Le Royaume des Rats
Chapitre 89 : Le fin mot de l'histoire
8858 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 04/02/2024 21:04
Ils étaient tous là : le Prince, le prieur, Nedland, Marjan et Jochen Gottlieb, Heike, Psody, Kristofferson, Bianka, Gabriel et Isolde. Seul Sigmund, toujours en chemin, manquait à l’appel. La fille aînée des Skavens, encore affaiblie par la maladie, était dans le fauteuil du Prince, sous une couverture. Le Skaven Blanc sentait les regards appuyés de ses enfants. Les plus jeunes étaient soulagés et heureux, mais Bianka gardait une expression amère. Quant à Kristofferson, ses traits étaient durcis par la colère.
- Je me doutais qu’on avait été baladés par le bout du nez depuis le début, mais je ne pensais pas jusqu’à quel point. Encore moins par qui !
Le Prince leva le doigt.
- Kristofferson, je t’en prie, avant de juger ou de dire quoi que ce soit, écoute ce que ton père et le prieur ont à vous expliquer. Tu veux bien ? Assieds-toi.
Le Skaven brun grommela, mais se posa sur l’un des canapés.
- Bien. Je crois que l’heure des explications est arrivée-arrivée. Romulus ?
- Oui, mon ami. Mes enfants, je vais vous raconter une histoire qui risque de ne pas vous plaire. On y parle de banditisme, de meurtre, de trahison et de vengeance. Et je suis à peu près sûr que vous ne me verrez plus jamais de la même façon quand j’aurai fini de la raconter. Seulement, vous avez le droit de connaître la vérité, après ce qui s’est passé. Ludwig vous a déjà donné quelques éléments, mais je veux vous raconter l’histoire dans son entier.
- On n’attend pas Sigmund ? demanda Kristofferson.
- Non, car le temps presse. Vereinbarung est menacée par un complot qui est toujours en cours d’exécution. Nous devons tout vous raconter pour que vous puissiez comprendre, et bien jouer le rôle qui vous attend maintenant. Nous répéterons tout ça à Sigmund quand il sera rentré.
Le prieur se racla la gorge, prit son inspiration, et tous firent silence.
« Tout a commencé il y a environ une vingtaine d’années. En ce temps-là, j’étais jeune, mais j’avais déjà un passé bien alourdi. Je m’appelais alors Dieter Meyerhold, et je faisais partie d’une bande de bandits installés entre le Reikland et la Bretonnie. Nous avions pour habitude de nous attaquer en priorité aux gens riches, un peu à la manière de Bertrand le Brigand, qui volait l’argent des riches pour le distribuer aux pauvres. Mais contrairement à ce dernier, nous gardions l’argent pour nous, et nous ne faisions preuve d’aucune pitié. »
« Au début, la vie de bandit de grand chemin me plaisait. Ma propre vie de famille avait été peu enchanteresse. J’étais fils de commerçant. Mon père, collaborateur régulier de Ludwig Steiner, avait réussi dans les affaires, mais il ne prêtait pas la moindre attention à sa femme, encore moins à ses enfants. Moi, j’étais simplement destiné à reprendre le flambeau à ma majorité, ce qui ne m’enchantait guère. J’avais besoin d’action, et de suivre un idéal. L’Assemblée des Aigles – tel était le nom de la bande dans laquelle je m’engageai à douze ans – était constituée de vrais durs, qui ne se laissaient pas étouffer par les sentiments. Nous ne nous en prenions qu’à ceux qui le méritaient, mais nous ne faisions pas les choses à moitié. J’ai personnellement fait une demi-douzaine de veuves. »
« Avec le temps, j’ai commencé à douter. Notre chef, Aldo de Verezzo, n’était pas homme à nous laisser réfléchir, encore moins à nous permettre d’abandonner l’Assemblée des Aigles. Il nous recommandait de verrouiller notre cœur avant d’exécuter une cible. J’ai essayé, mais le verrou n’était pas suffisamment solide. Au fur et à mesure que le temps passait, j’ai vu la véritable nature des Aigles. Enfin, je ne sais pas exactement si elle changeait sous mes yeux, ou si c’était mon point de vue qui changeait. Quoi qu’il en fût, ce n’était plus comme pendant les premiers jours. L’héroïsme dont nous faisons preuve laissait peu à peu la place à la violence gratuite, et les victimes de nos larcins souffraient de plus en plus. »
« Enfin vint le jour où un jeune fils de seigneur à peine plus âgé que moi décida de faire appel à nos services. Nous n’étions pas seulement détrousseurs de riches, il nous arrivait de remplir des contrats, moyennant finances. Ce jeune homme voulait nous acheter des plantes rares destinées à permettre à l’esprit de s’alléger jusqu’à la pâmoison. Il se nommait Ignace de Vaucanson, et son père, Horace de Vaucanson, était à la tête d’une province située dans le Montfort, en Bretonnie. »
Le prieur marqua une pause pour permettre à tous de faire le lien avec les événements des derniers jours.
« Ignace de Vaucanson profita des drogues, mais il refusa de payer son dû, prétextant qu’il n’était pas satisfait. Aldo de Verezzo voulut donner une leçon exemplaire. Comme il avait décelé quelques doutes dans mon comportement les semaines précédentes, il en profita pour tester ma loyauté : il me fit enlever Ignace de Vaucanson. Puis ce fut à moi de le torturer à mort avant de rendre le corps à son père. Le fait de savoir que c’était un petit prétentieux qui maltraitait volontiers les paysans de son fief par simple plaisir sadique m’a permis d’aller jusqu’au bout, à mon grand regret. »
« Je me suis présenté masqué à Horace de Vaucanson avec le cadavre d’Ignace dans une malle, mais celui-ci parvint à m’arracher mon masque, et donc à voir mon visage. Ce visage qu’il consacra les vingt années suivantes à haïr et à poursuivre. Quant à moi, je me suis enfui sans demander mon reste. »
« J’ai manqué de prudence. La Garde Impériale m’a pris à la frontière du Wissenland. Un gamin seul sur la route, ça peut être suspect, surtout en cette période : la Comtesse Emmanuelle avait été victime d’une tentative de meurtre, et les gardes étaient particulièrement méfiants. Ils n’ont pas eu de mal à comprendre que j’étais un bandit, mais heureusement pour moi, ils ne connaissaient pas le détail de mes "exploits". J’ai alors pris l’initiative de leur faire une proposition : ma liberté contre l’emplacement de la cache des Aigles. Oui, j’ai vendu mes camarades de fortune. Le capitaine Schrecks, mon principal interlocuteur, accepta de signer un document officiel en ce sens. Bien sûr, je doutais qu’il allait tenir ses engagements, mais cela me permit de gagner du temps. Je retournai à notre repaire du Reikland, comme si rien n’était arrivé. J’inventai une histoire de complications et de détour par le Middenland. Aldo crut mon récit. Le soir même de mon retour, Schrecks lança l’attaque. Je parvins à simuler mon décès en faisant exploser la réserve de poudre et en laissant le corps d’un de mes anciens camarades portant mes bijoux et mon manteau – son visage avait été réduit en bouillie par les décombres. »
« Dieter Meyerhold mourut officiellement cette nuit-là. Aldo fut capturé, jugé, puis pendu une semaine plus tard, avec tous les Aigles qui avaient survécu. Quant à moi, je n’en menais pas large. Afin de me rendre compte des conséquences de mes actes, j’ai assisté à la pendaison en cachette. Ce spectacle a fini de ravager ce qui restait de mon équilibre ; j’étais devenu un assassin, un traître et un couard, prêt à vendre ses camarades dès que les ennuis arrivaient pour sauver sa peau. Les semaines, puis les mois passèrent, et la vie me fut de plus en plus insupportable. »
« Je songeai d’abord à me livrer à Schrecks afin qu’il m’envoie rejoindre les Aigles dans les caves de Ranald, ou mettre fin à mes jours moi-même. Morr m’aurait refusé l’entrée à ses Jardins, sans aucun doute, car j’avais définitivement laissé sur la toile du monde une tache sombre que mon sang n’aurait pas suffi à laver. Toutefois, cela ne me convenait pas. D’abord, j’avais peur de la damnation éternelle de mon âme, je vous l’avoue. En outre, mourir aurait été une nouvelle fuite ; je ne devais pas me contenter de disparaître, il fallait réparer au moins deux fois plus que je n’avais fait de mal. »
« C’est alors que j’eus une révélation : consacrer ma vie à venir en aide aux gens qui en avaient le plus besoin. Et quoi de mieux pour cela que le caractère sacré de la mission des hommes et des femmes qui suivent la Voie de la Déesse de la Compassion ? Je me retranchai au fin fond du Hochland, dans un temple de Shallya, où je devins séminariste. Quelques années plus tard, je prononçai les vœux sacrés qui firent de moi le prieur Romulus. Je fus alors muté au Talabecland. »
Ici, le Prince prit la parole :
- Ce fut durant cette période que je retrouvai le fils de Markus Meyerhold. Dieter était devenu prieur à Talabheim, ma ville natale, où je gérais alors mon commerce. Ce fut le fruit du hasard, il ne savait pas que j’avais un cabinet au Talabecland. Je ne fus pas long à deviner la vérité, en le voyant porter la bure blanche. Partagé entre l’amour que j’avais gardé pour lui et l’horreur de ses crimes passés, j’hésitais à prévenir la garde, mais en entendant les témoignages vantant les mérites de ce jeune prieur particulièrement dévoué à Shallya, je compris qu’il avait fait amende honorable. Enfin, je devrais dire, « Romulus » avait définitivement remplacé Dieter. Je me gardai donc de le dénoncer aux autorités, préférant laisser les Dieux seuls juges de ses actes passés. Je repris alors contact avec lui, et nous nous mîmes d’accord pour garder le secret. C’est à cette époque que je commençai mes études sur les Skavens, pour tromper le chagrin consécutif à la perte de ma famille. Je crois que cet événement tragique a joué, aussi ; je n’avais plus ni femme, ni enfant, je n’allais pas provoquer la fin d’un jeune homme que je considérais comme mon neveu de substitution. Je le présentai à l’Ordre des Gardiens de la Vérité, auquel il jura fidélité.
Il y eut un court silence, que rompit Kristofferson :
- Bien, à présent, nous connaissons le passé. Et je suppose que le seigneur Horace de Vaucanson vous a reconnu, et vous a donné la chasse ?
- Tout doux, mon grand, tu brûles les étapes ! répliqua Psody. Ce n’était pas le seigneur de Vaucanson, le problème. Un autre personnage-protagoniste entra alors en piste : Yavandir Pâlerameau.
Ludwig Steiner se lança à son tour dans une longue explication :
« Quelques années après nos retrouvailles, je déménageai pour m’installer de nouveau à Altdorf – mon métier de marchand m’obligeait à aller régulièrement d’une capitale de province à une autre. J’engageais régulièrement des mercenaires pour me capturer des Skavens Sauvages, afin de pouvoir mieux les étudier en captivité. Un passe-temps certes excentrique et dangereux, mais très instructif. Comme vous le savez, c’est grâce à cette excentricité que vous êtes tous là aujourd’hui, mais n’anticipons pas trop. »
« Un de ces groupes de mercenaires ne revint pas, et ne donna aucune nouvelle. J’envoyai alors un deuxième groupe comprendre ce qui s’était passé. Il y avait notamment Brisingr Mainsûre, qui était déjà apprenti mage, et Yavandir Pâlerameau. Ils enquêtèrent, et comprirent rapidement toute l’histoire : la première équipe avait bien capturé un Skaven Sauvage, mais une bande d’Orques l’avait massacrée, et gardée la malheureuse créature comme prise de guerre. Ce Skaven Sauvage était celui qui allait devenir ma fille. Ces deux Elfes me ramenèrent Heike, ce jour-là. C’est ainsi qu’ils devinrent mes collaborateurs les plus dignes de confiance. Brisingr m’aida à protéger ma fille adoptive, et Yavandir ne manqua pas une occasion de la faire rire, de la faire rêver, grâce au théâtre. L’un comme l’autre avaient gagné ma confiance. Eux aussi furent mis en contact avec l’Ordre des Gardiens de la Vérité par mes soins. »
« Le temps passa, et malheureusement, Yavandir Pâlerameau se mit à nourrir d’autres projets, bien moins honorables. Après une mission pour mon compte sur le Continent Noir où j’avais racheté un petit comptoir commercial, il décida de changer d’air. Il voyagea de part et d’autre du Vieux Monde, gagnant sa vie comme bateleur professionnel. Il ne donna d’ailleurs plus signe de vie aux Gardiens. Enfin, il se rendit en Bretonnie. Mon ami ? »
Romulus reprit le cours de l’histoire, pendant que le Prince se servit un verre de vin.
« Je vais vous expliquer maintenant ce qui s’est probablement passé. Je ne peux rien affirmer avec certitude, mais si je récapitule ce que j’ai appris chez Henri de Beyle, je pense pouvoir reconstituer à peu près le déroulement des événements de ces derniers mois. »
« Comme vous le disait votre grand-père, Yavandir Pâlerameau passa par la Bretonnie. Un jour, il participa à un festival au pays du Montfort, chez le seigneur Horace de Vaucanson. Hélas, je n’y avais pas pensé, mais Vaucanson avait soupçonné, à raison, que ma "mort" la nuit de la fin des Aigles fût une ruse, car le corps n’avait pas pu être identifié avec certitude. Le seigneur avait gardé un portrait de Dieter Meyerhold, pour ne jamais oublier le visage de celui qui avait détruit sa vie en mettant un terme à celle de son unique enfant. Il l’avait fait lui-même, grâce à ses talents de dessinateur. Il exhibait ce portrait chaque fois qu’il était en contact avec d’autres seigneurs, afin de les encourager à continuer de me chercher, en échange d’une récompense substantielle. Quand il montra ce dessin au cours de ce festival, Pâlerameau, qui me connaissait déjà, me reconnut immédiatement. Il proposa alors au seigneur de lui ramener l’assassin de son fils. Mais notre ami bateleur poussa le vice encore plus loin en suggérant à Vaucanson de provoquer la chute du Royaume des Rats pour qu’il puisse s’en emparer. »
« Vaucanson, rancunier au possible, écouta le plan de l’Elfe et l’approuva. Après toutes ces années, il avait enfin le moyen de satisfaire son appétit de revanche, et d’affermir sa puissance. Il n’avait pas complètement été obnubilé par ma capture, et avait pensé à l’avenir ; qu’allait-il faire de sa vie une fois la mienne arrêtée ? Yavandir lui apporta une réponse sur un plateau : devenir un seigneur bien plus puissant grâce à une colonie fondée dans les Royaumes Renégats. »
« Le plan consistait à faire planer un vent de suspicion dans Vereinbarung afin de nous diviser, et de pouvoir tous nous renverser. Les ordres de Vaucanson étaient d’assassiner Psody et de laisser de fausses preuves pour que je sois accusé du meurtre, et que Brisingr Mainsûre fût condamné comme complice hérétique. Pâlerameau allait donc se débarrasser de deux des piliers du gouvernement du Royaume des Rats, et éliminer un gêneur qui aurait pu le reconnaître et le démasquer. »
« Vous vous en souvenez, Yavandir Pâlerameau avait déjà fait un premier passage dans notre Royaume au cours de la fête donnée après la dernière Récolte. À ce moment-là, nous n’avions pas la moindre idée de ce qu’il était vraiment venu faire. Sous couvert d’une compagnie de théâtre, il est venu faire du repérage. Je suppose que c’est à cette occasion qu’il a rencontré Henri de Beyle. Il a pu convaincre ce Bretonnien installé près de la frontière de loger Vaucanson et ses troupes. Durant les derniers mois, il a fait entrer en douce plusieurs cultistes de Tzeentch ; cette opération n’a pas été bien difficile, Vereinbarung accueille encore des gens venus tenter leur chance. Il donnait des instructions et faisait état de l’avancement de son projet à Vaucanson par l’intermédiaire d’Herbert Lorne, le propriétaire de l’auberge du Fier Sigmarite. »
« Malheureusement pour lui, et heureusement pour nous, il a été victime d’un coup du sort : il y a quelques semaines, le courrier qui portait les messages est tombé de cheval. C’est moi qui me suis occupé de sa fracture. Je lui ai proposé de finir sa tournée. C’est là que j’ai vu, parmi les missives, une enveloppe cachetée avec un sceau à l’effigie d’un cheval. C’était un symbole que je reconnus aussitôt, issu d’un passé devenu lointain, mais toujours brûlant : le blason du seigneur Horace de Vaucanson. »
« Dès que j’en ai eu l’occasion, je suis allé trouver votre grand-père. Il connaissait bien mon histoire, et a compris aussitôt que le seigneur de Vaucanson manigançait quelque chose contre moi, et probablement nous tous par extension. Nous avons alors mis vos parents dans la confidence, et je leur ai raconté toute l’affaire Ignace. Ils l’ont pris relativement bien, et je les en remercie encore. Et donc, nous avons ouvert ensemble l’enveloppe, qui était adressée à "Monsieur Olafsson", qui recevait son courrier à l’auberge du Fier Sigmarite. Cette lettre était écrite par un certain "Monsieur Vay", pour moi, c’était plutôt évident, "V" pour "Vaucanson". Vay demandait à Olafsson d’ "accélérer les choses", sans plus de précisions. C’était peu, mais c’était suffisant pour comprendre qu’un danger menaçait le Royaume des Rats. »
« Le malheur était que nous étions déjà en train de mettre au point notre propre plan pour nous occuper de Karhi. Nedland, sous couvert de missions diplomatiques, ratissait le Royaume des Rats. Nous étions tous convaincus que le Skaven Blanc qui nous avait attaqués à Oropesa reviendrait, et notre ami Halfling avait déjà repéré quelques signes avant-coureurs de la présence de nouveaux Skavens Sauvages. Nous comptions alors déjà envoyer les Jumeaux régler ce problème. »
« Pour éviter une mauvaise surprise, nous avons alors décidé de mettre notre grain de sel dans ces correspondances. Nous pensions d’abord suivre tout bêtement les messages pour remonter jusqu’à Monsieur Vay, mais cela nous semblait tout de même trop hasardeux. Non, il valait mieux agir avec plus d’intelligence. Les enfants, vous devez savoir que j’ai appris bon nombre d’astuces comme Nedland. Je sais décacheter un pli sans abîmer le sceau, et je peux également imiter l’écriture de quelqu’un, pas aussi précisément que notre Trésorier, mais je me débrouille. Quoi qu’il en soit, j’ai demandé sous le nom de Monsieur Vay que Monsieur Olafsson fasse son rapport, et récapitule les étapes à venir. Puis Brisingr Mainsûre a discrètement soudoyé le responsable du bureau de la Guilde des Messagers : chaque fois qu’un courrier était adressé à Monsieur Vay, il devait prévenir Brisingr d’une part, et ne le transmettre que le lendemain matin d’autre part. Ainsi, nous pouvions l’intercepter, en prendre connaissance, et agir en conséquence. »
« La réponse à Monsieur Vay est arrivée bien vite : le plan était de déclencher une guerre civile. La première étape était de tuer le Maître Mage. La deuxième consistait à mettre la responsabilité de ce meurtre sur ma personne. La troisième était de faire arrêter Brisingr Mainsûre pour hérésie. Ensuite, il y aurait eu des rumeurs calomnieuses réparties un peu partout pour faire monter les tensions, et provoquer des conflits entre Humains et Skavens. Logique : le premier Skaven du Royaume assassiné par un Humain corrompu par un Elfe, voilà une combinaison bien explosive, les Skavens se seraient probablement soulevés contre les Humains. Par ailleurs, il était explicitement rappelé qu’en aucun cas, je ne devais mourir. Il fallait que je finisse en prison, mais que je sois évacué avant mon jugement et ma probable condamnation à mort, et ramené au "lieu convenu". Rien cependant pour nous permettre d’identifier clairement Monsieur Olafsson, il fallait continuer de jouer le jeu. »
« Nous avons fait passer le message à Monsieur Vay de la façon que le vrai Monsieur Olafsson pratiquait. Mais sans Nedland, qui est un expert dans le domaine du monde de la pègre, retrouver Monsieur Olafsson et ses complices nous apparut bien plus compliqué. Nous cherchions discrètement, mais sans succès. Et pendant ce temps, les Skavens Sauvages de Karhi sont passés à l’action, et de jeunes enfants Skavens ont peu à peu commencé à disparaître. Et puis, le jour est arrivé où Monsieur Vay ordonna à Monsieur Olafsson d’accomplir la première étape pour mettre en branle tout son plan. »
Les enfants échangèrent des regards angoissés et se focalisèrent sur leur père. Le Prince profita de la pause du prieur pour continuer les explications.
- Nous avons passé une nuit entière à réfléchir à ce que nous devions faire. Nous avons envisagé toutes les possibilités que nous avons pu. Finalement, nous avons choisi celle-ci : faire croire à « monsieur Olafsson » et « monsieur Vay » que le plan se déroulait comme prévu. Psody devait donc mourir. Il en a profité pour s’introduire dans l’action d’infiltration des Jumeaux. Nedland venait de nous informer qu’il avait trouvé la cachette des Skavens Sauvages de Karhi. Nous avons pensé que cela pourrait augmenter les chances de réussite de ce plan-là. Psody était le plus à-même de lutter contre ce Prophète Gris.
- Je me suis déguisé en Skaven Sauvage. J’ai teint mes poils, coupé mes cornes, et ai porté un masque de métal. Ce plan a marché, mes enfants : Fershitt Face Fondue était un « cadeau » acceptable-valable, Karhi nous a acceptés sans rechigner, il n’a pas eu le moindre soupçon. Aucun Skaven Sauvage n’a vu-compris que j’étais un Skaven Blanc. Même Gabriel ne m’a pas reconnu !
Le Prince alluma sa pipe et reprit la parole.
« Je préfère ne pas imaginer ce que tu as ressenti en vivant comme eux, parmi eux, mon petit Psody. Mais c’était nécessaire. Je reprends. »
« Marjan et Jochen sont alors partis officiellement en mission diplomatique pour le Cathay. En réalité, ils se dirigeaient vers le lieu que Nedland nous avait indiqué, à la Forêt du Loup Blanc. Ils se sont arrêtés en chemin pour attendre votre père. Nous avons envoyé à monsieur Olafsson un faux message de monsieur Vay qui disait que le plan avait légèrement changé : selon ces nouvelles instructions, un autre assassin à l’identité secrète allait empoisonner le Maître Mage dans les jours suivants, et donc, il fallait laisser de fausses preuves à charge de Romulus. Nous avons demandé à monsieur Olafsson de nous fournir une fiole de sang de Jabberwocky, puis de la déposer à un endroit convenu où un autre agent Bretonnien allait la récupérer puis s’en servir sur Psody avant de la déposer dans mes affaires. »
« Brisingr a réceptionné le sang de Jabberwocky, et nous avons organisé le "meurtre" de votre père. Je l’avoue, c’est ce qui a été le plus difficile. Pas seulement parce que nous avons dû vous jouer la comédie, mais surtout parce qu’il fallait vous laisser croire à ces choses affreuses sans pouvoir vous assurer du contraire. Surtout, et c’est là que nous vous devons des excuses, cette fausse mort vous a plongés dans cette histoire malgré vous. Psody ? »
Le Skaven Blanc se leva, regarda ses quatre enfants l’un après l’autre, puis après une longue hésitation, parvint à prendre la parole.
« Je ne sais pas comment vous dire-expliquer ça… Nous étions dans une situation de crise. Il fallait agir vite-bien. Votre mère, votre grand-père et moi-même, nous nous sommes dit que vous étiez suffisamment grands et matures pour nous aider. Seulement, nous ne pouvions pas vous mettre complètement dans la confidence. Nous ne pouvions pas prendre le risque de vous voir devenir les proies prioritaires de monsieur Olafsson – bon, maintenant, nous savons-savons qu’il s’agissait bien de Yavandir Pâlerameau, le bateleur. »
« Nous avons compté sur votre ténacité pour confondre la Main Pourpre. Nous savions que vous ne resteriez pas les bras croisés à attendre. Alors, nous avons joué le jeu de Pâlerameau. Il fallait qu’il croie que son intrigue avait marché-fonctionné. D’abord, nous avons "ordonné" à monsieur Olafsson de laisser une première piste qui allait permettre de remonter jusqu’à Brisingr Mainsûre. Il fallait que ce soit une piste suffisamment crédible et discrète, pour que l’enquête-investigation officielle n’ait pas l’air trop facile. C’est là que nous vous avons fait prendre des risques. »
Le Maître Mage se tut, ferma les yeux, et dut réfléchir quelques instants pour pouvoir trouver les bons mots.
- Je… je n’ai pas d’autre moyen de le dire : nous avons tiré parti de vos compétences pour pousser Monsieur Olafsson et ses complices à l’erreur. En exécutant nos ordres, ils croyaient faire avancer le plan de monsieur Vay. Mon assassinat était simulé, mais votre enquête était bien réelle-concrète. Ils ont cru vous égarer et vous orienter vers Brisingr et Romulus, et ce faisant ils se sont montrés moins prudents.
- Tout ceci avait pour but de trouver Yavandir Pâlerameau et de faire croire à Vaucanson que leur plan avait marché, précisa le Prince.
Kristofferson siffla de colère :
- C’est là que tout le barouf dans la Souricière a suivi…
- À l’auberge du Fier Sigmarite, vous avez trouvé un élément qui a pu vous faire remonter jusqu’à la mansarde où se cachait Yavandir Pâlerameau.
- Au passage, l’aubergiste et un pauvre habitant du quartier se sont fait massacrer ! glapit le Skaven brun. Deux morts pour rien !
- C’est ainsi, Kit ! rétorqua son père. Nous avons incité Pâlerameau à laisser des indices pour compromettre Brisingr, mais jamais-jamais nous ne lui avons demandé d’éliminer qui que ce soit ! Et avant que tu ne demandes-insinues : ce n’est pas nous, non plus, qui lui avons ordonné d’envoyer un Démon sur ta sœur !
- C’est malheureusement ce qu’on appelle un « dommage collatéral », Kit, ajouta Steiner. Herbert Lorne était un bandit qui a mal choisi ses partenaires de travail, tout comme l’initié Kramer. Ce pauvre bougre de l’Autre Strygos s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Et pour le petit Démon… J’avoue que j’ai fauté. J’aurais dû le voir venir.
- S’il n’y avait que ça ! s’écria le Skaven brun. Avec toutes vos manigances, on a failli se faire tuer, et plusieurs fois !
- Les voyous qui m’ont attaquée dans la Souricière, et le Démon envoyé par Yavandir, et la bataille contre les forces de Vaucanson, et contre les Skavens de Karhi ! récapitula rageusement Bianka. Nous aussi, aurions pu être les « dommages collatéraux » de votre jeu d’intrigues !
- Ne mélange pas tout, ma chérie, intervint alors le Prince. Vaucanson nous avait déclaré la guerre, et nous n’avions pas d’autre choix par rapport aux troupes de Karhi.
- Père, il faut tout de même reconnaître qu’ils ont raison, déclara Heike avec conviction. Seulement… il n’y avait pas de meilleure solution.
Elle regarda ses deux aînés.
- En cas de guerre, tous les habitants du Royaume des Rats suffisamment âgés pour prendre les armes ont le devoir de combattre pour le défendre, vous compris. Bien sûr, vous avez risqué votre vie, et j’espère que vous me croirez quand je vous dirai que cela m’angoissait mortellement. Mais si vous aviez tout su, vous n’auriez pas été moins en danger pour autant. Je crois même que ç’aurait été pire, votre jugement aurait pu être altéré. Quant à moi, tout ce que je pouvais faire, c’était entretenir la flamme qui vous animait. J’aurais tellement aimé faire plus !
- Notre jugement a pourtant été bien altéré, marmonna Bianka avec colère. Sigmund n’a jamais été autant secoué par les émotions ! Et je ne parle pas de Gabriel !
Le petit Skaven gris clair sursauta, effrayé à l’idée d’être mêlé à une argumentation qui se rapprochait dangereusement de la dispute. Il voulut alors orienter la conversation dans une autre direction.
- Pourquoi toutes ces manœuvres pour trouver Karhi ? Père, tu ne pouvais pas le repérer avec tes pouvoirs, comme Iapoch ?
- Non, car il s’est montré plus prudent. Il n’a pas cherché à me faire peur, et les vents de magie étaient trop tumultueux pour bien chercher, à cause de l’influence de la Main Pourpre. Ils le sont toujours, d’ailleurs, et de plus en plus.
- Et pourquoi tout ce cirque avec Lennart Sang-de-Feu ?
- La réponse est évidente, Gab, répliqua Jochen avec le sourire. C’était une excellente façon de pénétrer dans le terrier de Karhi sans qu’il ne se méfie ! Là aussi, on avait bien préparé le terrain.
Kristofferson claqua des doigts.
- Oui, ça me revient ! Sœur Judy a reçu des lettres disant que des villages avaient reçu des menaces de la part de Lennart Sang-de-Feu… Jochen, tu n’as quand même pas délibérément terrorisé ou brutalisé des villageois innocents ?
- Bien sûr que non ! J’ai joué ce rôle après notre départ, mais nous n’avons fait de mal à personne !
- C’était des faux courriers rédigés par moi, expliqua Nedland. Quand le temple de Shallya de Steinerburg demandait des nouvelles en retour, c’était par l’intermédiaire de notre ami le Prieur qui me les renvoyait, j’étais l’intermédiaire entre Steinerburg et les petits villages. Bien sûr, quand Romulus a été livré aux Bretonniens, on ne pouvait plus continuer ainsi. Mais bon, comme le Maître Mage venait de « mourir » et que les enlèvements d’enfants se faisaient plus nombreux, cette question de courrier a vite fini aux oubliettes. C’est à ce moment-là que je suis revenu à Steinerburg, rappelez-vous. Nous avons pu « officialiser » la présence de Lennart ainsi que la localisation de la planque de Karhi, et donc, faire d’une pierre deux coups.
Le petit garçon-rat gris clair demanda :
- Où avez-vous trouvé tous ces déguisements ?
- De vieilles armes et armures récupérées sur les champs de bataille, qu’on a repeintes. On les a rachetées à un forgeron qui espérait en retirer un peu de matériaux.
- Et votre armure, Maître Jochen ? L’armure de chevalier rouge ? Elle était vraiment effrayante !
- L’armure de cérémonie de notre père, que notre mère a récupéré quand on a quitté Gottliebschloss il y a dix ans. Il nous a suffi de la peindre en rouge et de rajouter quelques breloques dessus. Elle aura servi au moins une fois avant que je ne l’abandonne.
- Oh… Vous avez laissé là-bas l’armure de votre père, c’est dommage.
- Non, fiston. Je ne la regrette pas, aucun bon souvenir n’était lié à cette armure. Je me ferai fabriquer la mienne, qui sera plus en harmonie avec l’identité du Royaume des Rats, et que je transmettrai à mes futurs descendants.
Le Prince s’adressa alors aux Jumeaux.
- Jochen, Marjan, vous connaissez vos nouvelles instructions. Vous nous rejoindrez à l’heure convenue, au rapport.
Les deux Humains se levèrent, et s’inclinèrent.
- À vos ordres, votre Majesté, répondirent-ils en chœur.
Ils quittèrent la pièce ensemble. Gabriel avait profité de cette courte pause pour réfléchir à une autre question qui parasitait son esprit.
- Et… comment vous avez fait pour le Masque de Cuelepok ?
- Oh, ça… Eh bien, Yavandir connaissait l’existence de cet artefact, répondit Nedland. Il a voulu en faire cadeau à Karhi en gage de confiance. Enfin, je soupçonne qu’il savait déjà l’effet qu’un tel objet aurait sur la vilaine tête de ce Prophète Gris – autant foutre le bordel dans l’Empire Souterrain, pendant qu’on y était. Il l’a volé le soir où ton père a été « assassiné », il a profité de la confusion pour entrer dans le manoir, pénétrer dans la chapelle privée, voler le masque, et s’enfuir avec.
- Mais comment il a pu trouver cet endroit ? questionna Isolde. C’est un secret de la famille Steiner !
- Bien sûr, petite souris, mais… en gros, Yavandir a une amie magicienne, qui lui a indiqué la cachette du masque grâce à ses pouvoirs. Comme ce masque est magique, elle a pu le sentir. Et donc, Yavandir l’a volé, puis il a attendu quelques jours, le masque dans sa cachette, et il a reçu l’ordre de ramener Romulus à Pourseille. Et cette fois, il s’agissait bien d’une instruction véritable envoyée par le vrai Horace de Vaucanson. Ni l’un ni l’autre n’a eu l’impression d’être baladé quand Yavandir est arrivé à Pourseille avec le prieur sous le bras.
- Tout ce temps-là, vous étiez dans les parages ? demanda Bianka.
- Oui, et mes contacts me tenaient régulièrement au courant de tout. Je ne pouvais cependant pas me permettre de leur en demander trop, Yavandir aurait fini par se sentir observé. Mais bon, finalement, il a obéi à Vaucanson et a quitté Steinerburg avec Romulus. Je l’ai discrètement suivi. Avant de venir réclamer son argent au Bretonnien, Yavandir a fait un petit arrêt en chemin. Il a retrouvé deux Skavens Sauvages de Karhi. Il leur a donné le masque en échange d’une bourse pleine de pépites de malepierre. J’en profite pour ajouter une précision importante : il était accompagné d’une étrange petite femme qui semblait mener les négociations. Très probablement la petite magicienne qui lui a révélé la cachette du masque de Cuelepok. Puis il est allé chez de Vaucanson, lui a remis Romulus, et enfin il est rentré à Steinerburg pour continuer son propre plan.
- Quand Nedland nous a raconté cette rencontre, c’est là que nous avons compris que Yavandir Pâlerameau n’était pas seulement un agent d’Horace de Vaucanson, mais qu’il avait lui-même de bien plus sombres objectifs en tête, expliqua Heike.
- Avec de non moins sombres complices, notamment cette magicienne, continua Nedland. Quand Yavandir est parti vers Pourseille, la magicienne a disparu de la même façon qu’elle s’est présentée, comme un tour de passe-passe. Comme je ne pouvais pas la suivre, j’ai collé au train des deux Skavens Sauvages. Je savais que Romulus allait être envoyé à Pourseille, alors que ces deux-là m’aideraient sans doute à trouver leur base. Ils ont marché rapidement, mais quand le jour s’est levé, ils ont voulu faire une pause. J’en ai tout de suite abattu un, et j’ai fait parler l’autre avant de l’égorger.
Personne ne réagit à ces mots, même Isolde, qui pourtant sentit une petite pointe glacée chatouiller désagréablement son petit cœur.
- Grâce à cette collaboration spontanée, j’ai pu rapidement déterminer l’endroit exact de leur planque, à Karak Helliglys. J’ai récupéré le Masque de Cuelepok, puis j’ai retrouvé les Jumeaux et votre père. Je leur ai indiqué où trouver Karhi, ils ont pu y aller en se faisant passer pour une bande de Guerriers du Chaos menés par Lennart Sang-de-Feu. Quant à moi, je me suis précipité à Steinerburg, où j’ai retrouvé Kristofferson. La suite, vous la connaissez.
- Tout ceci était un jeu dangereux-malsain, et nous avons dû vous mettre malgré tout dans cette balance. Mais vous avez tous été parfaits, sur toute la ligne. Finalement, nous avons pris Yavandir Pâlerameau à son propre piège : en me faisant passer pour mort-mort, j’ai amené ses complices à passer à l’action. Il n’a pas agi seul, et nous allons pouvoir mettre la main sur les autres.
Les deux plus jeunes enfants étaient complètement dépassés par les explications. Kristofferson était de plus en plus fâché. Bianka fut d’autant plus contrariée quand elle se rappela des risques pris par son jumeau.
- Si Sigmund avait échoué, comment aurait-on récupéré Romulus ?
- Dans le cas où Sigmund aurait survécu, j’aurais négocié la libération de Romulus, ainsi que celle de ton frère au besoin, expliqua le Prince. Si Sigmund avait perdu la vie, j’aurais envoyé l’armée complète raser Pourseille, en espérant pouvoir tout de même récupérer Romulus. Mais je savais que ton frère n’échouerait pas, et heureusement pour tout le monde, je ne me suis pas trompé.
- C’est vrai, mais dans l’intervalle, Vaucanson aurait pu vous faire subir les pires tortures à votre tour avant de vous exécuter, Prieur.
- J’étais prêt à prendre le risque, Bianka. Cela n’aurait été que justice, en fin de compte. Dans ma vie de bandit, j’ai fait tellement de mal à Vaucanson que lui aurait eu le droit de faire de moi ce qu’il voulait.
- Alors pourquoi ne pas vous être directement livré à lui ? demanda Kristofferson avec froideur. Sigmund n’aurait pas risqué sa peau, et on n’aurait pas eu cette guerre, ni tous ces morts !
- Kristofferson ! s’exclama Psody. Tu parles au meilleur ami de ton père-grand-père !
- Laisse donc, ton fils a le droit d’être fâché, tout comme il a le droit de me poser cette question à laquelle je vais répondre.
L’Humain fit face au Skaven brun et développa son explication.
- Le temps a passé, je ne me sens plus coupable par rapport à mes anciens camarades bandits de grand chemin, mais il restait une dernière souillure sur mon âme, par rapport à Horace de Vaucanson. Quand j’ai reconnu son sceau parmi les courriers, j’ai compris que c’était un message des Dieux : je devais arrêter de fuir le passé. J’ai tout de suite pensé à me rendre à Vaucanson, cela aurait sans doute évité bien des soucis, tu l’as dit.
- S’il ne l’a pas fait, c’est parce que je l’en ai dissuadé, reprit le Prince. J’ai eu beaucoup de mal. Peut-être que j’aurais dû laisser faire, mais le Temple de Shallya aurait perdu son meilleur élément. Et il n’est pas dit que Vaucanson aurait renoncé à sa tentative de conquête pour autant. Je pense même que Yavandir Pâlerameau l’a poussé plus avant. Il n’allait pas s’en tenir là, par ailleurs. La Main Pourpre a infiltré le Royaume des Rats à cause de lui.
La jeune fille-rate au pelage couleur des blés sentit son museau se pincer de dégoût.
- Je repense à Brisingr Mainsûre ; il est notre allié dans cette affaire, donc ?
- Oui, Bianka. En le faisant passer pour un traître, nous avons trompé Pâlerameau.
- S’il est innocent, pourquoi s’est-il évadé ?
- Pour faire croire à la Main Pourpre que son évasion va nous déstabiliser davantage, répondit Psody. En outre, il risquait de devenir gênant pour la Main Pourpre ; un assassin pouvait très bien le tuer-réduire au silence, comme Kramer.
- C’est moi qui l’ai fait discrètement sortir, avec l’aide de Nedland et Maîtresse Pulcheria Brukenthal, expliqua le Prince. Sa magie nous a permis de mettre le mannequin à la place de notre ami Elfe au nez et à la barbe des gardes.
- Je croyais que la cellule était bardée de parchemins de protection ?
- La cellule, en effet. Pas le couloir, ni les gardes en faction dedans. Il a été facile pour Maîtresse Brukenthal de les ensorceler quelques minutes. Ils n’ont eu aucun souvenir de notre passage.
- Ça se tient. Et maintenant, où est Mainsûre ?
- Je l’ignore, Kit. Tout ce que je sais, c’est qu’il est en train de surveiller les membres de la Main Pourpre. Tu penses bien qu’il a tenu Nedland au courant des informations les plus fraîches.
- Votre Altesse, je puis même vous affirmer qu’à présent, il sait exactement ce qu’ils vont faire, et où.
Bianka ne voulait pas croire à l’innocence du Mage Flamboyant.
- Mais… le Codex Manu Fatali ?
- C’est Yavandir Pâlerameau qui l’a caché dans la chambre de Mainsûre, selon les instructions de « monsieur Vay », qui étaient en fait les nôtres.
- Oui, mais ça n’a pas empêché ce mage de feu de le consulter, et de faire des annotations dessus ! Pourquoi ne pas l’avoir directement remis à la grande prêtresse Desdemona Rebmann au lieu de le gribouiller ?
- Parce qu’il n’en a pas eu l’occasion, répondit Steiner. En fait, les annotations ne sont pas de son ressort, c’est Yavandir qui les a faites en imitant son écriture. Quand Gabriel m’a avoué que vous aviez découvert que la Main Pourpre était derrière tout ça, c’est là que j’ai décidé de tendre notre piège à « monsieur Olafsson ». Jusqu’alors, nous avions juste contenu ses actions et menti à Vaucanson pour donner le change. Il était temps d’agir. Alors, nous avons donné l’ordre à Yavandir de mettre un document particulièrement compromettant dans les appartements de Mainsûre. Il avait déjà sur lui, sans doute, cette copie du Codex Manu Fatali. Il a ajouté les annotations dedans, et l’a mis dans la chambre de l’établissement où Brisingr logeait. Une fois que Yavandir a confirmé avoir suivi ces instructions, je suis allé trouver Bianka, et j’ai mis un plan au point avec elle, un plan qui allait nous permettre de « démasquer le traître ». Brisingr n’a pas opposé la moindre résistance, car il savait qu’il ne resterait pas en prison bien longtemps. Ensuite, il restait à envoyer Romulus chez Vaucanson, pour que Yavandir et ses complices soient convaincus d’avoir réussi leur propre complot d’un bout à l’autre. Nous n’avons eu qu’à ordonner à monsieur Olafsson d’utiliser la fiole de sang de Jabberwocky contre Romulus en la laissant dans sa chambre, puis d’envoyer une dénonciation anonyme au sergent Weller, qui ne s’est pas posé beaucoup de questions. Weller a fouillé le temple de Shallya, a trouvé le sang de Jabberwocky, et s’est empressé de mettre Romulus en cellule. Le soir-même, avec ses complices, Yavandir Pâlerameau nous l’a arraché. Et, dans sa fierté, il a montré son visage. Enfin, façon de parler, il n’a pas perdu l’habitude de porter des masques.
- Pourquoi Yavandir a fait tout ça ? bégaya Gabriel. Pourquoi avoir voulu provoquer votre chute, Opa Ludwig ?
- Les Dieux du Chaos ont l’habitude de séduire leurs serviteurs, on a dû lui promettre des richesses, du pouvoir, ou que sais-je encore ? Nous allons devoir le rattraper avant qu’il nous file entre les doigts. Maintenant que ton père est de nouveau parmi nous, ainsi que les Jumeaux et Romulus, les espions de Yavandir ont dû le prévenir, il va sans doute vouloir accélérer les choses. Nous savons maintenant qu’ils sont pratiquement prêts à passer à l’étape finale.
- Et… quelle est cette étape finale, Opa ?
Steiner se tourna vers sa fille.
- Mon trésor, je pense qu’il faut éloigner les jeunes oreilles de ce qui va suivre.
- Oui, Père. Isolde, Gab, venez avec moi.
Le petit Skaven gris clair comprit aussitôt que les révélations suivantes allaient sans doute être terrifiantes. Aussi, il ne regretta pas de ne pas pouvoir entendre la réponse à sa question. Une fois les enfants partis, Kristofferson répéta la question de son frère.
- Alors, à votre avis, que vont-ils manigancer ?
- Ce que les fanatiques de leur espèce font toujours quand ils veulent frapper un grand coup : invoquer un Démon.
- Oh… Qu’il vienne, on le découpera en petits morceaux.
- Nous ne parlons pas d’un petit Démon comme celui qui a attaqué ta sœur, Kit. Quand j’étais Fershitt Face Fondue, j’ai discrètement regardé les comptes de Karhi. Tous les Prophètes Gris doivent surveiller-comptabiliser la malepierre de leur terrier, ça fait partie de leurs responsabilités. Dès qu’il a reçu le masque, il a envoyé à Yavandir une énorme quantité de malepierre ! L’équivalent de plusieurs grands sacs de charbon, soit le dosage qu’il faut pour appeler-invoquer un Archidémon ! Une telle créature ferait des ravages abominables sur toute la ville avant qu’on ne parvienne à la renvoyer d’où elle vient, si on y parvient !
- Kramer parlait de l’ « Appel du Monde Nouveau »… rappela Bianka. C’est donc ça ! Un Archidémon de Tzeentch pourrait provoquer une tempête de magie Warp, et faire de toute la ville un charnier de mutations et de désolation, comme Praag !
- Tu as raison, ma chérie, mais…
Steiner pivota vers l’aîné des enfants Steiner.
- Il nous reste cependant une dernière chance d’empêcher ça. Et pour ça, nous allons avoir besoin de ta participation, Kristofferson.