Le Royaume des Rats

Chapitre 73 : La Bataille du Château de Beyle

6387 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 12/04/2023 17:46

Enfants du Rat Cornu,

 

Je vous prie d’accepter mes excuses pour ce retard. En effet, mon emploi du temps de ces deux derniers mois s’est avéré plus chargé que prévu, et j’ai dû m’occuper de beaucoup de choses en dehors du travail. Par ailleurs, j’ai eu l’idée d’adapter en fanfiction une autre partie de jeu de rôle pratiquée il y a quelques mois, et je n’ai pas pu m’empêcher d’écrire quelques pages. Ne vous en faites pas, Le Royaume des Rats reste prioritaire. Un jour, vous découvrirez l’histoire du Trans-Galaktic, une fanfiction dans l’Univers Zéro.

 

Gloire au Rat Cornu !

 

 

La première colonne menée par Sigmund parvint bien vite à portée des arbalètes. Le Skaven Noir ordonna d’une voix puissante :

 

-         Boucliers !

 

Les soldats de Vereinbarung obéirent. À peine une seconde plus tard, les carreaux s’abattirent sur les attaquants. Le bois et le métal des boucliers tremblèrent sous les chocs violents des têtes d’acier meurtrières qui ricochèrent bruyamment dessus. Le capitaine Steiner glapit de rage quand il vit deux des cavaliers tomber de leur monture. Le premier avait reçu un projectile mortel en pleine gorge, et mourut instantanément dans un geyser de sang. Le deuxième, atteint au flanc, roula dans la boue, et se retrouva broyé sous les sabots des chevaux.

 

Mais cela n’entama pas la détermination des citoyens de la principauté. Personne d’autre ne ralentit. Sigmund encouragea :

 

-         Allez, allez ! On continue !

 

Le chariot sur lequel reposait le bélier improvisé était poussé par une douzaine de soldats à pied, eux-mêmes protégés par les boucliers de leurs camarades. En moins d’une minute, Sigmund et ses troupes étaient arrivés au pied de la muraille.

 

-         Infanterie, enfoncez cette porte ! Cavaliers, à vos arcs !

 

L’armée de Vereinbarung avait prévu le coup. Pendant que les combattants à pied s’appliquaient à enfoncer la herse à coups de bélier, les cavaliers restaient en retrait pour éviter les projectiles lancés par les soldats Bretonniens, et défendaient les fantassins à coups de flèches.

 

Les Bretonniens envoyaient déjà sur les soldats du Royaume des Rats des pavés, du fumier, et de l’eau bouillante contenue dans des chaudrons préparés à cet effet. Il y eut des cris de douleur, de longs gémissements, puis un grand bruit sourd ; la herse venait de subir un premier coup de bélier.

 

Les cavaliers saisirent arc et flèche. La riposte siffla jusqu’au sommet des remparts. Les Bretonniens se réfugièrent derrière les créneaux, les moins rapides furent cependant transpercés.

 

Sigmund n’avait pas d’arc. En revanche, il sortit de sa sacoche un objet qu’il avait gardé pour l’occasion : c’était un pistolet à répétition flambant neuf, le modèle à six canons montés sur un axe, fabriqué à Nuln et importé à grands frais par le Prince qui en avait fait cadeau à son petit-fils, à l’occasion de sa nomination en tant que Capitaine de la Garde Noire. Sigmund n’aimait pas tellement utiliser cette arme, il ne s’en était servi que pour s’entraîner, mais une petite intuition lui avait suggéré de l’emporter pour cette bataille-là. Une fois de plus, il se félicita d’avoir écouté cette intuition.

 

Il tendit le bras vers les sentinelles, et ouvrit le feu. La première balle ricocha sur la pierre du créneau, et les deux autres atteignirent leur cible, coup sur coup. Bien sûr, à cette distance, et sans le talent de tireur d’élite de Nedland Grangecoq, il n’y avait pas grand-chose de plus à espérer que l’incapacité de qui encaissait une de ces balles, mais pour le Skaven Noir, c’était suffisant.

 

-         De la part du « rat géant », bande de faquins !

 

 

Resté en arrière, Maximus Himmelstoss leva la main.

 

-         Ça fait une minute ! Sergente Lescuyer, foncez vers la muraille sud !

 

La sergente Lescuyer ordonna à son tour l’assaut. Satisfait, Himmelstoss beugla par-dessus son épaule.

 

-         En avant, soldats ! Suivez-moi !

 

Les deux bataillons chargèrent chacun d’un côté pour prendre le château en tenaille. Dans chacun des deux groupes, le chariot transportant la machine de Gabriel était placé au milieu, poussé par les soldats et tracté par deux chevaux vigoureux. Les taupes boum-boum étaient toujours rangées dans leur caisse de bois, ce qui les protégeait des carreaux Bretonniens. Pendant le temps de trajet, deux volontaires remplissaient tant bien que mal le réservoir avec les tonneaux de poudre. Plus d’une fois, les cahots créèrent des faux mouvements.

 

Le groupe mené par la sergente Mahaut Lescuyer approchait de la muraille. Malheureusement, alors qu’il n’y avait plus qu’une dizaine de yards à franchir, l’une des roues du chariot qui contenait la taupe boum-boum se coinça dans un trou. Le véhicule s’arrêta net, les opérateurs furent projetés en avant sous le choc. L’un d’eux en lâcha son tonnelet de poudre, et en répandit le contenu dans la charrette.

 

La sergente approcha du chariot, et toqua sur la paroi de bois de la caisse.

 

-         Tout va bien, là-dedans ?

-         On a perdu une demi-mesure de poudre, Sergente !

-         Laissez tomber, ça pètera quand même. Remplissez encore, nous allons vous tirer de là. Allez-y, vous autres !

 

Et les soldats pestèrent, ahanèrent, et poussèrent. Les boucliers levés n’empêchèrent malheureusement pas les tirs meurtriers des défenseurs de faucher quelques vies au passage.

 

Du côté d’Himmelstoss, les choses se déroulèrent mieux. Les soldats poussèrent le chariot sans ralentir jusqu’au pied de la muraille. Les deux opérateurs remplirent de poudre la taupe boum-boum. En quelques minutes, la caisse arriva au pied de la muraille. Himmelstoss brandit son bouclier au-dessus de sa tête, et approcha de la caisse.

 

-         Vous avez fini ?

-         Oui, Chef !

-         Parfait, quittez cette charrette et foutez le camp !

 

Les deux soldats obéirent sans discuter. Le grand Skaven Noir descendit de cheval, enroula rapidement les rênes autour d’un crochet à l’arrière du chariot, et sauta à l’intérieur de la grande caisse. Il jeta un rapide coup d’œil à la machine. La fumée s’échappait en sifflant, le cadran indiquait une pression maximum. Il était temps d’agir.

 

Himmelstoss attrapa une corne attachée à sa ceinture, la porta à sa bouche, et souffla dedans, deux fois de suite. Tout autour du chariot, il entendit les soldats de Vereinbarung pousser des exclamations, et s’éparpiller de tous les côtés. Satisfait, il empoigna le levier de démarrage de la mèche, et tira dessus. Un son de choc métallique retentit alors que le moteur lança la rotation de la perceuse conique. Himmelstoss poussa l’engin de toutes ses forces. La taupe boum-boum réduisit en copeaux le panneau de bois de la caisse, et se retrouva à l’air libre. Le Skaven Noir poussa, poussa encore, et l’appareil tomba en avant et heurta le sol. Immédiatement, la tête creusa dans la terre, envoyant des mottes de glaise partout. Sans prendre garde aux Bretonniens qui pouvaient à présent le voir, il saisit prestement la goupille destinée à libérer le ressort de la pierre à briquet, et l’arracha d’un geste. Enfin, il bondit en arrière, évita de justesse trois carreaux qui se plantèrent dans le fond du chariot, défit les rênes qui retenaient son cheval, sauta sur la selle, et fit galoper sa monture aussi vite et aussi loin qu’elle put.

 

Il talonnait encore l’animal quand il entendit la détonation, puis un grondement qui se fit de plus en plus fort. Sans se retourner, il imagina la muraille s’écrouler, les images arrivèrent d’autant plus facilement lorsque l’épouvantable fracas de pierre et de bois brisés parvint à ses oreilles. Il ralentit l’allure de sa monture, puis regarda derrière lui. Un énorme nuage de poussière s’élevait au-dessus des remparts, mais au fur et à mesure qu’il se dissipait, un trou énorme, large de trente pieds, devenait de plus en plus visible. Au-dessus du cratère où gisaient les restes de la taupe boum-boum, il n’y avait plus que quelques débris.

 

 

Le porte-étendard du seigneur de Vaucanson, jeté à terre par l’effondrement du mur, se releva péniblement. Les yeux exorbités, le visage écarlate, il jeta mille malédictions aux Skavens par la pensée. L’un des arbalétriers, complètement hagard, demanda à voix haute :

 

-         Qu’est… qu’est-ce que c’était que ça ?

 

Guillaume de Lombard sentit son visage s’empourprer de rage.

 

-         Je n’en sais rien, Soldat, mais je sais qu’il y en a un autre de ce côté-là ! Concentrez le feu dessus !

-         Monseigneur, si ça peut exploser, c’est qu’il y a de la poudre dedans ! Faisons-le péter sur place !

 

Le chevalier Bretonnien sentit un vilain sourire lui étirer les lèvres.

 

-         Excellente idée, Soldat ! Holà, vous autres ! Envoyez tout ce que vous pouvez qui peut brûler sur cette caisse ! J’adouberai personnellement celui qui détruira cette horreur mécanique !

 

Un fort craquement ramena alors son attention à la herse. Les coups de bélier étaient en train d’ébranler toute la structure, de plus en plus fort.

 

-         Continuez de vous battre ! Pour la Dame du Lac !

 

Lombard fut alors renversé par un choc violent sur son casque, juste au sommet de son crâne. Il roula sur les pierres des remparts.

 

-         Messire ! cria l’un des arbalétriers.

-         Restez à votre poste, Soldat ! ordonna le porte-étendard. Ce n’est qu’une blessure superficielle.

 

Guillaume de Lombard s’adossa à la paroi du créneau, retira lentement son casque, et écarquilla les yeux. Le couvre-chef de métal était perforé d’un petit trou juste au-dessus du front.

 

Je suis passé à deux pouces de la mort !

 

Il serra les dents de rage, et cracha à l’attention de l’arbalétrier :

 

-         Leur chef a un pistolet ! Abattez ce bâtard !

-         À vos ordres, Mess…

 

Ce fut au tour de l’arbalétrier d’être catapulté au sol, la gorge percée par une balle. Lombard laissa libre cours à sa frustration.

 

-         BANDE D'INCAPABLES ! REPOUSSEZ CETTE VERMINE ! TUEZ LES RATS GÉANTS ET CES INFIDÈLES !

 

Il se releva d’un bond, agrippa l’arbalète du soldat tué, et la braqua par-dessus le parapet. Il était bien décidé à retrouver le Skaven Noir qui se cachait derrière une technologie blasphématoire à base de poudre à canon. Quelques coups d’œil sur la pagaille au pied de la muraille, et il repéra bien vite sa cible.

 

Je vais te renvoyer dans ton terrier, monstruosité velue !

 

Lombard ricana dans sa barbe, le Skaven Noir avec son arme à feu ne l’avait pas repéré. Il visa, se concentra, et pressa la gâchette.

 

Le carreau fila vers sa cible.

 

Comme son seigneur, Guillaume de Lombard venait de braver l’un des interdits de la Chevalerie Bretonnienne.

 

Il n’y songea même pas, trop absorbé par son désir de victoire.

 

Puis par sa frustration. Le rat noir avait soudain reculé la tête pour éviter un coup de pique. Le Bretonnien jeta l’arbalète, et récupéra son casque.

 

 

Les soldats de Vereinbarung avaient enfin réussi à dégager le chariot, et à le relancer vers le château de Beyle. Deux Skavens et un Humain tombèrent encore sous les carreaux. La sergente Lescuyer pesta de colère.

 

-         Maudits envahisseurs ! Vous faites honte à la Bretonnie !

 

Une volée de projectiles de métal répondit à son invective. Elle n’eut que le temps de se protéger derrière son bouclier. Elle tourna la tête vers la caisse.

 

-         Alors, vous en êtes où, soldats ?

-         On a tout vidé, Sergente !

-         Sortez de là, et aidez à pousser !

 

Il ne restait plus que quelques yards à franchir. Enfin, le chariot atteignit son objectif, au pied du mur. La sergente Lescuyer bondit de son cheval, entra dans le chariot, et envoya le signal de retraite avec deux coups de corne.

 

-         Allez, allez ! Retraite !

 

Puis elle empoigna le levier, et mit en marche la machine. L’énorme tête conique en métal pulvérisa la paroi de la caisse. Lescuyer s’appuya contre la foreuse et poussa si fort qu’elle sentit des crampes lui froisser les muscles, mais elle tint bon, et parvint finalement à faire basculer l’engin en avant. Aussitôt la mèche géante plantée dans le sol, la taupe boum-boum s’attaqua goulûment à la terre. Lescuyer repéra la goupille de mise à feu, la retira d’un coup sec, et quitta la charrette aussi vite qu’elle put. Elle bondit sur la selle de son cheval, et le talonna.

 

Elle progressa ainsi une bonne demi-minute. Elle jeta un bref coup d’œil par-dessus son épaule, et soudain, son cœur bondit dans sa poitrine.

 

La taupe boum-boum continuait implacablement son travail de sape, mais elle n’était pas complètement laissée à l’abandon : à quelques pieds de distance à peine, un guerrier Skaven se traînait désespérément par terre, la jambe transpercée par un carreau enflammé. Même s’il réussissait à étouffer les flammes qui dévoraient déjà son pelage, il n’aurait pas le temps de se mettre à l’abri de l’explosion !

 

Le malheureux leva le museau, et son regard croisa celui de la sergente. Ses yeux s’écarquillèrent, il tendit la main en avant, et cria quelque chose que Lescuyer n’arriva pas à comprendre à cause du tintamarre provoqué par la taupe boum-boum. Elle voulut faire pivoter sa monture et galoper à la rescousse du soldat à terre, mais au dernier moment, quelque chose empêcha sa main de tirer sur les rênes. Une sorte d’instinct de survie qui lui hurla aux oreilles :

 

Il est trop tard pour lui !

 

Pendant un moment, la sergente Lescuyer espéra entendre quelque chose comme « je suis fichu, sauvez votre peau, je meurs pour Vereinbarung ! », ou quelque autre dernière parole héroïque. Hélas, il n’en fut rien. Elle ne décela aucune détermination à mourir dans les yeux du petit Skaven, seulement une terreur irrésistible, mêlée à un sentiment d’abandon et de colère. Quand elle perçut à nouveau ses gémissements désespérés et rageurs, elle comprit qu’elle se remémorerait cette scène aussi clairement la nuit suivante que toutes les autres à venir.

 

Enfin, la taupe boum-boum remplit complètement ses fonctions, et explosa. C’était fatal, l’un des débris emporta la moitié du crâne du Skaven. Puis, l’édifice s’effondra dans un roulement tonitruant.

 

La muraille sud était désormais crevée d’un trou béant, par lequel pouvait facilement passer le reste du bataillon de la sergente. Il ne fallait surtout pas laisser le moindre répit aux Bretonniens. La sergente Lescuyer reprit sa corne, souffla dedans, puis brandit son épée.

 

-         Chargez !

 

Le régiment se rassembla derrière la sergente. Humains et Skavens levèrent armes et boucliers, et coururent vers la brèche avec des cris de défi. Lescuyer talonna son cheval, franchit la muraille écroulée, et pointa de sa lame l’escalier.

 

-         Les remparts ! Montons jusqu’aux remparts !

 

De son côté, Himmelstoss était déjà à l’intérieur de la cour. Accompagné par son propre groupe d’hommes d’armes, du haut de son cheval, il frappait à tour de bras les guerriers Humains qui portaient les couleurs de la Bretonnie sur leurs vêtements. Comme il s’y attendait, les habitants de Pourseille étaient bien là, mais ne voulaient pas se battre. Certains, poussés par les Bretonniens, combattaient symboliquement en agitant mollement leurs armes, mais ils les jetaient bien vite à l’approche des guerriers envoyés par Steinerburg.

 

Il jeta un bref coup d’œil en hauteur, vers le mur d’en face. La sergente Lescuyer, descendue de son destrier, montait les marches menant aux remparts. Par bonheur, les marches n’avaient pas été emportées dans l’explosion. Grâce au travail de repérage de Gilgalad Boucledor, l’état-major avait déterminé l’endroit idéal où utiliser les taupes boum-boum.

 

La sergente continuait son ascension, son écu criblé de carreaux d’arbalète. Elle invoquait sans relâche Jeanne de Lyonesse, tout en dégageant le chemin jusqu’au grand treuil. Les assaillants tombaient sur son passage, d’autres étaient contraints de reculer, surpris de voir autant de combativité chez une femme – les Bretonniens étaient bien plus fermés que les habitants de Vereinbarung concernant les rapports entre l’armée et les femmes. Les soldats qui suivaient la sergente, motivés, gardaient le bouclier bien haut. Bientôt, les arbalétriers finirent par se retrouver débordés.

 

Et, régulièrement, la lourde herse craquait et tremblait sous les assauts répétés du bélier.

 

Guillaume de Lombard sentait son sang se rafraîchir de plus en plus désagréablement. Peu à peu, la situation glissait en sa défaveur. Bientôt, il ne fut plus que le dernier obstacle entre le treuil d’ouverture de la herse et les envahisseurs. Il voulut cependant terminer la bataille avec panache. À la vue de la sergente Lescuyer, il dégaina son arme, et la brandit.

 

-         La Dame du Lac anime mon bras ! Venez vous battre !

 

La sergente s’arrêta, et leva son épée à la verticale.

 

-         Arrêtez tous ! Laissez-moi ce chevalier, et occupez-vous des gardes !

 

Humains et Skavens obéirent. La grande femme se retrouva seule face au porte-étendard. Celui-ci avança, les deux mains serrées sur le pommeau de sa grande épée.

 

-         Je vais te faire regretter d’avoir quitté ta cuisine, femme !

-         Quelle galanterie ! ironisa Lescuyer. Auriez-vous eu de telles paroles envers Jeanne de Lyonesse ?

-         Tu n’es pas Jeanne de Lyonesse ! rétorqua Lombard.

 

Le grand homme blond bondit en avant avec un cri de rage. L’épée siffla, et ricocha sur le bouclier de la sergente. La femme brune fut surprise par le déferlement de sauvagerie de son adversaire. Lombard frappait sans discontinuer, alors que Lescuyer parait et évitait les coups. Elle cherchait une ouverture, mais tâchait surtout de retenir son souffle.

 

Beaucoup d’oreilles attentives sont émerveillées par les récits de combats incroyables où les duellistes virevoltent gracieusement comme des oiseaux se livrant à une parade aérienne, avec la mort pour issue. Mais ces récits n’insistent pas sur la dure réalité du poids de l’équipement. Une armure comme celle portée par les chevaliers Bretonniens ne permet pas de tels ballets. Il n’y avait aucune grâce dans les gestes de l’un ni de l’autre.

 

Finalement, Lombard voulut balayer les jambes de Lescuyer, mais au dernier moment, il pivota sur lui-même en relevant sa lame, et l’abattit de toutes ses forces de haut en bas. La sergente n’eut que le temps de relever son bouclier. Le choc fut si violent que la jeune femme ressentit une vive douleur au bras gauche. Elle eut les larmes aux yeux quand elle imagina les os fracturés par la violence du coup. Mais elle grimaça un sourire, car sa ruse avait réussi.

 

Lombard se retrouva haletant, moitié galvanisé par cette demi-victoire, moitié à bout de souffle. Peut-être avait-elle gagné une seconde ou deux de répit. Suffisamment pour ce qu’elle comptait faire. Elle bondit en avant, et écrasa le pommeau de son épée sur le casque de Lombard. Le Bretonnien glapit, ses tympans meurtris par le bruit du métal. Lescuyer enchaîna avec une deuxième frappe du pommeau, cette fois juste dans la gorge exposée. Lombard gargouilla, se heurta à un créneau, et laissa tomber son épée par-dessus, le souffle coupé.

 

Mahaut Lescuyer fut tentée d’enfoncer sa lame dans le dos du Bretonnien, mais elle préféra se contenter de réduire son adversaire à l’impuissance. Elle attrapa Lombard par l’épaule, le tira vers elle, puis lui enfonça son genou dans le ventre, et le repoussa sur le côté. Le porte-étendard roula quelques yards sur le plancher, et ne bougea plus.

 

Elle baissa les yeux, et essaya de relever le bras. Hélas, pas moyen, son membre était bel et bien mutilé. Furieuse, elle décrocha son bouclier, et trottina jusqu’au treuil. Elle s’arrêta devant le gros volant de bois renforcé, s’adossa sur l’un des bras, et poussa de tout son poids.

 

 

Okapia hennit avec inquiétude. Même si la menace des arbalétriers s’était pratiquement tue grâce aux efforts de la sergente Lescuyer et sa suite, la situation restait au point mort du côté de la porte principale. Sigmund rechargea tant bien que mal son pistolet à répétition.

 

-         Allez, ma belle, tiens bon ! Courage, soldats de Vereinbarung ! Vous y êtes presque !

 

Les combattants massés devant la herse continuaient à la frapper à coups de bélier. C’est alors que la lourde grille garnie de piques s’ébranla, et commença lentement à remonter.

 

Merde ! Nos coups ont déformé la herse, j’espère qu’elle ne va pas rester coincée !

 

Il soupira de soulagement quand il vit la lourde protection de bois ferré bouger lentement mais sûrement, suffisamment pour laisser passer un cavalier. Son oreille pivota quand il entendit un soldat demander :

 

-         Capitaine, on prend le risque ?

 

Si le crochet de sécurité du treuil n’était pas mis en place, la herse pouvait retomber, et enfermer les soldats à l’intérieur. Pire, elle pouvait écraser quelqu’un. Mais d’un autre côté, jugea Sigmund, ils avaient bien assez perdu de temps, et les autres à l’intérieur avaient sans doute besoin de leur aide.

 

-         On prend le risque, Soldat ! En avant, chargez !

 

En un tournemain, le Skaven Noir rangea son pistolet, sortit son épée Cœur de Licorne, et poussa Okapia vers l’entrée. Les soldats de Vereinbarung abandonnèrent le bélier à sa suite.

 

Himmelstoss luttait avec acharnement. Un groupe entier de Bretonniens se jeta sur lui. Il repoussa le premier de sa lance, mais un autre planta sa hallebarde dans la tête de son cheval. Le destrier s’effondra aussitôt. Le Skaven Noir eut le réflexe de faire un immense bond sur l’homme qui n’eut pas le temps d’arracher son arme du corps de la bête.

 

-         Maximus !

 

Le Skaven Noir repéra sur sa gauche un visage familier : Pankraz Ickert. Celui-ci courut dans sa direction. À la vue de son camarade de la Garde Noire, Himmelstoss comprit que le bataillon du capitaine Steiner avait percé les défenses du château de Beyle. Il grogna de joie, montra du bout de sa lance la caserne, et cria derrière lui :

 

-         On y va !

 

Les deux frères d’armes se précipitèrent vers le bâtiment, suivis par une vingtaine de combattants de Vereinbarung. Tous poussèrent des cris de défi. Les invocations à Sigmar, Ulric et Myrmidia fusèrent avec les coups. Rien ne diminuait l’ardeur des soldats du Prince Steiner, aucun obstacle ne ralentit leur progression jusqu’à la caserne. Les Bretonniens se défendaient farouchement, mais furent bientôt débordés sous le nombre.

 

Les deux Gardes Noirs en tête du bataillon franchirent les portes de la caserne et s’aventurèrent à l’intérieur. Au passage, Himmelstoss aperçut à travers une porte qui conduisait à une petite pièce dépourvue de fenêtre plusieurs râteliers. Des épées, des marteaux, des masses, des haches de combat étaient rassemblés sur les crochets. Le Skaven Noir garda en tête cette information, alors que le groupe atteignit l’escalier vers le sous-sol.

 

Les Skavens de Pourseille étaient serrés les uns contre les autres, silencieux, mais tremblant de peur. Ils ne pouvaient rien voir, mais ils distinguaient les bruits furieux de la bataille qui se déroulait au-dessus d’eux. La vue des deux Gardes Noirs et leurs compagnons réinsuffla la vie dans leur cœur.

 

Himmelstoss ordonna :

 

-         Ouvrez-moi ces cages, les gars !

 

Les barreaux étaient suffisamment solides pour résister aux tentatives d’évasion de personnes enfermées à l’intérieur, mais il en était autrement face aux lourdes armes des soldats de Vereinbarung. Les serrures cédèrent l’une après l’autre, et bientôt, toutes les cages furent ouvertes. Les villageois de Pourseille s’empressèrent de sortir. Himmelstoss leva la main.

 

-         Bonnes gens de Vereinbarung, vous êtes libres ! À présent, tous ceux qui ont un mari, une épouse ou au moins un enfant, regroupez-vous près du Soldat Ickert ici présent. Vous allez tous sortir du château et vous mettre à l’abri, pas question de vous faire prendre des risques ! Portez les plus jeunes enfants ! Laissez vos parents Humains vous suivre, ils s’enfuiront avec vous quand ils verront que les Bretonniens ne peuvent plus vous faire de mal. Tous les célibataires capables de tenir une arme, restez avec moi, nous allons ouvrir la voie au groupe d’Ickert, puis couvrir leur fuite ! Venez, il y a une petite armurerie dans ce bâtiment.

 

Ickert entendit alors quelqu’un l’appeler. Tout au fond du couloir, il y avait une porte renforcée, avec une petite ouverture découpée dans sa partie supérieure. Le Skaven Noir fit signe à Himmelstoss.

 

-         Emmène-les tous à l’armurerie, je vais voir qui c’est, puis je vous rejoins !

 

Soldats et prisonniers remontèrent le long du couloir jusqu’à l’escalier, pendant qu’Ickert trotta dans la direction inverse. Le Skaven Noir approcha de la porte renforcée, et reconnut à travers l’ouverture le visage de l’aumônier de la famille princière, qu’il avait déjà eu l’occasion de voir une fois ou deux.

 

-         Hé, vous êtes le Prieur Romulus, n’est-ce pas ?

-         Oui, c’est moi !

-         Je suis Pankraz Ickert, de la Garde Noire. Nous sommes tous venus avec le Capitaine Steiner !

-         Oh, Sigmund est avec vous ?

-         Affirmatif, Prieur ! Attendez, je vais ouvrir cette porte !

-         Vous avez la clef ?

-         Non, mais j’ai mes muscles. Reculez !

 

Le prieur obéit, et s’éloigna de la porte. Ickert prit son élan, et se jeta contre le bois renforcé. Malheureusement, la lourde porte était encore plus résistante qu’elle ne paraissait déjà. Il tenta plusieurs fois de l’enfoncer, il ne parvint qu’à se meurtrir l’épaule.

 

-         Allons, Soldat, cette porte est trop solide. Ne gaspillez pas votre énergie, et occupez-vous des citoyens, vous leur serez plus utile.

-         Mais… Prieur, je ne peux pas vous laisser là-dedans !

-         Ne vous en faites pas pour moi et retournez aider les autres, mon jeune ami ! Vous me sortirez de là plus tard !

-         D’accord !

 

 

Sigmund et les autres se rapprochaient peu à peu de leur objectif final : la porte du donjon. Le capitaine de la Garde Noire ne retenait pas ses coups face aux Bretonniens, comme s’il collait sur le dos de chacun d’eux une part de responsabilité dans le meurtre de son père. Les paysans Humains de Pourseille n’attaquaient que très symboliquement. Soudain, l’un d’eux s’immobilisa, et montra du doigt quelque chose. Sans le quitter des yeux, Sigmund recula et tourna la tête. Il vit alors un spectacle qui lui réchauffa le cœur.

 

Tous les Skavens prisonniers étaient entourés par les soldats menés par Ickert et Himmelstoss. À leur vue, les habitants de Pourseille changeaient rapidement d’attitude : ils laissaient aussitôt tomber leurs fourches, bâtons, hachettes et autres armes improvisées, larmes aux yeux, et se précipitaient vers les captifs pour les serrer dans leurs bras. Ceux qui n’avaient pas adopté de Skaven reportèrent leurs assauts sur les Bretonniens, aussi bien pour couvrir leurs camarades que pour se venger de leurs geôliers. Les combattants de Vereinbarung repoussaient les Bretonniens et protégeaient les paysans, Humains et Skavens. La masse compacte se mut vers la brèche ouverte par la taupe boum-boum. Sigmund leva les bras de triomphe.

 

-         Ouais ! Allez-y, échappez-vous ! On s’occupe du reste !

 

 

Guillaume de Lombard sentait une atroce douleur irradier dans son crâne et pulser au rythme du sang dans ses veines. Il ouvrit les yeux, et regarda rapidement autour de lui. Le bruit de la bataille faisait rage dans ses oreilles, mais il était maintenant seul, sans arme, au milieu des cadavres de ses gardes, et des intrus. Il se releva avec difficulté, retira son casque bosselé et secoua la tête.

 

En bas, il pouvait voir les prisonniers prendre la fuite au milieu des paysans de Pourseille, que plus aucun moyen de pression n’obligeait à coopérer. Les intrus étaient à présent en train d’acculer les troupes de Vaucanson au pied du donjon, devant la porte principale.

 

-         Par la malepeste… Morbleu… Enfer et damnation…

 

Le porte-étendard repéra la petite porte dérobée qui conduisait à la salle du trône par un chemin annexe. Il dut mobiliser le peu de forces qui lui restait pour poser un pied devant l’autre, jusqu’à la porte. Il dut s’appuyer contre les murs pour atteindre l’escalier central en colimaçon. L’ascension fut une épreuve particulièrement pénible pour lui, son appréhension grandissait au fur et à mesure que la distance entre son lige et lui diminuait. Comment allait-il pouvoir annoncer à Horace de Vaucanson que la défaite était proche ?

 

 

En bas, dans la cour, les derniers Bretonniens étaient animés par l’énergie du désespoir. Rassemblés devant la grande double porte du donjon, armes levées, ils attendaient nerveusement une réaction. Les soldats de Vereinbarung étaient autour d’eux, et formaient un demi-cercle. Ils se rapprochaient lentement, le demi-cercle se resserra. Les regards se firent de plus en plus menaçants. Soudain, une voix puissante ordonna :

 

-         Arrêtez, tous !

 

Tout le monde fit silence. Les envahisseurs reculèrent, et s’écartèrent pour laisser passer un Skaven Noir, mieux équipé et plus impressionnant que les autres. Son pelage était ébouriffé, ses vêtements portaient quelques entailles, sa cape était en lambeaux et son épée sinusoïdale était rougie de sang. Ses yeux cuivrés étincelèrent sous son heaume. Il leva la main gauche, et articula posément :

 

-         Soldats, vous êtes fidèles à votre seigneur, ce que je peux comprendre. Vous voulez obéir aux ordres et le défendre jusqu’à la mort, c’est honorable, je ferais la même chose. Mais acceptez l’évidence : nous sommes en surnombre. Ceux qui ne sont pas avec vous sont trop blessés pour se battre à vos côtés, ou morts. Si vous résistez, nous vous exterminerons jusqu’au dernier. Il est encore temps d’éviter le pire pour vous ; je vous donne une chance de vous rendre. Une seule. Déposez les armes et laissez-nous passer, nous ne vous ferons aucun mal. En revanche, je tuerai toute personne qui fait preuve ne serait-ce que d’un iota de résistance.

 

Les Bretonniens, muets d’angoisse, ne répondirent pas, mais échangèrent des coups d’œil anxieux. L’un d’eux perdit la tête et se jeta sur Sigmund. Sa hallebarde siffla dans l’air. Sigmund bondit en avant, intercepta net l’arme en la saisissant fermement de la main gauche, et Cœur de Licorne déchira le jaque et le ventre du soldat en un éclair. L’homme cria de douleur alors que ses tripes s’étalèrent sur la terre battue. Il s’effondra dans son sang et ne bougea plus.

 

Sigmund arracha un fragment de sa cape, essuya la lame de gromril de son épée avec, et releva la tête vers les Bretonniens. Il demanda d’un ton neutre :

 

-         D’autres amateurs ?

 

Épouvantés, les soldats de Vaucanson jetèrent tous leurs armes comme un seul homme et s’écartèrent. Satisfait, le capitaine Steiner rangea son épée.

 

-         Bien. Himmelstoss, prenez une dizaine de volontaires, mettez ces messieurs dans un coin et gardez-les à l’œil. Les autres…

 

Mais quelques-uns des prisonniers Skavens restés aux côtés des combattants de Vereinbarung, impatients d’en découdre avec les dirigeants Bretonniens, franchirent les portes sans attendre et gravirent les escaliers avec des couinements et des sifflements furieux. Sigmund en fut surpris et indigné.

 

-         Hé, là ! Arrêtez, bande d’idiots !

 

En grognant cent malédictions, il se précipita à son tour dans le donjon, suivi par Ickert, Van Habron, et un groupe de guerriers.

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