Le Royaume des Rats

Chapitre 85 : De surprise en surprise

7889 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 26/10/2023 20:41

Les bruits de combat avaient diminué au fur et à mesure que les mugissements des cornes de guerre se multipliaient.

 

Suant et soufflant, Gabriel se força à sourire.

 

-         On a gagné, Emil ! On va pouvoir quitter cet horrible endroit !

 

Le petit bébé n’avait pas l’air d’entendre ces paroles. Il continuait à hurler, à geindre si fort que le garçon-rat gris clair avait l’impression de devenir sourd. Pourtant, Gabriel ne perdait pas son enthousiasme. Même s’il avait pensé cent fois le contraire durant ces dernières heures, il était sûr d’avoir une bonne chance.

 

Les Skavens Sauvages se raréfiaient dans les rues de l’ancien karak, mais ils continuaient à circuler par groupes. Ils fuyaient les forces de Vereinbarung et n’avaient plus le cœur à se battre. Comme ils pouvaient le piétiner ou le renverser sur leur chemin, Gabriel s’appliquait à raser les murs et préférait se faufiler dans les petites ruelles au lieu de rester à découvert.

 

Les grottes lui parurent moins sombres. Effectivement, la lumière du jour passait par des crevasses qui trouaient la voûte caverneuse par endroits. L’atmosphère était aussi moins lourde, un léger courant d’air permettait à l’air de l’extérieur de circuler. Plusieurs clairons annoncèrent la victoire de leurs tonalités cuivrées qui se mêlaient à la clameur des soldats.

 

Encore quelques centaines de yards, et Gabriel serait sauvé. Plus important encore, Emil était avec lui.

 

Un dernier régiment constitué d’une quinzaine de Guerriers des Clans en panique apparut soudain. Les Skavens Sauvages couraient comme des dératés vers lui. Il bondit se cacher sous le porche d’entrée d’une maisonnette.

 

Plaqué près de la porte, Gabriel plaqua sa main sur la bouche d’Emil.

 

-         Je t’en supplie, tais-toi !

 

Fort heureusement, les Skavens Sauvages étaient bien trop occupés à fuir le régiment de fantassins à leur poursuite pour prêter attention aux pleurs d’un bébé. Ils passèrent devant la maison sans ralentir. Gabriel laissa passer les soldats de Vereinbarung, puis il relâcha la pression.

 

-         Désolé, Emil, un réflexe.

 

Au moment où il reprit son chemin, la porte s’ouvrit brutalement, et une main griffue, couverte d’une fourrure blanche, l’attrapa par le bras, et le tira irrésistiblement à l’intérieur.

 

-         Eh bien, eh bien, où vas-tu comme ça, petit cancrelat ? demanda une voix grinçante mâtinée d’un lourd accent queekish.

 

Karhi poussa fermement le petit Skaven gris clair dans la salle principale de la maisonnette. Gabriel manqua de trébucher, et sautilla nerveusement pour éviter de tomber ou de lâcher Emil. Il entendit le claquement de la porte, et le sinistre cliquetis d’une clef fermement tournée dans une serrure. Il était enfermé avec le Prophète Gris.

 

-         Tu croyais pouvoir m’échapper ? Grave erreur, je savais bien que tu passerais par-là ! Je te tiens-tiens ! Tu n’iras nulle part !

-         Vous… vous…

 

Pour la première fois de sa vie, Gabriel était devant un Prophète Gris. Toute sa famille lui avait décrit le rôle de ces individus, leurs responsabilités, et les pouvoirs qu’ils en tiraient. Il était donc face au grand chef du terrier, seul contre un messager du Dieu de l’Empire Souterrain. Celui-ci correspondait en tous points à ce qu’il avait imaginé : plus grand que lui, très gros, sale, le pelage blanchâtre taché par endroits, une paire de cornes longues et divergentes, une robe grise souillée de matières dégoûtantes, et une sacoche en cuir en bandoulière, contenant sans doute des herbes et des potions.

 

Gabriel aurait dû être cloué sur place par l’effroi.

 

Mais…

 

Il ne pouvait pas l’expliquer, mais au lieu de rester muet, figé par la peur, une sorte de brasier faisait fondre peu à peu la glace qui paralysait son cœur. La logique, peut-être ?

 

-         Vous non plus, vous n’irez nulle part ! Notre armée a battu la vôtre, vous êtes coincé, on finira bien par vous trouver !

-         Je suis un Prophète Gris ! Je pourrai leur échapper, et réduire en tas de morve tous ceux qui m’en empêcheront ! Mais d’abord, je vais reprendre ce qui est à moi-moi !

 

Gabriel devina aussitôt ce que le Skaven Blanc voulait dire.

 

-         D’abord, il s’appelle Emil, et ensuite, il n’est pas à vous !

-         Peu importe son nom ! Et si, il est déjà à moi ! Comment crois-tu que je l’ai retrouvé ? Il m’appartient déjà, petit imbécile ! Je peux sentir ce petit élu-élu du Rat Cornu où qu’il aille ! Nous sommes liés, lui et moi !

 

Gabriel comprit quelque chose qui lui fit dresser les poils de sa fourrure de rage.

 

-         C’est pour ça qu’il crie comme ça ! Vous lui faites mal avec votre sale magie !

-         Je l’appelle, je lui dis que je veillerai sur lui… C’est purement amical-bienveillant !

-         Ah oui, ça, vous… vous transpirez la bienveillance !

 

Gabriel était sidéré par sa propre audace. Comment pouvait-il se permettre de tenir tête à une grande personne, un Prophète Gris qui plus était ? La colère lui donnait vraiment des ailes. Le gros Skaven Blanc, inconscient de cette marée d’interrogations qui montait dans le cerveau du jeune Skaven gris clair, gloussa cruellement.

 

-         Très bientôt, il m’appellera « Maître » !

-         Jamais !

-         Si-si ! Il est à moi-moi, je vais lui apprendre à servir le Rat Cornu ! rétorqua le Prophète Gris en chantonnant.

 

Karhi se dandina d’un pied sur l’autre et continua de murmurer d’une voix mielleuse des « il est à moi-moi ! ». Le petit Skaven gris clair se demanda comment réagir devant ce spectacle affligeant.

 

Ce fut à ce moment-là qu’un déclic résonna dans sa tête.

 

Pendant des années, Gabriel avait été élevé dans la peur et la détestation des Skavens Sauvages, qu’on lui avait décrits comme des « êtres dégénérés affamés de violence ». Il n’en avait jamais vu avant ce jour, et avait tout fait pour verrouiller son esprit et aller de l’avant pour sauver Emil. Il avait vu les Guerriers des Clans, les redoutables Vermines de Choc, et plus d’une fois, il avait cru voir arriver une fin prématurée. Le petit Skaven Blanc avait été son phare dans cette tempête. Maintenant, il voyait un de leurs chefs. Et la seule chose que ce chef lui inspirait était juste de la pitié. Ce personnage était tout simplement grotesque, pas effrayant pour deux sous. Mieux, Gabriel le trouvait tellement pitoyable qu’il avait presque envie de rire aux éclats et se moquer de lui. Après toutes les frayeurs précédentes, c’était peut-être même la chose la plus saine à faire.

 

Il baissa les yeux, et crut déceler dans l’œil d’Emil une lueur suppliante. Il lui répondit par un petit sourire, et releva la tête. Bravement, il déclara :

 

-         Il ne servira pas le Rat Cornu.

-         Bien sûr que si ! Je vais faire de ce petit raton mon élève-apprenti !

-         Non, parce que je quitte ce trou à rats, et je l’emmène avec moi !

 

Karhi cessa son odieux manège, et son visage se crispa de vexation.

 

-         Tu réponds ? On ne t’a jamais appris à ne pas te montrer insolent envers un aîné respectable ?

-         Vous n’êtes pas respectable ! Vous êtes un voleur d’enfants !

-         Moi, un voleur d’enfants ? répéta Karhi, d’un ton ironique. Depuis six ans, c’est vous qui entrez dans nos terriers pour enlever nos ratons ! C’est mon peuple que les tiens rongent-diminuent ! Je ne fais que rééquilibrer les choses !

-         « Rééquilibrer les choses ? » Un Skaven Sauvage Blanc dégoûtant qui n’est même pas fichu de garder son laboratoire bien propre espère « rééquilibrer les choses » ? Je me marre !

 

La vexation sur le faciès de Karhi fit place à la colère.

 

-         Tu quoi ?

-         Oui, je me marre ! Le Grand Prophète Gris qui s’attaque aux petits et se cache derrière ses tueurs, je me marre ! Tout le Royaume des Rats a peur de lui depuis des semaines, et moi le premier, mais quand je vois son vrai visage, au Grand Prophète Gris, je n’ai pas envie de hurler de peur, mais de rire, tellement il est ridicule, alors je me marre, ha ha !

-         Petit impertinent !

 

Le petit Skaven gris clair éclata de rire, un rire si fort et si enthousiasmé qu’Emil rit à son tour. Gabriel en fut tellement surpris qu’il sentit des larmes émues lui monter aux yeux, mais il n’arrêta pas de rire pour autant. Karhi tapa du pied et se boucha les oreilles.

 

-         Arrête-arrête, ou tu le regretteras !

 

Finalement, Gabriel dut cesser pour reprendre son souffle. Karhi en profita pour tenter de reprendre le dessus. Il tendit les mains vers Gabriel. Celui-ci recula d’un pas. Le Prophète Gris ordonna :

 

-         Fini de rire-jouer. Donne-moi ce Skaven Blanc.

-         Non, je le garde !

-         Donne-moi ce raton !

-         Va chier, espèce de tordu !

-         Mais tu vas me le donner, espèce de petit ver de terre ?!

 

Karhi bondit sur le petit garçon-rat et voulut lui arracher le bébé des mains. Sans lâcher Emil, Gabriel plongea la tête en avant et mordit à belles dents le bras du gros Skaven Blanc. Le Prophète Gris couina de douleur, et sentit des larmes lui piquer les yeux. Gabriel profita du répit pour rapidement attraper le sifflet du maître ingénieur Barisson, toujours autour de son cou. Il le porta à sa bouche et souffla tellement fort que le son strident lui fit mal aux oreilles.

 

Karhi glapit encore, et, furieux, sauta sur Gabriel et le gifla. Pas très fort, un adulte aurait encaissé sans difficulté, mais le petit Skaven gris clair tomba à la renverse. Une griffe du Skaven Blanc trancha la cordelette du sifflet qui tinta sur le sol. Le petit garçon-rat réussit de justesse à choir sur le dos, et ainsi évita d’écraser Emil.

 

-         Tant pis pour toi, tu l’auras voulu ! J’en ai assez-assez que tout le monde me résiste, y compris un sale petit asticot !

 

Le Skaven Blanc leva les mains, et cracha une série de syllabes faites de sifflements et de chuintements. Aussitôt, une spirale de fumée verte aux reflets jaunâtres s’éleva des pieds du Prophète Gris, et tourbillonna tout autour de lui. Un grondement sourd retentit, et une puanteur affreuse envahit brutalement la pièce.

 

Gabriel se traîna par terre, et se plaqua contre le mur, sans quitter des yeux le Prophète Gris. Il serra contre son cœur Emil, et pivota de manière à le protéger.

 

Karhi éclata d’un ricanement dément. Il paraissait d’ailleurs devenir de plus en plus grand. Était-ce réel, ou bien était-ce une illusion d’optique due à la fumée et aux éclairs lumineux qui zigzaguaient entre les volutes de fumée ? Le bourdonnement de mouches résonna à travers la salle. L’air était irrespirable. Même le plancher sous ses pieds semblait se couvrir de moisissure.

 

Le Prophète Gris n’était déjà pas beau à regarder, mais sa magie l’enlaidissait à vue d’œil. L’un de ses yeux gonfla effroyablement, ses lèvres se rétractèrent, révélant ses dents pourries, ses arcades sourcilières se dressèrent, renforçant la méchanceté de son regard. Ses griffes poussèrent et noircirent, ses mains se couvrirent de bubons, tout comme son visage. Sa queue fouetta nerveusement l’air et claqua sur le bois. Sa robe grise virevoltait sous l’effet du vent. Il rugit d’une voix rauque, alourdie par son maléfique pouvoir :

 

-         Alors, tu ne ris plus, hein ? Tu as compris-compris à qui tu as affaire ! Le pouvoir de la Magie de l’Empire Souterrain va t’anéantir-annihiler !

 

Gabriel regretta presque de ne pas s’évanouir sur-le-champ, pour ne plus devoir supporter une aussi abominable exhibition. Mais s’il le faisait, Emil serait pour de bon entre ses griffes ! Mais allait-ce faire une différence dans les secondes à venir ? De toute façon, vu la quantité de magie qu’il s’apprêtait à déchaîner, Karhi ne risquait-il pas de les tuer tous les deux ?

 

Le gros Skaven Blanc se trémoussa.

 

-         Non, attends ! J’ai une meilleure-meilleure idée, petit cloporte ! Tu vas avoir le très grand privilège de contempler-admirer mon pouvoir renforcé-amélioré !

 

Toujours entouré par la spirale de nuage de peste, Karhi jeta par terre sa sacoche, l’ouvrit en grand, et en sortit un objet brillant d’un éclat doré. Malgré l’état d’hébétude dans lequel il était plongé, le petit Skaven gris clair reconnut immédiatement le plus grand trésor de la famille.

 

-         Sapristi… le masque de mon père ?

-         « Ton père » ? répéta Karhi. Oh, je vois ! Tu es un des rejetons du Grand Blasphémateur ! Eh bien, maintenant, c’est mon masque ! Il est à moi-moi ! Et je vais m’en servir pour te rappeler qui est le Maître !

 

Le Skaven Blanc colla le masque sur son faciès, et ajusta la lanière de cuir derrière sa tête.

 

Au cours des dernières heures, le pauvre Gabriel avait fait tout ce qu’il avait pu, et avait échappé à tous les Skavens Sauvages, mais il était encore jeune, et était arrivé au bout de ses limites. Contre un sorcier, il n’avait aucune chance. Il le savait. Même si quelqu’un venait à son secours, le Prophète Gris le désagrégerait en un clin d’œil. Les pleurs d’Emil finirent de le pétrifier.

 

-         Contemple la colère de l’héritier du Rat Cornu ! Karhi, le Nouvel Hérésiarque !

 

Karhi se rengorgea, persuadé de pouvoir suppléer le Conseil des Treize tout entier en un claquement de doigt. Il leva de nouveau les bras, et reprit ses invocations. Gabriel ferma les yeux, attendant la fin qui semblait traîner en longueur.

 

Soudain, il releva d’un coup ses paupières.

 

Son instinct lui avait murmuré que quelque chose n’allait pas.

 

Bien sûr que quelque chose ne va pas, crétin ! Tu es face à un Prophète Gris qui va te faire pourrir sur place !

 

Pourtant, son intelligence calait, alors qu’une intuition plus viscérale lui murmurait l’évidence.

 

Karhi était toujours devant lui, entouré de volutes de fumée polluante, mais ne riait plus. Il n’avait plus non plus cette posture de vainqueur, prêt à déchaîner des pouvoirs incroyables tout autour de lui. Les bras ballants, il regardait nerveusement à droite et à gauche. Gabriel pouvait presque deviner sous le masque d’or une certaine inquiétude. L’air chargé de miasmes se dissipa, les éclairs cessèrent d’éblouir la pièce. Karhi grogna de surprise. Soudain, il se figea. Le museau pointé dans une direction à quelques pieds à gauche de Gabriel, il se mit à trembler jusqu’au bout de la queue. Puis il glapit quelque chose.

 

Gabriel ne parlait qu’à peine quelques bribes de queekish. Mais il n’eut pas de mal à comprendre les mots très simples qu’émit le Prophète Gris.

 

-         Que… Qui es-tu ? Va-t’en ! Non ! Arrête ! Arrête ! Pars-pars ! Non ! Arrête-arrête !

 

Karhi recula, trébucha sur un tabouret et se retrouva les quatre fers en l'air. Il se releva précipitamment, et se plaqua contre le mur, sans arrêter de crier :

 

-         Laisse-moi tranquille-tranquille !

 

Gabriel entendit ensuite un mot qu’il ne comprit pas, et que le Skaven Blanc cria et répéta :

 

-         Chiri willakuq ! Chiri willakuq ! Aaaaah ! Aaaah !

 

Le petit Skaven gris clair sentit alors une odeur de poil brûlé. Il écarquilla les yeux quand il vit le masque en train de briller de l’intérieur. L’or avait chauffé au rouge, et était devenu brûlant. Rendu hystérique par la douleur, le Prophète Gris courut à travers toute la pièce comme un dératé. Il agrippa le masque à deux mains pour tenter de l’arracher, mais ses mains prirent feu au contact de l’or. Il se roula par terre, secoua la tête aussi fort qu’il put, rien n’y fit.

 

C’était pire qu’un cauchemar. Tout concordait à rendre le tableau le plus épouvantable possible. Entre les crissements désespérés, l’odeur de viande carbonisée, les trémoussements de l’énorme masse graisseuse, les crépitements de la chair qui éclatait sous l’effet de la magie du masque de Cuelepok, Gabriel se demanda par quel miracle il ne s’était pas déjà évanoui. Enfin, au bout d’un temps beaucoup trop long, les cris cessèrent, la carcasse du Prophète Gris s’immobilisa, et un grand silence, seulement troublé par les geignements du petit Skaven Blanc, s’abattit dans la maisonnette.

 

Gabriel décrispa son visage prudemment, pouce par pouce. Ses poumons se relâchèrent, il put souffler. Il tourna la tête vers le bébé, toujours dans ses bras. Celui-ci cria moins fort, et sembla se calmer un peu.

 

-         C’est bon, Emil… Plus jamais ce sale type ne te fera du mal.

 

Gabriel se rapprocha du cadavre. Il pensa à l’énorme frayeur qu’il venait de subir. Au fur et à mesure qu’il reprit possession de ses moyens, la colère remplaça la peur. Quand il fut suffisamment près, il cracha sur les restes du Prophète Gris, et glapit :

 

-         Une bonne leçon pour toi, Hérésiarque de pacotille ! Quand on a le cœur pourri par la magie noire, on ne joue pas avec des artefacts bénis par le soleil !

 

Le petit Skaven Blanc ne pleurait plus, mais il fit tout de même une grimace boudeuse.

 

-         Au moins, tu ne cries plus. Mais tu as raison, on ne va pas rester ici, à côté de ce gros paquet de fumier !

 

Gabriel s’approcha de la porte de sortie, et baissa la poignée. Elle resta fermée. Il leva les yeux au ciel.

 

-         Évidemment, il l’a verrouillée. Attends…

 

Gabriel recula d’un pas, déposa avec précaution Emil sur le sol, et porta la main à sa poche, et claqua des doigts d’agacement.

 

-         Zut ! J’avais oublié, j’ai laissé mon trousseau de crochets dans la viande d’un Skaven Sauvage ! Enfin, vaut mieux perdre un trousseau de crochets que la vie ! Qu’est-ce que tu en penses, Emil ?

 

Pour toute réponse, le petit bébé-rat s’assit par terre, et fourra son pouce dans sa bouche. Gabriel haussa les épaules et se pencha vers le cadavre.

 

Le cadavre ! Il se rendit compte qu’il contemplait un cadavre de très près ! Un autre Skaven Blanc, de surcroît ! Il dut s’y reprendre à deux fois avant de pouvoir rester suffisamment près pour le fouiller. Pour couper court à toute mauvaise surprise, Gabriel vérifia d’abord si Karhi était bel et bien mort en poussant du bout des orteils son épaule. Aucune réaction. Gabriel évita de regarder au-dessus des épaules du Prophète Gris, et se concentra sur ses vêtements malodorants.

 

Voyons, dans quelle poche il a mis la clef ?

 

Ses oreilles se dressèrent subitement, alors qu’un très inquiétant craquement fort et sec retentit dans la pièce. Il chercha prestement du regard la source de ce bruit, et quand il trouva, ses poils se dressèrent de frayeur, une nouvelle fois.

 

Ce craquement venait de la porte. Plus précisément de la serrure. Le bois de la porte semblait se tordre, se contorsionner tout autour du carré d’acier. De petites branches poussèrent et délogèrent d’un coup sec le mécanisme entier de son support. Désolidarisé du panneau de bois, la serrure tomba sur le plancher.

 

Gabriel, halluciné par ce phénomène, vit la porte s’ouvrir lentement sur la silhouette d’un gros Skaven, serré dans une robe rouge sombre. Impossible de voir son visage, dissimulé sous un masque de fer bosselé. L’apparition entra dans la maisonnette, et tendit la main vers le bébé. Une voix étouffée émergea péniblement de la grille de respiration buccale, et murmura en reikspiel :

 

-         Ah… Te voilà, petit bout !

 

Le Skaven masqué pivota ensuite vers le jeune garçon-rat. Gabriel paniqua. Il remarqua alors quelque chose qu’il n’avait pas vu auparavant, glissé à la ceinture du Prophète Gris : un pistolet à malepierre. Vif comme l’éclair, il se jeta sur l’arme, la saisit de la main droite. Il se précipita sur Emil, le reprit, le plaqua contre lui de la main gauche, et brandit le pistolet vers son interlocuteur. Il cria de toutes les faibles forces qui lui restaient :

 

-         Non ! Laissez-moi ! Allez-vous-en !

 

Emil se remit à crier. L’apparition ne s’offusqua pas.

 

-         Du calme, Gabriel. Tout va bien. C’est fini, il n’y a plus rien à craindre-craindre.

 

Le petit homme-rat sentit son cerveau dérailler, et sa mâchoire inférieure menaça de heurter le sol. Ce qui l’avait le plus choqué était le changement soudain du timbre de la voix du Skaven masqué, un timbre qu’il n’osa reconnaître.

 

-         I… imposs…

-         Mais si, c’est possible.

 

Les pleurs d’Emil ramenèrent partiellement Gabriel à la raison. Et pourtant, il crut être en train de rêver. Le Skaven leva très lentement les mains, dévissa les attaches métalliques situées sur sa nuque, ouvrit les clapets, et retira son masque, dévoilant son visage.

 

Qui n’était autre que celui de Psody Steiner.

 

Son pelage avait été teint en brun sombre, il avait un peu maigri, et ses deux cornes avaient été sciées à leur base, mais c’était bien lui.

 

Comme frappé par la foudre, le jeune Skaven gris clair recula, et se heurta au mur.

 

-         Tu… tu es mort !

-         Non, j’ai fait semblant-semblant.

-         C’est… c’est un piège ! Qui êtes-vous ?

-         Je t’assure que c’est moi, Gab, répondit l’autre.

 

Le Skaven adulte laissa tomber le casque par terre, et fit un pas en avant.

 

-         N’approchez pas ou je vous tue ! glapit le petit garçon-rat en relevant le pistolet.

 

Gabriel sentit son visage se crisper en une affreuse grimace mêlant terreur et fureur. L’apparition articula d’une voix calme, mais un peu nerveuse :

 

-         Gabriel, je t’en prie, pose cette arme.

-         Laissez-moi partir, sale imposteur !

-         Je t’en prie-supplie, fais-moi confiance !

-         Non ! Mon père est mort devant moi !

-         Tu m’as vu perdre conscience sous l’effet d’une puissante drogue.

-         Prospero Steiner a été empoisonné !

-         Ce n’était pas du poison, juste un gros somnifère.

 

Le petit Skaven gris clair tint bon. Il y avait un élément décisif qui étayait ses certitudes :

 

-         J’ai assisté à ses funérailles ! Je l’ai embrassé, il était froid comme un bloc de marbre !

-         Je sais-sais, et tu as eu peur, c’est normal. C’était un sort d’illusion qui dissimulait toutes mes fonctions vitales que m’a jeté Pulcheria Brukenthal, la Mage Grise. Quand vous avez quitté le temple, Romulus m’a aidé à sortir-sortir du cercueil pour me cacher avant de le refermer, puis d’appeler les clercs.

 

Toujours très lentement, le Skaven défit un à un les boutons de son manteau rouge, puis le laissa glisser sur les lattes du parquet. Il put révéler ainsi son corps mince cachés par lourds tissus rembourrés. Puis il écarta les bras, en signe de bonne foi.

 

Gabriel, toutefois, ne fut pas convaincu. Encore une fois, il se sentit compressé entre sa logique et son instinct.

 

-         Je… je ne veux pas tirer.

-         Alors, ne tire pas.

-         Mais vous m’y obligez, Skaven Sauvage !

 

Son bras tremblait, et commençait à être crispé par une crampe. Emil criait plus fort, paniqué par la tension ambiante qui était à son comble. Gabriel sentit les larmes lui monter aux yeux. Il détourna la tête, baissa les paupières, s’apprêtant à presser la gâchette. Il entendit la voix douce, légèrement rauque, murmurer :

 

-         Si c’est ce que tu veux-dois faire, vas-y. Mais je t’en prie, regarde-moi. Moi aussi, je veux juste que tu me regardes.

 

Gab rouvrit les yeux, éberlué, Psody esquissa un sourire et fit un petit clin d’œil. Sans lâcher le bébé, le petit Skaven gris clair posa précautionneusement le pistolet à malepierre, se jeta dans les bras de son père, et éclata en sanglots émus.

 

-         Père ! Tu es vivant !

-         Je suis tellement désolé-désolé, mon tout petit. Il fallait le faire.

-         Pardon, pardon !

-         C’est rien, Gab. Tout va bien.

-         Mais pourquoi ?

-         Quand nous serons à la maison, je te raconterai tout, je te le promets.

 

Gabriel se calma un peu, et recula, toujours avec Emil sur les bras. Il vit alors les traits de son père se durcir de colère, et frissonna de panique. Il n’était pas tiré d’affaire !

 

-         Maintenant, tu vas m’expliquer pourquoi-pourquoi tu es descendu dans ce terrier où tu as failli te faire tuer une douzaine de fois au lieu d’être resté dans ton bateau volant avec ta mère ?

 

Le petit Skaven gris clair était au bout de ses forces. Il était tellement las qu’il n’éprouvait même plus l’angoisse d’être réprimandé ou puni.

 

-         Le soir où tu as été… enfin, où tu as fait semblant, j’ai souhaité que le Rat Cornu emporte Emil. J’avais très peur, car tu avais l’air de t’intéresser plus à lui qu’à moi ! Mais j’ai fait une très grosse bêtise ! Emil a été enlevé par les Skavens Sauvages à cause de moi ! C’était mon devoir d’aller le chercher ! Mon devoir, et mon envie, aussi ! J’ai voulu lui sauver la vie !

 

Le visage du maître mage se détendit peu à peu. Il poussa un soupir.

 

-         Je savais que tu étais entré-entré dans ma chapelle, et pourquoi. C’est vrai, tu as fait une bêtise. Tu as voulu la réparer, c’était noble-gentil de ta part, Gab, mais ton vœu au Rat Cornu, c’était une petite bêtise, et pour te rattraper, tu en as fait une trois fois plus grosse ! Enfin, au moins, tu es vivant-vivant, et lui aussi.

-         Il n’arrête pas de crier, j’en peux plus… Pourtant, cet affreux sorcier ne peut plus lui faire de mal !

 

Psody examina rapidement l’enfant.

 

-         Il n’a pas l’air trop malade-blessé. Il doit avoir très peur. Et qui sait depuis combien de temps il n’a pas mangé-mangé ? Ne t’inquiète pas, on va le mettre en sécurité. Je vais ouvrir la voie. Tu peux le porter encore un peu ?

-         Oui.

-         Tiens, attends-attends. Tiens-le bien, et ne bouge pas.

 

Le maître mage fit un petit geste rapide au-dessus de la tête d’Emil. Sa paume irradia un court instant d’une lueur dorée. Emil s’arrêta de pleurer, et parut plus serein.

 

-         Qu’est-ce que tu lui as fait ?

-         Trois fois rien, juste un petit sort d’apaisement.

-         Oh… Je ne t’ai jamais vu faire ça sur Isolde ou Teresa ?

-         La magie ne doit pas interférer-interférer avec l’éducation des enfants, Gab. Mais pour cette fois, c’est une urgence, on ne dira rien à ses parents, d’accord ?

 

Gabriel fit la moue quand son père lui fit un clin d’œil. Ce dernier se dirigea vers le cadavre encore fumant de Karhi.

 

-         Désolé d’être arrivé aussi tard. Je l’avais perdu de vue. Quand il a commencé à utiliser sa magie, je l’ai senti, et j’ai couru aussi vite-vite que j’ai pu pour l’arrêter. Mais qu’est-ce qui s’est passé-passé ?

-         Il a voulu nous jeter une malédiction, et il a utilisé ton masque pour la renforcer.

-         Quoi ? Ne me dis pas qu’il a été suffisamment idiot-crétin pour mettre le masque de Cuelepok pendant qu’il incantait une magie de l’Empire Souterrain ?

-         Ben… si.

 

Le Skaven Blanc se frappa le front, effaré par tant de bêtise. Il entendit son fils murmurer d’une voix éteinte :

 

-         Tu… tu avais raison, Père. La magie du Rat Cornu est maléfique. Personne ne doit s’en servir. Jamais !

-         Quand tu l’utilises, la première chose qu’elle détruit, c’est ton âme. Tu deviens vite son esclave. Tu vois que ça donne.

-         Maintenant… maintenant… je comprends.

-         J’ai eu beaucoup de chance. Grâce à son masque, Cuelepok m’a délivré de son emprise.

-         Tu l’as fait sans Cuelepok, Père. Tu es le plus fort.

 

Le maître mage répondit avec un petit sourire :

 

-         Allez, partons vite de ce cloaque-cloaque ! Mais d’abord…

 

Le Skaven Blanc sentit son visage se tordre de colère. Il fit quelques pas pour se retrouver aux côtés des restes de Karhi. Il considéra le Prophète Gris responsable de leurs derniers malheurs, et expliqua à son fils :

 

-         J’ai dû me comporter comme un Skaven Sauvage pour m’approcher suffisamment de lui.

 

Gabriel n’osa rien demander, mais il imagina rapidement tout ce que cette affirmation impliquait. D’une main ferme, le maître mage arracha le masque de la tête du Prophète Gris. L’artefact en or massif ne recouvrait plus rien que de la cendre. Psody se pencha vers le corps désormais sans tête de Karhi, et murmura d’une voix mielleuse :

 

-         Ce fut un privilège-plaisir de vous servir, ô sublimissime-merveilleux Prophète Gris !

 

Puis il flanqua un grand coup de pied au cadavre avec un cri rageur.

 

Un grand bruit de flatulence résonna à travers la pièce. Psody réprima un cri de douleur.

 

-         Mais qu’est-ce que… ?

 

Le maître mage frotta ses orteils à plusieurs reprises. Il posa précautionneusement son pied, tapota l’énorme ventre de Karhi du bout des doigts, puis plus franchement. La bedaine ne remuait pas comme de la gelée flasque, mais restait anormalement rigide.

 

-         C’est bizarre-étrange… Attends, éloigne-toi, Gab.

 

Il saisit délicatement le bas de la robe grise du Skaven Blanc, et la retroussa. Il ne put réprimer une grimace dégoûtée quand il révéla le ventre de Karhi. Son abdomen était énorme, bouffi, les poils étaient tombés, et la peau était noirâtre, striée de grosses veines apparentes. La chair à l’air libre semblait dévorée par une moisissure noirâtre, qui formait des plaques solides.

 

-         Lui aussi !

-         Que… quoi ?

-         Iapoch avait les jambes rongées par cette pourriture. Lui, c’est le ventre.

-         Répugnant ! Affreux !

-         Cette gangue est dure comme la carapace d’une tortue. Regarde !

 

Psody toqua trois fois sur la peau craquelée de l’abdomen de Karhi. Ils entendirent un son creux et clair. Le maître mage claqua des doigts.

 

-         Voilà pourquoi Nedland n’a pas réussi à l’abattre, au Domaine Nichetti ! Avec un bide pareil, il pouvait facilement encaisser un tir ! Si ça se trouve, la balle est encore coincée là-dedans !

 

Il renifla alors bruyamment.

 

-         Mais je sens quelque chose de familier là-dessous. Je ne sais pas quoi. Oui, cette odeur me rappelle quelque chose.

-         La magie du Warp ?

-         Non, Gab. C’est plus surprenant-étonnant. En fait, je m’en rends compte : il n’utilisait pas la magie du Warp. Son état et ce que j’ai pu voir me fait plutôt penser à la magie des Moines de la Peste ?

-         Les… les Moines de la Peste ?

-         Oui. Un Moine de la Peste a dû lui apprendre sa magie.

 

Gabriel se rappela alors d’un petit détail qui pouvait être une piste ?

 

-         Juste avant de mourir, il a dit quelque chose que je n’ai pas compris.

-         C’était quoi ?

-         « Chiri willakuq ».

 

Le Skaven Blanc se figea. Ses yeux roses étincelèrent.

 

-         Hum… Bizarre.

-         Qu’est-ce que ça signifie ? C’est un nom de Moine de la Peste ? Il a appelé son maître à l’aide ?

-         Non. C’est une hypothèse intelligente-futée, mais ce n’est pas ça. Ces mots, en gros, ça veut dire-dire « Messager des choses-froides ». Mais un messager de malheur, un individu macabre-sinistre, qui annonce la mort. Les choses-froides sont ce que nous, les Skavens, craignons le plus, tout au fond de nous-mêmes.

-         Les « choses-froides », ce sont les Hommes-lézards ?

-         Oui. Je te souhaite de ne jamais en rencontrer-voir. Peut-être qu’une peur profonde jaillirait de tes tripes… et peut-être pas. Quoi qu’il en soit, si le masque lui a fait voir un « messager des choses-froides », il a dû avoir une sacrée trouille ! Si ça se trouve, il est mort de peur avant d’avoir eu la tête brûlée !

 

Gabriel ne répondit rien. Les cris effroyables de douleur coincés à jamais dans un recoin de sa mémoire contredirent cette éventualité, mais le jeune Steiner ne voulut pas en parler. Psody se pencha vers Emil, et soupira :

 

-         Ah, si seulement il savait-pouvait parler. Je suis sûr-certain qu’il a vu quelque chose.

-         J’espère… qu’il n’en gardera pas… des séquelles ?

-         Nous verrons bien. Allez, on file !

 

Gabriel s’apprêta à suivre son père dehors, mais au dernier moment, son attention fut attirée par un petit éclat : le sifflet que lui avait donné maître Barisson. Il le remit en poche d’une main avant de quitter la maisonnette.

 

Quand ils furent tous trois à l’extérieur, Gabriel respira à pleins poumons. Jamais il n’avait été aussi heureux de quitter un bâtiment. Mais sa joie fut de courte durée : au bout de la rue, il y avait une dizaine de Guerriers des Clans, menés par un Skaven Sauvage vêtu d’une cape rose. Psody reconnut la Grande Griffe Kirgarsh. Le Skaven Sauvage comprit rapidement dans quel camp étaient les trois, et brandit un poing menaçant dans leur direction.

 

-         Traîtres au Rat Cornu ! Tout le terrier est foutu à cause de vous ! Vous allez payer-payer !

 

Et les Guerriers des Clans se précipitèrent vers eux en glapissant.

 

-         Oh, non ! Nous sommes perdus !

-         Que tu crois, Gab ! Maintenant, je n’ai plus à me retenir !

 

Les Guerriers des Clans n’étaient qu’à quelques secondes de distance des trois fugitifs. Quelques secondes suffirent pour le maître mage. Il fit rapidement quelques gestes des deux mains, tout en récitant une succession de syllabes. Quand les Skavens Sauvages ne furent plus qu’à une dizaine de pieds, un buisson de ronces jaillit du sol en un clin d’œil. Les branches étaient très hautes, très épaisses, et aussi très souples et solides. Les Guerriers des Clans plongèrent au milieu de l’amas de verdure. Ils poussèrent en chœur des cris de surprise et de douleur, coincés, immobilisés, lacérés de toutes parts par les épines.

 

Gabriel siffla d’admiration.

 

-         Ouah ! Comment t’as fait ?

-         Une formule magique toute simple pour faire pousser les graines.

-         Mais… c’est illogique ! On est sous terre, où il n’y a que des champignons et de la mousse ! Il ne peut pas y avoir de graines de ronces !

-         Sauf si quelqu’un a passé les deux dernières nuits à déposer discrètement-secrètement des graines de ronces un peu partout, répondit le maître mage d’un ton évasif.

-         Tant de graines ?

-         L’avantage d’un gros manteau, c’est qu’il a de grosses poches.

 

Kirgarsh, comme toute bonne Grande Griffe, avait pris soin de rester en arrière. Il s’était arrêté juste à temps pour ne pas finir dans le buisson avec les autres. Il se planta devant les Steiner, fit tournoyer son arme et gronda de rage.

 

-         Je vais te casser les reins, sale traître-menteur !

 

Le Skaven Blanc posa un genou à terre, et enfonça ses griffes dans la poussière. Aussitôt, une stalagmite de roche avec une extrémité en forme de poing serré poussa instantanément juste aux pieds de Kirgarsh, et le frappa entre les jambes. La Grande Griffe se roula par terre en gémissant, les mains crispées sur sa douleur. Les Steiner rirent aux éclats et s’engagèrent sans tarder dans une ruelle perpendiculaire.

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