Quai n°3
Les jours, les semaines et les mois défilaient et les rails de la gare représentaient désormais la limite que Russel et Glen ne dépassait plus. Chacun avait repris ses habitudes. L'un continuait à rendre visite à son meilleur ami et à vivre cloîtré dans son petit appartement dans lequel il ne se souciait plus de son bonheur. Ses seules pensées étaient dirigées vers un garçon qui avait réussi à transformer une partie de lui en lui donnant un autre goût. Mais il ne comprenait pas pourquoi il avait dû l'attendre un soir devant un bar durant une heure, pour finalement rentrer chez lui avec une certaine déception. Au final, il ne cherchait plus à comprendre. Il avait espéré avoir des explications un matin, les avait cherché dans les yeux de Glen mais n'avait rien trouvé. Depuis, un manque inexplicable avait creusé son trou en lui. C'est fou à quel point une personne peut vous obnubiler, vous tourmenter continuellement, à n'importe quelle heure de la journée comme de la nuit. Alors, vous ressassez le peu de souvenirs qu'il vous reste de cette personne en vous demandant quelle sera la fin de l'histoire. Et puis il y a des questions sans réponses. Encore et toujours. "Pourquoi penser à un homme ?". "Pourquoi devoir faire comme si de rien était lorsqu'il est juste à côté ?". Qui peut répondre à tout ça ? Russel refusait d'avoir cette conversation avec son meilleur ami, par peur de sa réaction et il n'osait évidemment pas demander quoi que ce soit à Glen. D'ailleurs à quoi bon s'obstiner ? S'il y avait dû avoir une suite à tout ça, il ne lui aurait pas posé un lapin ce soir là ... Son absence était une preuve suffisante de son indifférence et cela ne servait donc à rien d'insister. C'était ce que Russel se disait. Un matin, il arriverait sur son quai et Glen aurait disparu, sans prévenir, comme à son habitude. Voilà ce qu'était la suite de l'histoire. Puisque désormais, leurs regards s'égaraient dans le hall de la gare mais ne se rencontraient plus. Petit à petit, chacun avait appris à faire abstraction de l'autre et les deux jeunes hommes redevenaient les inconnus qu'ils avaient été au départ. Russel avait laissé tomber tandis que pour Glen, tout était mieux ainsi. Par la suite et à plusieurs reprises, il avait dû décliner quelques appels de John, qui devait déjà se trouver loin maintenant. Il s'était obstiné sur lui encore une fois, mais Glen n'avait pas cédé et il ne cèderait plus jamais. Il tracerait sa route en solitaire, de ville en ville, sans devoir se soucier de quoi que ce soit. Voilà la vie qu'il avait choisi. Pourtant certains matins, lorsqu'il se réveillait, il se mettait à chercher une présence entre les draps, un corps à étreindre, peut-être Russel. Mais jamais personne n'était à ses côtés. Il n'allait plus dans les bars, gays ou non, et évitait les soirées avec ses "amis" qui ne l'intéressaient pas et ne l'avaient d'ailleurs jamais intéressé. Au fil du temps, Glen se lassait de ses habitudes. Depuis qu'il avait rencontré Russel, aucun homme ne venait plus passer la nuit chez lui. Ce jeu ne l'amusait plus et il n'en avait plus l'envie. D'ailleurs, rien ni personne ne lui faisait envie. Tout ce qui lui importait était de voir Russel, mais il se l'interdisait. Alors, il se consolait en préparant son voyage en Angleterre. Bientôt il partirait et il pourrait tout recommencer à zéro. Il n'attendait plus que ça. Même s'il se sentait un peu coupable de laisser Russel ainsi et de partir comme un voleur, le temps fera le reste. Il comptait toujours sur le temps. Ils s'oublieraient mutuellement et la vie reprendrait son cours, comme avant ...