Le Royaume des Rats

Enfants du Rat Cornu,

Ce chapitre est une étape cruciale dans mon activité d’écrivain de fanfictions.

En effet, jusqu’à présent, ma fanfiction la plus longue était la Trilogie de l’Expansion, une histoire dans l’univers de Star Wars – désolé pour les anglophones, je ne pense pas la traduire un jour, le travail serait trop énorme pour être fait en amateur. En format Word, elle comptait 1122 pages.

Aujourd’hui – disons plutôt, depuis le chapitre précédent, j’ai officiellement dépassé les 1122 pages en format Word (en version française, je précise, en anglais, j’arrive à 1083 pages). J’arrive déjà bien au-delà des 626 pages (594 pages en anglais) qu’occupait L’Enfant Terrible du Rat Cornu, sachant que je n’ai pas encore terminé la moitié de ce que j’ai prévu d’écrire pour le Royaume des Rats. Par contre, je ne vous le cache pas, Les Héritiers du Rat Cornu, s’il est bien prévu en quatre parties aussi, sera probablement moins ambitieux.

Tout ça pour vous dire que j’ai battu un record personnel, mais que c’est mon envie de vous raconter cette histoire qui me motive le plus et qui m’a permis de le faire. Merci à vous tous, fidèles adeptes du monde de Warhammer, continuez à vous exprimer sans hésiter, et gloire au Rat Cornu !

Sigmund et ses fantassins étaient toujours assaillis par les mouches mutantes, mais leurs coups de torche acharnés avaient eu peu à peu raison de cette aberrante vermine. Il n’y en avait plus que quelques dizaines, qui se firent moins agressives face à la résistance flamboyante. Bientôt, les dernières mouches furent consumées par les flammes. Une odeur irritante d’insecte grillé fit éternuer les nez les plus sensibles.

Le capitaine Steiner regarda tout autour de lui, vit les soldats à terre se relever, et fut enchanté de constater qu’il n’y avait que deux pertes à déplorer. Les fantassins avaient fait preuve d’une efficacité redoutable face au danger.

-         Bien joué ! Ces saletés ne nous poseront plus de problème.

-         En espérant qu’ils n’en aient pas d’autres à nous balancer, Capitaine ! grommela Himmelstoss.

-         Regardez, Capitaine ! s’écria soudain un autre soldat. La Commandante !

Blokfiste brandissait triomphalement à bout de bras la Tiléenne empalée sur les griffes de sa main gauche. Le sang jaillissait à flots de sa gorge arrachée, et barbouillait le museau du Moulder, dont le ricanement redoubla de sauvagerie. Il fit un grand mouvement du bras, et balança le cadavre encore chaud de la courageuse commandante au milieu des Moines de la Peste, qui la réduisirent rapidement en charpie.

Un tel spectacle dégoûta et révolta les fantassins de Sigmund.

-         Saloperie de bâtard ! cracha Himmelstoss. Qu’est-ce qu’on attend ? On se les fait !

-         Non, Himmelstoss, pas encore ! Ils sont nombreux, il vaut mieux les laisser venir !

En réalité, Sigmund ne savait pas vraiment quoi faire. La situation n’était pas encore désespérée, mais elle restait très grave. Il se rendit également compte qu’il était désormais le plus haut gradé sur le champ de bataille, par conséquent la responsabilité de tout le reste de l’armée reposait désormais sur ses épaules.

Blokfiste tendit un index énergique vers les rangs des habitants de Vereinbarung et aboya quelque chose que Sigmund ne put distinguer. Des couinements apeurés et hystériques retentirent alors. Le cœur du Skaven Noir se serra à la vue de la cohorte de misérables créatures qui couraient dans leur direction. Tous efflanqués, vêtus pour la plupart d’un pagne, brandissant des armes de piètre qualité, la terreur collée aux traits, ils faisaient peine à voir.

-         Qui sont ces… types ? demanda un soldat qui n’avait pas l’habitude d’affronter l’Empire Souterrain.

-         Ce saligaud nous envoie leurs esclaves, expliqua Sigmund. Les troupes les plus sacrifiables. Il espère ainsi nous affaiblir avant de venir au contact. Je sais que ça va être dur de taper sur des Skavens aussi pitoyables, mais rappelez-vous que la seule chose qui les motive, c’est la peur des coups de leurs maîtres s’ils ne nous tuent pas ! Tâchez de garder vos forces contre les Moines de la Peste ! Ne perdez pas votre énergie avec ces grouillots, et dépêchez-vous de vous débarrasser d’eux !

Les deux armées se heurtèrent une fois de plus. Personne dans les rangs ne se sentit fort ou héroïque, d’un côté comme de l’autre. Les esclaves se débattaient avec l’énergie du désespoir pour contenter leurs bourreaux et pouvoir vivre un jour de plus, leurs adversaires durent fermer leur cœur à double tour pour éviter de percevoir leur détresse.

Sigmund, en particulier, se concentrait, et pour éviter de faiblir, se répétait inlassablement :

L’Empire Souterrain n’accorde jamais de pitié ou de compassion ! Dès qu’ils sont en âge de se battre, ils n’ont plus aucune innocence !

Soudain, au milieu des rangs des esclaves, il reconnut un visage familier.

Koursh ?

Il n’avait pas oublié l’esclave qui l’avait mené à Qroshay, l’un des larbins de Blokfiste. Il l’avait tué sans le moindre scrupule, pour pouvoir mettre son propre plan à exécution. Et chaque fois que ses pensées s’étaient arrêtées sur cette pauvre petite chose, il s’était demandé :

Les esclaves de l’Empire Souterrain ne sont-ils pas avant tout des victimes, eux aussi ? Ai-je eu raison d’écourter sa vie aussi froidement ?

Un deuxième Skaven Sauvage se jeta sur lui. Cet esclave avait également la tête de Koursh. Avec horreur, Sigmund comprit que tous les esclaves présentaient tous le même visage, celui de sa propre culpabilité.

Et si je lui avais donné une petite chance de filer ?

Il sentit ses orteils nus marcher sur quelque chose de velu et tendre. Il baissa les yeux, et vit qu’il était en train de piétiner un Skaven Sauvage un peu moins maladif que les autres.

Non, pas toi !

-         Pitié-pitié, ô magnifique-époustouflant Sigmund Steiner, petit-fils de Prince ! pleura Larn du Clan Eshin. Épargne-moi !

Le capitaine sentit la colère exploser au fond de ses boyaux.

-         Ça suffit !

Et pour mettre du poids sur son exclamation, il se gifla vigoureusement. Il secoua la tête. Les hallucinations avaient cessé. Autour de lui, heureusement, ses soldats n’avaient pas perdu leurs moyens. Sigmund fit tournoyer Cœur de Licorne, bien décidé à résister à la vague d’esclaves. Il tailla, trancha, débita la masse grouillante de chairs nues et de corps malingres.

Une minute plus tard, il n’y avait plus aucun esclave. Mais cet assaut avait fatigué les combattants de Vereinbarung. Blokfiste le comprit rapidement.

-         Encenseurs à Peste, restez près de moi ! Moines de la Peste, à l’attaque-assaut !

Le grand Skaven Sauvage ocre était un chef de guerre, il n’oubliait pas pour autant les plus élémentaires règles pour rester en vie le plus longtemps possible. Aussi, à l’abri avec les troupes d’élite du Clan Pestilens, il comptait bien sur ce premier rang de Moines de la Peste pour mettre sérieusement à mal les choses-hommes et les traîtres au Rat Cornu, avant de les exterminer lui-même.

Sigmund avait mal à la poitrine, tellement son cœur battait vite et fort. Il essaya tant bien que mal de reprendre son souffle. Une vive douleur lacéra ses tympans lorsque ses oreilles perçurent les couinements furieux des Moines de la Peste. Les Skavens Sauvages, surexcités par l’encens de leurs aînés restés en arrière, n’étaient plus que folie meurtrière. Cet assaut s’annonçait particulièrement meurtrier. Le Skaven Noir sentait chaque muscle de son corps tendu à se rompre. Il tenta de visualiser les visages de sa mère, ses frères et ses sœurs, pour s’accrocher à une pensée agréable avant le carnage, quand soudain, le son d’un clairon retentit derrière le bataillon.

Tiens ? On a encore un régiment de réserve ?

Des hennissements et des cris de guerre résonnèrent à travers les tunnels. Puis des bruits de sabots martelèrent la terre rocheuse.

-         Capitaine, derrière ! cria Himmelstoss.

Le clairon sonna une nouvelle fois, et une voix impérieuse ordonna :

-         Chargez !

Sigmund jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, et écarquilla les yeux.

-         Écartez-vous ! Vite !

Le contingent de soldats de Vereinbarung se fendit en deux, juste à temps pour laisser passer une vingtaine de cavaliers en armure complète. Les Moines de la Peste, surpris par la vue de cette barrière d’acier se dresser soudainement et galopant dans leur direction, s’arrêtèrent, et se bousculèrent les uns les autres. Les cavaliers heurtèrent de plein fouet les Skavens Sauvages pestiférés. Les hommes-rats qui ne furent pas catapultés par l’impact se retrouvèrent écrasés sous les sabots des destriers ou périrent par les armes des nouveaux venus.

Complètement incrédule, Sigmund plissa les yeux, et tenta de comprendre qui étaient ces renforts inespérés.

Ces armures… Les Bretonniens ?!

Il fixa son regard sur la bannière portée par un chevalier au casque surmonté d’un cimier en forme d’hippogriffe, et reconnut sans y croire les armoiries qui représentaient un cheval blanc sur fond rouge.

Le contre-assaut des Bretonniens fonctionna à merveille : les Moines de la Peste encore en vie s’enfuirent de tous les côtés aussi vite qu’ils purent. Les cavaliers firent demi-tour comme un seul homme, et s’alignèrent devant les soldats de Vereinbarung. Puis ils se tournèrent de nouveau vers les Skavens de l’Empire Souterrain, prêts à repartir au combat.

-         Félicitations ! Ils n’ont rien vu venir ! s’exclama une voix qui fit sursauter Sigmund.

Celui qui avait parlé était un Bretonnien resté en arrière. Il arrêta son cheval à la hauteur du Skaven Noir, et releva la visière de son heaume.

-         Vous ?

-         Hé oui, jeune homme !

C’était bel et bien Horace de Vaucanson, qui rit joyeusement devant la stupeur du capitaine. Le seigneur semblait s’être remis de leur précédent affrontement. Certes, il avait encore une trace violacée sur la joue, mais pour le reste, il semblait en forme.

-         Mais… comment ?

-         Quand vous avez quitté Pourseille, j’ai envoyé un éclaireur pour vous suivre discrètement. Je tenais à connaître précisément l’endroit où se cachaient ces barbares. J’ai préféré rester en arrière, histoire de ne pas attirer votre attention, mais à présent que le combat est engagé, j’apporte ma contribution.

Le Skaven Noir dut s’y reprendre à deux reprises pour inspirer suffisamment d’air, et lâcher péniblement un seul mot :

-         Pourquoi ?

-         Puisque vous m’avez laissé la liberté, Capitaine Steiner, mon devoir est de vous aider !

-         Vous êtes sûr ?

-         Je suis sûr d’une chose : si nous laissons ces ruffians faire tomber votre royaume, le prochain sera peut-être le mien, et ça, je ne le permettrai jamais ! J’ai brisé ma promesse de quitter Vereinbarung au plus vite, j’espère que vous me pardonnerez ce parjure.

Sigmund secoua la tête, et se retrouva de nouveau en pleine possession de ses moyens.

-         Au vu des circonstances, je fermerai les yeux pour cette fois, Seigneur de Vaucanson.

Deux cavaliers quittèrent le rang pour rejoindre le seigneur. Le capitaine Steiner reconnut Villefort, l’aide de camp, et Lombard, le porte-étendard.

-         Salutations, Capitaine.

-         Nous chargeons à votre ordre, mon Lige.

Les crissements d’autres Skavens Sauvages ricochèrent sous la voûte. Blokfiste avait finalement envoyé les Encenseurs à Peste, les pires éléments du Clan Pestilens. Pas de doute, cet assaut-là allait être le dernier.

-         Assez parlé, messieurs ! Combattons ensemble l’Empire Souterrain !

-         Prenez garde, Monseigneur ! Ces Skavens Sauvages-là sont sous l’emprise de drogues, ils ne ressentent rien d’autre qu’une rage combative exacerbée ! Quand ils seront au contact, ils n’arrêteront de se battre qu’avec la mort !

-         Dans ce cas, nous allons leur donner le repos qu’ils méritent ! Où est leur chef ?

-         C’est celui avec son boulet de canon au bras. Il a déjà occis notre commandante !

-         Je le vois. Je vais lui montrer ce que sait faire un Vaucanson ! En avant !

Le sang de Sigmund ne fit qu’un tour. Il n’allait pas se voir priver de son combat contre Blokfiste une deuxième fois, et de la main d’un étranger !

-         Non, Seigneur de V…

Peine perdue, le seigneur était déjà parti au galop, accompagné de ses deux lieutenants. Les trois cavaliers se placèrent au centre du régiment de Bretonniens, et tous les chevaliers chargèrent avec des cris guerriers, appelant la Dame du Lac et le Roy Louen Cœur de Lion.

Sigmund glapit de frustration. Impatient d’en finir, il ordonna :

-         On les suit ! Allez !

Les combattants de Vereinbarung chargèrent à leur tour comme un seul homme.

Horace de Vaucanson n’avait jamais affronté les habitants de l’Empire Souterrain. La notion de Clans ne lui était pas familière, et il ne connaissait rien de leur arsenal. Les mouches mutantes, les encensoirs à peste, les mitrailleuses ratling étaient autant d’outils qui lui étaient totalement étrangers.

Pour lui comme pour ses hommes, toutefois, la différence ne fut pas insurmontable.

Il dut le reconnaître, ces Skavens Sauvages-là se montrèrent plus résistants. Le jeune Skaven Noir l’avait bien prévenu, ils ne semblaient pas affectés par la peur ou la douleur autant que les autres adversaires qu’il avait affrontés par le passé. C’était un peu perturbant de voir ces hommes-rats pestiférés encaisser les coups et continuer de se battre aussi furieusement. Heureusement, une blessure mortelle reste une blessure mortelle, même si la drogue étouffe la douleur ou la fatigue. Aussi, Horace de Vaucanson, en tête du régiment, décapitait les Skavens Sauvages à tour de bras, et ceux qui tombaient ne se relevaient pas.

Il n’avait pas quitté des yeux sa principale cible, le chef de guerre à fourrure ocre. Celui-ci, beaucoup plus grand et plus hargneux que les autres, méritait bien sa position. Il faisait tournoyer ses deux bras, prêt à écrabouiller d’un côté et à débiter en morceaux de l’autre.

Sans hésiter, le seigneur Horace de Vaucanson poussa son destrier au galop, tout droit vers cette créature. Au passage, il coupa une tête, fracassa une épaule, et renversa un des Encenseurs à Peste. L’odeur âcre et écœurante de la fumée menaça de le déstabiliser, mais il tint bon. Enfin, il atteignit Blokfiste. Il tira sur les rênes de sa monture et cria :

-         Sabots !

Le destrier se cabra avec un hennissement, et se laissa tomber de tout son poids sur le Skaven Sauvage ocre. Blokfiste reçut l’un des sabots sur la poitrine, l’autre sur son énorme museau. Il s’écroula sous le cheval avec un grand cri de rage. Sous l’injonction de son maître, l’animal piétina le Skaven Sauvage méthodiquement pendant de longues secondes.

Quand il ne sentit plus rien bouger sous lui, le destrier s’immobilisa. Vaucanson tapota paternellement son flanc.

-         Bien, mon garçon. Très b…

Soudain, le cheval redressa la tête si promptement qu’il faillit cogner le casque du Bretonnien. Il poussa un hennissement strident, déchirant, qui traduisait une abominable souffrance. Vaucanson se cramponna à la selle.

-         Mais qu’est-ce que…

Un torrent de sang jaillit sur le côté droit du seigneur Bretonnien. Avec horreur, il vit les énormes griffes de fer du Skaven Sauvage s’extirper de la panse du cheval, déchirant au passage les muscles, les organes et la peau. Vaucanson n’eut pas le temps de jurer que la tête de sa malheureuse monture fut éjectée de son corps avec une force abominable, sous l’impulsion du boulet de Blokfiste. Le destrier s’effondra net, et le Bretonnien fut précipité à terre. Il entendit un cliquetis caractéristique, semblable à celui d’un mécanisme à chaîne qui se rembobinait.

Vaucanson était couvert de sang. Quand il vit le triste état dans lequel était désormais sa fidèle monture, son visage s’empourpra de colère.

-         Non ! Bucéphale ! Je t’assure que justice sera faite, par la Dame du Lac !

La carcasse bascula sur le côté, et Blokfiste put enfin se remettre debout. Le chef de guerre Skaven Sauvage leva lentement les bras. Son pelage rendu rouge, poisseux et luisant par tout le sang du cheval, se hérissa. Il ouvrit les mâchoires, et de la salive jaunâtre se répandit à ses pieds. Horace de Vaucanson sentit son nez se pincer de dégoût.

-         Maintenant, je comprends la différence entre les citoyens de Vereinbarung et les bêtes sauvages comme vous !

En guise de réponse, Blokfiste cracha et siffla. Vaucanson tourna rapidement la tête, à la recherche de Villefort et Lombard. Tous deux étaient encore aux prises avec les Encenseurs à Peste. Le seigneur tâcha de rester digne. Dans ce combat, il ne pourrait compter que sur lui-même.

Vaucanson leva son épée, et fit quelques pas de côté, lentement, pour prendre le temps de jauger son adversaire. Celui-ci l’accompagna dans son mouvement. Le Bretonnien prit garde à surtout ne pas se laisser déconcentrer par un son, un geste, n’importe quoi d’autre que le chef de guerre. Il le pressentait, face à Blokfiste, il n’avait pas le droit à l’erreur.

Sigmund avait perdu le seigneur Bretonnien de vue. Une fois que les cavaliers avaient traversé le régiment d’Encenseurs à Peste, les Pestilens fous encore debout avaient entouré les Bretonniens, coinçant ainsi leurs chevaux, et ils assénaient de grands coups d’encensoir.

Le capitaine Steiner serra les dents. Tout ceci commençait à faire beaucoup, même pour lui. Il sentait le souffle lui manquer, des crampes comprimaient ses bras et ses jambes, et sa cuirasse lui parut plus lourde Mais il ne voulut pas céder à la fatigue alors que l’assaut final commençait. Il se rappela des leçons de son père. Habituellement, les Encenseurs à Peste débordaient d’énergie et ignoraient la douleur, ce qui faisait d’eux des adversaires particulièrement redoutables. Ils pouvaient ainsi vaincre n’importe quel adversaire à l’usure. Mais leurs drogues ne les préservaient pas de la mort en cas de coup porté dans un endroit décisif, et comme ils n’étaient généralement vêtus que de tissus épais et sales, le cœur et la tête restaient des cibles à privilégier.

Le plus irréel était la force que ces créatures malingres et démolies par la maladie pouvaient déployer. L’encens à base de malepierre les déchaînait. Pire, les Humains du régiment de Vereinbarung étaient encore plus irrités par les volutes de fumée urticante. Les Skavens qui combattaient pour les couleurs du Prince Steiner étaient avantagés, car leur constitution leur permettait de mieux résister aux effets de la malepierre. Une génération ou deux, pas plus, séparaient les combattants de la surface et les Guerriers des Clans de l’Empire Souterrain, et le sang des plus jeunes n’avait pas perdu sa résistance naturelle à l’odieuse matière.

Sigmund prêtait à peine attention aux Encenseurs à Peste qui se bousculaient devant lui. Il n’avait qu’une idée en tête : rejoindre Vaucanson au plus vite pour affronter à ses côtés l’abominable Blokfiste. Tranchant par-ci, cognant du pommeau par-là, il n’avait qu’une vague idée de la direction à prendre, ce qui ne diminua en rien son ardeur.

Blokfiste fut le premier à attaquer.

Il bondit en avant, et sa patte griffue fendit l’air, droit vers la tête casquée de Vaucanson. Le Bretonnien se baissa vers la gauche, et fit glisser les lames sur son épée. Le Skaven Sauvage recula d’un bond, l’épée de Vaucanson le frôla, et sectionna quelques poils de son flanc au passage. Blokfiste avança de nouveau, et cette fois, il fit un large mouvement de balayage de gauche à droite. Vaucanson esquiva de plus belle. Comme il l’avait montré à Sigmund, les années n’avaient pas trop altéré sa forme physique. Il était maître de ses gestes, et son assurance eut pour effet d’énerver son adversaire.

Blokfiste frappait de plus en plus furieusement, ses coups devinrent moins précis, et plus fatigants. Vaucanson fit une feinte et parvint même à lui infliger une coupure à la poitrine, de la pointe de son épée. Ce qui fit éclater de colère le Skaven Sauvage ocre.

Blokfiste bondit en arrière, et fit tournoyer son bras droit de haut en bas. Comprenant la manœuvre, l’Humain resta les jambes fléchies, prêt à réagir. Lorsqu’il se sentit presque emporté par l’élan de la lourde masse d’acier au bout de son avant-bras, le chef de guerre relâcha le cran de maintien de son arme. La chaîne se déploya, et le boulet de canon fracassa le sol juste à l’endroit où, une demi-seconde plus tôt, se tenait Vaucanson. Il ne fut pas touché, mais il vacilla sous le coup de l’onde de choc qui fit trembler la terre aux alentours.

Blokfiste était à bout de souffle. Courbé en avant, il respirait si bruyamment que l’Humain pouvait l’entendre ahaner malgré tous les bruits de bataille. Vaucanson allait profiter de l’occasion pour le frapper à la tête. Mais alors qu’il s’élançait vers le Skaven Sauvage, un grondement sourd retentit. Soudain, la terre se fendit littéralement sous leurs pieds. Le boulet avait secoué la roche tellement fort que tout le côté de la falaise s’écroula dans un éboulement.

Sigmund venait enfin de franchir le dernier rang d’Encenseurs à Peste. Il vit Horace de Vaucanson et Blokfiste se battre à quelques dizaines de yards de distance. Il ne se posa pas la question sur le fait d’interrompre un duel dans lequel était engagé un noble de Bretonnie. Au contraire, une seule chose lui importait :

Blokfiste est à moi !

Le chef de guerre semblait épuisé, son boulet de canon enfoncé dans le sol. C’était le moment ou jamais !

T’es mort, ordure !

Comme en réponse railleuse à cette pensée, le sol craqua, et s’effondra sous le poids des deux combattants qui disparurent ensemble dans le gouffre, sous le regard halluciné du Skaven Noir. Il bredouilla :

-         C’est pas vrai…

Et pourtant, c’était bel et bien arrivé.

Le moment d’hébétude ne dura toutefois pas plus longtemps. Sigmund repéra son guerrier le plus fiable qui finissait de transpercer de sa lance le sternum d’un Encenseur à Peste.

-         Himmelstoss !

Le Skaven Noir s’approcha tant bien que mal.

-         Oui, Capitaine ?

-         Continuez à aider les Bretonniens, je vous confie le régiment, le temps d’aller chercher Vaucanson !

-         À vos ordres !

Sigmund se précipita vers le bord de la falaise, ralentit à l’approche du vide, et s’accroupit. Il tendit prudemment le nez au-dessus du trou, et serra les dents de rage.

Un énorme nuage de poussière et de cailloux l’empêchait de voir clairement, mais il devina que le pan de falaise qui s’était détaché était tombé à une trentaine de pieds en contrebas. Il ne distingua pas Horace de Vaucanson, en revanche il repéra vite Blokfiste. Le Skaven Sauvage ocre était fermement accroché à la paroi rocheuse grâce aux griffes de fer de sa main gauche. Le chef de guerre parvint même à se laisser glisser le long du mur naturel. Des étincelles voltigèrent autour de ses doigts au fur et à mesure qu’il descendait de manière contrôlée.

Sigmund laissa échapper un cri de frustration, et s’empressa de trouver un endroit suffisamment stable et praticable pour pouvoir suivre le Skaven Sauvage ocre.

*

-         Allez, tas de vauriens ! On continue sans ralentir !

Les maraudeurs du Chaos grognèrent d’approbation. Gabriel n’osa pas dire un mot, toujours complètement dépassé par le surréalisme de la situation. Alors que toute la colonie des Skavens Sauvages était sens-dessus-dessous, voilà qu’il se rapprochait de la sortie, et donc de son salut, protégé et guidé par des Guerriers du Chaos menés par un champion de Khorne !

Le pire était qu’il commençait à croire la fuite possible de cette façon. Les tunnels lui paraissaient moins sombres, mieux éclairés par la lumière du soleil visible à travers les ouvertures qui crevaient la voûte de la caverne, ici et là. La petite troupe dépassa un groupe de maisonnettes en pierre et s’engagea dans un nouveau tunnel.

Et pendant tout ce temps, Emil n’avait pas arrêté de pleurer.

Gabriel était saisi de vertiges. Il sentait presque du sang couler de ses oreilles. Ses yeux brûlaient, à force de voir des choses aussi épouvantables. Ses mains étaient crispées, ses bras douloureux sous le poids du bébé. Même ses pieds semblaient avoir du mal à lui obéir.

-         On y arrivera, les gars ! rugit Lennart Sang-de-Feu. Je vous promets qu’on sortira de cet égout géant !

Ils arrivèrent à une intersection. Un tunnel partait vers la gauche, l’autre vers la droite. Lennart leva la main pour donner l’ordre de s’arrêter.

-         Hum… Avec toute cette pagaille, je ne me rappelle plus du chemin. Quelqu’un se souvient ?

Cette question resta sans réponse, mais ce n’était pas de leur fait. En effet, des crissements, des couinements et des sifflements résonnèrent sur les parois du tunnel de gauche.

-         Ils ont choisi pour nous ! gronda le champion de Khorne.

À peine eut-il prononcé ces mots qu’une nouvelle vague de Skavens Sauvages surgit au fond du tunnel, et se rapprocha à toute vitesse.

-         Encore ! Mais combien sont-ils ? gémit Gabriel.

Ceux-ci n’avaient pas l’air particulièrement redoutables. Ils couraient de manière désordonnée, comme s’ils fuyaient le combat derrière eux plutôt que se précipiter dans celui devant eux. Mais ils étaient tout de même nombreux, et le tunnel étroit.

L’homme en armure rouge tourna la tête vers Gabriel, puis montra d’un doigt énergique le boyau qui partait vers la droite.

-         Pars de ce côté avec le petit, on va les retenir.

-         Mais vous allez vous faire tuer !

-         Casse-toi, ou je te botte le cul !

Gabriel se rappela soudain à qui il parlait. Trop heureux de voir les Skavens Sauvages et les forces du Chaos se battre entre eux sans plus prêter attention à lui, il ficha le camp aussi vite qu’il put.

Tu aurais pu au moins les remercier pour t’avoir emmené jusqu’ici ! se reprocha-t-il. Remercier des Chaoteux qui tuent tout ce qu’ils peuvent tuer, tu es fou ! rétorqua son intellect.

Son instinct le lui murmurait : il n’était plus très loin de la sortie.

-         Courage, Emil, on y est presque !

Il ne sut s’il avait voulu rassurer le petit bébé, ou s’il avait dit ça pour lui-même. Dans le premier cas, ça n’avait pas marché, Emil continuait de crier et de pleurer. Lui, en revanche, sentit une petite flamme de confiance réchauffer ses tripes.

-         Emil, je te promets qu’on est bientôt dehors !

Il s’arrêta à un coin, à l’abri des regards, s’assit par terre, et souleva Emil de manière à le maintenir face à lui. Le pauvre petit hurlait à se déchirer les cordes vocales, tant et si bien que Gabriel s’inquiéta.

Et s’il était empoisonné, ou que ce cochon de Prophète Gris lui avait jeté un sort, ou une malédiction ?

-         Emil… Tu ne vas pas te transformer en Mutant et me dévorer la tête, rassure-moi ?

Il avait tenté de dire ça sur le ton de la plaisanterie, mais Emil ne semblait pas l’avoir entendu. Il n’avait pas l’air d’avoir conscience de quoi que ce soit d’autre que de la raison de cette crise.

Si seulement je la connaissais, cette raison !

Il se concentra, et essaya de visualiser ce qu’avaient fait ses aînés dans cette situation. Qu’avait fait sa mère ou sa grande sœur pour consoler Isolde quand, quelques années plus tôt, elle avait le même âge, et était dans le même état ?

Soudain, il eut une illumination.

Doucement, il serra contre son cœur le bébé Skaven Blanc, et se balança lentement d’avant en arrière, puis de gauche à droite, tout en marmonnant maladroitement une berceuse. Il tenta d’y mettre toute son intention. Il ferma les yeux, essaya de ne plus faire attention aux couinements d’Emil, et continua de chantonner, comme une litanie.

Au bout d’un long moment, ses oreilles lui parurent moins meurtries. Il rouvrit les yeux, et constata que si le petit garçon-rat était encore hoquetant, le visage poisseux de larmes, il braillait un peu moins fort, et avait les traits moins crispés par la souffrance.

-        Je suis désolé, Emil, j’aimerais tellement, tellement faire plus !

Il sentit alors sa combinaison s’humidifier et s’échauffer à la fois. Il soupira. Au point où il en était, ce n’était pas un « accident » de plus sur ses vêtements qui allaient l’importuner plus que ça.

En revanche, des couinements qui résonnèrent dans le tunnel lui rappelèrent l’urgence de la situation.

-        Bon, on se remet en route.

Sans attendre la moindre réaction du petit Skaven Blanc, Gabriel se releva et se remit à courir.