Le Royaume des Rats
Quand il s’était réveillé après une nuit particulièrement difficile, Gabriel avait ouvert les volets, et avait presque crié de joie en voyant le soleil dans un ciel entièrement dépourvu de nuages. Il s’était débarbouillé puis habillé en chantant. Mais à peine avait-il vu sa sœur aînée dans le réfectoire, devant son petit déjeuner, que la réalité le renversa plus brutalement que la charge d’un sanglier.
Non, tous ces abominables souvenirs n’étaient pas le fruit de son imagination.
Les deux Humains qui l’avaient regardé, le Nain qui l’avait menacé, et puis son père, écume aux lèvres, roulant sur le tapis, l’interrogatoire de Klingmann…
Tout était réellement arrivé.
Et tout devait être accepté, bon gré mal gré.
La souffrance du petit garçon-rat était double. Non seulement il était bouleversé de tristesse, mais son cœur était également broyé par une impitoyable culpabilité.
Et si c’était bien sa prière qui avait été entendue, mais exaucée sur la mauvaise personne ?
Ou pire, et si ce n’était que le début ? Peut-être le Rat Cornu allait-il maintenant s’en prendre au petit Emil Finston ?
Ou alors, et c’était la chose la plus rationnelle, ce n’était qu’une funeste coïncidence ?
La voix de sa mère le tira aussitôt de ses pensées.
- Gabriel… mon chéri ?
Heike était sur le pas de la porte, Isolde dans ses bras.
- Ou… oui, Mère ?
- Nous allons vivre une journée très pénible, mais c’est nécessaire. Nous devons demander aux Dieux de prendre bien soin de ton père. Tu comprends ce que ça signifie ?
- Je comprends, Mère.
- Tes frères et ton grand-père sont déjà au temple de Morr.
- Le… le temple de…
Gabriel sentait déjà la terreur l’étreindre. Il détestait les lieux où l’on rassemblait les malades et les blessés, mais il craignait deux fois plus le bâtiment austère et le parc sinistre où étaient enterrés les morts.
- Je sais que c’est très difficile, mais je t’en prie, fais ça pour lui.
- Euh… Bien, Mère.
- Va mettre tes plus beaux habits, nous allons les y rejoindre. Et je te promets qu’on ne restera pas plus longtemps que nécessaire.
Le petit Skaven gris clair hocha la tête. Sa gorge était trop sèche et trop douloureuse pour lui permettre d’ajouter le moindre son.
Bianka demanda alors :
- Mère, je… ne comprends pas. Pourquoi le Temple de Morr ?
- Où veux-tu donc qu’on l’enterre ?
- Père ne vénérait pas Morr ! Il était fidèle au Rat Cornu !
La mère-rate soupira.
- Tu as raison, ma chérie. En fait, nous faisons cela pour Prospero Steiner, le Skaven Blanc devenu Humain grâce au Prince. Symboliquement, ce sera l’ultime preuve de son acceptation de la culture des Humains. Et, spirituellement… Ton père m’a expliqué un jour que les Skavens Blancs sont rapidement conduits devant le Rat Cornu quand ils meurent, précisément parce qu’ils sont ses élus. Peut-être que Psody a déjà été jugé… De toute façon, ça n’a pas d’importance. Ce sont ses amis Humains de corps ou de cœur qui vont lui rendre hommage, aujourd’hui.
- J’espère que Morr ne va pas se fâcher et le considérer comme un intrus.
- J’ai demandé à Frère Wenceslas de faire une prière spéciale en ce sens. Maintenant, va te préparer, nous partons.
*
Comme au sein des frontières de l’Empire de Karl Franz, la mort était considérée à Vereinbarung avec crainte et respect. Le Grand Temple de Morr de Vereinbarung reflétait parfaitement cet état d’esprit. Ce bâtiment de taille moyenne était déjà sur place quand les colons de Steiner avaient posé leurs bagages six ans plus tôt, solide et impitoyable autour des ruines qui l’entouraient alors. Depuis, tout le quartier avait été rénové, et était devenu le Quartier du Calice, mais l’édifice consacré au Dieu de la Mort n’avait pas eu besoin de grands travaux. Ses murs de pierre sombre étaient dépourvus de tout ornement. Seule une grande statue de Morr surplombait la grande porte d’entrée, sous les tuiles d’ardoise. Le visage de pierre glabre qui jaugeait sévèrement toute personne s’apprêtant à franchir le seuil était déjà un premier pas dans cette atmosphère mortuaire.
Derrière le temple s’étendait le principal cimetière de Vereinbarung. Le plus grand, le mieux entretenu, où les tombes et les caveaux les plus raffinés se côtoyaient. Certaines stèles étaient décorées d’impressionnantes statues à l’effigie d’anges ou de saintes personnes. Le cimetière était toutefois suffisamment étendu pour accueillir des défunts venus de milieux plus modestes. Il y avait même une fosse commune, dans le fond, à l’abri des regards.
Une grande foule était rassemblée devant le temple. Les plus importantes personnalités de Steinerburg attendaient devant les lourdes grilles. À l’approche du convoi familial, les voix se turent.
Deux carrosses firent halte devant le temple de Morr. Le premier était la voiture personnelle du Prince. Ses flancs étaient ornés du blason de Vereinbarung, ses portières et sa toiture étaient ceints de décorations de bronze en forme de feuilles et de branches. Mais pour cette occasion bien sombre, Steiner avait fait retirer les drapeaux fixés à l’arrière, et les deux chevaux qui avaient été choisis pour tracter le véhicule avaient le pelage noir.
Un silence pudique plana sur l’assemblée lorsque le Prince, sa fille et les deux enfants les plus jeunes de celle-ci descendirent du carrosse. Le petit-fils de Steiner, incapable d’affronter le regard de qui que ce soit, avait les yeux collés à ses orteils. Isolde pleurait déjà, accrochée à sa mère.
Kristofferson, Sigmund, Romulus et Bianka quittèrent la seconde calèche. Kristofferson remarqua qu’il y avait au moins autant de Skavens que d’Humains dans l’assemblée, sinon davantage. Il reconnut parmi eux un grand nombre de Récoltés, entre autres Walter et Pol, ainsi que les membres de la Garde Noire. À croire que tous les Skavens arrachés à l’Empire Souterrain avaient souhaité rendre un dernier hommage à leur sauveur. Cette vue lui réchauffa un peu le cœur.
Sigmund regretta de ne pas voir l’ambassadeur Eusebio Clarin, mais comment aurait-il eu le temps de faire le trajet ? La cérémonie funéraire avait été organisée bien vite. Peut-être même que le Prince Calderon n’était pas encore au courant ?
Sur le seuil de la construction religieuse attendait Frère Wenceslas, le Prieur de Morr attitré de Steinerburg. Le Prêtre était une parfaite illustration de tout ce qui qualifiait le Dieu de la Mort de l’Empire : grand, d’une maigreur maladive, froid comme une tombe, les yeux profondément enfoncés dans leurs orbites, le visage pâle et glabre figé dans une expression de gravité immuable, encadré par de longs cheveux tout aussi noirs qui toutefois ne couvraient pas le sommet de son crâne chauve. Quand Gabriel l’aperçut en levant brièvement le museau, il frissonna. La robe noire de l’homme d’église avait l’air d’absorber les couleurs tout autour de lui !
Le Prieur Romulus s’avança.
- La paix soit sur vous, Prieur Wenceslas.
Le grand homme austère passa sa main devant son visage, de haut en bas.
- Shallya allège votre cœur, Prieur Romulus, comme le cœur de vos amis.
Puis il se tourna vers le Prince.
- Votre Altesse, tout est prêt. Vous pourrez vous recueillir avec votre famille en toute intimité, avant de commencer la cérémonie.
- Merci, Frère Wenceslas, nous ne serons pas longs.
- Prenez le temps qu’il vous faudra, votre Majesté. Le peuple saura attendre.
Les Steiner se rassemblèrent, et pénétrèrent dans le temple. Quand la porte se ferma derrière eux, Gabriel avala sa salive. Ils traversèrent silencieusement la nef pour se rendre jusqu’à une petite porte sur le côté gauche. Tout le long du chemin, le petit garçon-rat se sentit écrasé par le regard accusateur des statues de bronze et de pierre. Le Prieur de Morr ouvrit la porte, et invita les Humains et les Skavens à entrer.
Cette pièce latérale était plutôt petite, mais mieux éclairée que tout le reste du temple. Il flottait un parfum d’encens et d’huiles, sans doute préférable à l’odeur âcre de charogne exhalée par les cadavres qui s’attardaient en ces lieux.
Au milieu de la pièce, posé sur des tréteaux de bois, un petit cercueil ouvert attendait les visiteurs. Gabriel crut encore qu’il était en plein cauchemar. Toute la pièce parut s’estomper autour du cercueil, qui restait le seul élément clairement visible, tandis qu’une sorte de plainte lointaine lui titillait les tympans.
Il sursauta quand il sentit les mains de sa grande sœur sur ses épaules. Bianka murmura à son oreille :
- Courage, Gab. Tu veux le voir ?
- Pas… tout de suite.
Le petit Skaven gris clair était déjà inondé de sueur. La jeune fille-rate avança seule. Elle se retrouva finalement suffisamment près de la boîte en bois ouvragé pour voir la dépouille de son père.
Elle sentit les larmes couler à flot, et crispa ses mains délicates sur sa bouche. Kristofferson et Sigmund s’empressèrent de l’entourer, chacun posa une main réconfortante sur son dos. Le Prieur Wenceslas, lui-même debout de l’autre côté du cercueil, avait le regard grave. Le Prieur Romulus restait à côté d’Heike et Isolde.
Bianka leva les yeux vers le prêtre, et bredouilla :
- Il… il a l’air… si… tranquille ?
- Le Prieur Romulus s’est occupé du corps lui-même, expliqua le Prieur Wenceslas. Je suis d’ailleurs surpris ; vous avez l’air de vous y connaître plus qu’un prêtre de Shallya ne saurait, Frère Romulus ?
- Avant de rallier le Royaume des Rats, j’étais Prêtre itinérant. J’ai dû apprendre à pratiquer cette discipline auprès de vos confrères de Middenheim, après la Tempête du Chaos. Ils étaient débordés, le temple de Shallya m’avait envoyé pour les aider.
- Hum… Je suppose, après une telle tragédie. Ça se tient.
Mais la jeune fille-rate blonde ne prêtait déjà plus attention à l’échange des deux hommes de religion. Le Prieur n’avait sans doute pas eu tant de travail à effectuer : le Skaven Blanc n’avait pas été brûlé, ou coupé en morceaux. Son poil impeccable, lissé, le rendait presque plus vivant qu’elle n’était alors. Il était magnifique dans ses vêtements de mage de Jade.
Elle contempla son père ainsi pendant quelques longues minutes, puis elle se détourna, suivie par Kristofferson.
Sigmund resta seul devant le corps allongé du Skaven Blanc. De grosses larmes glissèrent silencieusement sur ses pommettes.
J’aurais tellement aimé que tu répondes « oui » à ma question ! Et maintenant, comment faire ?
Il se raccrocha à cette pensée. En vérité, c’était la seule idée à peu près concrète que son cerveau parvenait à élaborer. Il ne resta pas bien longtemps devant le cercueil, et s’empressa de rejoindre Bianka. Les deux jumeaux pleurèrent dans les bras l’un l’autre.
Heike avança, Isolde blottie contre elle. Quand les deux femmes-rates se tinrent devant le cercueil, la petite éclata de plus belle en sanglots.
- Je t’en supplie, Shallya ! Père est gentil ! Père mérite d’aller dans son paradis ! Fais qu’il soit heureux pour toujours !
- Le Prieur Romulus va tout faire pour ça, ma chérie.
Elles aussi restèrent quelques minutes avant de reculer.
Enfin, Gabriel sentit que c’était sa dernière chance.
Il avala sa salive, approcha du cercueil à petits pas, très lentement. Au bout d’une longue demi-minute, il se retrouva face au cadavre du Skaven Blanc.
C’est ma faute. C’est ma faute. C’est ma faute c’est ma faute c’est ma faute c’est ma faute c’est ma…
Il tremblait comme une feuille. Il jeta un regard nerveux vers les autres membres de la famille. Ludwig Steiner l’encouragea d’un petit signe de tête. Le petit garçon-rat se pencha juste au-dessus de son père. Il murmura à son oreille dans un souffle :
- Je… tout ce que je voulais, c’était… que tu me regardes !
Cet aveu avait brûlé autant d’énergie que s’il avait dû courir un mile, et pourtant il avait parlé si faiblement que personne d’autre n’aurait pu l’entendre. Il lui restait quelque chose à dire. Il reprit son souffle, se pencha de nouveau vers la tête du Skaven Blanc, mais sa gorge resta nouée. Impossible de commencer sa phrase. Il fit un effort de concentration terrible et tenta encore de bredouiller :
- Je t’… je t’…
Peine perdue, rien d’autre ne sortit. En désespoir de cause, Gabriel se résolut à agir au lieu de parler. Il se dressa sur la pointe des pieds, courba son échine, et posa une petite bise sur le front du Skaven Blanc. Le contact de la fourrure blanche le fit frissonner. Il eut l’impression d’embrasser une statue de pierre laissée dehors en plein hiver. Cette sensation fut un choc, à tel point qu’il sentit ses propres lèvres se refroidir, comme si elles avaient définitivement laissé un peu de leur chaleur sur le front glacé du Skaven Blanc. Il n’y tint plus, et se précipita hors de la pièce.
Romulus soupira.
- Laissons-le. Il n’ira pas bien loin.
Le Prieur Wenceslas se tourna vers le reste de la fratrie.
- Maintenant, mes enfants, nous allons procéder au scellement du cercueil. Ensuite, je…
- Prieur, attendez ! gémit Heike.
- Quoi donc, mon enfant ?
La pauvre mère-rate regarda tour-à-tour le Prêtre de Shallya, puis son père, puis le Prêtre de Morr.
- Psody est mon seul et unique amour ! Accordez-moi quelques instants de plus avec lui, moi seule.
- C’est possible, ma Dame, mais il faudra bien fermer le cercueil.
- Je m’en occuperai, Frère Wenceslas, intervint Romulus.
- Vous, Frère Romulus ?
- Je suis capable de serrer quelques écrous, Frère Wenceslas. Et Prospero était mon meilleur ami, je tiens à lui rendre hommage, aussi. Laissons Dame Heike le temps qu’il faudra. Vous n’avez qu’à vous rendre à l’emplacement préparé au cimetière avec les enfants. Quand Heike m’appellera, j’appliquerai les derniers sacrements de Shallya, et je procéderai à la fermeture. Ensuite de quoi, j’appellerai vos clercs, ils pourront transporter le cercueil.
- C’est que… Bon, d’accord, Frère Romulus.
Le Prêtre de Shallya se tourna vers le Prince.
- Ludwig ?
Celui-ci n’avait pas bougé, et était resté à l’écart. Il acquiesça lentement.
- Mes enfants, laissons votre mère quelques minutes.
Les deux Prêtres, le Prince et les jeunes Skavens quittèrent la petite pièce, laissant Heike seule avec sa tristesse.
*
Un petit quart d’heure plus tard, le cercueil, hermétiquement fermé, était posé devant l’autel, devant l’assemblée. Le temple était plein à craquer. Tous les Skavens de l’assemblée contenaient difficilement leurs propres larmes.
Personne ne disait mot. Seule la voix du Prieur Wenceslas ricochait sur les murs et les colonnes de la nef.
« Mes frères, mes sœurs, nous vivons aujourd’hui un moment très triste, mais aussi porteur d’un espoir. Notre ami Prospero Steiner, Maître Mage du Collège de Jade, conseiller et fils adoptif de notre Prince, a été victime d’un terrible coup du sort. Sa vie a été interrompue par une main criminelle, nous le savons. Mais il ne faut pas y voir un échec désastreux, encore moins la fin. »
« Durant sa vie, Prospero s’est battu de toutes ses forces pour ses idéaux. Au début, son but était de plaire à sa divinité et à ses maîtres, afin de permettre aux siens de s’épanouir. Mais il habitait alors l’Empire Souterrain, et ce but impliquait la destruction de notre société. De multiples épreuves et rencontres lui ont permis de voir le monde différemment, sous un autre angle de vue : le nôtre. C’est ainsi qu’il s’est peu à peu métamorphosé. Finalement, il est devenu comme nous. Et c’est avec notre Souverain, le Prince Ludwig Steiner, et toutes les personnes qui l’ont suivi après la chute de Gottliebschloss, que notre ami a créé le Royaume des Rats. Royaume dont vous êtes tous les habitants. »
« Chaque Skaven présent doit quelque chose au Maître Mage Prosper Steiner. Comme il a mené chaque Récolte, par conséquent, tous les Skavens Libérés lui doivent la vie qu’ils mènent actuellement. Je suis sûr que sa compagne, Dame Heike, et ses enfants, sont tous pétris de joie de voir tous ceux qui sont venus témoigner leur compassion. »
« À présent, mes bien chers frères, mes bien chers sœurs, nous allons adresser notre prière à Morr, le Dieu de la Mort et des Songes. En raison des croyances religieuses du Maître Mage, un peu différentes des nôtres, nous allons légèrement changer les mots de cette prière, mais gardons les intentions intactes, je vous le demande. »
L’assemblée resta silencieuse. Au premier rang, Heike fit un petit signe de tête. Le Prieur Wenceslas leva les bras, et s’adressa directement aux cieux d’une voix forte :
« Ô Morr, Toi qui règnes sur le Royaume d’en bas
Sur les caveaux d’insondable mystère
Où l’horizon morne et plombé s’étire
Ô Morr, Toi qui surveilles l’esprit des défunts
Quand le temps s’arrête
Et que la pénombre se fait nuit… »
En réponse à cet appel, le sonneur frappa la cloche du temple sur un rythme lent. Le prêtre de Morr continua sa litanie :
« Seigneur de la Mort qui demeures en toute chose
Seigneur des Rêves
Roi du calme et du silence
Humblement, nous Te mandons de recevoir et de guider,
Sur le chemin qu’il a entamé, notre ami Prospero Steiner.
Vois venir à Toi ce défunt
Ouvre Tes portes,
Qu’un rai de lumière jaillisse !
Nous entendons Ton pas lourd et mesuré
Nous entendons Ton pas pour l’accompagner !
Nous entendons Ton pas pour le conduire face à son Dieu,
Dont Tu connais le nom et la nature,
Afin d’intercéder pour lui. »
Wenceslas marqua une pause. Ordinairement, cette prière demandait au Dieu de la Mort d’accueillir dans son jardin l’âme du disparu. Le Prieur Wenceslas avait écouté le vœu d’Heike, et adapté la prière en conséquence. Il reprit :
« Prospero Steiner, nous le savons, n’est pas venu au monde à Vereinbarung, mais dans les profondeurs de l’Empire Souterrain. Dès son premier jour, son Destin semblait tracé. Un Destin de Prophète Gris, éduqué dans la peur et la haine. Un Destin dont il s’est affranchi : il a quitté la société des hommes-rats, pour vivre dans la nôtre. Mais s’il a accepté de vivre selon nos règles, nos lois, nos coutumes, il n’en a pas moins gardé une indéfectible foi envers le Dieu qui lui a octroyé ses pouvoirs et son intelligence. Prospero Steiner n’a jamais rejeté la divinité tutélaire de l’Empire Souterrain. Demandons à Morr de s’entretenir avec cette divinité, pour lui expliquer tous les bienfaits que Prospero a apportés aux Skavens. »
« Bien sûr, au premier abord, les activités de Prospero étaient une trahison et de l’hérésie pour les habitants de l’Empire Souterrain. Mais Prospero croyait pouvoir permettre à son peuple de s’épanouir, de cesser de vivre dans cette peur et cette haine. Il n’a fait que commencer son œuvre, et peut-être qu’avec le temps, ce qu’il a commencé ici pourra s’étendre dans tout l’Empire Souterrain ? Alors, les Skavens pourront jouir d’une existence meilleure, comme le font déjà les Récoltés et leurs enfants. Nous espérons tous que le dieu à qui Prospero faisait confiance est conscient de cela. Morr, tâche de le lui expliquer au moment où l’âme de Prospero sera jugée selon ses critères. S’il semble avoir fait du mal à l’Empire Souterrain aujourd’hui, c’est pour préparer son salut de demain. »
Le Prieur Wenceslas leva la main gauche. Le sonneur frappa trois fois, plus distinctement, et posa son maillet.
- Maintenant, ô citoyens de Vereinbarung, parents, amis de Prospero Steiner, recueillons-nous quelques minutes, et prions silencieusement encore notre Dieu.
Personne ne parla, personne ne bougea. On n’entendit plus que la vibration de la cloche qui continuait à parcourir la nef d’un bout à l’autre. Le silence ne fut rompu que par un bref sanglot étouffé ici ou là. Kristofferson grimaça quand il sentit ses larmes enfin s’échapper de ses yeux. Elles lui parurent brûlantes.
Au bout d’un temps qui lui parut durer des heures, Gabriel sentit son cœur se contracter quand il entendit la voix grave du Prieur Wenceslas.
- Il est temps pour nous autres, vivants, de laisser les morts à notre Dieu. Pour conclure notre cérémonie, j’invite toutes les personnes qui le peuvent à répéter après moi cette dernière prière de clôture. Ensuite, nous rendrons notre ami à la terre, dans le sol consacré.
Et le Prêtre prit son inspiration, et récita d’une voix puissante :
« Ô Morr, nous T’adressons d’ici
Notre reconnaissance infinie
D’avoir soutenu l’âme de Prospero dans cette ultime épreuve.
Qu’il en soit ainsi ! »
L’assemblée répéta la prière. Les portes du temple furent ouvertes. Deux Skavens Noirs saisirent le cercueil par les poignées, et remontèrent le long de la nef, suivi par les membres de la famille, puis par le reste de l’assemblée.
Dehors, il faisait un temps relativement beau, le soleil de l’été perdurait, mais il y avait toujours ce petit vent désagréable qui sifflait de manière agaçante. Le Prieur Wenceslas conduisit la procession vers la petite colline derrière le temple. Les deux Skavens Noirs déposèrent le petit cercueil dans le trou creusé à son attention. Bianka se blottit contre Sigmund, angoissée par la nouvelle épreuve qu’ils allaient vivre.
Toutes les personnes présentes allaient venir exprimer leur sympathie, assurer qu’il n’y avait qu’à un mot à dire pour les aider, avant de déposer une motte de terre sur le cercueil. Tous les notables de la ville étaient au premier rang, prêts à réciter leur couplet. En réalité, la moitié d’entre eux n’en pensait pas un mot. Bianka ne se faisait aucune illusion. Si elle croyait en la sincérité de la Grande Prêtresse Rebmann, de Sœur Judy Hoffnung, ou Walter Klingmann, elle était beaucoup moins confiante en la compassion des individus comme Griekov, Arcturus ou autres collaborateurs de son grand-père.
Elle sentit chaque poil de sa fourrure se hérisser quand elle vit approcher la silhouette dégingandée de Brisingr Mainsûre. Au moins, il n’arborait pas son perpétuel sourire narquois. L’Elfe approcha de sa mère.
- Heike, ma petite souris… Je serai toujours avec toi.
- Je le sais bien, Brisingr, je vous remercie.
- C’est valable aussi pour vous autres.
Le Magister Vigilant regarda tour à tour les cinq enfants. Bianka détourna ostensiblement le regard. Sigmund fronça les sourcils et fixa l’autre droit dans les yeux.
- Bon, enfin bref, vous comprenez.
L’Elfe recula. La Grande Prêtresse Desdemona Rebmann fit part à son tour de son affliction, suivie par le Frère Samuel Heifetz. Et puis, tout un cortège de Skavens passa devant la famille, chacun avec un petit mot de reconnaissance, une fleur, un vœu de repos paisible. Bianka fut surprise de reconnaître parmi eux le bibliothécaire, Bernhardt Reitherman. C’était d’ailleurs le seul Skaven du temple de Verena à s’être déplacé. Les autres avaient-ils moins de reconnaissance à montrer ?
Remarque, ils ne sont pas très nombreux, et il faut bien quelqu’un pour garder le temple, songea la jeune fille-rate.
- Grande Archiviste, j’ai… je suis très triste pour vous.
Elle ne répondit pas, mais elle se permit de lui faire un petit sourire. Et elle sentit tout au fond d’elle son cœur se serrer quand elle réalisa qu’il y avait de la sincérité dans ce sourire.
Bernhardt n’osa rien ajouter, le regard presque inquisiteur des deux aînés le poussa à abréger l’entrevue. Il se retira rapidement.
Enfin vint le moment salvateur où le dernier citoyen présenta ses hommages. Sur un signe du Prêtre de Morr, les deux Skavens Noirs prirent chacun une pelle, et finirent de recouvrir le cercueil d’une mince couche de terre. Il leur fallut quelques longues minutes, durant lesquelles le Prieur Wenceslas continua à murmurer quelques prières, reprises par les Steiner. Enfin, les commis posèrent une dalle de marbre, isolant ainsi définitivement le cercueil du monde extérieur.
Les cinq enfants et leur mère restèrent ainsi debout devant la tombe, avec le Prince et l’aumônier. Au bout d’une longue minute de silence supplémentaire, Steiner murmura :
- Je sais que c’est dur, mais nous devons maintenant aller de l’avant. Il ne voudrait pas qu’on se lamente sur son sort. Rentrons à la maison.
- Il y aura besoin de moi, Ludwig ?
- Non, Romulus.
Le Prieur regarda tour-à-tour Kristofferson, Isolde, Bianka, Sigmund et Gabriel.
- Si vous avez besoin de parler de quoi que ce soit qui pourrait vous soulager, n’hésitez pas à venir me voir au temple de Shallya. Je ferai tout pour vous aider à traverser cette tempête.
Enfin, les Steiner repartirent tous ensemble vers les calèches, laissant les deux prêtres derrière eux. Avant de franchir la grille, Sigmund se retourna une dernière fois, et songea :
Adieu, le Père…
*
L’atmosphère du souper de la journée fut mortifère à souhait. Le Prince était seul avec Heike et ses enfants. Personne ne disait mot, on n’entendait que le bruit des couverts.
Bianka se risqua à rompre le silence.
- Qu’est-ce que les Verenéens ont trouvé ?
Certains prêtres de Verena étaient formés pour mener les enquêtes. Ils étaient capables de déceler les indices sur les lieux où un crime avait été commis, de faire des recherches dans les registres, et d’en tirer des conclusions. Toute la journée, pendant l’enterrement, trois investigateurs Verenéens avaient passé la grande salle à manger et la cuisine au peigne fin.
- Pour le moment, la seule piste que nous ayons, c’est le vin, répondit le Prince. Le reste du repas ne contenait aucun poison. Bien sûr, d’autres personnes ont bu de ce vin, y compris moi-même.
Le cœur d’Isolde s’emballa.
- Oh, non ! Opa, vous allez…
- Non, mon ange, calme-toi, répliqua Steiner en levant la main. Ne t’inquiète pas, je ne risque plus rien : les Verenéens m’ont donné une dose d’antidote. Même si je devais avaler l’autre ingrédient qui activerait le poison, ça ne marcherait plus.
- Et… d’où venait ce vin ? bégaya Gabriel.
Le visage du Prince se renfrogna.
- C’était du vin offert par Calderon !
Bianka ouvrit de grands yeux.
- Opa, vous ne pensez tout de même pas que le Prince de Sueño aurait envoyé du vin empoisonné, n’est-ce pas ?
- C’est vrai, il aurait commis une belle erreur, ajouta Kristofferson.
- Vous avez raison, mes enfants, d’autant plus que ce vin a été testé par des goûteurs, comme tout le reste de la nourriture. C’est une précaution nécessaire à la table du Prince, surtout quand il rassemble autant de notables. Le tueur a sans doute ajouté le poison entre la cuisine et le gobelet de Psody, ce qui signifie qu’il était parmi nous pendant le repas.
Au bout de la table, Sigmund était au plus bas. Le Prince s’en aperçut, et l’appela :
- Hé, Sigmund ?
- Hum…
- Tu nous écoutes ?
Bien qu’il n’eût bu le plus petit verre d’alcool, le Skaven Noir avait l’air fracassé par la gueule de bois.
- Rien à faire de vos suppositions…
- Hé, je te demanderai de te sentir un peu plus concerné, mon garçon !
Sigmund se redressa sur sa chaise.
- Comment pourrais-je être plus concerné que ça ? Notre père a été assassiné !
Il s’écroula sur la table, et gémit nerveusement. Bianka, qui était assise à côté de lui, quitta sa place, et l’invectiva, les mains sur les hanches.
- Ce n’est pas en restant comme ça que les choses vont avancer, Sigmund Steiner ! Tu es le Capitaine de la Garde Noire, alors conduis-toi comme tel, au lieu de te lamenter sur ton sort !
Le grand Skaven Noir se leva d’un bond.
- C’est exactement ce qui ne va pas chez toi, Bianka ! Notre père est mort, et tu ne penses qu’à être efficace ! Tu n’as aucun sentiment ! Ce n’est pas un cœur que tu as dans la poitrine, mais un bloc de marbre !
- Si nous ne restons pas de marbre, nous n’arrivons à rien, Siggy ! Chaque fois que tu te laisses déborder par tes émotions, tu perds la boule, et ça t’attire des ennuis ! Tu devrais t’en être rendu compte, depuis le temps !
Sigmund rugit de colère :
- Espèce de pseudo-intellectuelle mal montée !
Bianka répondit à l’insulte par une gifle. Le Prince décida d’arrêter l’escalade.
- ASSEZ !
Il se leva et se plaça entre les deux Skavens pour les éloigner l’un de l’autre.
- Ça suffit, maintenant ! Rasseyez-vous, tous les deux !
Les deux Skavens obéirent immédiatement, subitement refroidis par une telle démonstration d’autorité. Le Prince était fâché. Il pointa un index énergique vers le grand Skaven Noir.
- Sigmund, je ne veux plus que tu parles ainsi à ta sœur. Jamais. De tels mots n’ont pas leur place dans la bouche d’un gentilhomme élevé comme ta mère l’a fait. C’est mon éducation que tu insultes.
Puis il se tourna vers la jeune fille.
- Et toi, Bianka, c’est la dernière fois que je te vois lever la main sur quelqu’un de ta famille. Même sur qui que ce soit sans que ta vie ne soit en danger. On n’utilise la violence qu’en dernier recours, pour se défendre.
Le grand Humain était rubicond. Il dut reprendre son souffle. Il se rassit à la table, et expliqua d’une voix plus calme :
- Vous avez le droit d’être en colère. Mais vous ne devez pas vous tromper de cible. C’est précisément ce que nos ennemis cherchent à faire. Ils espèrent que nous nous disputions, que nous nous méfiions les uns les autres, peut-être même qu’ils vont tenter de nous diviser avec des calomnies ou des fausses preuves. Quand j’étais à Talabheim, j’ai vécu ce genre de crise. Mon père a eu affaire à des rivaux qui n’ont pas hésité à user des pires bassesses pour monter les Steiner les uns contre les autres. Et aujourd’hui, ça risque de se produire ainsi. Mais moi, j’ai confiance en vous autres. Aucun d’entre vous ne me trahira jamais, j’en ai la certitude. Cependant, nous devons rester tous unis. Nous devons prouver à ces ordures que nous sommes plus forts qu’eux. Restons concentrés, et gardons nos liens solidement attachés.
Steiner considéra tous les Skavens autour de la table.
- Pour commencer, allons tous nous coucher. Demain, nous réfléchirons à la façon dont nous vivrons ces prochains jours. Nous verrons quelles décisions prendre, quels comportements adopter, et quels dispositifs mettre en place.
Le Prince quitta sa place, suivi par Heike. Isolde s’empressa de suivre sa mère. Bianka se tourna vers ses trois frères et leur fit un petit signe : elle les montra du doigt, puis pointa le sol. Kristofferson et Sigmund acquiescèrent sans un mot.
Arrivées devant la chambre parentale, Heike embrassa ses filles.
- Écoutez, mes chéries... je vous remercie, mais ça ira. Ça ira.
- Tu es sûre, Mère ?
- Il va bien falloir que je m’habitue… à cet état des choses.
Elle recula lentement, ouvrit la porte de sa chambre, la franchit, puis la referma derrière elle. Les deux sœurs patientèrent quelques instants dans un silence angoissant. Puis, ce fut fatal, des sanglots déchirants de rage et de désespoir retentirent à travers la cloison de bois.
Isolde tendit la main pour baisser la poignée, mais Bianka l’en empêcha.
- Laissons-la. Parfois, les gens ont besoin de rester un peu seuls.
- J’aime pas quand elle pleure.
- Moi non plus, mais on ne peut rien faire. Si on reste avec elle, elle n’osera pas pleurer devant nous. Si on la laisse, elle peut pleurer sans se retenir.
- Mais c’est pas bien, de pleurer !
- Au contraire, Isolde. Le chagrin sort par les larmes, et après, on se sent mieux. Maintenant, c’est l’heure d’aller au lit.
Bianka tira sa sœur par la main, mais celle-ci refusa de la suivre.
- Je veux rester auprès d’elle.
- Soso, nous devons la laisser tranquille.
- J’attendrai qu’elle ait fini de pleurer.
La petite fille-rate croisa fermement les bras, et fit une petite moue boudeuse. Bianka soupira. Quand sa petite sœur affichait cette grimace, seuls ses parents ou son grand-père étaient capables de la faire changer d’avis sans élever la voix. Elle n’avait plus la force d’être autoritaire.
- Bon… Tu frapperas pour être sûre.
- Oui, Bianka.
- Et si elle ne veut pas t’ouvrir, tu vas te coucher tout de suite !
- Oui, Bianka.
Bianka redescendit vers la petite salle à manger.
Quand elle fut face aux trois garçons Steiner, elle s’assura qu’aucun domestique n’était à proximité, puis elle expliqua :
- Kit, Siggy, Gab, l’heure est très grave. Quelqu’un a décidé de déchirer notre famille, et je veux savoir qui c’est, avec l’appui de Verena !
Gabriel avala sa salive.
- Tu crois que ce sont les Skavens Sauvages ?
Sigmund grogna.
- Ce n’est pas tellement leur style. Vrai, les tueurs du Clan Eshin savent utiliser toute une gamme de poisons, mais ils sont plus du genre à frapper dans l’ombre, à te couper le cou pendant ton sommeil, ou à utiliser des fléchettes empoisonnées. Mettre du Brise-Cœur, ou quoi que ce soit d’autre, dans une assiette ne correspond pas à leurs méthodes habituelles.
- Ils expérimentent peut-être une nouvelle voie ? bredouilla encore le petit garçon-rat.
La jeune fille-rate blonde esquissa un sourire triomphal.
- Eh bien moi, je pense à quelque chose !
Tous les regards pivotèrent vers Bianka.
- Tu aurais des soupçons ?
- Mieux que ça, Kit : j’ai un suspect.
- Qui ? demanda nerveusement Gabriel.
- Qui ? répéta Sigmund, qui avait déjà le poing serré sur la garde de son épée.
La jeune fille leva les mains.
- Du calme ! Il y a effectivement quelqu’un auquel je pense tout particulièrement. Le problème est que je n’ai aucune preuve solide pour le moment. C’est là où il va falloir travailler pour en obtenir !
- Est-ce que tu peux au moins nous dire à qui tu penses ?
- Pas pour l’instant, Siggy. La personne à qui je pense est dangereuse. Je n’ai pas envie de vous faire prendre des risques en vous mettant trop dans la confidence. Par contre, ce que vous pouvez faire, c’est m’aider à coincer cette personne.
- Comment ?
Bianka regarda ses trois frères, et annonça d’une voix grave :
- J’ai besoin de votre confiance. Seule, je ne peux pas coincer le coupable. Mais comme je ne peux pas vous dire de qui il s’agit, je vais devoir vous demander de suivre mes consignes. Chacun fera une petite action isolée, et je serai la coordinatrice. Je dois être sûre de pouvoir compter sur vous tous, aussi bien votre fidélité, votre fiabilité, et votre confiance. Personne d’autre que nous ne doit savoir.
- Même pas Romulus ?
- Non, Siggy. Pas Romulus.
- Même pas… Opa Ludwig ?
- Surtout pas. Personne d’autre ne doit être impliqué.
La Grande Archiviste pivota vers Gabriel.
- Gab, je ne ferai pas appel à toi. Ni à Isolde. Vous êtes trop jeunes pour y être mêlés plus que ça. Reste juste sur tes gardes, et rapporte tout ce que tu verrais de suspect, à moi, Kit ou Siggy. Ne fais rien d’autre. C’est bien compris ?
Gab remua la tête, mais eut l’air triste.
- Le Prieur Romulus et Opa Ludwig ne vont pas être contents.
- C’est un risque que je suis prête à courir.
- Et puis, c’est dangereux ! Vous pourriez vous faire tuer !
Le grand Skaven Noir se leva, et regarda le petit Skaven gris clair avec insistance.
- Un félon a fait tuer notre père, Gab. Un salopard, lâche et traître, s’en est pris à nous. Qui qu’il soit, il a commis un crime qu’il va payer de sa vie, et je m’occuperai personnellement de le retrouver, et de le ramener au temple de Verena, pour qu’on le juge. S’il faut que je lui brise les bras et les jambes pour ça, je le ferai !
- Gab, n’oublie pas qu’on est des guerriers. Nous avons combattu les Skavens Sauvages à plusieurs reprises. Nous avons l’habitude de ce danger. Bianka, tu penses qu’il s’agit d’une personne seule ?
- J’ai une seule personne en tête, mais je ne serai pas surprise qu’il y ait des complices. Raison de plus pour faire doublement attention. Gab, va au lit maintenant. Tu ne dois pas entendre ce que nous allons nous dire. Et tu ne dois en parler à personne. Surtout pas à Mère. Ni à Isolde, elle vendrait la mèche ! C’est bien compris ?
Sans mot dire, le petit Skaven gris clair hocha la tête, et sortit d’un pas pressé.
*
Bianka était désormais seule dans la petite salle à manger, à réfléchir sur la première piste à exploiter. Elle avait brièvement exposé à ses deux grands frères sa première idée : trouver l’origine du sang de Jabberwocky. Cet ingrédient était très rare, et sans doute très cher. Il n’était pas possible d’en trouver à la première boutique venue. Seulement voilà, à qui s’adresser ?
Certainement pas au Temple de Shallya, car Romulus finirait tôt ou tard par apprendre que les enfants Steiner avaient posé la question.
Elle pourrait sans doute trouver le rapport des enquêteurs au temple de Verena, et de par son poste de Grande Archiviste, elle pourrait le consulter ? En plus, être liée à la victime lui donnait une légitimité supplémentaire… ou pas, peut-être qu’en tant que personne directement impliquée dans l’enquête, les Investigateurs refuseraient de la laisser mener sa propre enquête ?
La construction du Collège de Jade n’avait même pas vraiment commencé, il ne fallait pas compter sur eux. De plus, Bianka préférait ne pas avoir affaire aux Mages. Elle n’avait pas tellement confiance en eux, et en leur façon de voir le monde tellement différente de son esprit matérialiste.
Le temple de Taal et Rhya comptait dans ses rangs un apothicaire. C’était peut-être une première étape ? Les Steiner allaient devoir néanmoins se montrer prudents, et rester discrets. Peut-être qu’elle pourrait justement s’occuper de cette question ?
Ils s’étaient mis d’accord sur cette piste à suivre. Les deux grands garçons étaient montés se coucher, mais Bianka avait eu besoin de quelques minutes de réflexion supplémentaires. Elle resta assise, et médita sur les prochaines actions à planifier.
Onze coups sonnèrent dehors.
Nous verrons demain. Il est temps d’aller dormir.
La jeune fille-rate voulut regagner ses pénates. Mais il y avait une dernière petite chose à régler avant.
Sigmund s’appliquait à aiguiser Cœur de Licorne. Il fit glisser la pierre à aiguiser doucement, précautionneusement. La Lame de Justice allait sans doute faire voler beaucoup de têtes dans les prochaines semaines.
Son oreille pivota. Quelqu’un venait de frapper à la porte. Il posa Cœur de Licorne sur la table, se déplaça vers la porte d’un pas lourd, et l’ouvrit. Devant lui se tenait Bianka, l’air gênée.
- Je regrette de t’avoir frappé, déclara-t-elle sans préambule.
- Je regrette de t’avoir insultée, répondit le Skaven Noir sur le même ton.
Bianka se jeta dans les bras de son frère, et pleura silencieusement.
- Ils ont tué Père, Siggy…
- On va les retrouver, et ils vont le regretter.
La jeune Skaven blonde se calma. Elle vit l’épée posée sur le bois verni.
- Promets-moi qu’on fera triompher la justice, Siggy ! Pas la vengeance ! Nous ne devons pas perdre notre jugement, sinon nous deviendrons comme eux !
Les yeux cuivrés du grand Skaven Noir étincelèrent.
- La justice triomphera. Pas la vengeance.