Le Royaume des Rats
Frère Merthin se leva de sa chaise.
- Objection !
- Retenue. Ne soyons pas aussi expéditifs, Sœur Weiseneule. Y a-t-il autre chose ?
- Je n’ai rien d’autre à demander sur ce sujet, votre Honneur.
- Frère Merthin ?
Le prêtre chargé de la défense de Pâlerameau fit quelques pas. Il était luisant de sueur.
- Le prévôt Tomas a raison, nous ne devons pas appliquer une justice trop catégorique. Même si la présence de mon client comporte des risques, il est important de respecter la droiture de Verena. Notre Déesse ne souhaiterait pas que l’on condamne à toute vitesse un criminel qui a fait preuve d’une indéniable bonne volonté. Votre Honneur, je suppose que vous avez consulté tous les rapports sur la suite de cette affaire, depuis la capture de Maître Pâlerameau.
- En effet, Frère Merthin.
- Je vais néanmoins les résumer pour le jury, les témoins et l’audience, avec votre permission ; quelques heures après sa capture, Maître Pâlerameau a été soumis à un rituel d’exorcisme auquel vous avez participé, votre Honneur. Au terme d’une harassante lutte psychique, nos prêtres dévoués et les deux courageux magiciens ont extirpé de l’essence spirituelle de mon client la Démonette répondant au nom d’Ari. Quelques instants plus tard, le Magister Vigilant Brisingr Mainsûre a entrouvert un petit portail vers la dimension des Démons, juste quelques secondes, pour permettre à sa Majesté le Prince de renvoyer cette créature dans son monde. Une fois le portail refermé, Maître Pâlerameau est revenu à lui. Il a réalisé pleinement toutes les implications de ses faits et gestes de ces derniers mois. Après un choc plutôt violent, il a repris ses esprits, et a multiplié les preuves de collaboration et de bonne volonté. Ainsi, non seulement il a reconnu tous les motifs d’accusation devant cette Cour, mais il a également donné tous les documents qu’il avait rassemblés, nous permettant ainsi de connaître l’identité de tous les membres du culte de la Main Pourpre de Vereinbarung. En effet, tous n’étaient pas présents à la cérémonie, certains étaient restés en retrait. Mais ils ne pourront plus nous échapper. À l’heure qu’il est, le capitaine Klingmann est en train de procéder à l’arrestation de tous les membres de la Main Pourpre de Steinerburg dont mon client nous a sagement donné les noms.
Voilà pourquoi il n’est pas venu, songea Kristofferson avec soulagement. Puis son sourire se crispa. Par contre, ses prisonniers ne vont vraiment pas passer un bon moment !
- Le prieur Romulus a également transmis aux autorités compétentes l’identité des réservistes cachés dans le Royaume des Rats via le réseau de renseignements des Gardiens de la Vérité, continua Frère Merthin. Il n’y en avait pas qu’à Steinerburg, en vérité. Nous espérons pouvoir tous les prendre de court pour les mettre sous les verrous, l’information de l’échec de leur gourou ne leur est probablement pas encore parvenue. Et pour finir de nous convaincre de sa bonne foi, Maître Pâlerameau nous a donné les noms des adeptes de cette secte en dehors de nos frontières qu’il connaissait. Il n’a pas fait que convertir des habitants du Royaume des Rats, il a également fait venir des complices de l’extérieur en toute discrétion. Afin de vous convaincre pour de bon, je souhaiterais entendre la version des faits par la bouche d’un témoin en particulier. J’appelle à la barre le Magister Vigilant Brisingr Mainsûre.
Bianka sentit sa mâchoire se contracter en entendant ce nom. Pendant un instant, elle fut tiraillée entre son désir d’entendre éclater la vérité et son envie de voir l’Elfe mis à mal d’une manière ou d’une autre.
Le Magister était déjà assis sur la chaise réservée aux témoins quand la jeune fille-rate se focalisa de nouveau sur les événements.
- Je m’appelle Brisingr Mainsûre. Je suis né sur l’île d’Ulthuan, et j’habite Altdorf depuis des dizaines d’années, où je travaille comme Magister Vigilant pour le compte du Collège du Feu. Légalement, je ne réponds qu’à la volonté de l’Empereur lui-même et au Patriarche Gormann, même si j’accepte naturellement de me soumettre à l’autorité du détenteur du pouvoir suprême quand je me déplace dans une province extérieure à l’Empire. Je vénère Hoeth, le Dieu de la Magie chez les Elfes, mais soyez tranquille, pour les besoins du procès, j’accepte de me plier aux commandements de Verena. Je fais également partie des Gardiens de la Vérité, je répondrai donc à vos questions par la vérité uniquement.
- Fort bien, Maître Mainsûre. Connaissez-vous l’accusé depuis longtemps ?
- Pour un Humain, oui. Pour un Elfe, la réponse sera plus nuancée.
- Soyez plus précis, je vous prie.
- D’accord, d’accord. Nous avons commencé à travailler ensemble pour le Prince Steiner il y a environ une dizaine d’années. L’histoire que Maître Pâlerameau a racontée est vraie. Nous avons aidé le Prince dans ses recherches sur les Skavens. C’est lui qui nous a présentés aux Gardiens de la Vérité. J’ai eu le privilège de travailler régulièrement pour sa Majesté. Lorsqu’il a quitté Altdorf, il m’a proposé un poste ici par courrier, mais j’ai préféré le décliner. Avec tout le respect que j’ai pour Vereinbarung et ses habitants, je préfère la profession de chasseur. Après cette affreuse histoire de Xathrodox, j’ai décidé de me consacrer à la traque des sectes du Chaos. Il faut dire que mon propre professeur, Maître Wolfgang Scheunacht, était devenu l’un d’eux à mon insu. Alors que j’étais sur le point de détruire le deuxième artefact, le Dague de Yul K’chaum, il m’a révélé son appartenance à la Main Pourpre, et m’a proposé de le rejoindre.
- Qu’avez-vous fait ?
- Il n’était pas disposé à accepter le moindre refus de ma part. J’ai refusé. Il l’a très mal pris, et a tenté de me détruire. Je me suis défendu.
- Vous l’avez neutralisé pour l’envoyer en prison ?
- Non, je l’ai tué.
- Objection ! s’exclama Sœur Weiseneule. Tout ceci ne nous mène nulle part !
- Au contraire, répliqua Frère Merthin, nous y arrivons !
- Je rejette l’objection, répondit le prévôt Tomas. Mais je suis très curieux de savoir où vous nous menez, Frère Merthin ?
Le prêtre de Verena se frotta les mains, l’air réjoui.
- Je vous présente Maître Brisingr Mainsûre, honnête citoyen dévoué à la cause de l’Empire, et par extension à la nôtre, quand il s’agit de nous défendre contre les abominations des terres du Chaos. Il a toutes les raisons de détester les cultistes des Dieux interdits, en particulier ceux de la Main Pourpre. Et pourtant, d’après un premier témoignage écrit de sa main que j’ai reçu avant ce procès, mon client n’est pas un individu coupable au dernier degré. Si vous le voulez bien, nous allons le prouver ensemble, Maître Mainsûre. Puisque vous connaissez l’accusé depuis longtemps, que pouvez-vous nous dire sur sa personnalité ?
- C’est pour ça que vous m’avez fait venir, je présume, acquiesça le mage avec un sourire ironique. Effectivement, je connais Yavandir Pâlerameau depuis une dizaine d’années. Nous avons bravé des dangers maintes fois, aussi bien dans l’Empire qu’au cours d’expéditions pour le compte du Prince – en tout cas, nous avons au moins partagé un voyage sur le Continent Noir, où nous avons croisé les Hommes-lézards locaux. Nous nous sommes mutuellement sauvé la vie à de multiples reprises. Le plus important est que nous sommes tous deux des Gardiens de la Vérité, et les parrains de Dame Heike Steiner. Le travail de patience que nous avons déployé avec son père a été le sceau de notre amitié.
- Dans ce cas, comment en êtes-vous arrivés à vous battre l’un contre l’autre devant des dizaines de témoins à la scierie ?
- La réponse est évidente, Frère Merthin : votre client n’était plus lui-même. Nous l’avons démontré, il était sous l’influence d’une petite Démone. Tout ce qui a été établi depuis le début de ce procès est la vérité. J’ai arraché cette petite saleté de l’âme de Yavandir moi-même, avec l’aide des plus hautes autorités du Royaume des Rats. Une fois Ari renvoyée dans le Warp, votre client est redevenu le brave bateleur que j’ai du plaisir à connaître. Yavandir Pâlerameau est un homme intègre, loyal, sur qui l’on peut compter, si l’on accepte son caractère d’artiste extraverti. Ce sera dur à croire pour la partie civile, j’en conviens, mais il n’est qu’une victime de plus. Telle est la vérité, Frère Merthin.
- Pour faire éclater cette vérité, vous avez recouru à des moyens très tordus, mais bougrement intelligents. Eh bien, soyez remercié pour votre sincérité, Maître Mainsûre. Je n’ai rien d’autre à vous demander.
- Sœur Weiseneule, le témoin est à vous, annonça Tomas.
La prêtresse de Verena se planta devant le magister.
- Avant toute chose, j’aimerais votre avis d’expert à propos du séjour de l’accusé à Nuln, et sa proximité avec Katarine Braun. Le Glaive de Vérité n’a pas bougé, il ne nous a donc pas menti, mais est-ce que vous confirmez que les événements se sont déroulés comme il l’a expliqué tout à l’heure ?
- Absolument, ma Sœur. Tout s’est passé comme ça, à peu de chose près.
- Vous et vos frères d’armes vous êtes donc retrouvés face à un puissant sorcier du Chaos qui vous a piégé lorsque vous avez neutralisé le Calice de Colère pendant que Maître Pâlerameau était en compagnie de Katarine Braun ?
- C’est exact.
- Comment avez-vous fait pour échapper à ce sorcier ?
- Le plus simplement du monde : il m’a proposé de rejoindre sa cause. J’ai refusé. Contrairement à mon ancien maître, il a été conciliant et m’a laissé partir.
- Ah, vraiment ? Il vous a laissé partir ? Voilà qui est surprenant, de la part d’un sorcier du Chaos. J’aurais cru qu’il aurait déchiqueté votre âme en mille morceaux ?
- Moi aussi, mais il était de bonne humeur. Grâce à ses manigances, nous avions empêché pour de bon toute tentative de ramener Xathrodox à la vie. Le sorcier a infligé une défaite cuisante au plus grand rival de son Dieu, en conséquence, il a reçu une récompense spéciale ; il s’est transformé en Prince-Démon devant nous.
- Vous n’avez pas tenté de le détruire ? Une telle menace pour notre monde, à portée de votre puissance, c’était une belle occasion de briller !
- Dites plutôt « de brûler », ma Sœur. Qu’aurions-nous pu faire ? Nous n’étions qu’une poignée d’hommes devant une puissante entité gorgée de magie du Chaos. En outre, nous sortions d’un rude combat contre les sectateurs de Khorne, nous étions tous épuisés. L’un de mes camarades, le Tueur Nain Kilvitt Fimliksson a voulu hacher menu le Prince-Démon. Trois secondes plus tard, il n’était plus qu’une marmelade de chair informe. Le Prince-Démon a renouvelé son offre : ou nous lui jurions allégeance, ou nous le quittions, avec la promesse de ne rien tenter contre lui sous peine de finir comme Fimliksson. J’ai écouté mon instinct de survie : j’ai fait demi-tour et j’ai franchi la déchirure entre notre monde et les terres du Chaos. Ludviksson et les quelques hommes d’armes avec nous m’ont suivi, et nous avons réapparu à Nuln.
- Et ensuite ?
- Le temps s’écoule différemment dans le Warp, parfois très rapidement, parfois très lentement, il fluctue de manière irrégulière. Quand nous sommes revenus dans l’Empire de sa Grâce Karl Franz, nous avons été abordés par une patrouille. Ces gens avaient notre signalement depuis notre disparition, ils nous ont conduits auprès de Sire Ludwig Schwarzhelm, le représentant de Karl Franz. Six mois avaient passé depuis la destruction du Calice de Colère, à notre grand étonnement. Sire Schwarzhelm nous a invités à ne parler de cette histoire à personne, et à rester discrets au moins pour un temps. C’est là que nous nous sommes séparés. Hallbjörn Ludviksson était écœuré d’avoir rendu service à un Dieu du Chaos. Il a quitté l’armée impériale pour se faire mercenaire.
- Il n’était pas déjà mercenaire à louer quand il participait aux recherches sur les Skavens Sauvages ?
- Seulement pendant ses permissions, il s’était engagé dans l’armée de l’Empire pour acquérir de solides connaissances en stratégie, une science qui manquait à son peuple. Ludwig Steiner lui a prêté un peu d’argent pour l’aider à constituer un petit régiment, et ce régiment a grossi avec le temps. Aujourd’hui, Ludviksson est retourné dans son pays natal. Aux dernières nouvelles, si le Chaos n’a pas reculé, il n’a pas grignoté la Norsca davantage non plus.
- Et vous ? Qu’avez-vous fait votre retour ?
- J’ai fait mon rapport auprès du Patriarche, puis j’ai repris mon travail dans l’Empire, tout en passant régulièrement prendre des nouvelles des Steiner et de Yavandir. Quand les Steiner ont laissé derrière eux la vie à Altdorf, j’ai cru qu’ils avaient péri dans l’incendie du manoir, mais j’ai accueilli avec soulagement la nouvelle de leur fuite. J’ai toujours gardé contact par courrier, et il m’est arrivé de venir une fois ou deux en visite, mais je ne me suis jamais installé à Vereinbarung.
- Aujourd’hui, vous êtes bien ici, pourtant ? Pourquoi ?
- Sa Majesté le Prince m’a engagé il y a six mois pour une mission de longue durée, avec l’accord du Patriarche Gormann, bien évidemment. Il voulait faire construire des Collèges de Magie sur le même modèle que ceux que vous pouvez fréquenter à Altdorf. Quoi de plus logique ? Si Vereinbarung voulait avoir une puissance comparable à celle des royaumes voisins, la formation de mages était nécessaire. Et donc, après avoir réglé mes affaires à Altdorf, je suis arrivé jusqu’ici. À point nommé, puisque cela m’a permis de participer à la bataille de Wüstengrenze, dont nous sommes sortis victorieux.
- Oui, c’est exact, vous vous êtes brillamment illustré. Néanmoins, votre héroïsme a laissé place à autre chose de bien moins honorable, Maître Mainsûre.
- Je suis curieux de découvrir la nature de cette « autre chose » ?
- Vous avez eu un comportement très suspect, ces dernières semaines, Maître Mainsûre. Selon plusieurs témoignages, il y a eu chez vous quelques petits signes troublants. Par exemple, on vous a surpris en train de consulter des documents rares, qui nécessitent des autorisations spéciales compte tenu des sujets traités.
- Je voulais étancher ma soif de connaissance. Vouloir se cultiver est donc un crime, selon vous, un prêtre de Verena ?
- La soirée où le Maître Mage a simulé son assassinat, vous avez été vu dans le jardin, à faire des gestes tout en récitant des incantations absconses.
- La personne qui a donné ce témoignage est Gabriel Steiner. C’est un bon petit jeune homme, mais il a tendance à se laisser emporter par son imagination. Ce soir-là, je suis bel et bien sorti pour prendre l’air car il faisait chaud dans la salle de banquet, et j’ai adressé une prière à Hoeth, en prévision de ce qui allait se passer.
- Nous sommes d’accord, vous saviez qu’il allait se produire quelque chose d’affreux.
- Bien évidemment, tout comme je savais que j’allais me faire accuser d’hérésie tôt ou tard, puis que j’allais me faire enfermer pour discrètement ressortir et pouvoir investiguer dans l’ombre. Tout cela faisait partie de la même ruse afin de couper l’herbe sous le pied à la Main Pourpre, je pensais que vous l’aviez compris, Sœur Weiseneule ?
- Dans l’affaire, votre nom et votre réputation ont été bien entachés, ainsi que celle de votre Collège. Ça ne vous dérange pas plus que ça ?
- J’ai l’habitude, ma Sœur. C’est le prix à payer pour être Magister Vigilant : il faut accepter de se salir les mains régulièrement, et de ne pas être un héros populaire. J’ajoute c’est moi-même qui ai proposé cette ruse, qui a été approuvée par le Patriarche Gormann en personne. Quant à la réputation du Collège Flamboyant, cette affaire ne suffira guère à la ternir, ne vous inquiétez pas.
Le prévôt Tomas leva la main.
- Sœur Weiseneule, j’aimerais que vous nous expliquiez clairement votre démarche. Où donc voulez-vous en venir ?
- Votre Honneur, je voudrais que la Cour comprenne que le témoignage de Maître Brisingr Mainsûre n’est pas aussi fiable qu’il prétend. Il y a plein de petites choses floues dans son comportement. Chacune prise séparément ne devrait pas susciter davantage qu’un haussement d’épaule, mais si l’on fait la somme de tous ces petits écarts, on pourrait les voir comme les symptômes d’un état de santé mental douteux. Et dans ce cas-là, on ne saurait se fier à son jugement quand il qualifie l’accusé d’« intègre et loyal ». Regardez la pièce à conviction numéro quatre, ce grimoire scellé. Que pouvez-vous nous dire sur cet ouvrage, Maître Mainsûre ?
- Il s’agit du Codex Manu Fatali, le « Codex de la Main du Destin ». C’est un ouvrage classique chez les adeptes du Dieu vénéré par la Main Pourpre.
- Au cours de son enquête, la Grande Archiviste l’a retrouvé dans votre chambre d’auberge.
- Maître Pâlerameau a confessé l’y avoir laissé intentionnellement pour me compromettre.
- Mais vous n’avez pas pu vous empêcher de le consulter, n’est-ce pas ? Vous l’avez lu, et vous avez même fait des annotations dessus. Si l’on compare l’écriture des petites notes dans la marge à celle sur la pièce à conviction numéro trois, c’est votre écriture.
- Objection ! Mon client nous a déjà avoué qu’il avait imité l’écriture de Maître Mainsûre sur les pages de ce codex !
La prêtresse pivota vers frère Merthin, l’air goguenarde.
- Vous tentez d’alléger la culpabilité de votre client en reconnaissant la vilénie de ses actes vis-à-vis du Magister ? Vous voulez peut-être qu’on échange nos places ?
- Ne soyez pas ridicule, Sœur Weiseneule, vous parlez de faits préalablement confessés et donc déjà établis au début du procès, je n’aggrave donc pas son cas, comme vous le prétendez !
- Objection retenue, annonça Tomas.
La femme aux yeux perçants rajusta ses lorgnons, et fit un ample geste du bras vers le magister.
- Je pense que votre témoignage et vos actes sont révélateurs de certains traits de caractère qui nuisent à votre crédibilité, Maître Mainsûre. Entre votre rancune personnelle contre le Chaos depuis la chute de votre maître, vos contacts répétés avec des objets de culte blasphématoires, votre passage bref mais cinglant dans la dimension des Démons, vous avez eu de nombreuses occasions de perdre la tête. Si vous n’êtes définitivement pas coupable d’hérésie, je trouve que vos actes, vos témoignages et vos intentions manquent de clarté.
- Objection ! coupa Frère Merthin.
- Rejetée, déclara le prévôt. Nous connaissons la valeur de Maître Mainsûre, mais nous devons rester objectifs. Le jury décidera de valider ou non son témoignage. Néanmoins, tout ceci commence à m’ennuyer. Nous n’irons pas plus loin dans cette direction. Magister, merci pour vos réponses, vous pouvez quitter ce banc.
Pendant que l’Elfe aux cheveux de flammes retournait au coin des témoins, la prêtresse demanda au prévôt :
- J’aimerais appeler un autre témoin. Il n’a pas eu de lien direct avéré avec l’accusé, mais je pense qu’il pourra nous aider à combler les trous dans cette histoire. Le jury pourra ainsi comprendre l’histoire dans son intégralité, et rendre un meilleur verdict.
- Nous pouvons consacrer quelques minutes à ce témoin, si cela peut aider le jury, mais si nous nous éloignons trop du sujet, on arrêtera.
- Merci, votre Honneur. Maître Nedland Grangecoq ?
Le Halfling se leva prestement et s’installa rapidement. Le prévôt lui posa la question rituelle, d’une manière un peu complexe.
- Maître Grangecoq, nous connaissons votre fidélité à la Couronne et au Royaume des Rats, je peux l’affirmer personnellement pour avoir vécu des aventures rocambolesques à vos côtés avant la fondation de Vereinbarung, mais je dois garder le rôle de magistrat impartial, juste, et qui ne laisse rien au hasard. Vous allez prêter serment devant cette assemblée : tout ce que vous direz, que ce soit des réponses aux questions que l’on vous posera, ou des affirmations spontanées, bref, toutes les paroles que vous prononcerez tant que vous êtes dans cette salle énonceront uniquement la vérité, et rien d’autre. Jurez-le !
Nedland eut un petit sourire bon enfant.
- Avec la permission de Ranald et la bienveillance d’Esméralda, j’accepte de me soumettre complètement à Verena, tant que je participerai à ce procès. Je tâcherai de ne rien dire d’autre que la vérité.
- Sœur Weiseneule, le témoin peut répondre à vos questions.
- Merci, votre Honneur. Alors, Maître Grangecoq, pouvez-vous nous dire quel a été votre rôle, dans cette affaire ? Vous êtes le Trésorier princier, votre place est dans un bureau, à tenir à jour la comptabilité du Royaume. Mais est-ce que vous ne vous êtes pas quelque peu éloigné de vos fonctions ?
- Si vous parlez des fonctions officielles, Sœur Weiseneule, on peut dire ça comme ça. Maintenant, je suis avant tout un citoyen de Vereinbarung, et donc, je contribue à sa défense contre toute menace, qu’elle soit extérieure ou intérieure. Après la bataille de Kreidesglück, son Altesse le Prince Ludwig Steiner m’a chargé de retrouver un Skaven Blanc en particulier. Celui qui nous avait créé des problèmes à Oropesa. J’ai passé les derniers mois à le traquer, à farfouiller partout là où l’on pouvait dénicher la vermine de l’Empire Souterrain. J’envoyais régulièrement des lettres au Prince pour le tenir au courant de l’avancée de mes recherches. Enfin, j’ai finalement trouvé, dans la Forêt du Loup Blanc. Alors, j’ai donné les coordonnées de ma position, et j’ai attendu Jochen et Marjan Gottlieb. Tous deux devaient infiltrer le terrier du Prophète Gris Karhi avec le Maître Mage, sous le déguisement d’un Guerrier du Chaos et sa suite, avec deux prisonniers.
- Les risques étaient vraiment élevés. Si l’un ou l’autre d’entre vous avait été découvert, vous auriez été massacrés !
- Probablement, mais à époque désespérée, mesure désespérée, ma Sœur. Heureusement que cette équipe d’infiltration était menée de main de maître par deux jeunes gens aussi courageux que créatifs. Les volontaires qui les ont accompagnés n’étaient pas en reste. Accessoirement, Jochen avait gagné des points auprès du Prophète Gris Karhi en lui apportant le masque de Cuelepok.
- Ah ? Mais je croyais que Maître Pâlerameau avait donné cet artefact à deux Skavens Sauvages ?
- Oui, mais je les ai interceptés, j’ai récupéré le masque, et quand Jochen et sa clique sont arrivés, je le lui ai confié avant de filer dare-dare vers Steinerburg.
- Et les deux Skavens Sauvages ?
- Deux habitants de l’Empire Souterrain de moins, personne ne les regrettera.
- Depuis le début, vous saviez que le Maître Mage n’était pas mort ?
- Bien entendu. En fait, je suis comme le Prince, le Maître Mage, le Magister Vigilant et le Prieur, dans l’histoire : la seule chose que j’ignorais, c’était l’identité de « Monsieur Olafsson », l’accusé.
La prêtresse s’adressa au prévôt.
- Pas d’autre question, votre Honneur.
Sœur Weiseneule recula. Frère Merthin avança vers le pupitre réservé aux témoins et demanda alors :
- Vous êtes déjà venu témoigner au procès de Johannes Schmetterling.
- Absolument.
- Il a dressé un portrait de vous un peu particulier…
- Vous pouvez être le « particulier » de n’importe qui, Frère Merthin.
- À l’issue de l’interrogatoire du commandant, nous avons appris que vous faisiez partie d’un réseau plutôt spécial ?
Le visage du trésorier se fendit d’un grand sourire.
- Je me permets de vous rappeler que l’auteur de cet interrogatoire a été exécuté pour haute trahison, Frère Merthin. Au cours de son procès, il a tenté de rejeter tout le poids de sa félonie sur moi. Quand je l’ai poussé dans ses derniers retranchements, il a finalement craqué et reconnu toutes ses fautes, il a insulté les citoyens et a menacé le Prince. Comme personne de confiance, on repassera. Ça ne change rien pour moi. Allons-y carrément ; ce que vous appelez « réseau plutôt spécial », je l’ai expliqué à l’époque et je peux l’expliquer à nouveau, c’est un syndical criminel. Avant de devenir le trésorier princier, j’étais un bandit, c’est un fait que j’assume complètement, contrairement à nombre de personnes autoproclamées « respectables et respectées » de la Haute Société. Mais si je garde contact avec mes anciens partenaires restés à Altdorf, je vous assure qu’ici, je respecte la loi, et je n’ai aucune raison de la violer. J’ajouterai même que je m’implique dans la vie de ce pays avec rigueur, aussi bien en temps de paix que pendant la guerre.
- En effet, vous avez pris beaucoup de risques, plusieurs témoins corroborent ce fait. Quand vous avez fait vos travaux de repérage dans la Forêt du Loup Blanc, vous n’aviez rien à craindre des guerriers du Chaos de Lennart Sang-de-Feu, vous saviez qu’ils étaient nos soldats, mais les Skavens Sauvages auraient pu vous rattraper et vous massacrer. Vous vous êtes aussi battu contre la Main Pourpre, et même si vous n’étiez pas en première ligne, vous auriez pu être blessé ou tué. Ma question est la suivante : pourquoi ?
- Pour la même raison que je me suis battu il y a six mois contre les Skavens Sauvages du Prophète Gris Iapoch. Par intérêt personnel. Le Royaume des Rats est mon foyer depuis six ans, je contribue à sa défense en cas de danger, dans la mesure de mes moyens. J’habite ce pays, j’aime ses habitants, je le défends parce que c’est mon devoir moral et légal. Du reste, tout ce que j’ai fait entre le pseudo-meurtre du Maître Mage et aujourd’hui, je l’ai fait sous les ordres de sa Majesté, avec le sourire. Son Altesse est un monarque avisé et juste, sa famille est la mienne, et Yavandir Pâlerameau a été un instrument. Inutile de vouloir me décrédibiliser en sa faveur, il a déjà ma sympathie et ma compassion. Pour être plus clair : l’accusé n’est pas entièrement responsable de tous les chefs d’accusation, il a été visiblement manipulé par une petite horreur issue des terres du Chaos. J’avais confiance en lui, et aujourd’hui, j’ai retrouvé cette confiance.
Le prévôt Tomas poussa un profond soupir.
- Bien, je pense que nous en avons fait le tour. Merci pour votre franchise, Maître Grangecoq, nous pouvons passer aux témoins suivants. En effet, il y a encore deux personnes qui ont été impliquées de très près dans toute cette histoire. Ces deux personnes ont accepté de se plier à la loi de Verena. Nous allons donc entendre leur version des faits. Pour commencer, je demanderai à Kristofferson Steiner de se présenter à la barre.
Le Skaven brun se leva, croisa Nedland qui lui fit une petite tape sur l’épaule au passage, et s’installa au banc des témoins. Il jeta un bref regard à l’assemblée, un peu intimidé, mais son cœur s’allégea quand il vit Marjan, au premier rang. Elle leva discrètement sa main devant sa poitrine, le majeur et l’annulaire posés sur sa paume, recouverts par le pouce, avec l’index et l’auriculaire tendus, de façon à former un « U ». Kristofferson reconnut le salut d’Ulric, et répondit par un léger signe de tête. La voix du prévôt Tomas le rappela à l’ordre.
- Comme le veut la coutume, je vous demanderai de prêter serment sur la Balance de Verena.
Le Skaven brun leva la main droite.
- Je jure devant cette assemblée que je répondrai par la Vérité à toutes les questions qui me seront posées à cette barre.
- Fort bien, jeune homme.
Sœur Weiseneule toisa le jeune homme-rat du regard.
- En tant que premier-né du Maître Mage, vous avez été aux premières loges durant toute cette terrible histoire. Quand vous avez quitté le cimetière, laissant sa tombe derrière vous, quel était votre état d’esprit ?
- J’étais très triste, et furieux contre les criminels responsables de ce forfait.
- Vous n’aviez pas alors la moindre idée de qui pouvait avoir commis ce crime ?
- Pas plus que je ne savais que mon père avait mis en scène sa mort.
- Il ne vous avait donc pas mis dans la confidence ?
- Mon père, ma mère, le prieur Romulus et mon grand-père le Prince ont choisi de nous protéger, en particulier les deux plus petits de ma fratrie. Quand ils nous ont révélé la vérité, j’ai eu du mal à l’accepter, mais j’y suis finalement arrivé, car le danger était plus grand que jamais.
- Parlons donc de ce danger, Maître Kristofferson. Vous avez vu de très près les affreux complices de Maître Pâlerameau. Quand avez-vous su à qui vous aviez affaire ?
- Bianka a fait des recherches, et a retrouvé la signification d’une marque laissée par le meurtrier d’Herbert Lorne et Otto Rademacher. Sur chaque scène du crime, l’assassin avait laissé une empreinte de sa main droite trempée dans le sang. Grâce aux livres de la bibliothèque du temple, ma sœur a fait le rapprochement avec la Main Pourpre.
- Comment vous êtes-vous senti, quand vous aviez compris la nature de l’ennemi ?
- J’ai eu peur, Sœur Weiseneule. Jusqu’à présent, j’avais affronté des Orques, des Skavens Sauvages, ou quelques malandrins qui hantaient les rues de Steinerburg. Des ennemis très concrets et banals. Or, les Démons du Chaos, c’est autre chose.
- Les camarades de l’accusé ont toujours frappé de manière terrifiante, en effet. D’abord, il y a eu cette tentative de meurtre sur votre sœur, la Grande Archiviste. L’accusé s’est introduit chez vous par effraction pour lâcher un Démon, et sans vous, qu’aurait-il fait à ceux que vous aimez ? Heureusement que vous étiez là !
- Je n’ai fait que « terminer le travail », Sœur Weiseneule. Bianka et Gabriel ont pris tous les risques pour se défendre.
- Votre modestie vous honore, Maître Kristofferson, mais vous avez prouvé que vous êtes un brave. Vous vous êtes retrouvé bien plus près du danger, à la vieille scierie. Vous avez combattu le dénommé Sire Alcibiade, c’est bien ça ?
- En personne.
- Maître Pâlerameau nous a fait une description de ce sinistre personnage tout-à-l’heure. Est-ce que ce portrait est conforme à ce que vous avez vu ?
- Oh que oui ! Sire Alcibiade était non seulement un combattant aguerri, mais sa grande taille, son armure, son épée rugissante et sa capacité à se téléporter en un clin d’œil le rendaient proprement redoutable. Quand j’y repense, je comprends pourquoi tous ceux qui ont eu le malheur de croiser sa route de près ou de loin sans perdre la vie étaient morts de peur rien qu’à son évocation !
- Heureusement, il n’était pas invincible. Vous avez débarrassé le Royaume des Rats d’un véritable fléau !
- Là encore, je n’ai fait que donner le coup de grâce, ma Sœur. Sans le concours du Capitaine Klingmann et de Dame Gottlieb, il m’aurait sans doute découpé en petits morceaux !
- Vous confirmez donc que ce Sire Alcibiade n’était pas un mortel ordinaire ?
- Dans d’autres temps, peut-être, mais la créature que nous avons affrontée était clairement d’essence démoniaque.
La prêtresse fit une pause, et un sourire de satisfaction étira ses lèvres.
- Et voilà donc le genre d’individu avec qui l’accusé s’acoquine ! Un professeur d’université devenu fou et mégalomane, et un monstre redoutable, tous deux esclaves d’un Dieu du Chaos et prêts à mettre le feu au Royaume des Rats ! Je n’ai pas d’autre question, votre Honneur.
- Merci, Sœur Weiseneule. Frère Merthin ?
Le prêtre de Verena rajusta ses lunettes, et plongea son regard dans les yeux verts de son interlocuteur Skaven.
- Vous avez sans doute vécu des moments bien difficiles, ces derniers temps, Maître Kristofferson.
- Comme nous tous, Frère Merthin.
- Vous avez reçu une terrible blessure à Kreidesglück, n’est-ce pas ? Vous avez même failli perdre la vie.
- J’ai survécu et je m’en suis remis. Beaucoup d’autres n’ont pas eu cette chance.
- J’entends bien, mais vous en garderez une trace jusqu’à la fin de vos jours. D’abord, sur votre pelage, ensuite dans votre mémoire. C’est un traumatisme qui peut se réveilleur de manière vicieuse, au pire moment.
- Je ne vois pas ce que ça vient faire à ce procès ?
- Eh bien, je souhaite parler de votre équilibre, Maître Kristofferson. Quand votre père a simulé son meurtre, tout a basculé pour vous. Du jour au lendemain, vous êtes devenu l’homme de la maison. Devoir protéger votre famille des dangers qui peuvent frapper de l’intérieur, avec deux jeunes enfants sans doute très affectés par l’horreur de la situation… N’importe qui pourrait rapidement perdre tous ses moyens !
- Je ne suis pas n’importe qui, Frère Merthin. Je suis le descendant d’une lignée de gens qui ont toujours eu de fortes convictions, au point de fonder une dynastie princière. Je suis un Steiner. Par adoption, certes, mais si le sang des enfants du Rat Cornu coule dans mes veines, c’est par l’enclume et le marteau de la famille Steiner von Kekesfalva qu’a été forgée mon âme. Et donc, pour faire honneur à mes ancêtres d’adoption et à mes parents de sang, j’ai toujours tâché de rester maître de mes émotions afin d’accomplir mon devoir. C’est comme ça que j’ai gardé la tête sur les épaules, et que j’ai su protéger les miens.
Frère Merthin leva l’index.
- Admettons. Pouvez-vous affirmer que vous étiez « maître de vos émotions » tout le temps, sans jamais douter, ni faillir ?
- Il y a eu des jours plus difficiles que d’autres, c’est vrai.
- Par exemple ?
- Quand je voyais Gabriel et Isolde avoir peur. Quand je voyais ma mère pleurer l’absence de mon père. Quand j’ai vu Bianka malade au lit, après avoir découvert la trahison de Maître Mainsûre et du Prieur Romulus, que nous croyions authentique.
- Tant de choses qui ont dû sérieusement vous ébranler. Vous, impuissant, à assister à la dégradation de votre famille sans rien pouvoir y faire… quelle frustration !
Les yeux verts du Skaven brun se teintèrent de rouge.
- Frère Merthin, je ne vous permets pas de dire ça ! Si je m’étais senti « impuissant », je serais resté dans ma chambre, à pleurnicher et à me flageller tous les matins ! Oui, j’ai eu peur, oui, j’ai eu de la peine, mais j’ai voulu me battre ! C’est ce que j’ai fait ! J’ai défendu ma famille, ma ville et mon pays natal ! Voilà comment j’ai combattu la frustration. Et quand nous avons botté les arrière-trains de cette bande de dégénérés une bonne fois pour toutes à la scierie, j’ai eu la sensation très jouissive d’avoir accompli mon devoir !
- Le soulagement d’une pression qui durait depuis des semaines peut être salvateur. Mais il peut également révéler certaines failles de jugement ?
- De quelles failles parlez-vous, Frère Merthin ?
- Peut-être avez-vous commencé à voir des ennemis partout où vous regardiez ? Et si votre jugement avait été altéré par la pression ? N’importe qui pouvait appartenir à la secte. Le moindre serviteur, le moindre passant, la moindre lavandière… le danger était partout, en permanence. Votre petit frère et votre petite sœur avaient très peur, à juste titre. Et si vous n’étiez plus en état de les protéger ? Et si les ennemis que vous pensiez percevoir n’étaient que le fruit de votre imagination ?
- Tous les sectaires morts ou capturés sont donc le fruit de mon imagination ?
- Non, bien sûr, mais j’ai du mal à croire à l’existence de créatures surnaturelles. On n’a pas retrouvé le corps de ce soi-disant Champion du Chaos, alors que vous affirmez l’avoir terrassé. Aucune trace non plus de la créature qui aurait attaqué votre sœur dans la serre, si ce n’est votre témoignage. Que dois-je penser ? Est-ce que vous affabulez ? La teneur démoniaque de Sire Alcibiade ne serait-elle pas exagérée par votre état mental d’inquiétude incontrôlée ?
- Absolument pas. Je sais ce que j’ai vu, Frère Merthin. Sire Alcibiade était un monstre, une abomination qui n’avait plus rien de normal. Quand nous avons arraché à son corps dégoûtant l’étincelle de vie qui animait cette chose infecte, elle s’est désagrégée en quelques secondes. Son armure infâme et son épée maudite se sont également brisées. D’accord, il n’y a plus de trace physique de son intrusion dans notre monde, mais tout le monde a vu Sire Alcibiade, cette nuit-là. Ce que vous prétendez être des affabulations dues à une « inquiétude incontrôlée » pourra être rapidement confirmé par des dizaines de citoyens, Dame Gottlieb et le Capitaine Klingmann en tête. D’ailleurs, ces soi-disant affabulations étaient parfaitement justifiées : une fois l’affrontement terminé et les coupables démasqués, nous avons découvert que la Main Pourpre comptait des membres parmi les plus hautes autorités de Vereinbarung, et même certains des gardes du domaine Steiner étaient mouillés ! Les enfants avaient donc raison d’avoir peur. Bianka et moi avons soulevé la pierre pour révéler la vermine qui grouillait dessous, et je me suis appliqué à la balayer. Je l’ai fait avec l’aide de mes vrais amis, des sujets fidèles à la Couronne et plus courageux que vous, Frère Merthin !
Le prêtre de Verena ne réagit pas, pétrifié par la tirade du jeune Steiner. Il tremblait de colère. Les deux hommes se défièrent mutuellement du regard. Enfin, au bout d’une longue dizaine de secondes, l’Humain pivota vers le prévôt.
- Je n’ai rien d’autre à demander à ce témoin, votre Honneur.
- Dans ce cas, je remercie Maître Steiner pour ce témoignage sincère, quoiqu’un peu passionné. Je vais à présent demander la version de sa sœur, la Grande Archiviste Bianka Steiner.