Un monde brisé
Il fut impossible pour Gahahli de déterminer si elle venait de passer seulement une heure ou toute une année dans sa cellule sombre et moisie. Mais une chose était certaine : elle se sentait gagnée par la claustrophobie.
Déjà qu'elle n'appréciait pas d'être consignée contre son gré mais jusqu'à présent, rien ne l'avait physiquement empêché de sortir de son lieu de confinement. Et jamais elle n'avait été consigne dans un espace aussi restreint et lugubre. Ici, c'était pire que le jour où elle avait dû se cacher sous terre, dans un terrier assez grande pour elle, pendant que Légion Ardente et la Horde corrompue mettaient sa forêt natale à feu et à sang.
À mesure que le temps passaient, elle avait la sensation que les murs et les barreaux de sa cellule se rapprochaient d'elle et qu'elle allait finir comprimée.
Et pour rendre sa situation encore moins supportable, elle ne pouvait rien faire pour se distraire de sa claustrophobie qui n'irritait pas sa voisine de cellule. Ne rien faire à part respirer en silence, c'était tout ce qui lui était permis de faire. Autant lui sectionner les bras et les jambes, à ce stade !
Et puis, après ce qui avait paru être une éternité pour la jeune elfe de la nuit, Akama revint et d'un tour de clé, il ouvrit la porte de sa cellule.
Gahahli ne sut comment réagir. En temps normal, elle aurait sauté de joie et aussitôt libérée, elle se serait précipitée à l'extérieur et aurait enchaîné une série de cabrioles pour dépenser l'énergie contenue durant sa captivité. Mais elle se souvient où elle avait enfermée.
— Le maître veut te voir ! l'informa le Roué d'un ton amère.
C'était exactement ce qu'elle redoutait.
Akama lui refit donc en sens inverse le chemin qu'il lui avait prendre pour sa cellule, repassant par les mêmes salles et les mêmes couloirs aussi lugubres que dans ses souvenirs, croisant les mêmes gardes à la mine patibulaire.
Elle s'arrêta néanmoins dans une salle remplie de cage de fer quand elle vit Jakua enfermée dans l'une d'elle.
Son sang ne fit qu'un tour. Elle se précipita sur la cage et s'empressa de caresser son Sabre-de-nuit à travers les barreaux, le cœur brisé de le voir dans cet état. Clairement le félin n'aimait pas non plus être enfermé.
— Oh, si tu savais comme je suis désolée, mon vieux ! lui dit l'elfe de la nuit au bord des larmes. Je nous ai mis dans cette situation... Est-ce qu'on te nourrit ? Ces monstres t'ont fait du mal ?
— Je peux t'assurer qu'il traiter comme il se doit ! annonça Akama. Tu n'as pas à t'en faire pour lui. Ce serait plus pour toi-même que tu dois t'inquiéter si tu fais attendre le maître plus longtemps. Alors fais tes adieux et dépêche-toi !
— Et quand est-ce que vous le libérez ? demanda la jeune elfe impétueusement. Est-ce quand moins je le reverrais ?
— Si tu te conduis comme il le faut, t'auras peut-être une chance de le revoir, lui répondit le Roué. Assez traîné, maintenant ! Mon maître n'aime pas qu'on le fasse attendre.
"S'il s'agit bien de celui auquel je pense, il a bien passé dix milles ans en prison !" songea amèrement Gahahli. "Il pourrait attendre une minute ou deux !"
Et ce fut à ce moment qu'elle réalisa quelque chose et qui l'effraya : si le peu de temps qu'elle venait de passer dans sa cellule avait suffit à faillir lui faire perdre la boule, quel effet ça aurait fait en dix milles ans sur un autre elfe de la nuit ?
Après avoir gravi des escaliers à n'en plus finir, ils arrivèrent à proximité de la Chambre de commandement, à un niveau avant le sommet du Temple, où Bathris avait été retenu l'autre jour.
Mais apparemment, une réunion était encore en cours, obligeant le Roué et la jeune elfe de la nuit à attendre sur la terrasse.
De l'extérieur, Gahahli entendit des voix, dont deux qu'elle reconnut comme étant celle de Dame Vashj et du prince Kael'thas. Elle n'eut pas souvenir d'avoir déjà entendu la troisième voix. Surtout une aussi sinistre. Et pourtant, elle craignait savoir de qui il s'agissait.
— Vous dites qu'ils se sont alliés aux Mag'hars et ont vaincu Gruul le Tue-dragon ? s'exclama Kael'thas. Voilà qui est inquiétant.
— Plus qu'inquiétant, jeune prince ! confirma la troisième voix. Ces envahisseurs d'Azeroth gagnent du terrain de jour en jour et s'allient avec ceux qui nous résistent ! Nous avons déjà perdu la Citadelle des Flammes Infernales. Mais à l'heure ou je vous parle, ils sont en train de marcher sur le Réservoir Glisseroc.
— Seigneur Illidan, (à la mention du nom, le sang de Gahahli se glaça), permettez moi de partir pour le marécage défendre le Réservoir ! demanda Vashj.
— Refuse ! répondit sèchement le dénommé Illidan.
— Mais mon seigneur, mes nagas sont là bas ! objecta Vashj. Ma place est avec eux !
— Et sauf votre respect, seigneur Illidan, le Réservoir est notre unique moyen de contrôler le marécage Zangar, intervint Kael'thas. Si nous le perdons, nous perdrons davantage de terrain et d'emprise sur l'Outreterre !
— Et nous en perdrons davantage jusqu'ils atteignent nos portes ! s'imposa Illidan. C'est pourquoi je vous ordonne à tous les deux de rester au Temple pour renforcer nos défenses. De plus, je ne peux risquer la vie de deux de mes meilleurs agents. Votre aide m'est trop précieuse.
— Je comprends, mon seigneur, concéda Vashj, une pointe de désillusion dans la voix.
— Dois-je comprendre que nous devons également abandonné le Donjon de la Tempête ? s'indigna Kael'thas qui lui ne l'entendait pas de cette oreille. Ainsi que les hommes qui sont là bas ? Après tous ce que nous avons dû endurer pour l'arracher aux draeneïs ?
— Il faut savoir faire des sacrifices, jeune prince ! lui répondit Illidan imperturbable.
— Des sacrifices ? s'offusqua le prince elfe. Comme si nous n'avons pas assez payé pour prendre et maintenir le contrôle de l'Outreterre ? Vous insinuez que tous ses sacrifices n'étaient pas suffisant pour vous ? Vous voulez les rendre inutiles en plus de ça ?
— Mettrais-tu mes qualités de dirigeant en doute, petit prince ? demanda Illidan d'un ton menaçant.
Un silence de mort s'ensuivit. Même à l'extérieur de la salle, on retenait son souffle. Puis Illidan brisa le silence avec un ton plus serein :
— Je préfère cela ! Mais ne te préoccupe pas de ses sacrifices qui te préoccupés tant, Kael'. Je peux t'assurer qu'ils ne seront pas vains. Sois patient et tu verras, tous nos efforts porteront leur fruits. Vous pouvez disposer !
Ils virent alors Kael'thas et Vashj sortir de la salle, l'un avec la mine renfrognée, l'autre silencieuse, sans prêter attention au Roué ou à l'elfe de la nuit.
Puis Akama força Gahahli à se présenter sur le seuil de la Chambre de commandement.
Ce fut à ce moment qu'elle le vit dans toute sa "splendeur".
Dire qu'avant il appartenait à la même espèce que Gahahli ! À présent, il n'avait d'elfe de la nuit que le visage encadré par un rideau de cheveux noirs surmontés d'une haute queue de cheval, les oreilles et le teint violet. Le reste tenait plus eu démon qu'autre chose.
Il était encore imposant et robuste que le père la jeune elfe de la nuit. Et c'était sans compter les immenses ailes, semblables à celle d'un chauve-souris, qui lui poussaient dans le dos. Ses pieds étaient remplacés par des sabots fendus. Son torse nu était parsemé de tatouages d'un vert fluorescent. Son front était orné d'une paire de longues courbés. Et des yeux d'un vert fluorescent brillaient derrière un bandeau noir.
— Seigneur Illidan ! annonça Akama. Voici l'elfe que vous avez fait mandé.
— Fort bien, Akama ! répondit Illidan d'un air satisfait, laissant entrevoir des dents acérés. Laisse nous !
Le Roué ne sele fit pas dire deux fois et s'éclipsa, non sans souffler à la jeune elfe : " N'oublie pas ce que je t'ai dit !"
Gahahli se retrouva seule et désarmée face au tristement célèbre Illidan Hurlorage, intimidée et même pétrifiée de terreur, ne sachant qu'elle attitude adopter face à lui. Si elle avait retenu quelque chose de ce que lui avait raconté Tyrande, ce que même du temps où ce n'était encore qu'un elfe de la nuit, il pouvait être imprévisible.
— Allons, détends-toi, Gahahli ! le rassura Illidan d'un ton étonnement doux et chaleureux. Je n'ai aucune intention de te faire de mal.
— C-co-comment connaissez vous mon nom ? demanda la jeune elfe en bredouillant, prise au dépourvue.
— Rien ne m'échappe dans mon "royaume", lui répondit Illidan avec une pointe de fierté. Pas même la petite évasion que tu as brillamment conçu pour ton ami elfe de sang.
— Et c'est à cause de ça que vous m'avez convoqué ? demanda Gahahli en essayant tant bien que mal de contrôler ses émotions.
— Je te l'ai dit à l'instant, je n'ai pas l'intention de te faire du mal, la corrigea le démon. Loin de là. (Il tapota son bandeau) Vois-tu, ces yeux aveugles me permettent de "voir" ce que d'autres ne peuvent avec des yeux valides. Des choses que tu ne peux imaginer.
— Où vous voulez en venir ? demanda la jeune elfe impatiente. Quel rapport ça a avec ma présence ici ?
Illidan s'approcha d'un pas décidé vers son interlocutrice, obligeant cette dernière à reculer jusqu'à se retrouver adossée contre un mur, la faisant se sentir piégée.
— J'ai sondé ton âme, ma chère enfant. Et je n'ai pu m'empêcher de remarquer que nous avions tant de choses en commun. ... Allons, ne prends pas cet air dégouté ! Prends le plutôt comme un compliment !
— Je ne suis pas comme vous, démon ! se risqua de rétorquer la jeune elfe sur un ton de défi. Et je ne le serais jamais !
— Tu crois ça ? N'as tu jamais tenté de faire tes preuves auprès des tiens, jusqu'à vouloir sauver le monde, pour qu'au final on te remarque à peine et qu'on te traite comme une bonne âàrien ? N'as tu jamais eu une envie brûlante d'écraser tes ennemis, les faire payer pour leurs crimes quitte à leur rendre la pareille ? N'es-tu jamais allée à l'encontre de règles absurdes pour faire ce que tu estimais nécessaire ? Ne t'es tu jamais fais réprimandé car tu ne suivais pas les règles ou que tu ne tenais jamais en place ? N'as tu jamais été consigné par ton parent pour une raison injuste ? N'as tu jamais éprouvé quelque chose de fort pour une personne en particulier et te rendre compte qu'au final cette personne ne partage pas ce sentiment à ton égard ?
Gahahli ne sut quoi répondre. Peut-être qu'Illidan venait de marquer un point.
Elle ne sut déterminer ce qui l'a troublait le plus : qu'Illidan en savait tant à son sujet ou que cela lui faisait beaucoup de point commun avec le démon qui se tenait devant elle... Et se permettait de lui caresser le menton d'un doigt griffu.
— Mais bon, tout ça c'est du passé, reprit Illidan. Ce qui nous importe à tous les deux désormais, c'est le présent. Et tu n'es pas sans savoir quelle calamité frappe en ce moment Azeroth, je me trompe ?
— Une nouvelle invasion de démons, répondit Gahahli. Dont vous en êtes la cause.
— Je te demande pardon ?
— Ils passent par la Porte des Ténèbres, liant Azeroth à l'Outreterre. Dont vous êtes le seigneur et maître. Et j'ai vu des démons se promener librement dans ce Temple qui vous sert de demeure. J'ose supposer qu'ils sont à vos ordres.
Illidan prit d'abord un air offensé mais enchaîna vite avec rictus qui mit la jeune elfe de la nuit plus mal à l'aise que quand il paraissait contrarié.
— Tant de perspicacité et en même temps tant de naïveté ! commenta Illidan. Certes, les démons que tu as croisé dans ce Temple sont sous mes ordres, au même titre que les nagas de Vashj, les elfes de sang de Kael'thas, les Roués d'Akama et la Gangr'horde. Mais ce n'est pas le cas de ceux qui ont ouvert la Porte des Ténèbres et tenté d'envahir Azeroth. Ceux là sont resté fidèles à la Légion Ardente, notre ennemi commun. Et puis, pourquoi voudrais-je envahir Azeroth ? C'est aussi mon monde, je te rappelle. Et j'y tiens autant que toi.
— Alors qu'est ce que vous êtes en train de mijoter ? demanda Gahahli perplexe. Pourquoi... Tout ça ?
— C'est pourtant évident, non ? J'œuvre pour la fin de la Légion Ardente. Et c'est bien ce que tu veux également ?
— Et bien... Oui...
— Tant mieux ! Alors voilà ce que je te propose... Joins-toi à moi.
— Pardon ?
— J'ai vu que tu ne manquais ni de volonté ni d'audace. Mais tant que tu n'auras pas les bonnes armes, ce ne sera pas suffisant contre la Légion Ardente. D'un autre côté, si tu te joins à moi, je ferais de toi une arme vivante que même les démons craigneront.
— Vous... Vous devez plaisantez !
— Sceptique, hein ?
Sans crier gare, Illidan prit la jeune elfe par la taille et la serra fermement contre elle sans lui laisser le temps de réagir. Puis à une vitesse folle, il sortit de la Chambre, bondit de la terrasse et atterrit dans une cour en contrebas.
Gahahli se sentit nauséeuse suite à ce déplacement aussi spectaculaire que surprenant. Une fois qu'elle eût retrouvée ses esprits, elle se débattit avec dégoût contre l'étreinte du démon avant de réaliser où elle venait d'atterrir.
Autour d'elle, des elfes de la nuit et de sang, hommes et femmes confondus, s'entraînaient avec véhémence aux maniement des armes — notamment d'armes à double lames — ou sur des parkours où il leur fallait éviter avec agilité des lames et des piques rotatives.
Tous avaient des tenues similaires à celui d'Illidan, les hommes étaient torse-nu, les femmes portant un bandage en cuir masquant leur poitrine. Si aucun n'avaient d'ailes dans le dos ou les pieds en sabots, tous avaient le torse parsemé de tatouage verdâtres, les yeux masques par un bandeau et des poussées de cornes sur le front.
— Je te présente mes disciples, lui dit Illidan. Ils constituent l'armée que je suis en train de monter contre la Légion Ardente. Tous ont souffert des ravages causés par l'invasion de la Légion, ont été témoins de leur atrocités et ont tout perdu. Famille, foyer, patrie, espoir. De ce fait, ils ont juré à la chasse aux démons et la destruction de la Légion. Et par conséquent ild m'ont rejoints en Outreterre pour que je les forme, que je leur donne la puissance et les armes nécessaires pour venir à bout de leurs ennemis.
— Et vous voulez que j'en fasse partie ? demanda Gahahli à la fois sceptique et horrifiée.
— Cela te dérange, j'ai l'impression.
— Vous dites les former pour tuer des démons mais... N'êtes vous pas en train de les transformer en... Ce qu'ils ont juré de détruire. Un peu comme vous.
— Perspicace... Mais détrompe-toi. Ça peut te sembler horrifiant mais il n'y a pas de meilleur manière que de combattre la Légion qu'avec ses propres armes.
— Quitte à devenir nous-mêmes des démons ?
— Si tu ne peux vaincre ton ennemi, embrasse sa puissance. Ainsi tu la retourneras contre lui. Tu veux une preuve ?
D'un geste de la main, il convoqua une elfe de la nuit chasseuse de démon qui se présenta aussitôt devant son maître et s'inclina respectueusement. Elle était à peine plus âgée et moins menue que Gahahli et avait tout l'air d'une jeune recrue à en juger par les cornes naissantes sur son front, sous ses cheveux vert-bleus noués en queue de cheval. Et pourtant, malgré son gabarit, elle n'avait aucun problème â trimballer ses impressionnants glaives à double lames.
Puis Illidan convoqua trois gangregardes lourdement armés qui gardaient la porte et leur ordonna "d'éliminer" la jeune chasseuse de démon qu'il venait de convoquer.
— Profite du spectacle ! dit-il à Gahahli à qui il obligea de reculer par sécurité.
Les gangregardes ne se le firent pas dire deux fois et chargèrent sur la chasseuse de démon. Celle-ci eut tout juste le temps de dégainer et esquiva d'un seul bond, décapitant au passage un premier gangregarde et poignardant le second dans les reins avant de retomber sur ses pieds avec la grâce d'un félin. Elle ne laissa pas le temps de réagir au troisième qu'elle le coupa en deux au niveau de la taille.
Gahahli fut stupéfaite d'un tel spectacle. Elle avait vue des Sentinelles se battre mais aucune n'avait été en mesure de venir à bout d'ennemis aussi puissant en aussi peu de temps.
— Ça manque encore de vigueur ! commenta froidement Illidan, nullement impressionné par la prouesse de son élève. Reprends ton entraînement et améliores moi tout ça !
— Bien, seigneur Illidan ! répondit l'apprentie chasseuse en saluant respectueusement son maître avant de s'exécuter.
Puis Illidan reprit Gahahli à part :
— Alors, Lili... Je peux t'appeler Lili, n'est-ce pas ?
En plus de connaître son nom et des éléments de son passé, il connaissait également le surnom que ses frères d'armes avaient attribué à la jeune elfe de la nuit. Ça lui faisait froid dans le dos.
— Seuls les amis m'appellent ainsi ! finit-elle par rétorquer en tâchant de garder son sang-froid.
— Peu importe... Tu as bien vu ce dont a été capable mon apprentie ? Figures-toi qu'avant de me rejoindre, celle-ci n'avait touché aucune arme de sa vie à part un couteau de cuisine. Et elle manque encore d'entraînement. Alors imagine ce que toi tu pourrais tu pourrais accomplir si je te formais, si tu passais d'une simple chasseresse à une chasseuse de démon. Ce que tu pourrais infliger aux démons avec de tels aptitudes. À condition que tu rejoignes mes rangs.
Gahahli resta dubitative. Certes, elle vouait une haine profonde aux démons et à la Légion Ardentes, surtout pour ce qu'ils avaient infligé à sa famille, son peuple et ses terres. Certes elle désiraient les éliminer tous autant qu'ils étaient pour tous ce qu'ils étaient et les faire payer pour le mal qu'ils avaient fait subir à tant d'innocents. Et certes, elle regrettait de ne pas avoir assez de forces pour venir à bout d'ennemis aussi puissants.
La proposition que lui faisait Illidan semblait tentant.
Cependant...
— Si je vous rejoins, je deviendrai moi-même une... Une sorte demi-démone, c'est ça ? demanda-t-elle.
— Il y a des chances, répondit Illidan avec nonchalance. Mais comme je l'ai dit tout-à-l'heure à ce prince présomptueux, nul sacrifice n'est trop grand s'il permet à la fin de la Légion Ardente. Et c'est toujours ce que tu veux, n'est-ce pas ?
— Oui mais... Mon père... Mes amis... Comment vont-ils réagir ? Me chasser ont-ils comme on vous a chassé vous ?
— Alors c'est ça qui te préoccupe ? Ce qu'en diront tes proches ? Et bien, s'ils te rejettent pour ce que tu seras devenu comme moi j'ai été rejeté, alors suis mon exemple et envoie les valser.
— Mais c'est que je tiens quand même à eux... Ce sont mes amis... Et mon père, c'est la seule famille qui me reste...
— Est-ce qu'ils t'ont été d'une grande aide, ces derniers temps ? J'ai l'impression qu'il t'ont plus freiné qu'autre choses. Surtout ton "cher" père. Ou bien qu'ils ne savent pas te reconnaître à ta juste valeur. Alors pourquoi se soucier d'eux ? Pourquoi leur accorder tant d'importance ?
— Mais parce que... C'est... C'est aussi un peu pour eux que je veux combattre la Légion...
— Et après ? Quelle différence ça fera ? Tu pourras les sauver et sauver le monde un milliard de fois par tes propres moyens, ils trouveront quelque chose à redire. Soit parce que tu n'as pas suivi leur règles absurdes, soit pour ne pas en avoir fait assez alors qu'ironiquement, tu n'as fait que suivre leurs stupides règles. Alors à quoi bon se donner tant de mal pour eux ?
— Je... J'ai besoin de réfléchir...
Et sans crier gare, Illidan empoigna la jeune elfe par le bras et serra si fort qu'elle pouvait sentir ses griffes sur sa chair et ne pouvait s'en dégager.
— Chaque minute que tu perds à tergiverser et à "réfléchir", c'est une minute de gagné pour tes ennemis ! la gronda Illidan, les traits déformés par l'impatience. Une minute qui condamnera tes amis auxquels tu tiens tant !
Puis, aussi soudainement qu'il s'était emporté, il s'apaisa, relâcha son étreinte et ses traits s'adoucir. Le temps passé en sa présence, Gahahli était de moins en moins rassurée.
— Mais si vraiment du temps il te faut pour te décider, et bien soit ! dit-il finalement d'un ton plus serein. Mais avant j'aimerais te montrer quelque chose.
Il l'a conduisit donc à l'intérieur du Temple, vers un sinistre autel au dessus duquel flottait dans une bulle d'anti-magie un horrible crâne simiesque. D'un geste de la main, Illidan dissipa la bulle et prit le crâne soigneusement dans la paume de sa main.
— Ceci est la clé de la réussite, lui dit-il fièrement. As-tu une idée à qui appartenait ce crâne ?
— Euh... À un gorille de Feralas ? répondit au hasard la jeune elfe qui n'en avait fichtrement aucune idée.
— Elle appartenait au sorcier orc Gul'dan. Le premier à avoir pactisé avec la Légion Ardente pour satisfaire sa soif de puissance. Ce même Gul'dan qui a condamné son peuple en leur asservissement aux démons. Celui-là même qui a permis à la Horde des orcs d'envahir notre monde. Et l'ironie est qu'il a siégé un temps dans se sinistre temple avant de partir conquérir Azeroth.
" Et comble de l'ironie, c'est sur Azeroth qu'il trouva la mort, trahi par les maîtres qu'il avait juré de servir et qui ont par la suite use de ses pouvoirs contenu dans ce crâne a leur avantage. La triste preuve qu'il n'est pas bon de s'associer au démon sur le long terme. Aussi, figure-toi que c'est bien ce crâne qui fut à l'origine de Gangrebois. Mais c'était avant que je ne mette la main dessus et que je m'imprégner de son pouvoir, ce qui m'a rendu aussi puissant qu'aujourd'hui.
"Et ce qui a conduit à votre bannissement, si j'ai bien tout suivi " songea Gahahli un peu dérouté de voir le demi-démon exhiber tel un trophée la chose qui a scellé son sort.
— Souhaiterai-tu voir de plus près ? demanda soudain Illidan en exhibant l'horrible crâne d'orc sous le nez de Gahahli.
— Euh... Non merci, sans façon ! répondit-elle poliment mais non sans dégoût, repoussant le crâne du bout des doigts.
Ce fut une grossière erreur.
Elle avait à peine effleuré le crâne qu'elle ressenti une violente, intense et insoutenable brûlure dans tout le bras, comme s'il est venait de le plonger dans un feu de joie, lui faisant lâcher un cri de douleur à s'en percer les oreilles.
Elle eut le réflexe de retenir sa main et de maintenir son bras contre sa poitrine, les larmes aux yeux tant la douleur persistait. Elle s'attendait à retrouver son bras couvert de cloques ou carbonisé. Quand elle rouvrit les yeux, elle vit son bras en parfait état... mais était à présent couvert par des veines d'un vert inquiétant qui s'étendait depuis sa main.
— Que m'avez vous fait ? demanda Gahahli paniquée.
— Oh, j'avais oublié de te prévenir ! feignit de s'excuser Illidan. Il reste encore un peu de magie démoniaque dans ce crâne. Plutôt risque pour ceux qui ne maîtrise pas cette puissance. Mais rassure-toi, cela ne va pas te tuer. Seulement te... muter... Lentement.
— Vous... Vous... VOUS M'AVEZ PIÉGÉE ? s'écria la jeune elfe furieuse.
— Tu le remercieras plus tard ! rétorqua Illidan insensible aux vociférations de sa victime tandis qu'il remettait le crâne de Gul'dan en place. Considère ça comme la première étape de ta formation. D'habitude, j'oblige les disciples à manger le cœur du démon qu'ils ont tué, ainsi qu'à boire leur sang, pour en venir à cette étape.
— Et c'est quoi la prochaine étape ? demanda Gahahli furibonde.
Pour toute réponse, Illidan désigna les "yeux" qui brillaient derrière son bandeau. La jeune elfe comprit le message avec horreur.
— Mais sois sans crainte, reprit Illidan. Pour cette fois-ci, j'attendrais que tu sois prête. Je te recommande tout de même de ne pas trop traîner. Autrement, ton esprit sera bientôt assaillie par des visions atroces de la Légion Ardente.
— D-des visions ? Atroces ???
— Pourquoi crois-tu que mes disciples aient dû se crever les yeux pour passer à l'étape suivante ?
Puis Illidan tourna les talons (ou plutôt les sabots) en s'en alla vaquer à ses occupations. Laissant Gahahli seule dans la salle sombre et froide, avec sa peine et sa détresse, maintenant toujours son bras corrompu contre son torse. Maudissant Illidan de l'avoir ainsi piégée. Et se maudissant elle-même par la même occasion pour s'être montrée aussi imprudente. Sa situation, déjà assez mauvaise comme ça, venait à l'instant de s'envenimer.
Ce ne fut plus des larmes de douleur qui coulaient sur ses joues, mais bien des larmes de désespoir et de honte.