Le Royaume des Rats

Chapitre 64 : L'autre face de la pièce

7087 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 23/09/2022 17:28

-         La bonne blague !

 

Kristofferson n’avait pas envie de rire. Les trois dernières heures avaient été une succession de mauvaises surprises, chacune pire que la précédente.

 

Sa première réaction en découvrant l’identité du traître fut la surprise. Mais elle s’atténua graduellement pendant le temps d’escorte jusqu’au plus profond cachot de la caserne. Tous les comportements de Brisingr Mainsûre lui étaient revenus en tête le long du chemin, et finalement la conclusion s’était imposée d’elle-même.

 

Frère Arcturus avait fait un détour par le temple de Sigmar, et était revenu avec des parchemins sacrés et de la cire. Le Sigmarite s’appliqua à disposer sur les murs de la cellule fermée les parchemins, afin d’empêcher les vents de magie de circuler entre les quatre cloisons.

 

L’aîné de la fratrie Steiner était allé rendre visite à Sigmund, toujours derrière les barreaux. Il lui avait expliqué en quelques mots le résultat de l’enquête, et l’arrestation du coupable. Le grand Skaven Noir avait félicité son frère, et lui avait demandé de transmettre son admiration à sa jumelle.

 

Enfin, quand il fut rentré à la maison, le Skaven brun avait reçu une très désagréable nouvelle. Son grand-père lui avait résumé le déroulement de la confrontation entre Bianka et Mainsûre, et la manière foudroyante dont la jeune fille-rate avait été brutalement frappée par la maladie.

 

Il s’était précipité jusqu’à la chambre de la Skaven blonde. Le prieur Romulus lui en avait tout de suite interdit l’accès. Plein de rage et vexé à l’idée de ne pas pouvoir être aux côtés de sa sœur à un tel moment, il avait quitté la maison et s’était réfugié à la Barbe de Taal, la taverne où il appréciait se rendre avec ses amis des Récoltes. En l’occurrence, Walter et Pol, qui l’avaient retrouvé, ainsi qu’Himmelstoss, Van Habron et Ickert, les trois Skavens Noirs.

 

Le sergent Pol Demmler se sentit indigné quand le capitaine de la garde de Steinerburg lui répéta les détails qu’il avait lui-même appris par le Prince.

 

-         Bianka, une intrigante ! Cet Elfe ne manque vraiment pas de culot !

-         S’il est bien un pantin de la Main Pourpre, il fera tout ce qu’il pourra pour nous diviser, avertit Klingmann. Alors il ne faut pas prendre au sérieux ce qu’il dit.

 

Il s’adressa aux Gardes Noirs.

 

-         C’est bien compris, vous autres ? Je connais Bianka Steiner depuis sa venue au monde, il est impossible, et j’insiste bien là-dessus, qu’elle ait un quelconque projet impliquant la fin de l’un ou l’autre des membres de sa famille. Tenez-le-vous pour dit !

 

Les trois Skavens Noirs acquiescèrent en silence. Le gros Pol essayait tant bien que mal de dérider son ami.

 

-         Ce n’est pas de ta faute, ni la sienne ! Rappelle-toi, quand tu étais au temple de Shallya, l’autre fois. Tes parents, tes frères et sœurs, les Jumeaux Gottlieb, Wally et moi, d’autres gars du régiment, tous ont voulu te voir, mais ils n’ont pas pu, y compris Bianka. Elle comprendra.

 

Kristofferson but quelques gorgées de sa bière, fâché contre lui-même.

 

-         J’aurais dû le voir venir. Toujours à se trouver dans des endroits où il ne devait pas être, et à se moquer des gens qui lui en faisaient la remarque… Tiens, je l’entends encore, quand il a embêté mon autre petite sœur : « le changement peut être salutaire ». Pour un type qui vénère le Dieu du Changement, c’est logique !

 

Walter n’osa rien répondre. La colère déformait le visage de son ami d’une façon très dérangeante.

 

-         Wally, je n’ai pas d’ordres à te donner, mais permets-moi de te donner un conseil.

-         Je t’écoute.

-         Veille à doubler la garde devant la cellule de Mainsûre. On ne sait jamais.

-         Doubler la garde ? C’est peut-être inapproprié, tu ne crois pas ?

-         Oui, tu as raison, c’est inapproprié. Triple-la. Et tâche de ne pas laisser Sigmund l’approcher, en aucune façon !

-         Tu crois vraiment qu’il serait assez con pour…

-         Je sais qu’il cassera en deux quiconque insulte gravement ou blesse Bianka, et ce quelles que soient les conséquences.

 

Le Skaven tacheté se tourna vers son gros subordonné.

 

-         Pol ? Va faire passer le message.

 

Pol se leva sans un mot, et quitta d’un pas rapide la taverne. Kristofferson se leva à son tour.

 

-         Je n’arriverai à rien à traîner ici. Je vais aller au temple de Shallya, et prier pour Bianka.

 

Et il se dirigea vers la sortie.

 

-         Attends !

 

Kristofferson se retourna. Son cœur se comprima quand il vit l’inquiétude qui tourmentait le visage du capitaine.

 

-         J’ai peur pour Bianka, moi aussi. Je te l’ai dit, elle est un peu comme ma sœur.

-         Oui, tu me l’as dit.

-         Je… je vais t’accompagner, mon ami.

 

Kristofferson sentit son museau se friper, mais il ne répondit rien. Il fit juste un geste vague pour encourager son camarade à le suivre.

 

Quelques dizaines de minutes plus tard, ils approchaient du bâtiment consacré à la Déesse de la Compassion.

 

-         Je me demande comment se déroule un procès dans lequel interviennent des inquisiteurs de Verena ?

-         Je ne sais pas si je suis pressé de le découvrir, Wally. D’un côté, j’aimerais autant que cette affaire soit réglée au plus vite, de l’autre, il y a de fortes chances qu’on passe « à la questionnette », toi et moi.

-         Ah oui ? Oh, je ne m’en ferais pas, à ta place. Qu’avons-nous à craindre ? Nous sommes innocents, et nous avons trouvé un suspect qui est bien parti pour être un coupable !

-         J’ai entendu dire qu’entre les mains d’un inquisiteur de Sigmar, tu es innocent ou coupable selon l’humeur de celui-ci.

-         Bon, mais peut-être que les Verenéens sont moins hargneux ? Enfin, ce qu’il faudrait, c’est… Tiens ?

-         Quoi donc ?

-         Regarde qui sort du temple !

 

Les deux Skavens venaient de reconnaître le sergent Marius Weller. L’Humain gardait un air sérieux, professionnel. Il n’était pas passé au temple pour lui, mais pour son travail. Il tendit le bras quand il vit son supérieur.

 

-         Ô Capitaine ! Mon Capitaine !

 

Il trotta jusqu’à se retrouver devant Klingmann.

 

-         Que se passe-t-il, Sergent ?

-         Eh bien, figurez-vous que nous avons reçu un… « tuyau anonyme ».

-         Ah oui ? Quel genre de tuyau ?

-         Une lettre qui a donné l’emplacement de la cachette de l’arme du crime commis sur la personne du Maître Mage !

 

Le sang de Kristofferson ne fit qu’un tour. Il s’avança, et dut se retenir de prendre le sergent à bras-le-corps.

 

-         Quoi ? Qu’est-ce que vous avez trouvé ?

-         Ceci, Messire Kristofferson. Attention, n’y touchez pas !

 

L’Humain sortit de sa sacoche une petite bouteille de verre épais. Une étiquette collée dessus représentait un crâne. Le liquide à l’intérieur était rouge sombre, presque brun.

 

-         J’ai demandé à une des prêtresses qui concoctent les médicaments de me nommer ce liquide. Elle est catégorique : c’est du sang de Jabberwocky !

-         Pensez-vous que ce soit la même bouteille qui a… servi ce soir-là ?

-         C’est ce que dit le dénonciateur. Il a donné le nom de la personne qui réside dans la chambre où elle était cachée.

 

Le capitaine Klingmann serra les dents, et s’impatienta.

 

-         Pouvez-vous me dire vous avez trouvé cette pièce à conviction, Sergent ?

-         Oui, mon Capitaine. Enfin, je…

-         Qui ?

 

Le sergent était visiblement mal à l’aise. Une lettre virevolta entre ses doigts.

 

-         Voyez vous-même, mon Capitaine.

 

Le Skaven tacheté saisit le papier et le montra à Kristofferson. Le jeune Steiner parcourut rapidement les premières lignes.

 

-         Hum… C’est un poème plutôt bien composé. Encore une fois, nous avons l’œuvre d’un auteur artistique et cultivé.

-         L’écriture ressemble à celle de la liste de l’Autre Strygos. Il faudra revérifier, mais ça peut être encore celle de Mainsûre.

 

Kristofferson arriva à la fin du texte. Son visage s’effondra à vue d’œil.

 

-         Non… Ce n’est pas vrai…

-         Kit…

 

Le Skaven brun releva la tête vers le sergent.

 

-         Et vous avez trouvé cette fiole dans sa chambre ?

-         Affirmatif, Messire Kristofferson.

 

L’aîné de la fratrie Steiner grimaça de douleur.

 

-         Pas lui !

 

Il tituba jusqu’à un banc, se laissa tomber sur les planches de bois, se prit la tête à deux mains, et ne bougea plus. Le capitaine Klingmann s’approcha du sergent.

 

-         Bien entendu, vous n’avez aucun moyen de découvrir qui a laissé ce mot ?

-         Négatif, mon Capitaine.

-         Pas de témoin, rien d’inhabituel ?

-         Un coursier l’a déposé à la caserne, comme vous n’étiez pas là, le lieutenant Fischer l’a lu, et m’a ordonné de venir ici, et d’arrêter le résident de la chambre si le poison était bien caché dedans.

 

Walter soupira de lassitude. Il ne put s’empêcher de murmurer :

 

-         J’en ai marre. J’en ai marre de ces putains de sectaires.

 

L’Humain moustachu jeta un petit coup d’œil par-dessus l’épaule du Skaven tacheté. Il tâcha de rester de marbre, malgré la compassion.

 

-         Capitaine, je comprendrais que vous ayez du mal à appréhender cette personne, si proche de Maître Kristofferson, et peut-être de vous. Vous voulez que je procède à l’arrestation ?

 

Le capitaine eut une moue de dégoût.

 

-         Faites. Prenez deux soldats avec vous et faites votre devoir.

-         À vos ordres, mon Capitaine.

-         Allez-y mollo, il ne devrait pas se rebiffer. Enfin, restez sur vos gardes.

-         Je ferai attention, mon Capitaine.

-         Vous n’êtes pas obligé d’en parler autour de vous, Sergent.

-         Je sais quand parler et quand me taire, mon Capitaine.

-         Je vous accorderai une prime. Gardez ça pour vous aussi.

-         Merci, mon Capitaine.

 

Weller salua et disparut à la vue des deux hommes-rats.

 

*

 

Tout n’était qu’un flou immense. Les couleurs se mélangeaient, les sons étaient recouverts par un bourdonnement, comme si ses oreilles étaient remplies d’eau. Et sa chair était secouée de frissons nerveux.

 

De temps en temps, elle sentait un chatouillement sur un endroit ou un autre de son corps. Elle entendait vaguement la voix de sa mère, à laquelle répondait une autre voix féminine qu’elle pensait reconnaître.

 

Vint enfin le moment où elle se sentait suffisamment lucide. Le monde ne tournait plus autour d’elle de manière vertigineuse. Quand elle entendit au loin la cloche du temple de Verena sonner huit coups, elle comprit qu’il était temps de revenir parmi les vivants. Elle ouvrit les yeux, et tenta de regarder autour d’elle.

 

La première chose qu’elle distingua à peu près clairement fut une tache rousse par-dessus une tache blanche. Deux signes qui caractérisaient une personne en particulier.

 

-         Sœur… Judy ?

-         Ah, vous voilà de retour ! constata la prêtresse.

 

Bianka cligna des yeux plusieurs fois. Elle se tâta péniblement, et constata qu’elle était nue sous la couverture de laine. Plus inquiétant, sa fourrure avait été rasée sur certaines parties de son corps, notamment au niveau des épaules et sur la poitrine, et on avait recouvert les zones de peau ainsi exposées avec des emplâtres.

 

Comme sa vision se faisait plus claire, la jeune Skaven blonde réalisa qu’elle était dans sa propre chambre. Dehors, le soleil finissait de se coucher. La prêtresse s’était déplacée en urgence avec toutes ses décoctions.

 

-         Vous ne m’avez pas emmenée au temple ?

-         Moins on vous déplaçait, mieux c’était pour tout le monde. En plus, ici, vous serez plus isolée que dans le dortoir.

-         Cela fait combien de temps que je suis là ?

-         Trois heures.

 

À présent, la jeune fille-rate pouvait de nouveau distinguer les détails de ce qui l’entourait. Elle remarqua quelque chose qu’elle n’avait jamais eu l’occasion de voir : la rune que sœur Judy portait sur la joue gauche scintillait doucement d’une lumière bleutée.

 

-         Ce que j’avais entendu est bien vrai, vous avez été bénie par Shallya.

-         Vous parlez de ma rune ? Il paraît qu’elle a un petit effet bénéfique sur mes patients.

-         Votre nouvelle patiente confirme. En parlant de ça… qu’est-ce qui m’arrive, ma Soeur ?

 

Sœur Judy prit son inspiration, et annonça d’un ton mi-professoral, mi-rassurant :

 

-         Le pire est passé, et vous allez vous en tirer, autant que vous sachiez précisément ce que c’est : vous avez contracté la variole verte, Bianka.

-         Oh, Shallya !

-         Vous pouvez la remercier, en effet ! Elle vous a donné une constitution suffisamment robuste pour vous permettre de résister à ce terrible fléau.

-         J’ai surtout eu la chance d’avoir une experte dans les sciences du traitement des maladies à proximité.

-         Je reconnais que c’a un peu joué en votre faveur. J’ai pu très rapidement m’occuper des bubons.

-         Des bubons ?

-         Vous n’avez pas dû les remarquer à cause de votre fourrure. Mais n’éprouviez-vous pas des démangeaisons ?

-         Pas que je me souvienne.

-         Alors, ces pustules sont arrivées au moment où vous avez eu cette crise, vraisemblablement. Ou bien, vous n’avez rien senti parce que votre esprit a été trop occupé par de graves questions, ces derniers jours. Les maladies sont sournoises, elles attaquent volontiers le corps quand l’esprit est soumis à de rudes épreuves. Quoi qu’il en soit, vous m’excuserez de vous avoir traitée franchement. J’ai dû vous raccourcir le pelage pour retirer les bubons et désinfecter la chair. Vous avez eu beaucoup de chance de ce côté-là, aussi. Une fois que la fourrure aura repoussé, il n’y aura pas de cicatrice visible. Le visage ou les mains auraient pu être atteints.

 

La jeune fille-rate essaya de se redresser en prenant appui sur ses coudes.

 

-         Il faut que tous ceux avec qui j’ai été en contact prennent des médicaments !

-         On y travaille. Déjà, votre famille n’a rien, c’est une chance. Dans le doute, je leur ai quand même donné quelques décoctions, histoire de renforcer leur organisme. J’ai prévenu le temple de Verena.

-         Comment j’ai été infectée, à votre avis ?

-         Plusieurs possibilités : vous avez traîné dans des endroits où l’hygiène laisse à désirer, vous avez été touchée par quelqu’un qui la portait, peut-être qu’on aurait glissé un aliment contaminé dans votre… oh. Je vous demande pardon, Bianka.

-         Non, laissez, ma Sœur. J’ai dû attraper une cochonnerie dans la Souricière. Entre les clochards, le bâtiment pourri de l’Autre Strygos, le Fier Sigmarite, les occasions n’ont pas manqué !

-         D’après ce que m’a dit votre grand-père, vous vous êtes démenée ces derniers jours. La justice va prendre le relais. Vous n’avez plus besoin de penser à tout ça. Au contraire, à partir de maintenant, et jusqu’à votre guérison, vous allez rester au lit et vous reposer. Du repos, du repos, c’est ce qu’il vous faut. Du potage, de la patience, et plus aucune prise de tête ! Je vous promets que tout ira bien.

 

La Skaven blonde eut un petit sourire.

 

-         Vous êtes un Ange, Sœur Judy.

 

La prêtresse haussa les épaules.

 

-         Vous faites régulièrement mon éloge auprès des futures mères que vous m’envoyez. Comme vous aimez à le rappeler, c’est moi qui ai aidé votre mère à vous mettre au monde. Vous ne pensez quand même pas que je vais laisser Morr vous emporter comme ça ?

 

Quelqu’un frappa à la porte. C’était Heike, qui tenait Isolde par la main. La petite se jeta sur le lit de sa sœur.

 

-         Bianka !

-         Attention, Isolde, il ne faut pas brutaliser ta sœur ! préconisa sœur Judy avec un soupçon de sévérité dans la voix.

 

La petite s’éloigna du lit, mais garda un air angoissé.

 

-         Est-ce que… tu vas mourir ?

-         Mais non, voyons ! répliqua la prêtresse. Elle est juste très malade, mais si elle prend bien ses médicaments et si elle se repose, ça devrait passer d’ici deux semaines.

-         Shallya vous bénisse, Sœur Judy, murmura Heike.

 

Puis elle s’adressa à la grande archiviste.

 

-         Gabriel n’a pas osé venir, mais il s’inquiète beaucoup pour toi.

-         Je le sais, ne t’en fais pas pour ça.

-         Il m’a demandé de te dire… enfin, tu comprends.

-         Oui, Mère, pas d’inquiétude.

 

Il n’était pas nécessaire de rappeler la peur aiguë qu’éprouvait le petit garçon-rat devant une personne malade.

 

La femme rousse rangea ses affaires, et laissa une petite bouteille sur la table de nuit.

 

-         Vous prendrez une gorgée de ceci chaque matin et chaque soir, cela aidera votre corps à chasser cette saleté. Je n’ai plus rien à faire ici, mes Dames, si vous le permettez, je vais rentrer au temple.

-         Je vous en prie, ma Sœur, mais auparavant, allez voir mon père dans son bureau, il vous donnera de l’argent pour le temple.

 

La prêtresse allait franchir la porte, quand la mère-rate ajouta :

 

-         Isolde, va donc accompagner Sœur Judy, je dois parler à ta sœur.

 

La petite fille-rate ne se fit pas prier, soucieuse d’être bien obéissante en ces temps difficiles. Une fois seule avec sa fille, Heike s’assit sur son lit.

 

-         Bianka, mon trésor, je suis tellement désolée !

-         Il n’y a pas de quoi, Mère. Ce serait plutôt à moi de l’être.

-         Tu as pris des risques énormes pour cette enquête ! Et Kristofferson aussi ! Mais pourquoi tu ne m’as rien dit ?

 

Bianka se mordit la lèvre.

 

-         Il ne fallait pas t’inquiéter davantage. Tu ne mérites pas tout ce qui arrive.

-         Toi non plus. Personne ne le mérite.

-         J’étais prête à prendre le risque pour arrêter ce criminel, et finalement, ça a marché.

 

Heike approcha, et serra Bianka contre sa poitrine.

 

-         Ma chérie, je suis tellement, tellement désolée ! Ton grand-père m’a raconté ce qui s’est passé dans la salle du Conseil. Comment Brisingr a pu te dire toutes ces choses effroyables ?

-         Cet Elfe de malheur… un sectaire de Tzeentch, il s’y connaît en duplicité et en manipulation, tu penses. Enfin, il est à sa place, maintenant. Derrière les barreaux !

 

La mère-rate se releva, et fit quelques pas dans la chambre.

 

-         Je ne sais pas quoi en penser. D’un côté, je suis très fière de toi, car ton audace et ton intelligence va permettre à la Justice de punir les méchants. De l’autre, je n’aime pas tellement que tu te sois mise ainsi en danger !

-         J’ai voulu montrer ce dont je suis capable, Mère. Kristofferson et Sigmund ont participé à des Récoltes, ils se sont battus contre les Orques et les Skavens Sauvages, je ne veux pas être la potiche qui se contente d’encourager les hommes virils sans quitter sa cuisine ! Je suis capable de m’investir sur le terrain, moi aussi !

-         C’est vrai, tu es capable.

 

Heike prit place dans un fauteuil.

 

-         Moi aussi, de temps en temps, je me dis que j’aimerais faire plus.

-         Tu en fais déjà beaucoup ! rétorqua la Skaven blonde. Tu es notre inspiration, à tous ! Père n’est plus là. Toi, tu l’es encore. C’est pour toi que je me bats. Pour toi, pour Gab, pour Soso, pour Opa, et pour l’enfant que tu portes. Je me fiche d’être une Grande Archiviste ou pas, tant que tu es là pour m’inspirer et me rassurer.

 

Heike rapprocha le fauteuil, et caressa la tête de sa fille, avec douceur. Bianka voulut aborder un autre sujet délicat :

 

-         Mère… toi et Opa… avez-vous des projets de mariage pour moi ?

-         Non, répondit sa mère avec un sourire rassurant. La seule personne qui t’épousera sera celle qui te rendra sincèrement heureuse. Aucune loi, aucun protocole ne surpassera cette règle. Jamais.

 

Le plancher du parquet du couloir craqua sous le pas d’un visiteur qui frappa à la porte des appartements de Bianka. C’était le prieur Romulus. Il traversa le bureau et entra dans la chambre à coucher.

 

-         Mon enfant, comment te sens-tu ?

-         J’ai connu mieux, Prieur.

 

L’Humain s’adressa à la Skaven crème.

 

-         Votre père m’a chargé de vous prévenir que c’était l’heure de souper, Heike. Moi-même, je vais me retirer au temple.

-         J’y vais. Bianka, je demanderai à Magdalena de t’apporter un bol de soupe et une poire.

 

La mère prit congé. Romulus resta seul avec la patiente. Il regarda le petit flacon posé près du lit.

 

-         Je vois à quoi sert ce médicament. C’est bien la variole verte ?

-         Oui, mais vous connaissez Sœur Judy, la terreur des maladies.

 

Le prieur fit quelques pas de long en large dans la chambre.

 

-         J’avoue que je n’y croyais qu’à moitié, mais je dois reconnaître que ton travail d’investigation a donné des résultats plutôt impressionnants.

-         Vous verrez que je suis pleine de surprises.

 

L’Humain s’arrêta, et regarda la jeune fille-rate d’un air plus sévère.

 

-         Ne fais pas preuve d’une telle insouciance, je te prie. Tu as pris des risques vraiment très élevées pour ça. Tu aurais pu te faire capturer, et être réduite à la condition de prostituée du Fier Sigmarite.

 

Bianka sentit ses oreilles se rabattre. Vexée, elle rétorqua :

 

-         Les ennuis n’ont pas attendu la permission de mes parents pour venir. Je me suis défendue, et je me suis battue comme l’auraient fait Sigmund et Kristofferson.

-         Ta place n’est pas au milieu de la bagarre, Bianka ! Tu es une Verenéenne, pas une Sigmarite, et tu n’as pas à risquer ta vie face à des voyous de la Souricière.

-         Les Verenéens ont leur propre corps d’armée, Prieur. Vous n’allez pas me dire le contraire, n’est-ce pas ? Et je ne parle pas des prêtresses de Myrmidia. Et si vous faites allusion à l’Horreur de Tzeentch, je n’allais quand même pas laisser cette chose me dévorer vivante pour respecter les convenances !

-         Et la prochaine fois, ce sera le poison, le couteau sous la gorge ou la maladie qui te terrassera ?

 

Bianka éprouva alors une sensation plutôt désagréable, comme un picotement dans le dos.

 

-         Autant je comprends devoir me justifier auprès de ma mère, autant vous n’êtes pas une personne habilitée à me dicter ma conduite !

-         Je suis l’aumônier, je suis le conseiller de ton grand-père, j’ai toujours été aux côtés de tes parents et de leurs enfants. Aussi, quand j’apprends qu’une jeune fille appliquée à laquelle je tiens beaucoup vadrouille dans la Souricière, je m’inquiète.

-         Et vous avez attendu que je sois malade au lit pour me faire une leçon de morale ? c’est mesquin de votre part, Prieur.

-         Un peu de décence, veux-tu ? Tu t’en tires très bien, compte tenu de ce que nous affrontons. Je suis venu te demander de ne plus rien faire jusqu’à ta guérison complète. Ta mère a suffisamment de raisons d’avoir peur et d’être triste sans que tu en rajoutes.

 

Bianka resta muette, mais le regard mêlant suspicion et colère qu’elle braqua sur le prêtre était plus éloquent que mille mots.

 

Un bruit attira alors l’attention des deux occupants de la chambre. Quelqu’un frappait à la porte des quartiers de la grande archiviste.

 

-         Dame Bianka ? C’est le Sergent Weller.

 

La jeune fille-rate fut heureuse d’entendre la voix du jeune sergent Humain, plutôt que celle d’un autre. Non seulement il était efficace, professionnel, et droit, comme l’avait décrit Walter, mais en plus, il faisait preuve d’une courtoisie peu commune par rapport aux brutes qui composaient habituellement les armées.

 

-         Entrez donc, Sergent !

 

L’Humain était accompagné de deux soldats. Il marcha jusqu’à l’encadrement de la porte de la chambre, mais il détourna ostensiblement le regard.

 

-         Eh bien, approchez, Sergent !

-         C’est que…

-         Il n’y a plus de risque de contagion, tant que vous ne restez pas trop près trop longtemps, expliqua le prieur Romulus.

 

L’Humain se mit à bredouiller.

 

-         Dame Bianka… je m’en voudrais… de me présenter devant vous alors que vous n’êtes pas…

-         Laissez, Sergent, rétorqua la jeune fille-rate avec un soupir agacé. Au point où j’en suis…

 

Bianka réalisa qu’elle se montrait une fois de plus un peu trop hautaine, de surcroît face à un militaire inhabituellement sympathique et respectueux. Son cœur se serra. Elle voulut corriger le tir.

 

-         Votre gentilhommerie vous honore, Sergent, mais vous n’avez pas à vous en faire. Je suis sous une couverture, et j’imagine que vous ne seriez pas là si ce n’était pas une urgence. Entrez sans gêne, je vous prie.

 

Le sergent fit un geste pour intimer aux deux autres de rester en arrière.

 

-         J’ai de la peine pour votre frère, Grande Archiviste, il est très inquiet à votre sujet.

-         Vous lui direz qu’il n’a pas à s’en faire quand vous le reverrez. Il peut même venir me voir quelques instants.

-         Je lui répéterai. En attendant, j’ai quelque chose à vous dire, et ce n’est pas très agréable à entendre.

 

La grande archiviste soupira de lassitude.

 

-         Allons bon… Qu’est-ce que je vais apprendre, encore ?

-         Dois-je me retirer, Sergent ? demanda l’aumônier.

-         Non, Prieur, j’aime autant que vous restiez près de la patiente.

 

Le sergent Weller se frotta la moustache.

 

-         Il y a un peu plus de deux heures, j’ai reçu une lettre. Celle-ci n’était pas signée, bien entendu, mais on tâchera de faire comparer les écritures avec les documents concernant cette sinistre affaire que nous avons déjà en notre possession. Sire Kristofferson pense que c’est la même écriture que les textes avec lesquels vous avez prouvé la culpabilité de Mainsûre.

-         D’accord… Et que raconte cette nouvelle missive ?

-         En fait, Grande Archiviste, il s’agit d’un poème. Je ne l’ai pas appris par cœur, je ne saurais pas vous le réciter mot pour mot, et le Capitaine Klingmann l’a gardé. Mais je peux vous dire que l’auteur y faisait allusion à une pièce. La chute de Vereinbarung sera provoquée par une simple pièce d’une pistole d’argent, avec deux faces. D’après ce poème, Maître Mainsûre est l’une des deux faces de cette pièce. Nous savons à présent qu’il a accompli sa finalité le jour où le Maître Mage… enfin, je ce terrible jour.

 

Le sergent Weller ne voulut pas rappeler cette tragédie avec trop de désinvolture en présence de Bianka. Le prieur se fit plus nerveux.

 

-         D’accord, où voulez-vous en venir, Sergent ?

-         Le poème parle ensuite de l’autre face de la pièce. Et donc, une autre personne complice de Maître Mainsûre. Les vers nous ont dirigés vers ce que nous cherchions. Nous avons trouvé l’arme du crime dans la chambre de la personne désignée par cette dénonciation poétique. En l’occurrence, du sang de Jabberwocky, la substance fatale.

 

Bianka sentait la sueur inonder l’intégralité de son pelage. Elle frémit, mais eut l’énergie de demander :

 

-         Je vois… Et dans quelle chambre l’avez-vous trouvée ?

-         Celle du Prieur Romulus.

 

Le visage de Romulus se décomposa en quelques secondes.

 

-         Quoi ?!

-         Sur ordre du Capitaine Klingmann, vous êtes en état d’arrestation, Prieur. Je vous demanderai de me suivre sans faire d’histoire.

 

Le prieur tourna la tête vers Bianka. La conversation qui s’était conclue par les cris d’Heike résonna dans la tête de la grande archiviste.

 

-         C’est vrai, vous n’avez pas toujours été Shalléen… Vous êtes un criminel ! Au moins, vous l’avez été, Prieur !

 

Romulus vit le minois de la jeune fille se tordre de plus en plus sous l’effet d’une violente colère. Paniqué, il bredouilla fébrilement :

 

-         Bianka, c’est un malentendu ! Quelqu’un aura mis cette fiole dans ma cellule pour me faire inculper !

-         Ça ne change pas votre vécu ! Ma mère avait bien raison, vous nous avez entraînés dans une sale histoire qui a coûté la vie à mon père !

-         J’ai fait des choses dont je ne suis pas fier, il est vrai, mais je te jure sur le cœur saignant de Shallya que je n’ai pas tué Psody !

 

La colère de la jeune fille-rate doubla d’intensité quand elle comprit que l’Humain, au lieu de tout nier, venait d’admettre au moins partiellement ce qui lui avait été reproché.

 

-         Et c’est vous qui parliez de décence il y a deux minutes, espèce d’hypocrite ?

-         Je vous en prie, ne m’obligez pas à utiliser la violence, Prieur, insista Weller.

-         C’est un coup monté, mon enfant ! Je ne suis pas un agent de la Main Pourpre !

 

Mais la fièvre et la rage avaient ôté à la jeune fille toute possibilité de réfléchir calmement. Elle se redressa, la couverture glissa et dévoila ses épaules et sa poitrine nues. Furieuse, elle crissa avec les quelques forces qui lui restaient :

 

-         Vous étiez le meilleur ami de mon père ! Sale traître ! Hérétique ! Comment avez-vous pu lui faire ça ?

 

Le sergent Weller passa les menottes au prieur, et les deux hommes quittèrent la chambre. Bianka cria une dernière fois.

 

-         Soyez mille fois maudit, espèce de monstre ! Que Shallya vous renie ! Que Morr vous renie ! Que les Dieux sombres détruisent votre âme corrompue !

 

Mais elle ne put achever son invective, les sanglots ayant remplacé les mots.

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