Quai n°3
Glen enfila sa veste et jeta un dernier coup d'oeil à ses cheveux dans le reflet d'une fenêtre. Il récupéra son téléphone portable pour vérifier l'heure, il affichait 19h36. S'il voulait rejoindre Russel à temps, il ne fallait pas qu'il tarde. Il allait partir à la recherche de ses clés lorsqu'il entendit quelqu'un frapper à sa porte. Il sursauta. Qui pouvait bien venir chez lui à cette heure ci ? Puis, il marqua une pause en se demandant s'il n'avait pas rêvé, mais un deuxième coup retentit. Alors, il soupira et partit rejoindre la porte d'entrée, quelque peu agacé par cette visite intempestive. Il allait sûrement arriver en retard au bar. Glen ouvrit la porte. Lorsqu'il reconnut la personne qui se trouvait sur le seuil, son visage se figea, son coeur se mit à battre fort dans sa poitrine et un coup de chaud l'envahit.
- Que ... Qu'est ce que tu fais là ? balbutia-t-il.
- Je voulais te voir.
Un grand blond aux cheveux mi-longs, au regard d'un bleu limpide et à la barbe négligée se tenait devant lui, les mains dans les poches. Ce jeune homme n'était autre que John. Cela faisait des mois que Glen ne l'avait pas vu et la surprise était de taille. Abasourdi et assailli tout à coup par des milliers de souvenirs aussi troublants que douloureux, il ne savait plus quoi dire, ni quoi faire.
- Je voulais prendre des nouvelles, ajouta John. Puisque tu ne réponds jamais à aucun de mes messages ou de mes appels.
- En même temps tu t'attendais à quoi ? lança Glen d'un ton sec.
Il haussa les épaules.
- Je pensais qu'il y avait prescription.
- Si je ne te réponds plus, c'est que je ne veux plus te voir, John. C'est tout.
Sur ces mots, Glen allait refermer la porte quand John s'interposa.
- S'il te plaît, dit-il. J'ai besoin de te voir.
Ce regard insistant et déroutant qui avait causé sa perte, il s'y heurtait encore une fois.
- S'il te plaît, répéta John.
- De toute façon, je sors ce soir, je peux pas ...
- Écoute, reprit-il, je m'en vais. Je pars vivre au Canada pour un an. Mais avant, je voulais venir te voir et j'aurai pas le temps de le faire un autre jour. Laisse moi entrer juste un instant ...
Glen soupira. Il était déboussolé et tiraillé entre la rancoeur et les vestiges d'un amour enterré depuis longtemps. Il se passa la main sur le visage comme pour se rafraîchir les idées. Il voulait en finir au plus vite et connaissant John, il savait qu'il n'abandonnerait pas de si tôt. Alors, il céda malgré lui.
- Entre, dit-il. Mais fais vite.
John entra dans le petit appartement, l'air un peu égaré. Le nez en l'air, il balayait la pièce du regard attentivement.
- Je vois que ton appart' est toujours aussi austère qu'avant.
- T'es venu parler décoration ?
- Toi non plus t'as pas changé, dit John en souriant. Ça m'avait manqué ce genre de remarque.
Glen ne répondit pas. Il baissa la tête en s'efforçant de rester le plus indifférent possible. Il ne voulait montrer aucune faiblesse. Il détestait perdre le contrôle, surtout devant John. Tous les deux avaient le même fort caractère et tous deux aimaient avoir les choses en main, et ne pas se laisser marcher sur les pieds. Glen savait que John était capable de lui tenir tête. Le but était donc de se montrer inflexible. Tout à coup, il entendit les pas lourds du jeune homme se rapprocher de lui. Lorsqu'il releva la tête, John se tenait juste devant et le regardait fixement, d'un air à la fois tendre et provocateur. Peut-être étaient-ce son sourire et ses yeux légèrement plissés qui lui donnaient cet air moqueur et arrogant, qui faisait tout son charme et qui - Glen le remarqua instantanément - n'avait donc pas disparu. Tout à coup, une atmosphère différente s'installa dans la pièce. Une atmosphère chargée de nostalgie. John avait remué le passé et Glen avait désormais tous ses sens en éveil. Il avait simplement l'impression d'avoir remonté le temps. C'était déroutant de ressentir comme cela autant de souvenirs. Puis, John posa sa main sur son bras. Chaque plis de son visage laissait croire à une bienveillance et une sincérité infinies. Mais Glen n'en était que plus méfiant.
- Je suis content de te retrouver, dit John. Tu m'as manqué, tu sais ...
- Tu ne m'as pas manqué, à moi, répondit Glen.
Mais ces mots ne semblèrent rien changer au sourire du jeune homme.
- Je savais que tu répondrais ça.
Puis, sa main se leva en direction de la joue de Glen. Mais celui-ci tourna la tête.
- Qu'est ce que tu veux John ? lança-t-il.
- Arrête de faire l'idiot.
- Je ne fais pas l'idiot.
- Si, tu fais ton mauvais garçon, comme toujours.
- Tu le mérites.
- Oublie tout ça, Glen. Ce qui est fait est fait. Plus rien n'a d'importance, ce qui compte c'est l'avenir.
Glen soupira en levant les yeux au ciel.
- Tu sais, je me rends compte du mal que je t'ai fait. J'ai été faible et malhonnête et je le regrette. Mais tout ça est derrière moi.
- Tu ne changeras jamais, John, répondit Glen. Ça, c'est ce que tu as voulu me faire croire et tu as toi-même démontré que tu avais eu tort.
- Peut-être que j'arriverai à te démontrer que maintenant j'ai raison, répondit-il. Mais oublie tout ça. J'ai juste envie de te parler normalement, sans avoir à me justifier sur des erreurs que j'ai commises il y a presque un an.
- Mais tu t'attendais à quoi, sérieusement ? s'exclama Glen. Que j'allais t'accueillir à bras ouverts ?
- Non, juste que tu arriverais peut-être à faire abstraction du passé pour une soirée.
- Je ne peux pas, tu le sais bien. Il fallait y réfléchir avant, John.
Le jeune homme baissa la tête et se frotta les paupières un instant.
- Écoute, dit-il, moi-même je ne sais pas vraiment pourquoi je suis venu ici. J'en avais juste envie, je suppose. Alors essaie ...
Glen ne répondit pas. Il était agacé et fatigué de devoir encore faire des efforts sans en avoir même l'envie. Fatigué de devoir se battre une fois de plus contre son passé. Il ne comprenait d'ailleurs pas pourquoi John se trouvait dans son appartement ce soir. Il pensa à Russel. À ce rythme, jamais il ne serait à l'heure à leur rendez-vous.
- Bon, dis-moi où tu veux en venir, lança-t-il.
Dans un soupir, John enfouit son visage entre ses mains. Il ressemblait à un enfant, vexé. Puis, lorsqu'il releva la tête, il se mit à dévisager Glen longuement, sans rien dire. Ses yeux semblaient avoir rougi. Un silence interminable s'était installé entre eux, et tous deux semblaient attendre quelque chose, sans pour autant savoir quoi. Quand tout à coup, comme pris d'un élan de tendresse, John passa ses bras autour de Glen et le serra tout contre lui. Le jeune homme fut pris au dépourvu, et ses mains se crispèrent sous son étreinte. Il sentit un frisson parcourir tout son corps et son coeur s'emballa de nouveau. Il s'agrippa à la veste de John pour essayer de se détacher de lui, mais il sentait ses bras se resserrer autour de ses épaules.
- Arrête, murmura John.
Voyant qu'il ne pouvait faire autrement, Glen finit par se laisser faire. Il posa sa tête sur son épaule et ferma les yeux. Cette odeur dont John était imprégné, ce parfum, réveillait en lui un tas de souvenirs, enfouis jusque-là au plus profond de lui-même. Il avait tant aimé la sentir lorsqu'il le prenait dans ses bras, auparavant. Et tant de fois elle lui avait manqué ... Quand soudain, il fut tiré de sa rêverie. Pourquoi repensait-il à tout ça ? C'était ridicule ! Il se laissait emporter par un vent malsain. Il fallait qu'il se ressaisisse. Puis, il sentit John relâcher l'étreinte de laquelle il était fait prisonnier. Alors, il s'écarta de lui furtivement. Mais très vite, il sentit ses mains lui prendre le visage pour venir plaquer ses lèvres contre les siennes. Tout son corps répondit à ce baiser. Une chaleur intense l'envahit tout à coup et dans un mouvement de panique, il repoussa le jeune homme violemment.
- Qu'est-ce que tu fais ?! s'écria-t-il.
- Je t'embrasse, répondit simplement l'autre.
- Arrête ça !
- T'en as envie, je le sais.
- T'es qu'un con, un imbécile !!
Mais John esquissa un sourire et une nouvelle fois, embrassa fougueusement le jeune homme. Glen se débattait, tournait la tête et essayait de le repousser tant qu'il le pouvait. Alors, John le plaqua violemment contre le mur et agrippa fermement ses poignets pour les clouer au dessus de sa tête. Puis, il se colla contre son corps pour l'immobiliser avec ses hanches. Alors qu'il continuait de l'embrasser passionnément, Glen sentit sa langue cherchant à forcer le passage mais il ne céda pas. Ses idées étaient totalement brouillées, son cerveau semblait disjoncter sous la violence de ce baiser. Mais surtout, ce qu'il ne comprenait pas, c'était que malgré sa résistance, tout cela semblait l'exciter terriblement. Qu'est-ce qu'il lui prenait ? Puis, John mit fin au baiser et s'attaqua à son cou, couvrant alors sa peau de baisers et de tâches violacées. Glen frissonnait de plaisir sans pouvoir s'en empêcher. Il fermait les yeux et essayait de s'évader mentalement de tout ça. Mais en vain. Toutes ces sensations étaient bien trop intenses pour pouvoir en faire abstraction. C'est alors que les lèvres de John revinrent se poser sur les siennes. Une de ses mains libéra son poignet pour venir caresser sa joue. Glen allait craquer. Il ne pourrait plus résister bien longtemps. John tenta de nouveau d'accéder à sa langue en entrouvrant les lèvres. Sous son insistance et sous l'excitation qui s'était emparée de lui, Glen ne put résister ; il laissa sa langue caresser celle du jeune homme dans un baiser qui s'intensifia davantage. Il culpabilisait déjà de ce moment de faiblesse. Mais le mal était fait. Il s'agrippa aux cheveux de John de sa main libre et se laissa aller sous son étreinte. Il se raidissait, sous l'emprise du plaisir. Il avait honte de lui. Comment pouvait-il laisser John profiter de lui ainsi ? Il était cruel et tout était sa faute. Glen avait essayer de ne pas flancher. Mais il était trop faible à ce jeu là ... Voyant qu'il n'opposait plus de résistance, John avait lâché son bras pour glisser ses mains sous son t-shirt. Encore une fois, Glen frissonna sous ses caresses. Puis, il sentit une main descendre jusqu'à son bas ventre. La panique le saisit. Qu'est ce qu'il voulait, au juste ? Qu'étaient-ils en train de faire ? C'était n'importe quoi ! Glen ferma les yeux lorsqu'il sentit cette main se glisser dans son caleçon, comme pour s'échapper de tout ça.
- Apparemment je te fais encore de l'effet, susurra John à son oreille avant de lui mordiller le lobe.
L'excitation le gagna tout à coup et son souffle s'accéléra, son visage se crispa de plaisir. Il ne fallait pas ... Mais John ne s'arrêta pas. Il souleva son t-shirt pour déposer ses lèvres sur son torse, puis son ventre, jusqu'à s'agenouiller devant lui. Glen le regardait, ahuri, ne sachant plus quoi faire.
- Arrête ça, demanda-t-il d'une faible voix.
- Laisse toi aller, répondit John en défaisant le bouton de son jean.
- Non ...
Glen sentit son pantalon descendre et tomber sur ses chevilles. Puis, les mains de John agrippèrent son caleçon pour le faire glisser le long de ses cuisses. Avant qu'il n'eut le temps de dire quoi que ce soit, il fut tout à coup envahi par une vague de chaleur et de plaisir qui le fit gémir sans qu'il puisse s'en empêcher. John venait d'entamer une fellation. Glen ferma les yeux et se laissa aller, complètement paralysé et submergé par une sensation d'extase. Son esprit se brouillait, assailli par des milliers de pensées qui s'entrochequaient. Il était tiraillé entre le bien que cela lui procurait et la bêtise qu'il était en train de commettre en se laissant faire. Il pensa au fait que Russel devait sûrement l'attendre au bar en s'impatientant, tandis que lui se faisait sagement sucer par son ex-copain dans son appartement. Il était en train de lui poser un lapin pour une histoire de sexe ! Il avait honte de lui. John aurait déjà dû partir depuis longtemps. Glen s'en voulait tellement ... Il fallait que ça cesse.
- Non, arrête ça, maintenant ! s'écria-t-il en le repoussant.
Tandis que Glen se rhabillait à la hâte, John le regardait d'un air surpris en s'essuyant les lèvres du revers de sa manche.
- Tu n'aimais pas ? dit-il en se relevant.
- Maintenant sors de chez moi !
- Qu'est ce que j'ai fait de mal ?
- Pardon ? demanda Glen d'un ton agressif. Tu veux que je te dise ? T'es toujours là pour foutre le bordel dans ma vie ! Dès que t'es là, tout va mal ! Mais le plus dégueulasse dans tout ça c'est que tu essaies de me manipuler, de me rendre faible pour obtenir ce que tu veux ! Mais maintenant le jeu est fini et tu peux rentrer chez toi !
Sous le poids de la colère, les yeux de Glen s'étaient remplis de larmes qui ne voulaient pas couler, et son regard s'était obscurci. À ces mots, John avait pâli et son visage s'était figé un instant.
- Je ne voulais pas te faire de mal, balbutia-t-il en s'approchant de Glen.
Mais celui-ci le repoussa.
- S'il te plaît, insista John en lui caressant la joue.
- Je veux que tu t'en ailles maintenant, répondit froidement le jeune homme.
L'autre ne répondit pas tout de suite.
- Tu aimes quelqu'un, n'est-ce-pas ? Mais tu te voiles la face.
- Si je ne veux plus aimer c'est de ta faute, lança Glen.
- Tout est de ma faute, répondit John en souriant.
- Exactement. Maintenant va t'en ...
Sans répondre quoi que ce soit, les yeux dans le vide, le grand blond perdit son sourire. Il soupira et voyant qu'il n'était désormais plus le bienvenu, il se dirigea d'un pas sec vers la porte de sortie. Sans se retourner, Glen attendit d'entendre le claquement de la porte pour souffler, soulagé d'être enfin seul, loin de la source de tous ses conflits. Désormais, il ne pensait plus qu'à Russel. Il jeta un coup d'oeil à son téléphone. Il était presque 20h30. Un regret immense le traversa tout entier. Il ne s'était même pas rendu au rendez-vous qu'il avait lui-même planifié. Russel était sûrement déjà reparti chez lui, agacé d'attendre. Il lui demanderait peut-être une explication ... Mais jamais Glen ne voudrait avoir à lui expliquer pourquoi il l'avait laissé en plant ce soir là. Et il se disait même que, sans doute il n'oserait même plus lui adresser ne serait-ce qu'une parole, un regard. Il aurait trop honte. D'ailleurs pourquoi un type comme Russel fréquenterait quelqu'un comme lui ? Tout les opposait. Et l'incident de ce soir en était bien la preuve. Russel était quelqu'un de bien, plein de bonnes intentions et de qualités. Glen le définissait comme quelqu'un de fidèle, posé, patient et sensible, mais surtout quelqu'un d'honnête et de généreux. Oui, tout l'opposé de lui. Glen était compliqué, indifférent, agressif et il n'était pas toujours très honnête que ce soit avec les autres comme avec lui-même. Et son comportement de ce soir montrait bien son égoïsme. Il n'avait écouté que son propre plaisir et avait préféré céder aux avances de John sans se préoccuper de son rendez-vous avec Russel. Pourtant Russel valait bien mieux. Encore une fois, il échouait. Il n'était pas doué avec les hommes, l'amour ou même l'amitié d'ailleurs. Bref, les relations, le social, ce n'était pas son truc. Il s'y prenait toujours mal et tous ses gestes maladroits ne faisaient que de la peine à son entourage. Au final, tout se terminait toujours de la même façon. Une fois le crime commis, prémédité ou non, tout ce qu'il lui restait à faire était de s'enfuir le plus loin possible et de ne pas se rendre pour ne pas avoir à avouer ses torts. Encore un défaut. Glen ne se trouvait que des défauts. Oui, Russel valait mieux que ça. À partir de maintenant, il le laisserait tranquille, il ne lui ferait plus de mal. Plus jamais. Alors, la seule solution était de s'éclipser de sa vie avec pour premier complice, le magnifique pouvoir du temps qui passe, et qui efface petit à petit ...