Le Royaume des Rats

Chapitre 39 : Coups bas

9471 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 28/03/2021 22:06

Frère Arcturus sourit poliment.

 

-         Merci de votre franchise, ma Dame. Je voudrais que vous nous donniez votre opinion sur le Commandant Schmetterling. Que pouvez-vous nous dire à son sujet ?

-         Pour moi, c’est un homme qui était digne de son rang, jusqu’à hier soir. Il a des connaissances étendues en matière de stratégie et de commandement, il a mené une carrière militaire que de nombreux soldats de métier rêveraient d’imiter, et sait garder la tête froide même dans les situations les plus critiques.

-         Vous avez l’air sûre de vous, Capitaine. Avez-vous connu d’autres soldats comme lui ?

-         Mon père, le seigneur Wilhelm Gottlieb. Il dirigeait son domaine depuis Gottliebschloss, le château familial hérité de son père. C’était un homme dur, et l’éducation qu’il nous a donnée, à Jochen et à moi, était sévère.

-         Et… désolé de devoir faire allusion à quelque chose qui doit vous être très pénible, mais je dois en parler : votre mère, comment vivait-elle cette situation ?

-         Ma mère était d’ascendance kislévite. Elle aussi était froide et autoritaire. Mais contrairement à mon père, elle savait faire preuve de chaleur. Mon père était juste un supérieur hiérarchique. Nous étions de bons petits soldats ou non selon son humeur, mais jamais il ne nous a considérés autrement.

-         Vous avez donc reçu une éducation militaire.

-         Oui, Frère Arcturus.

-         Et vous confirmez que le Commandant Schmetterling n’a pas manqué à ses devoirs avant que cette sombre histoire n’éclate ?

 

La jeune femme regarda le Commandant, et articula :

 

-         Je le confirme.

-         Parfait. Alors, pourquoi le Commandant aurait-il décidé de trahir le Royaume de Vereinbarung, puisqu’il était autant attaché aux lois militaires ?

-         Je ne pense pas qu’il voulait la perte du Royaume lui-même. Il n’était pas satisfait de sa position, mais s’il était tout simplement parti, il aurait laissé sa carrière derrière lui. Sa réputation en aurait pâti, également. Difficile de retrouver un statut aussi élevé dans ces conditions. Non, je pense qu’il est resté et qu’il a collaboré avec les Skavens Sauvages par peur ou par ambition.

-         « Par peur ou par ambition »… pouvez-vous développer ?

 

Marjan avala sa salive, prit son inspiration, et expliqua :

 

-         Grâce à ses informateurs, le Commandant Schmetterling a vu que les Skavens Sauvages étaient à nos portes. Ils s’apprêtaient à nous frapper en passant par Sueño d’un côté et à Kreidesglück de l’autre. En parallèle, les Orques avaient aussi des ambitions de destruction sur nous. Le Commandant a pu être motivé par la peur de voir le Royaume des Rats détruit, et donc, accepter les conditions du Prophète Gris Iapoch aurait pu « limiter la casse ». Collaborer avec un envahisseur trop puissant pour lui résister est un réflexe naturel de survie. Mais je ne vois pas le Commandant Schmetterling se laisser emporter par la peur. Non, il a affronté des adversaires autrement plus redoutables. Je pense plutôt qu’il a vu l’opportunité d’affermir sa position et d’affaiblir celle des autres.

-         En devenant un agent de l’Empire Souterrain ? Il serait devenu un esclave, non ?

-         Non. Le Prophète Gris Iapoch voulait l’utiliser comme un instrument, mais le Commandant est un homme bien trop intelligent et expérimenté pour se laisser embobiner par les promesses d’un Prophète Gris. Je pense qu’il a voulu « jouer le jeu » du Prophète Gris, tout en guettant une opportunité de le surprendre et de l’écraser.

-         Si les choses se sont déroulées ainsi, alors le « jeu » du Commandant a provoqué bien des maux ! Une blanchisseuse, un honnête garde du Domaine Steiner, et tous les courageux soldats qui ont dû affronter une horde de Skavens Sauvages prêts à en découdre à Kreidesglück, voilà ce que le Royaume a gagné durant la partie !

-         C’est un point de vue.

-         À votre avis, les choses auraient-elles été différentes si le Commandant Schmetterling n’avait pas vendu sa loyauté à l’ennemi ?

 

La jeune femme réfléchit quelques secondes, puis répondit :

 

-         J’aimerais pouvoir vous donner une réponse claire, mais je n’ai pas assez d’éléments pour cela. Et je préfère ne rien répondre plutôt que de donner un avis erroné, qui fausserait le jugement des jurés.

-         C’est tout à votre honneur, Capitaine. Je n’ai pas d’autre question.

 

Le Commandant Schmetterling enchaîna :

 

-         Capitaine Gottlieb, vous avez été élevée selon « une éducation militaire ». Votre père était un homme « dur », « sévère », et votre mère n’était pas très différente. Cela ne doit pas être facile à assumer tous les jours ?

-         Je leur dois ce que je suis, Commandant, et pour cela, je les en remercie.

-         Vous en êtes sûre ? Malgré tout l’amour que votre mère vous a donné, vous n’en avez pas moins dû supporter la pression constante de votre père qui voulait faire de vous un homme. Vous, qui êtes une femme !

-         Votre sens de l’observation est admirable, Commandant.

-         Il va même bien plus loin que vous ne croyez, Capitaine ! Vous me prêtez des motivations pour le moins viles : selon vous, je serais soit un lâche, soit un arriviste, et dans les deux cas, je suis un traître !

-         Tout ce que j’ai pu observer et apprendre sur vous ces dernières heures m’ont menée à cette conclusion.

-         C’est ce que vous pensez, mais moi, je crois qu’il y a autre chose, Capitaine ! Je vous connais depuis mon arrivée à Vereinbarung, vous et votre frère. Vous êtes effectivement les dignes enfants de la Dame Franzseska Gottlieb, que Morr l’ait reçue dans ses Jardins. Or, dans ce monde impitoyable qu’est l’armée, pour pouvoir exprimer pleinement votre potentiel, aux yeux des autres, il vous manque quelque chose de dur et de rigide. Telle est votre nature, vous ne pouvez pas le nier. Vous êtes une femme, et par conséquent, vous avez besoin de travailler deux fois plus pour vous affirmer. Et c’est pourquoi vous témoignez ainsi, aujourd’hui. Vous jubilez à l’idée de renverser un homme qui a sur vous une position de mâle dominant, peut-être même que vous vous voyez déjà à sa place ?

 

Marjan hésita un instant entre l’indignation et la moquerie. Elle choisit une solution plus subtile.

 

-         Je crois savoir que c’est vous qui avez nommé Hansel Kreutzer à Wüstengrenze ?

-         Cela n’a rien à voir avec cette affaire, Capitaine.

-         Au contraire, ç’a tout à voir. J’ai entendu dire que cet homme était connu pour être très méprisant à l’égard des femmes.

-         Et alors ? C’est possible, mais ça n’est pas le sujet. De plus, je vous rappelle qu’il est mort ! Moi, j’ai entendu dire qu’il s’était sacrifié pour permettre à Kristofferson Steiner de venir donner l’alerte. Pas la peine de salir sa mémoire !

-         Je n’ai pas besoin de salir sa mémoire, Commandant, il s’en est très bien occupé tout seul. Les villageois de Klapperschlänge pèseront à jamais sur son âme.

-         Allez-vous nous dire quel rapport vous voyez entre cette histoire sordide et le procès durant lequel vous êtes en train de témoigner, Capitaine Gottlieb ?

-         Oui, Commandant : vous avez nommé Kreutzer. Vous êtes connu comme quelqu’un de très consciencieux. Cela signifie que vous avez attentivement étudié les états de service de Kreutzer ainsi que sa personnalité avant de le mettre à la tête de la caserne de Wüstengrenze. Le caractère ouvertement misogyne du Capitaine Kreutzer a été préjudiciable à la bonne marche de Wüstengrenze sur plusieurs points, selon les prêtresses de Shallya qui travaillent sur place. Mais on dit bien : « qui se ressemble s’assemble ». Je pense que vous n’êtes pas vous-même quelqu’un qui considère les femmes comme les égales des hommes, et vous êtes en train de vous servir d’arguments physiologiques pour affaiblir mes propos aux yeux des jurés.

-         Mais peut-être que c’est vous qui affaiblissez vos propos vous-même, Capitaine ? Vous êtes en âge d’être mariée, mais jusqu’à présent, personne n’a daigné vous courtiser, vous demander votre main. Toujours devoir porter les armes, être vêtue d’une lourde armure, alors que vous devriez honorer vos parents en vous conduisant comme une vraie dame. Cela doit être une terrible frustration pour vous. Il faut bien l’évacuer d’une certaine façon, et pourquoi pas en démolissant un homme de pouvoir ? Il n’y en a pas dans votre lit, autant se défouler sur celui qu’on vous montre du doigt en disant « c’est un traître » !

 

La jeune femme serra les dents. De son siège, Sigmund eut à la fois de la peine pour elle, et de la colère envers Schmetterling.

 

-         Je ne dirai pas un mot de plus, Commandant.

-         Vous avez prêté serment, Capitaine.

-         Pas pour me faire insulter et humilier de la sorte par l’accusé !

-         Ce n’est pas l’accusé qui vous parle, Capitaine, mais son défenseur. Je repose la question clairement : seriez-vous prête à détruire la carrière et la vie de votre Commandant afin de prouver au monde entier et à vous-même que vous êtes aussi capable qu’un homme ?

 

La tension était palpable. Le Skaven Noir jeta un petit coup d’œil vers Jochen. Contrairement à ses attentes, celui-ci semblait très calme, presque désinvolte. Sa sœur était cramoisie de colère. Elle balaya de la main une mèche blonde collée à son front par la sueur.

 

-         Mon père était impitoyable, il a épousé une femme qui était aussi forte que lui, sinon davantage. Elle ne l’aimait pas, mais elle nous adorait, moi et mon frère. Quand notre père a été assassiné, elle a continué notre éducation, mais elle nous a appris ce que notre père n’a jamais pu nous expliquer : il n’est pas question d’être « un homme » ou « une femme », mais d’être « quelqu’un ». Quelqu’un de bien. Peu importe d’être un homme ou une femme, ce qu’il faut, c’est agir pour la grandeur de son pays, pour l’honneur de sa famille, pour le bien du peuple sous sa responsabilité. Ma mère ne portait pas les armes, elle n’allait pas au combat en première ligne, mais je peux vous assurer qu’elle savait faire preuve de la même bravoure, la même ténacité que mon père. Face aux Skavens Sauvages qui ont envahi Gottliebschloss, elle n’a pas hésité à nous défendre farouchement, sans exprimer la moindre peur. Et même si je ne l’ai pas vue faire, je suis certaine qu’elle a fait honneur à Ulric et à nos ancêtres le jour où les Orques ont été chassés de Wüstengrenze. Mais ce n’était pas son meilleur coup d’éclat. Là où elle a fait preuve de la plus grande des noblesses, c’est quand elle a accepté de fermer les yeux et d’ouvrir son cœur pour voir la véritable personnalité de Dame Heike, la première Skaven avec qui elle s’est liée, l’épouse du Maître Mage. Elle qui avait voulu exécuter ce dernier alors qu’il n’était encore qu’un Prophète Gris en fuite, elle a compris et accepté pleinement que les enfants du Rat Cornu peuvent devenir nos amis, au mépris des superstitions arriérées qui nous empêchent d’avancer. En cela, elle aura toujours mon admiration. J’espère pouvoir me montrer digne d’elle. Pas en me mariant et en ayant une flopée d’enfants à qui donner le nom d’un mari, mais en apportant quelque chose à Vereinbarung. Que ce soit une victoire militaire conséquente, une alliance, ou une nouvelle source de connaissance qui nous permettra d’en apprendre plus et de mieux comprendre notre monde. Et donc, pour répondre à votre question, je n’ai pas besoin de détruire gratuitement la carrière d’un homme pour me sentir égale à un homme. Par contre, je n’hésiterai pas à neutraliser par les voies légales une personne qui met en danger mon royaume en enfreignant délibérément ses lois.

 

Le Commandant Schmetterling ne rajouta rien, mais il soutint quelques secondes le regard glacial que lui lançait la jeune femme. Sans la quitter des yeux, il murmura :

 

-         Je n’aurai pas d’autre question, votre Honneur.

-         Bien, répondit posément le Prince Steiner. Témoin suivant ?

 

Frère Arcturus appela :

 

-         Capitaine Jochen Gottlieb ? Venez, je vous prie.

 

Marjan se leva et partit reprendre place sur le banc des témoins. Au passage, son frère lui fit un clin d’œil avant de s’installer devant le prêtre de Sigmar. Il leva la main, et prêta serment à son tour.

 

-         Capitaine Gottlieb, j’aimerais avoir votre avis sur la pièce à conviction numéro quatre ?

-         Comme Frère Sander nous l’a expliqué, c’est apparemment une lettre envoyée par le Prophète Gris Iapoch au Commandant Schmetterling. Et si j’en crois son contenu, il y a un lien entre l’attaque des Orques sur Wüstengrenze et la présence des Skavens à Kreidesglück.

-         Il y aurait donc eu une alliance entre Peaux-Vertes et hommes-rats ?

-         Non, Frère Arcturus. Les Orques ne font jamais d’alliance avec qui que ce soit qui n’a pas la peau verte. En revanche, ils peuvent se laisser berner par quelqu’un de plus malin qu’eux. Le Prophète Gris Iapoch a très bien pu les manipuler.

-         Est-ce que c’est une tactique habituelle chez les Skavens Sauvages ?

-         Je ne les ai pas affrontés suffisamment de fois pour connaître tous leurs coups tordus, Frère Arcturus. Mais j’ai entendu dire que leurs dirigeants adorent mettre au point des intrigues compliquées grâce auxquelles ils manipulent les gens. Plus l’intrigue est complexe, plus celui qui la monte se sent puissant et intelligent.

-         Comment le Prophète Gris Iapoch aurait fait pour pousser tout un contingent d’Orques à attaquer Wüstengrenze sur son ordre ? Les aurait-il tous envoûtés ?

-         Pas nécessairement. Tout ce qu’il avait à faire, c’était d’ensorceler leur chamane pour le convaincre de recevoir des messages de ses propres dieux, Gork et Mork. En fait, cela explique bien des choses. Après la bataille, malgré la… distance que le pont cassé a mis entre nous, le Capitaine Walter Klingmann a pu nous remettre un rapport. D’après les observations des citoyens assiégés, le comportement de ces Orques n’était pas du tout habituel. D’ordinaire, les Orques cassent tout sur leur passage sans réfléchir, ils n’attendent pas que leurs proies meurent de faim.

-         Pourquoi ce Prophète Gris aurait poussé ces Orques à faire un siège, plutôt que de faire un carnage généralisé ?

-         Pour pouvoir faire un maximum de prisonniers et avoir ainsi des esclaves. Il aurait pu aussi mettre la patte sur la ville elle-même. Une ville bâtie par les Nains, vous pensez… Ou alors, peut-être qu’il voulait juste donner suffisamment d’espoir à nos troupes, et nous obliger à diviser nos forces sur deux fronts en même temps pour pouvoir nous affaiblir et nous écraser.

-         Donc, les Orques ont été manipulés.

-         Je n’en suis pas sûr, mais j’ai de bonnes convictions.

-         Pouvez-vous nous dire s’il est facile d’embrouiller magiquement l’esprit d’un Orque ?

 

Le jeune Gottlieb se frotta le menton.

 

-         Il m’est arrivé de combattre les Orques une fois ou deux. Ils sont très costauds, mais ont un esprit faible, et peuvent facilement se laisser ensorceler par la magie. À la rigueur, leurs chamanes arrivent à s’opposer à de tels enchantements, si leur esprit n’est pas trop embrumé par les drogues.

-         Pensez-vous que le Commandant Schmetterling ait été victime d’un tel enchantement ? Après tout, si le Prophète Gris Iapoch a pu manœuvrer une bande complète d’Orques, il a pu faire la même chose avec un homme seul ?

 

Le regard de Jochen se focalisa sur le grand homme roux quand il déclara :

 

-         Non. Le Commandant Schmetterling est beaucoup trop volontaire pour ça. Ma sœur l’a bien décrit, il est parfaitement là où ses capacités militaires pouvaient le mener.

-         Quand vous êtes arrivés à Wüstengrenze, vous étiez pressé de vouloir porter assistance à nos concitoyens qui subissaient les assauts des Peaux-Vertes depuis déjà plusieurs jours. Or, le Commandant Schmetterling a refusé de mener l’assaut immédiatement. Est-ce exact ?

-         Tout-à-fait, Frère Arcturus.

-         Pourquoi un tel refus ?

 

Les yeux du jeune homme s’assombrirent au fur et à mesure qu’il expliqua :

 

-         Le Commandant Schmetterling peut s’enorgueillir d’être un homme de terrain particulièrement expérimenté. « Trente ans de batailles », m’a-t-il dit. Et donc, quand il m’a expliqué que la meilleure chose à faire était d’y aller avec prudence, et adopter une tactique de harcèlement pour affaiblir les Orques afin de limiter les pertes humaines et matérielles, j’ai eu du mal, mais je l’ai finalement cru. Je le reconnais, nous n’avons pas eu beaucoup de pertes par rapport au danger contre lequel nous nous sommes battus. Mais maintenant que je connais les véritables intentions de l’accusé, tout me paraît clair : pour que son plan s’accomplisse, il ne fallait pas une victoire trop rapide, ni efficace. Si nous avions mené l’assaut en engageant toutes nos troupes en même temps, les Orques se seraient retrouvés coincés sur le pont et n’auraient pas pu nous échapper. Mais il fallait un coup sévère sur le moral des troupes. Ainsi, ma mère a fait partie des personnes tuées, tout comme Rudy Müller, un brave Capitaine, loyal et apprécié par ses troupes. On ne pouvait donc pas parler de victoire totale. Et sans le soutien de l’armée du Prince Calderon, les pertes à Kreidesglück auraient été plus importantes, et nous aurions probablement été en position de faiblesse, que le Commandant n’aurait pas manqué d’exploiter.

-         De quelle façon l’accusé aurait « exploité cette faiblesse », d’après vous ?

-         En demandant au Prince d’appliquer un état de loi martiale pour affermir son pouvoir. En s’arrangeant pour envoyer en première ligne ceux dont il souhaite se débarrasser. En trahissant ses complices Skavens Sauvages pour les écraser, et devenir un héros aux yeux de Vereinbarung.

 

Frère Arcturus s’assura du coin de l’œil que le clerc avait pris en note le témoignage, puis il s’adressa au Prince.

 

-         Votre Honneur, je n’ai pas d’autre question.

 

L’atmosphère était presque irrespirable, et Sigmund sentit la sueur coller ses poils sur son front quand il entendit le craquement du banc lorsque Schmetterling se leva.

 

-         Capitaine Gottlieb… Vous êtes le digne fils de votre père. Je n’ai pas eu la chance de le connaître, mais j’ai beaucoup entendu parler de lui, notamment par votre mère, Dame Franzseska, puisse Ulric maintenir son âme en paix. Comme votre sœur nous l’a rappelé, c’était un homme dur, sévère, qui ne tolérait pas la remise en question de sa volonté. En somme, il a fait de vous un homme, un vrai.

-         Tout comme ma sœur, ajouta Jochen d’un air détaché.

-         Nous parlons de vous, Capitaine. Tâchez de ne pas faire de bravade, ce n’est ni le lieu, ni le moment pour ça. J’ai également appris la façon dont il avait fini ses jours. Vous voulez bien nous en parler ?

-         Quel rapport avec vous, accusé ?

-         Répondez à ma question, ou je vous promets de gros ennuis pour parjure et outrage, Capitaine !

 

Jochen ferma les yeux, et inspira un long coup. Il souffla posément, sans relever les paupières, et sans prêter la moindre attention à tout ce qui l’entourait. Une fois. Deux fois.

 

-         C’est fini, oui ? s’énerva Schmetterling.

-         Objection ! s’écria Frère Arcturus. Le défenseur est en train de perturber le témoin !

-         Accordée, répliqua le Prince. Schmetterling, calmez-vous ! Le témoin va répondre à votre question, sans s’énerver, une fois qu’il s’en sentira capable.

 

Jochen rouvrit les yeux et articula :

 

-         Mon père a été assassiné par un Skaven Sauvage pendant son sommeil.

-         Pas de mort glorieuse au champ d’honneur. Pas de coup d’éclat. Pas de félicitations de l’Empereur après de très longues années à défendre sa portion de l’Empire. N’importe quel fils aimant son père en serait bouleversé, et nourrirait une haine profonde envers les responsables d’une telle humiliation. Que pensez-vous des Skavens ?

-         Je déteste les habitants de l’Empire Souterrain, pour cette raison, et pour un tas d’autres : le domaine de ma famille est tombé entre leurs pattes, ils veulent notre mort à tous, et tout leur mode de vie tourne autour de la détestation de l’autre et de son élimination par les moyens les plus vils. Mais les Skavens qui sont dans ce tribunal ne sont pas les habitants de l’Empire Souterrain.

-         Voir au quotidien des visages similaires à ceux qui ont fait chuter le Domaine de Gottliebschloss doit être particulièrement pénible, n’est-ce pas ?

-         Pas le moins du monde, Commandant. Je viens de vous le dire : je ne considère pas les habitants de Vereinbarung comme la vermine puante qui infeste les souterrains. J’ai risqué ma vie dans les tunnels pendant les Récoltes pour donner une chance aux petites victimes d’un système dépourvu de la moindre empathie. Je me suis battu aux côtés de gens pour défendre ce royaume, tout comme ces gens se sont battus à mes côtés pour la même raison. Mon meilleur ami est entre la vie et la mort à cause des Skavens Sauvages dont il partage le sang. Si j’avais pu prendre cette balle de malepierre à sa place, je l’aurais fait. Je me bats contre les adorateurs du Rat Cornu. Les hommes-rats qui partagent notre vie sont comme nous, et ceux qui ont participé aux Récoltes détestent autant que moi les Skavens Sauvages.

-         Un bien beau discours, Capitaine. Mais peut-être qu’il aurait fait honte à votre père ? Craindrait-il de vous voir vous acoquiner avec la race qui l’a tué ?

-         Mon père ne connaissait que la guerre, la conquête, et les banquets. Jamais il ne m’a dit « Jochen, je suis fier de toi », ou « Jochen, tu es mon fils ». Non, j’étais celui qui allait faire perdurer son nom. Rien de plus. J’ai été élevé comme ça, je ne suis pas spécialement en colère contre lui, mais je n’ai pas besoin de justifier ma conduite auprès de son fantôme. Si j’avais une telle rancune contre les habitants de Vereinbarung qui arborent les traits des Skavens, je serais parti depuis longtemps.

-         Mais vous avez votre fierté, n’est-ce pas ? Votre mère est tragiquement tombée sous les coups d’un Orque, ce qui fait de vous le responsable mâle attitré du nom de Gottlieb. Vous êtes devenu un seigneur, selon les lois de l’Empire dont notre Royaume s’est inspiré. Cela fait deux bonnes raisons d’être particulièrement en colère contre moi. Ma stratégie vous a déplu, votre mère est morte alors que si nous avions chargé tout de suite, vous auriez pu la sauver… Vous voulez ma perte, aussi assurément que votre sœur.

-         Vous vous trompez, Commandant.

-         Croyez-vous ça ? La façon dont vous me parlez et me regardez en ce moment me conforte dans cette idée. Vous voulez venger votre mère et affirmer votre statut de seigneur. Malgré vos belles paroles, vous avez encore au fond de votre cœur une haine profonde pour les Skavens. Une haine ravivée par les récents événements. Et vous cherchez aujourd’hui à faire de moi le récipiendaire de cette haine. Le seigneur Wilhelm Gottlieb vous a appris à détester tous ceux dont le visage n’est pas Humain ou apparenté. Votre mère a étouffé ces flammes de par son éducation différente, mais la tragique issue de Wüstengrenze a brutalement ravivé le brasier. Aujourd’hui, vous êtes le nouveau seigneur Gottlieb. Vous voulez que tout le monde le sache. En particulier dans l’armée, où vous avez besoin de redorer le blason de votre carrière militaire aux yeux de tous. Si vous êtes faible, vous n’êtes digne ni de votre titre, ni de votre grade, et le nom de Gottlieb pourrait finir définitivement dans la boue. Quoi de mieux pour éviter ça que de paraître comme un héros en déboutant votre Commandant avec une accusation de trahison ?

 

Une fois encore, Jochen ferma les yeux, et inspira profondément, juste une fois. Puis il soutint de nouveau le regard du Commandant.

 

-         Je n’ai pas envie de faire un coup d’état. Ni pour venger mon père, ni pour montrer ma force, ni pour briller auprès de mes frères d’armes. Contrairement à vous, je suis satisfait de la position que j’occupe actuellement. Un jour, sans doute, le devoir familial s’imposera, et alors seulement, peut-être, je quitterai le Royaume des Rats si je peux faire honneur à mes ancêtres hors de ses frontières. Mes amis d’enfance sont tous enterrés à Gottliebschloss. J’ai passé les six dernières années à m’en faire d’autres, parmi les Humains, mais aussi chez les Skavens Libérés. Le visage n’est pas une barrière. Ma mère l’a très bien compris, elle s’est appliquée à nous le rappeler régulièrement, et aujourd’hui, j’y crois. Contrairement aux discours guerriers de mon père qui l’ont mené à une fin misérable, celle d’un homme seul, craint et détesté par tous, y compris les membres de sa famille. Je suis le seigneur Jochen Gottlieb, je serai différent de Wilhelm Gottlieb. Je lui dois la vie, je lui dois ma force de caractère, mais j’espère être meilleur que lui. Ce que je serai grâce aux enseignements de ma mère. Et tant que je vivrai, le Royaume des Rats pourra toujours compter sur le nom de Gottlieb pour le soutenir.

 

Pendant une demi-douzaine de secondes, les deux soldats restèrent silencieux, chacun guettant la première réaction de l’autre. Finalement, ce fut le Commandant qui détourna le regard pour dire au Prince :

 

-         Je n’ai pas d’autre question, votre Honneur.

-         Merci pour ce témoignage, Capitaine Gottlieb.

 

Le jeune Gottlieb se releva lentement et reprit sa place sur le banc des témoins, aux côtés de Marjan. Celle-ci lui prit discrètement la main, il se laissa faire. Le Commandant toussa, se servit un verre d’eau, et une fois sa gorge soulagée, poursuivit.

 

-         J’aimerais maintenant appeler un témoin en particulier, votre Honneur.

-         Appelez-le, Commandant.

 

Le Skaven Noir se demanda comment Nedland allait se défendre face au Commandant, mais il sentit son cœur se serrer brutalement quand il entendit la voix du grand homme roux déclarer :

 

-         Je souhaiterais entendre le Maître Mage Prospero Steiner.

 

Psody se leva calmement et se plaça derrière le pupitre.

 

On arrive au moment décisif… Sois fort, mon ami ! pensa Marjan de tout son cœur.

 

-         Maître Mage, avant de parler, je vous demanderai, selon la coutume, de prêter serment de ne dire que la vérité, sous l’œil attentif de Verena, déesse de la Justice.

-         Je promets-jure de ne répondre à vos questions que par la vérité.

 

Il n’a pas osé mentionner Verena, il est trop accroché à son dieu impie, songea Schmetterling.

 

-         Maître Mage, vous êtes le premier de votre race a été avoir reconnu comme citoyen de Vereinbarung, c’est bien exact ?

-         Non, Commandant. Désolé, mais cet honneur revient à ma compagne, Heike, qui était Humaine par le cœur bien avant moi. Je suis le deuxième.

-         Admettons. Vous connaissez cependant très bien le mode de vie des Skavens Sauvages de l’Empire Souterrain.

-         Parfaitement-absolument, ce n’est un secret pour personne, j’ai passé les quatre premières années de ma vie chez eux, à vivre selon leurs coutumes.

-         Vous allez même jusqu’à continuer de prier leur divinité, dont je ne dirai pas le nom, ce serait hérétique.

-         C’est pour ça que je suis le seul de tout Vereinbarung à le faire, Commandant.

-         J’aimerais savoir ce qui vous a poussé à venir chez nous, les Humains ? Vous êtes une célébrité de la principauté, et tout le monde ici connaît votre histoire, mais j’aimerais être sûr que vos motivations n’ont pas changé ?

-         Elles n’ont pas changé, Commandant. J’étais destiné à devenir un Prophète Gris. Ma fourrure blanche et mes cornes étaient des signes caractéristiques. Mais je me suis posé des questions, et j’ai contrarié-offensé mon maître, le Prophète Gris Vellux. Celui-ci m’a condamné à mort, et j’ai été abandonné dans un marais, grièvement blessé par Klur du Clan Eshin, mon frère de sang. La sage Katel, une vieille femme qui vivait seule dans le marais, m’a sauvé la vie. Elle m’a accueilli-éduqué selon les principes des Humains. J’ai compris que je ne pourrais jamais retourner dans l’Empire Souterrain.

-         Vous aviez donc bien changé grâce à cette personne ?

-         Pas tant que ça, Commandant. Ma tête était déjà pleine-remplie de doutes. C’est ça que le Prophète Gris Vellux n’a pas aimé chez moi. Katel m’a aidé à prendre conscience de mes différences. Et c’est en trouvant refuge auprès de l’homme qui est actuellement le Prince Ludwig Steiner que j’ai pleinement embrassé la vie idéale-parfaite. Cela fait maintenant six ans que je vis parmi les Humains. Chaque fois que je me suis posé la question-question, j’ai toujours vu la même réponse : mon corps est celui d’un homme-rat, mon cœur est animé par les sentiments des Humains.

-         Vous affirmez qu’il ne reste plus une trace de Skaven Sauvage en vous ?

-         Pas même la magie. J’ai été purgé-purifié de la Magie du Warp. C’est le Vent de Jade qui circule en moi.

 

Schmetterling passa au point suivant.

 

-         Que dit le peuple de l’Empire Souterrain sur les Humains ?

-         Les Skavens de l’Empire Souterrain veulent tuer-dévorer tous les Humains, ravager le monde de la surface avec les maladies et la malepierre afin de le dominer. Je ne vous le conseille pas, mais si vous voulez-souhaitez voir un petit aperçu, allez donc à Skarogne.

-         Avez-vous été animé de telles intentions à notre égard, Maître Mage ?

-         Oui, Commandant, quand j’étais Prophète Gris.

-         Pourquoi avoir changé d’avis ?

-         Je voulais détruire l’Humanité pour plaire à mon dieu, comme mon maître le répétait sans arrêt. J’ai fait tout mon possible pour être un vrai Fils du Rat Cornu. Or, ma dévotion-application a poussé l’Empire Souterrain dans son entier à me rejeter, ce que je n’ai pas compris. C’est ce qui m’a amené à adopter un autre mode de vie. J’ai découvert que le monde était beaucoup plus plaisant quand on vit à la manière des Humains. La peur n’est pas omniprésente-permanente. Bien sûr, nous avons tous peur de temps en temps face à une menace, mais dans une société bien organisée comme celle de Vereinbarung, il y a des temps de paix. Pour moi, ces six années ont été un pur bonheur. Plus de raison d’avoir peur de se faire poignarder dans le dos n’importe où-quand, plus d’agressivité envers les plus faibles ou de flagornerie face aux plus forts. Et j’ai une compagne aimante, et cinq enfants qui m’emplissent de bonheur chaque jour passé auprès d’eux. Je n’échangerais pas ces six années chez les Humains contre une journée dans la peau d’un membre du Conseil des Treize, jamais-jamais.

-         Donc, vous n’avez plus aucun contact avec vos anciens frères de race ?

-         Plus aucun contact amical, en tout cas.

-         Le Prophète Gris Iapoch a attaqué Sueño et a menacé le Prince Calderon en signant sous votre nom de Skaven Sauvage. Pourquoi a-t-il fait ça ?

-         La réponse est facile-évidente : l’Empire Souterrain connaît mon nom et mon histoire. Le Conseil des Treize m’a déclaré anathème, et offrira une récompense au Skaven Sauvage qui rapportera ma tête à Skarogne. Il a voulu semer la zizanie dans notre royaume pour mieux nous affaiblir.

-         Il ne s’est pas contenté de ça, Maître Mage. Il a envoyé un tueur.

-         En effet.

-         Mais il vous a aussi personnellement atteint, Maître Mage ! Vous avez dû faire un séjour dans une cellule de contention de magie. Vous vous êtes montré violent, vous avez menacé votre famille !

 

Une fois encore, Sigmund dut faire un effort terrible pour ne pas quitter sa place et coller son poing dans la figure du Commandant. Mais son père garda son calme.

 

-         Vous avez raison, Commandant, j’ai été ensorcelé par ses maléfices. Je ne prétends pas être parfait-infaillible. Et je n’ai pas de honte à éprouver. Grâce au Magister Mainsûre, j’ai repris le dessus sur Iapoch, et je l’ai vaincu moi-même.

-         Mais peut-être qu’il reste quelque chose de lui en vous, Maître Mage ? Il a pénétré votre esprit, peut-être qu’il l’a influencé ? S’il a réussi à prendre le contrôle d’un chamane Orque, il peut peut-être en faire autant sur un Prophète Gris ? Vous êtes du même sang, il connaît le fonctionnement de votre esprit, il est donc capable d’insérer des idées vindicatives dans votre crâne ?

 

Le Skaven Blanc se contenta d’un petit sourire.

 

-         Le Prophète Gris Vellux m’a élevé-éduqué pendant quatre ans. Durant tout ce temps, il m’a appris-entraîné à renforcer mon esprit pour résister à ce genre d’attaque. Il ne voulait pas me protéger, non, il voulait se protéger, lui, au cas où un autre Skaven Blanc rival aurait tenté de m’utiliser contre lui. D’accord, au début, les maléfices d’Iapoch ont fonctionné, mais c’est parce qu’il s’y est pris de manière suffisamment subtile pour m’induire en erreur. Je croyais entendre le Rat Cornu lui-même. Une fois que j’ai compris que les visions qui me faisaient perdre la tête étaient en réalité une banale tentative de viol mental, et que j’ai identifié l’agresseur, ses pouvoirs n’ont plus fonctionné contre moi. Et je peux vous assurer-garantir qu’aujourd’hui, il ne reste plus aucune trace.

 

Schmetterling fit quelques pas, regarda le public, les jurés, puis de nouveau Psody.

 

-         De toutes les personnes présentes dans cette salle, vous êtes de loin la moins Humaine. Vous êtes né chez eux, vous avez été élevé par l’un d’eux, et vous portez un nom de leur culture. Vous avez eu le culot de vadrouiller dans l’Empire, où vous avez entraîné dans vos délires de conquête des gens honnêtes, le tout pour fonder ce que l’Empereur et le Grand Théogoniste n’hésiteraient pas à qualifier d’ « hérésie ». Pourquoi avons-nous fait confiance à un individu comme vous, Maître Mage ?

-         Parce que tout le monde y a vu son intérêt. Nous avons fondé un royaume dont la puissance croît d’année en année. Oui, vraiment, chacun a bien profité de la création de Vereinbarung, y compris vous, Commandant. Vous laisser emmener dans ce « délire de conquête » ne vous a pas déplu, à ce que je sache. Encore qu’apparemment, vous n’en aviez pas encore assez ? Iapoch vous a appâté, et votre cupidité vous a fait mordre à son hameçon-hameçon. Il vous a promis une cassette pleine de malepierre, et c’est ce que vous vouliez récupérer dans cet arbre mort.

-         Vous êtes en train de me calomnier, Maître Mage !

-         Vraiment ? Pourtant, la pièce à conviction numéro quatre est assez éloquente !

-         Parlons-en, de cette pièce à conviction ! Tout à l’heure, Frère Sander nous a dit que cette lettre était une reproduction faite à partir d’un « support » que vous lui avez donné.

-         C’est exact-vrai.

-         Alors, vous allez sans doute pouvoir nous dire quel est ce support sur lequel serait écrit l’original de ce courrier diffamatoire ?

-         Avec le plus grand plaisir, Commandant-accusé.

 

Les yeux du grand Humain lançaient des éclairs de rage. Psody était toujours serein, et continuait d’afficher son petit sourire.

 

-         Les Prophètes Gris adorent appâter des Humains avec de belles promesses-récompenses. Comme j’étais un Prophète Gris, je sais exactement comment ils fonctionnent. Je dois être juste-juste : Iapoch ne vous a pas dénoncé volontairement quand je me suis retrouvé face à lui. Je savais déjà qu’il y avait un traître, mais je ne connaissais pas encore son identité. Iapoch n’a pas commis la bêtise de vous nommer, ni même de dire qu’il avait convaincu quelqu’un de haut placé de nous trahir pour me narguer avant de mourir. J’ai tout compris sans son aide. Il m’a suffi de regarder-chercher au bon endroit. En l’occurrence, son cabinet personnel. Tous les Prophètes Gris ont une pièce dans laquelle ils ne laissent entrer personne d’autre que leur apprenti s’ils en ont un. J’ai exploré son bureau. Malheureusement, je n’ai pas trouvé de lettre-missive signée de votre main. Il aurait pu les conserver pour avoir un moyen de pression sur vous, mais il n’a pas été assez malin pour le faire. Or, il est resté une chose. Une seule. Un petit élément anodin qui a fait toute la différence. Et c’est cette chose qui vous a trahi-perdu.

-         Mais de quoi est-ce que vous parlez, Maître Mage ?

-         Je parle de ce que m’a chuchoté mon nez.

 

Cette déclaration ne manqua pas de provoquer un silence surpris.

 

-         Votre nez ? Pouvez-vous être plus clair ?

-         Le Rat Cornu a créé ma race à partir des rats, ce n’est un secret pour personne-personne. Des rats qui ont touché, respiré et mangé de la malepierre pendant des générations. Peu à peu, ils ont été capables de marcher, de parler, de raisonner, et de construire une civilisation suffisamment évoluée-éveillée pour avoir une technologie, une monnaie et une religion propres. D’accord, tout est très violent-violent dans l’Empire Souterrain, mais cela reste une civilisation. Malgré cela, nous, les Skavens, avons gardé quelques traits de nos lointains ancêtres. Entre autres, l’odorat-odorat. J’ai un odorat bien plus développé-développé que le vôtre.

-         Je vois. Et donc, vous avez senti une crispation d’inquiétude chez moi en reniflant un de mes pets ?

-         Non, je n’ai pas l’odorat affûté à ce point-là. Les seules odeurs que je peux reconnaître précisément-nominativement sont celles des membres de ma famille, dont vous ne faites pas partie, le Rat Cornu soit loué. À la rigueur, je me rappelle aussi de celle de mon ancien maître. Iapoch avait d’ailleurs un effluve qui lui ressemblait drôlement, ce qui confirme bien que c’était son rejeton-rejeton. Par contre, quand je suis entré dans le cabinet de travail d’Iapoch, j’ai senti un parfum très caractéristique : la malepierre.

-         La malepierre ? répéta l’Humain.

-         Oui. Cette odeur était bien là.

-         Dans un terrier de Skavens Sauvages, quoi de plus normal ?

-         L’odeur ne venait pas de n’importe où, Commandant. Elle flottait avec plus d’insistance dans la pièce. Plus précisément sur le bureau.

 

Devant l’air dubitatif du capitaine, le Skaven Blanc expliqua :

 

« Iapoch était un Prophète Gris. Comme tous les Prophètes Gris, il s’appliquait à utiliser des matériaux de qualité, en particulier pour vous écrire. Il vous laissait des instructions sur des parchemins de papier, et l’encre qu’il utilisait contenait de la poudre de malepierre. Or, cette encre a tendance à imbiber-traverser le papier, encore plus facilement que la peau de parchemin. Heureusement pour vous, vous preniez la précaution-précaution de mettre des gants avant de lire ses missives, autrement vos doigts seraient en bien plus mauvais état que maintenant. »

« J’ai eu la ferme intuition qu’il fallait voir précisément les résidus sur ce meuble. Vraiment, je ne peux pas l’expliquer, c’était une intuition. Et donc, avant notre départ, j’ai demandé à ce qu’on emmène-emporte le bureau. Une fois à Steinerburg, je me suis retiré dans mon laboratoire avec les Jumeaux Gottlieb et le Prince. Je me suis concentré, j’ai médité, j’ai tendu mes mains au-dessus de l’écritoire, et j’ai réussi à révéler grâce à Ghyran, le vent de Jade, les particules de malepierre qui avaient imprégné la dernière lettre, particules encore sur la table. Ainsi, j’ai fait apparaître le message qu’Iapoch vous a adressé, et ce devant les Jumeaux, tous deux de sang noble, fils-fille d’un couple de seigneurs de l’Empire, dont la parole a fait foi auprès du Prince. Le Prince a fait venir Frère Sander pour qu’il recopie le texte, sans lui préciser d’où venait cette table. »

« Cette lettre est la preuve de votre trahison-trahison. Nous pouvons affirmer qu’elle a été écrite sur le bureau du Prophète Gris Iapoch. L’écriture est la même que celle du carnet de comptes que j’ai ramassé dans son laboratoire, et que celle des menaces au Prince Calderon. Et lorsque mon fils et ses amis se sont rendus à l’endroit indiqué sur cette pièce à conviction numéro quatre, ils vous ont surpris en train de récupérer le prix de votre trahison. Vous avez vendu votre royaume à votre ennemi, Commandant. J’ignore si c’est par peur, par vengeance ou par appât du gain, mais vous l’avez fait. Et maintenant que tout le prouve, vous tentez de tout démonter-démolir en insultant-humiliant chacun des témoins. Une méthode que les autorités de l’Empire Souterrain applaudiraient. »

 

Un long silence suivit cette explication. Personne n’osait bouger. Sigmund se sentait tellement transi de sueur qu’il eut du mal à respirer. Tous les visages étaient tournés vers le Commandant Schmetterling. Celui-ci ne céda à aucune émotion violente. Ses lèvres se plissèrent en un rictus ironique. Il répondit d’une voix doucereuse :

 

-         C’est une théorie intéressante, Maître Mage. Mais elle ne tient pas la route. Comme tout le reste, comme mon emprisonnement. En fait, vous n’avez rien. Vous avez une présomption, mais elle s’appuie uniquement sur votre conviction et votre antipathie à mon égard. Il n’y a aucune preuve solide de ce que vous avancez. Les témoignages contre moi sont ceux de gens acquis à votre cause, qui diront n’importe quoi pour vous plaire. Cette lettre est un faux que vous avez fabriqué pour me faire craquer en vous servant du carnet de comptes comme modèle, carnet de compte qui a probablement été falsifié par vos soins. En fait, vous ne voulez pas juger un traître, vous voulez évincer un adversaire ; je deviens trop gênant pour vos propres désirs de pouvoir. Ou alors, vous faites ça par amitié pour les capitaines Gottlieb, qui n’ont pas accepté l’issue de Wüstengrenze. Quoi qu’il en soit, vous essayez de me coller sur le dos un crime que je n’ai pas commis. Et donc, vous comptez vous débarrasser de moi et de la preuve de votre incompétence. Mais ce n’est pas comme ça que ça marche. Je ne dirai pas ce que vous voulez que je dise. Les prêtres de Sigmar me donneront raison à l’issue de ce procès, car il n’y a pas de preuve concrète. Alors, je sortirai d’ici, et là, vous allez très amèrement regretter de m’avoir outragé à ce point. La première chose que je ferai sera de veiller à ce que ces prêtres vous fassent enfermer nu dans une cage, sur la place publique, comme un rat, tout Maître Mage que vous soyez. Ensuite, je rassemblerai cette cour martiale pour juger le cas de Jochen et Marjan Gottlieb. Je pense qu’au mieux, après une telle insubordination, ils ne pourront plus jamais faire partie de la moindre armée, ni avoir la moindre prétention d’une quelconque appartenance à la noblesse. Marjan pourra toujours épouser un seigneur voisin, et Jochen ramassera le crottin du cheval de son beau-frère. Et enfin, je ferai pendre le nabot qui a osé me tirer dessus. Vous allez être perdants sur toute la ligne, tous les quatre. Je serai bon prince, cependant. Dame Heike et ses enfants n’auront pas à souffrir des fautes du Maître Mage. Je garderai ma rancune uniquement pour ceux qui la méritent vraiment. Et les habitants de Vereinbarung comprendront et accepteront rapidement qui est le véritable traître dans cette salle.

 

Psody baissa la tête, et poussa un soupir las, sous l’œil goguenard de Schmetterling.

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