Quai n°3
Dans la chambre silencieuse, Glen se réveille doucement. Il est encore tôt: le réveil affiche 8h du matin et dehors, la lumière du jour est encore froide et sombre. Russel dors comme une pierre à ses côtés. Sa tête est posée sur son bras et Glen le regarde, un sourire aux lèvres. Il a passé une merveilleuse nuit. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas ressenti tout ça: une douce chaleur, puis le coeur qui s'emballe, et l'envie que ce moment ne s'arrête jamais. C'était peut-être un peu naïf de penser ainsi. Pourtant c'est bien ce qu'il ressentait à ce moment même. Et ce soir, il serait dans un avion, prêt à partir en Angleterre, de l'autre côté de l'Atlantique. Mais c'était son choix. Il l'avait décidé ainsi depuis longtemps maintenant. Il ne pouvait reculer, surtout pour une histoire d'amour; lui qui ne croyait pas en l'amour. De plus, avec un hétérosexuel. Ça ne durerait pas... Peut-être qu'ils se reverraient un jour, qui sait. Glen s'en voulait de penser à tout ça alors que Russel était à ses côtés. Il ne devait pas penser à son départ, il lui restait du temps devant lui. Il devait continuer de profiter de ce bonheur éphémère. Il se rassurait en écoutant le souffle régulier de Russel. Il se tourna vers lui en essayant de ne pas le réveiller. Puis, il se mit à contempler son visage, et en examina chaque détail, d'une attention infinie. Ses cheveux noirs en bataille, légèrement bouclés à quelques endroits, les courbes de ses paupières closes, et ses lèvres fines, entourées d'une barbe parfaitement dessinée. Glen le trouvait beau, et tellement attirant même plongé dans un parfait sommeil. Il aimait cet air paisible et serein sur son visage. Ça lui faisait oublier le reste. Sans pouvoir s'en empêcher, il passa sa main dans ses cheveux, doucement. À ce contact, Russel bougea lentement la tête. Glen se stoppa aussitôt, en retenant son souffle, de peur de l'avoir réveillé. Mais il vit ses yeux s'ouvrir légèrement. Russel se frotta les paupières, encore à moitié endormi. Puis, dès qu'il posa son regard sur Glen, il se blottit contre lui en l'entourant de ses bras. Ils restèrent un moment silencieux dans les bras l'un de l'autre. Jusqu'à ce que Russel brise la glace :
- Comment tu as su que tu aimais les hommes, toi ?
- Pourquoi tu me demandes ça ? demanda Glen, surpris par cette question inattendue.
- Pour savoir, dit Russel. Tu ne m'as pas beaucoup parlé de toi.
- Eh bien... commença Glen en réfléchissant. J'étais... encore adolescent, j'étais au lycée. Et je me suis aperçu peu à peu que les filles ne m'intéressaient pas... Du moins pas autant que tous mes autres potes. Les discussions de gros seins et autre, c'était pas vraiment mon truc, dit-il en grimaçant. Et puis je regardais beaucoup les garçons. Ils m'intriguaient plus que les filles. Je pense qui n'y a pas grand chose à dire de plus.
- Et tes amis, ta famille... Comment ils ont réagi ?
- Eh bien, dit-il en soupirant. Ça, c'est une histoire plus compliquée. Ma mère et surtout mon père n'ont jamais voulu y croire. Ils étaient dans tous leurs états.
- Qu'est ce que tu leur as dit ?
Il eut un petit sourire en coin.
- Bien sûr, je leur ai dit que c'était de leur faute, qu'ils avaient du louper un truc dans mon éducation. Je détestais leur regard comme s'ils me reprochaient d'être ce que j'étais.
- Toi alors, lança Russel entre rire et désolation. Mais c'est vrai que c'est dingue de réagir comme ça... Et tes amis ?
- Certains l'ont bien pris, d'autres non. D'un côté ça m'a permis de faire un tri, c'était pas plus mal.
Glen se mit soudain à pouffer de rire.
- Pourquoi tu rigoles ? demanda Russel.
- Rien, je me rappelle juste de quelque chose... Mon meilleur ami m'avait surpris dans ma chambre, en train de me branler sur un vieux film qui appartenait à ma mère... il y avait cette scène, où tous les mecs couraient à poil autour d'un lac et... j'avais fait pause sur cette image...
Les deux jeunes hommes riaient aux éclats à mesure que Glen racontait son anecdote. Puis il continua :
- Et... Quand il est entré, j'ai vu dans ses yeux, dans sa façon qu'il avait de me regarder, comment il me voyait et ce qu'il pensait de moi. Et tu sais quoi ? lança Glen en souriant. J'en avais strictement rien à foutre ! Il pouvait bien penser ce qu'il voulait, j'aurais donné tout ce que j'avais pour revoir sa tête ce soir là !
- Et après ? demanda Russel, qui tentait de calmer son rire.
- Après, il l'a balancé à toute l'école, dit-il en haussant les épaules.
- Ça c'est vraiment pas sympa, répondit Russel en se retenant de sourire.
Mais très vite, ils repartirent dans un fou rire complice sans pouvoir s'en empêcher. Ils avaient l'air de deux gamins moqueurs. Ils étaient bien. Lorsqu'ils se calmèrent un peu, Glen en profita pour attirer Russel vers lui et l'embrasser tendrement. Puis, lorsqu'ils se retrouvèrent face à face, il plongea son regard dans le sien :
- Et toi, dit-il, tu penses que tu pourrais... Être attiré par d'autres mecs ?
Un trouble s'empara de Russel soudainement :
- Je... J'en sais rien, mais... Je n'ai pas l'impression d'être attiré par les hommes en général... Il n'y a que toi qui me fait ça.
- C'est peut-être le début, qui sait, lança Glen sur le ton de la plaisanterie.
Russel haussa les épaules :
- Peut-être que je suis homosexuel, peut-être pas, j'en sais rien... Et ce n'est pas ce qui m'importe le plus... Tout ce que je sais c'est que tu me plais... Je ne sais juste pas comment l'expliquer.
- Peut-être parce qu'il n'y a rien à expliquer, lança Glen.
- Peut-être, répondit Russel.
Les deux jeunes hommes se regardaient, sans rien dire. Les quelques mots laissés en suspend flottaient maintenant dans l'air, au milieu d'un silence presque parfait. L'un attendait de pouvoir détourner les yeux, tandis que l'autre attendait un geste, une parole. Puis, un désir, un visage se rapproche et deux bouches se joignent. Ils s'embrassèrent et leurs souffles se mélangèrent un instant. Mais Russel s'écarta de lui pour le regarder. Il voulait imprimer chaque détails de son visage dans sa mémoire pour ne jamais en oublier un seul. Puis, il posa ses lèvres contre les siennes à nouveau afin d'en savourer le goût. Le temps était compté et Russel ne voulait pas laisser un seul instant ni une seule sensation lui échapper. Alors, tous les deux profitèrent d'un dernier souvenir qu'ils pourraient se remémorer ensuite, en retombant sur les draps...