Un nouveau monde
Chapitre 23 : Une princesse en détresse
2708 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 03/11/2020 21:13
Sur une table en bois à proximité de l'âtre, était étendu un nain comateux et en bien piteux état. En plus de ses vêtements en lambeaux, il était maculé de sang et de cendres de pieds en cap, barbe incluse, si bien qu'on pouvait le sentir aussitôt entré dans l'auberge. Plus grave encore, il était couvert de plaies ouvertes et encore sanglantes, ainsi que de sévère contusions. C'était comme si on l'avait torturé à mort, qu'on l'avait passé à tabac avant de lacérer dans l'intention de le tuer lentement. Cela relevait du miracle que le nain puisse encore respiré dans son état.
Son missel en main, Bartélo s'affairait à le guérir en usant de ses sorts de guérison. Autour de lui, à une distance raisonnable pour laisser le blessé respirer, se tenait un couple de tenanciers, un militaire haut-gradé — un soi-disant maréchal — ainsi qu'un homme d'âge mûr, le crâne dégarni et en robe de chambre, indiquant qu'on avait dû le tirer de son lit. Ainsi que le reste du groupe. Tous retenaient leur souffle, tandis que le nain amoché était enveloppé d'une aura lumineuse et que ses plaies se refermaient à vue d'œil.
— À tout hasard, vous savez qui ça peut être ? demanda Gahahli à Batël à voix basse.
— Ah ça, j'en ai bien peur, lui répondit le nain guerrier en contemplant de loin son congénère. Kharan Force-martel. Un ancien camarade de régiment qui est entré dans la garde d'élite du roi Magni.
Les soins prodigués au dénommé Kharan puiser dans l'énergie vitale du paladin tant il finit par vaciller tandis que l'aura s'estompa. Il fut rattrapé à temps par le couple d'aubergiste.
— Il va s'en tirer, déclara finalement Bartélo épuisé. Mais il est très faible. Au vu de son état, il faudra au moins deux jours de repos avant qu'il ne retrouve l'usage de ses jambes. Je ne peux rien faire de plus, désolé.
— Vous en avez déjà fait beaucoup, le rassura le tenancier. Merci pour ce malheureux, jeune paladin. Nous allons prendre le relai.
Sur ces mots, la tavernière se chargeait de laver le sang et la cendre qui couvrait le nain encore en voie de guérison.
— Mais qu'est-ce qui lui est arrivé ? demanda prestement Baelbo.
— Tout ce qu'on sait, c'est qu'il tentait d'échapper à des orcs Rochenoires quand mes hommes et moi avons dû le sauver, leur expliqua le maréchal. Et je peux vous dire qu'il s'en était fallu de peu. Ses agresseurs étaient sur le point de le mettre en charpie quand nous sommes intervenus.
— Et c'est arrivé quand ? demanda Gahahli.
— Nous étions en train d'amener ce malheureux au village pour le faire soigner quand vos compagnons sont arrivés, lui répondit le maréchal.
La jeune elfe laissa échapper un soupir de frustration. Elle ne pût s'empêcher de penser qu'elle et ses compagnons auraient dû être présents pour venir en aide à ce nain. Si seulement ils n'avaient pas été retenus dans le Bois de la Pénombre.
— Si j'en juge par la couche de cendre qu'il avait sur lui-même, il doit nous venir des Steppes Ardentes, le bougre ! déclara Batël en inspectant le corps de son congénère.
— Si que vous dîtes est vrai, il a donc eu plus de chance que je ne le pensais, en conclut le maréchal. Sortir de ses steppes en un seul morceau, sans armes ni rien...
Les Steppes Ardentes ! Gahahli n'y avait peut-être encore jamais mis les pieds mais elle en avait entendu parler peu de temps avant que son groupe ne prit la route pour les Carmines. Et rien que la description qu'on lui avait fait avait suffit à lui glacer le sang. Une région dévastée, calcinée et aux rivières de laves, résultant de l'invocation d'un puissant seigneur élémentaire du feu datant de plusieurs siècles et dominé par une imposante montagne noire et aux allures de volcan, qui en plus de cela était située tout au nord de la région se trouvait le groupe à l'heure actuelle. De ce que l'elfe avait compris, toute la zone qui englobait la montagne noire avait pendant longtemps servi de refuge à un clan de nains renégats nommés les Sombrefers et avec lesquels ceux de l'Alliance étaient en guerre depuis plus de deux siècles, avant de devenir le quartier général des orcs durant leur invasion et leur guerre contre l'Alliance. Si bien qu'un des clans orcs avaient donné leur nom à la montagne, Rochenoire. Et bien qu'ayant été battu par l'Alliance puis obligé de fuir vers Kalimdor quand il y eut l'invasion des démons, certains de ces orcs étaient restés dans leur ancien base d'opération et grouillaient encore dans cette région aride, préparant leur revenge sur l'Alliance. Et ils en seraient de même avec les nains renégats qui nourrissaient également une haine envers l'Alliance, en plus de vénérer le seigneur élémentaire du feu qui avait calciné la région.
La simple fait de vivre à proximité d'une telle menace et de tels individus n'avait rien de rassurant en soi. Et si vraiment le nain blessé avait dû traverser une région aussi mal famée qu'inhospitalière, le maréchal avait donc raison sur un point : le malheureux avait eu beaucoup de chances.
— Mais que diable faisait-il dans un endroit pareil ? se demanda le gnome atterré.
— Ah ça, c'est à lui qu'il faut le demander, répondit sobrement le militaire.
Le nain sur la table se mit soudain à remuer et émettre des gémissement. Il semblait encore bien engourdi tant il bouchait à peine de son "lit" de fortune, mais ces gémissement se firent de plus en plus nerveux, comme s'il sortait d'un mauvais rêve.
— Hé là ! Reste tranquille, vieux frère ! tenta de rassurer Batël en venant s'installer au chevet de son compatriote. Ménage tes forces. T'en auras besoin.
— Prévenir... le roi, dit soudain le nain blessé quand il retrouva enfin l'usage de la parole. Sa fille... Moira...
— Attends, qu'est que tu dis là ?
— Les Sombrefers.... nous ont tendu une embuscade ! reprit Kharan d'un ton de plus en plus délirant. Ils étaient une centaine... nous étions submergés...
— Oh là ! On se calme, on respire et on reprend depuis le début ! intervint Baelbo.
Le nain blessé ne se fit pas dire deux fois et prit le temps de respirer et de reprendre ses esprits avant de parler à nouveau, devant un public plus qu'attentif.
Bien qu'elle ne comprenait pas ce qui se passait, Gahahli demeurait impressionnée par l'attitude du nain lorsqu'il était sorti de son coma. De là où elle se tenait, elle avait ressenti la panique et la détresse dans la voix et le regard du nain blessé. Elle ne souvenait pas d'avoir ressenti un tel sentiment dans la voix de quelqu'un depuis l'enfant qu'elle n'avait pas réussi à sauver dans la Marche de l'Ouest. Ni autant de terreur dans le regard depuis le soir de la disparition de sa mère.
— Nous étions... envoyé de Forgefer... pour venir en aide... à Comté-du-Lac... contre les Rochenoires, expliqua Kharan une fois qu'il eut retrouvé son calme.
— Mes aïeux ! s'exclame l'homme en robe de chambre. C'était donc vous les renforts naines que nous avons... que nous attendions depuis des mois.
— Tout ce qu'il en reste, du moins ! reprit le blessé. Désolé pour le retard, magistrat, mais nous avons dû passer par le Mont Rochenoire pour atteindre Comté-du-Lac. Tout se passait bien jusqu'à ce que nous atteignons les Steppes Ardentes, où nous attendaient ces salopards de Sombrefer.
— Vous auriez dû prendre le Tram des Profondeurs, fit remarquer Baelbo. Ça vous aurait éviter de passer en territoire hostile.
— Le tram des... Attendez a été inauguré ? s'exclama le nain blessé qui fut soudain en proie au désarroi. Depuis quand ???
— Depuis... trois mois, répondit timidement le gnome.
— TROIS MOIS ??? s'écria Kharan maintenant pris de frénésie. J'AI ÉTÉ FAIT PRISONNIER PENDANT TROIS PUTAIN DE MOIS !!!
— Allons, du calme, vieux frère ! tenta de rassurer Batël. Au moins, t'as pu t'en tirer. C'est ce qui compte.
— Mais à quel prix ? protesta le nain blessé. Trois mois de captivité dans les profondeurs de Rochenoires... à attendre que vienne mon heure... sans savoir si ces maudits Sombrefer exigeaient une rançon ou s'ils me gardaient en vie juste pour me tourmenter... pour me rappeler mon échec... Sans parler de mes frères d'armes... qui ont tous été massacrés sur place... Tous les vingts.
— C'est horrible ! s'exclama la jeune elfe, atterrée par le récit du nain blessé.
— Je compatis, mon ami, rassura le nain guerrier. Mais n'as tu pas fait mention de la princesse Moira ?
— Ah ! Moira ! se plaignit Kharan. Que Magni me pardonne ! Malgré mes protestations, elle avait insisté pour venir en aide aux habitants de Comté-du-lac. Et c'était pour sa protection que j'ai dû embarquer vingt de mes meilleures gardes !
— Mais que lui est-elle arrivée quand il y a eu l'embuscade ? lui demanda Batël qui semblait prendre cette histoire de princesse très au sérieux. A-t-elle aussi été faite prisonnière ou bien...
— Elle est bien vivante, mais ce n'est pas ça le pire, lui répondit le blessé d'un ton navré. Elle est... Ah, que les Titans nous protègent ! L'empereur Thaussiran en a fait... son épouse.
Une vague d'exclamation et de protestation s'éleva dans la salle, comme si le nain blessé venait d'annoncer la pire nouvelle qui pouvait être entendu. Gahahli quant à elle ne comprenait pas grand chose, si ce n'était qu'une princesse naine volontaire et décidée à venir en aide à un peuple voisin — une brave femme, pour ainsi dire — s'était faite capturée en chemin par des nains peu recommandable qui avaient fait d'elle la conjointe de leur dirigeant. Contre son gré, à tous les coups. Cela lui suffisait à lui laisser un sentiment de révolte.
— Es-tu bien sûr de ce que tu dis, vieux frère ? demanda Batël le ton grave.
— J'ai entendu les gardes parler de leur fiançailles et des préparatifs pour la cérémonie quand j'ai commencé à échafauder un plan d'évasion, lui répondit Kharan. J'ignore cependant quand la cérémonie aura lieu. Ou si elle a déjà eu lieu. C'est qu'on perd la notion du temps dans cette prison.
— Par la barbe de Courbenclume ! s'exclama le nain guerrier qui s'effondra sur une chaise tellement il fut choqué par la nouvelle. Jamais on aura connu un tel affront de la part des Sombrefers depuis la Guerre des Trois Marteaux. Mais comment ça a pu arriver ?... Je veux dire, je la connais cette petite Moira ! Elle n'aurait jamais accepté une telle alliance ! Pas avec l'ennemi de son clan !
— Et elle serait encore moins resté captive durant tout ce temps sans tenter une évasion ou un appel au secours, confirma Kharan. Or, du peu que j'ai vu et entendu, elle n'avait pas l'air pressée d'échapper à son ravisseur. Ou même de me libérer pour que je puisse avertir son père et son clan. Elle semblait même se complaire d'être à ses côtés. Ainsi que de me garder captif pendant des mois dans cette prison sale et lugubre. Moi qui ai veillé sur elle comme si elle était ma propre fille. Il a donc fallu que je m'en sorte par mes propres moyens...
— Ça je ne peux pas y croire ! s'exclama Batël toujours aussi effondré. Pas venant de Moira.
— Moi non plus, ajouta le nain blessé. Mais je ne serais pas surpris que Thaurissan lui ait lancé un sort pour en faire sa concubine. Ça expliquerait son changement de comportement si surprenant. 'Faut pas oublier de qui ce gars-là descend.
— Arh ! La peste soit de ces Thaurissan ! explosa Batël. D'abord l'invocation de Ragnaros, et maintenant ça ! Déjà que ça ne leur a pas suffit de capturer la princesse héritière de Forgefer et d'en faire leur... leur putain !
— Et moi qui n'a jamais vu les mariages arrangés d'un très bon œil, je dois dire que là, c'est sournois ! commenta Baelbo.
— Qu'est-ce qu'on attend pour aller délivrer cette pauvre femme ? s'exclama Gahahli, indignée du sort de la princesse naine.
— Il faut d'abord qu'on informe le roi Magni de la situation ! lui rétorqua Batël. Lui, il saura quoi faire.
— C'est ce que j'allais vous proposer, ajouta Kharan. J'aurais souhaité le faire moi-même... pour peu que je retrouve l'usage de mes jambes.
— Ce qu'il vous faut avant tout, c'est de prendre un peu de repos, intervint la femme aubergiste qui aida le nain blessé à se relever. À commencer par vous, maître nain. La nuit a été longue et vous avez l'air tous éreinté. (elle se tourna vers son collègue) Toi-là, aide moi à monter ce pauvre gars jusqu'à sa chambre. C'est qu'il pèse son poids, le bougre.
Plus tard dans la soirée, après s'être mis d'accord sur le programme pour le lendemain et la répartition des chambres, le calme était revenu dans l'auberge.
Le maréchal était retourné à sa ronde, les propriétaires de l'auberges sont retournés se coucher, de même pour le magistrat — bien que celui fut contrarié que les aventuriers n'allaient resté qu'une nuit et non s'occuper de la menace des orcs Rochenoires.
La répartition des chambres fut cependant plus délicate. En effet, seules deux chambres étaient disponibles ce soir-là et l'une d'elle était déjà réservés au nain blessé. Heureusement, il n'avait besoin que d'un lit individuel, le groupe eut droit à un lit assez grand pour pas plus de trois personnes. Ce fut la jeune elfe de la nuit qui se sacrifia et laissa ainsi le lit aux trois hommes, bien obligés de se partager la couche, sachant que l'un d'eux ronflait plutôt bruyamment. Elle le fit de bon gré cependant, n'était pas encore à l'aise à l'idée de partager son lit avec des hommes, fussent-ils ses amis, et ayant toujours l'incident de l'autre soir en travers de la gorge. Elle s'en alla donc s'installer devant le feu de cheminée encore brûlant, se prélassant aux côtés de son Sabre-de-nuit qui exceptionnellement était autorisé dans l'auberge et s'était déjà installé devant l'âtre.
Gahahli eut toutefois du mal à trouver le sommeil, sans que cela n'eut de rapport avec le fait qu'elle dût se contenter d'une chaise et d'une table pour dormir. Ses pensées étaient préoccupées par cette malheureuse princesse naine retenue prisonnière dans le pire endroit sur Azeroth, loin de ces êtres chers et à qui on avait probablement jeté un sort afin de lui imposer plus facilement un mariage non désiré, voire de mieux abuser d'elle. Et bien que cela la chagrinait qu'après les Défias, il y eut encore des luttes fratricides au sein de l'Alliance, elle se promit de ne pas être clémente envers ces nains Sombrefers, rien que pour le sort qu'il infligeaient à une princesse qui cherchait juste à aider son prochain.
Et puis il y avait le père de cette princesse, le dénommé Magni. La jeune elfe était tout à la fois curieuse, honorée et nerveuse à l'idée de voir le roi des nains sans savoir à qui elle aurait affaire. Était-ce un roi affable et respectable ? Sévère mais juste ? Ou bien s'agissait-il d'un tyran ? Le genre à vous envoyer au cachot pour un rien ? Et en tant que nain, était-il du genre noble et majestueux, comme devait l'être un bon roi ? Ou bien était-il aussi rustre et malpropre que ne l'était Batël ?
Toujours était-il qu'avec cette histoire de princesse enlevée et faite prisonnière, Gahahli ne put s'empêcher de penser à un père tourmenté par l'absence inexpliquée de sa fille chérie.
Et voilà qu'elle culpabilisait à nouveau de s'être enfuie de chez elle sur un coup de tête.