outreterre ? demanda le troll.
— Toujours en pèlerinage de ce que j'ai entendu. Pour ne pas dire en vagabondage... Aux dernières nouvelles, il se serait rendu au "toit du monde". La Terre Mère seule sait ce qu'il va trouver là-bas.
Ils arrivèrent finalement à La Croisée, la ville la plus importante de la Horde dans les Tarides, nommée ainsi car elle faisait office de carrefour pour deux grandes routes. Ce n'était évidemment qu'une escale pour les aventuriers de la Horde, le temps de se ravitailler et de se requinquer après leur bref "séjour" dans les souterrains des terres ancestrales des hurans et leur longues marche à travers la savane. Une fois avoir fait le plein de provision, ils reprirent la route vers le nord-est pour la péninsule désertique de Durotar, terre d'accueil des orcs, où il passeront par Tranchecolline, une autre ville orque situé à la croisée des chemins au centre de la région, avant d'atteindre leur destination, la cité orque d'Orgrimmar et capitale de la Horde.
Mais à peine furent-ils à mi-chemin vers Tranchecolline qu'ils croisèrent un émissaire orc à cheval sur son loup et visiblement en alerte.
— Throm'ka, émissaire, le salua Brotar. Quelle nouvelle de la grande ville ?
— Lok-Narash ("aux armes"), soldats de la Horde ! lui répondit l'émissaire. Orgrimmar est assiégé ! Le Fléau est à nos portes !
L'émissaire reprit son chemin pour la Croisée, laissant les trois aventuriers décontenancé par la nouvelle et envahis par le doute.
Ils prirent alors un raccourci au pas de course en sortant de la route devant les mener à Tranchecolline et contournant le canyon liant le village à Orgrimmar.
Arrivés en vue de la cité, ils purent constater avec effroi que l'émissaire ne leur avait pas menti.
Une horde entière de morts-vivants prenaient d'assaut les murs et les portes d'Orgrimmar tandis qu'une nécropole menaçante flottait au dessus de la cité.
— Et dire qu'on vient de juste de combattre des morts-vivants ! pesta Turakh.
— Non, ça c'est pire ! dit Walkyro qui blêmit d'horreur. C'est... c'est la bataille d'Hyjal qui recommence, là !
Le tauren gardait effectivement un très mauvais souvenir de cette terrible bataille au cours de laquelle plusieurs de ses proches avaient dû payer leur vie pour sauver Azeroth.
— Vous voyez ? Ça ne se serait jamais produit avec Hurlenfer comme chef de guerre ! protesta Brotar. Lui, il aurait anéanti le Fléau avant qu'il ne nous attaque !
— Et ils nous aurait tous conduit au casse-pipe ce faisant, marmonna le troll peu convaincu.
— T'as dit quelque chose, le troll ?
— Dites les gars... cette attaque de morts-vivants... vous croyez que ça a un rapport avec les propos de la liche qu'on vient de tuer ? demanda le tauren.
— On s'en fiche ! rétorqua l'orc. On a une bataille à gagner ! Allez, Croc-sanglant !
Il chargea alors sur son loup, brandissant sa hache de guerre et criant "LOK-TAR OGAR !" — "la victoire ou la mort" en langage orc.
Il fut bientôt rejoint par Turakh qui, bien que plus réticent à l'idée de se mêler à cette bataille, chargea sur son raptor en brandissant une de ses lances en criant "Tastingo" !
Ce fut bientôt au tour de Walkyro de se joindre à la bataille, n'ayant aucune monture à se disposition, devant se contenter pour arme d'un rondin de bois qui traînait dans le coin et d'un rugissement pour cri de guerre.
Les trois aventuriers se mêlèrent donc à la bataille pour sauver Orgrimmar. Brotar balaya de sa hache les ennemis tandis que son loup mordait dans tout ce qu'il pouvait. Turakh abattit une gargouille en plein vol ainsi qu'une Abomination en pleine tête avec ses lances tandis que son raptor bondissait sur les ennemis pour les mordre et les lacérer. Walkryo, qui possédait déjà d'une force hérculéenne, n'eut pas de problème pour balayer les ennemis que ce fût avec son arme de fortune ou la simple force de ses poings. Il ne maîtrisait cependant pas encore ses pouvoirs chamaniques si ce n'était pour se soigner et le mieux qu'il pût faire était de frapper au sol, faisant ainsi trembler la terre et déstabilisant les ennemis, une technique qu'il devait néanmoins se garder d'utiliser quand il était entouré d'alliés.
Grâce aux efforts des aventuriers et l'intervention des soldats de Tranchecolline et de la Croisée, les défenses tinrent bon malgré tout. L'assaut du Fléau fut bientôt repoussé. D'autant que les défenses d'Orgrimmar étaient également assisté par les Réprouvés et leur dirigeante, la reine banshee Sylvanas Coursevent, probablement présente pour un conseil de guerre avec le chef de guerre et ses conseillers.
Dans la cohue, les trois aventuriers retrouvèrent le vieil orc Varok Saurcroc, le bras droit de Thrall, reconnaissable à ses longs cheveux tressés couleur poivre et sel ainsi qu'à son armure ornée de piques, qui combattait les morts-vivants aux côtés de son fils, Dranosh, un autre orc dont les aventuriers avaient la connaissance avec Garrosh lors de leur séjour en Outreterre. Et comme Garrosh, Dranosh se distinguait de son père et des autres orcs en général par sa peau marron, signe qu'il n'avait pas participé à la première invasion des orcs sur Azeroth ni subi la corruption des démons.
— C'est un plaisir de vous revoir vous battre à nos côtés, mes amis, dit Dranosh à l'intention des aventuriers vers la fin de la bataille. Vous n'auriez pas pu mieux tomber !
— Pas autant que ce maudit Fléau ! maugréa Varok. Ils viennent d'interrompre un mak'gora entre Thrall et Garrosh.
— Un "mak'gora" ? demanda Walkyro perplexe.
— Un duel d'honneur, traduisit Varok.
Brotar semblait exulter de joie, comprenant que les prévisions dont il avait fait part à ses compagnons d'armes s'étaient concrétisées.
— Et pour quel motif ? demanda à son tour Turakh.
— Ça s'est passé en plein conseil de guerre, répondit Dranosh. Garrosh a reproché au chef de guerre de pas prendre assez de mesures contre nos ennemis et n'a pas trop apprécié la réponse de ce dernier : "Ne fais pas les même erreurs que ton père, Garrosh". Alors il a fait appel au mak'gora.
— Bien répondu ! approuva Brotar qui ne pouvait plus contenir sa joie.
— Un duel d'honneur pour ça ? s'indigna Turakh. Il doit avoir l'ego fragile, ce Gar...
— Et c'est là que le Fléau a attaqué ? demanda Walkyro.
— En plein mak'gora, oui, répondit Varok l'air grave. Juste à temps avant que Garrosh ne lui assène le coup de grâce.
— Ah parce qu'il était sur le point de gagner ? s'indigna Brotar soudain agacé. La peste soit du Fléau !
— Détrompe-toi, jeune orc, le corrigea Varok. Garrosh ne manque certes pas de volonté mais il n'a pas l'expérience de Thrall. Encore moins face au Fléau. S'il l'avait battu, il aurait certes pris sa place mais il se serait aussitôt confronter à un ennemi dont il ignorait tout et aurait vite fait d'agir sous la colère et la panique.
— Foutaises ! protesta Brotar. Garrosh Hurlenfer est le chef de guerre qu'il nous faut ! Un jour, vous verrez !
— En attendant, reprenez vos armes ! l'ordonna Varok. Je crains qu'on en a pas encore fini avec le Fléau ! Voilà qu'ils lancent une seconde vague !